Cigarette en bouche, Henri marchait les mains dans ses poches. Il faisait de plus en plus chaud et c'était presque insoutenable parfois. Il ne s'était toujours pas habitué au climat de la Californie et quelque part il était persuadé qu'il ne s'y habituerait jamais. Le soleil était en train de se coucher non loin et Henri s'arrêta un moment près de la plage pour observer l'horizon. Cela n'avait plus rien d'exceptionnel. Henri avait l'impression de voir la même chose, tous les jours. Il laissa tomber son mégot qu'il écrasa rapidement avant de reprendre sa route. Il avait souvent repensé à ce que Laila lui avait dit. À la façon dont elle lui avait dit les choses. Sa voix résonnait encore dans sa tête, comme si elle était présente à ses côtés. Comme si elle savait ce qu'il allait faire ce soir.

C'était les vacances, voilà tout. Henri n'avait aucune charge de travail sur le dos. Il avait même appris qu'il allait être responsable d'une classe de terminale l'année prochaine. C'était un bon professeur, un peu rustre parfois, mais bon. Il savait captiver ses élèves, tout en faisant peur à certains parfois. Le principal de l'établissement était assez fier de la réputation d'Henri. Les parents l'appréciaient pas mal d'ailleurs, jugeant que le niveau dans ses classes était toujours très bon. Bien entendu, tout ceci n'était qu'une façade. Henri était un solitaire. Il connaissait à peine les autres professeurs, s'intéressant moyennement à la vie de ses étudiants. Le seul rôle qu'il possédait était lié aux notes de ses élèves. Il ne réfléchissait pas plus que ça. Henri avait perdu, depuis bien longtemps, le gout aux relations. Il ne voyait pas l'intérêt, si c'était pour se retrouver trahis par des gens qu'il appréciait. Cela expliquait pourquoi Henri était toujours seul. Il ne voulait pas connaitre son entourage. Il ne voulait pas s'attacher, bêtement. Il avait assez souffert par le passé pour comprendre que le seul moyen de se protéger de telle souffrance était de s'écarter. De laisser la place à d'autres. Les choses étaient pourtant légèrement compliquées ces derniers temps. Il y avait Liam, mais surtout Neela. Et la petite Maya. Henri ne savait pas encore comment gérer tout ça, mais il savait qu'il voulait être là pour Neela et sa fille. C'était sa famille après-tout. Et ça, c'était la chose la plus importante pour lui.

Entrant dans la boîte de nuit, Henri salua quelques personnes. Il devait faire le tri sur pas mal de choses, il le savait. Il ne savait pas comment, voilà tout. En attendant, il voulait juste s'échapper. Boire un verre, danser au rythme de la musique et ne plus penser à rien. C'était devenu une addiction. Un besoin presque vital pour lui. Il le savait. Laila lui avait dit. Et sa voix était toujours là, en fond, derrière la musique si prenante. D'ailleurs, Henri s'était tout de suite lancé dans la foule, dansant sans s'arrêter pendant un bon moment. Lorsqu'il alla vers le bar, il commanda tout de suite un shooter de rhum avant de se tourner et de regarder tout ce bon monde. C'est alors qu'il aperçut une petite tête blonde. Il commanda deux autres verres avant de se diriger vers elle, souriant. « - Tu es donc toujours en vie ! » Il se pencha légèrement vers elle – il faut dire qu'il était trop grand, ou alors elle trop petite et avec tout ce bruit ils n'allaient rien entendre. « - À ta santé, Alexis ! » Il lui tendit le verre, buvant le sien cul sec.

La première fois qu'il avait croisé la jeune femme, c'était à son lieu de travail. Lui, était complètement défoncé, mais cela ne l'avait pas empêché de remarquer qu'un type se conduisait de façon déplacée. Il avait ainsi, naïvement, prit sa défense. Il avait foutu le gars à terre avant de rendre compte qu'il n'était pas venu seul. Quelle bagarre ! Alexis l'avait retrouvé dans un sale état dehors, mais elle avait été assez compréhensible pour l'aider à rentrer et soigner vaguement quelques plaies. Il ne s'était rien passé de plus. Elle avait ainsi découvert son chez lui – un véritable appartement contenant tout et n'importe quoi – s'était endormi dans un coin, avait fini son lait le matin avant de repartir. Ils s'étaient revus par la suite, rapidement. Quelquefois pendant qu'Alexis travaillait et d'autres simplement pour trainer à 4h du matin. Quelque chose disait à Henri qu'Alexis avait adoré son appartement. Elle devait sans doute, secrètement, passer ses journées à fouiner dans ses cartons et ses affaires à la découverte de la perle rare. Il ne savait pas grand-chose d'elle, vraiment. Mais ce n'était pas nécessaire. Ils n'avaient pas besoin de plus pour passer un bon moment. Ils se retrouvaient d'ailleurs souvent en soirée, comme ça.

Henri savait que ce genre de choses n'allait pas durer. Que c'était le genre d'amitié éphémère entre deux personnes dont la vie n'était pas du tout la même. Assis désormais dans un coin où la musique était moins forte, Henri paya d'autres verres. « - Le but c'est simple. Faut juste… tu vois… tu coinces comme ça et… » Il ouvrit sa bière avec ses dents, crachant la capsule sur la table. « - Compris ? » Il ria, buvant du coup sa bière, observant Alexis

Depuis le retour de Judy, Alex allait mieux. On ne pouvait pas dire que tout allait bien, mais ça allait mieux. Elle avait retrouvé quelqu'un à qui se confier, quelqu'un qu'elle pouvait rejoindre dès que le cœur lui en disait, quelqu'un qui ne la jugerait jamais sur quoi que ce soit... Peu à peu, les deux cousines avaient rattrapé le temps perdu, détaillant tout ce que le temps ne leur avait pas permis de partager lorsque la brune était en France. Elles n'avaient de nouveau plus aucun secret l'une pour l'autre, et, à nouveau, Alex se sentait entourée. Elle n'avait pas besoin d'une foule accablante pour ne plus être seule ; Judy lui suffisait. Elle était plus que de la famille; elle était sa meilleure amie, et sa meilleure amie, elle venait de la retrouver. C'était elle qui l'avait encouragée à sortir un peu plus de son terrier, et, depuis quelques mois, Alex s'était pliée à cette coutume : au moins une fois par semaine, elle prenait une demi-journée ou une soirée pour elle, rien que pour elle. Sans ses parents sur le dos, sans avoir de comptes à rendre à quiconque. Et c'était sans doute la plus douce des façons de se rendre compte de la beauté des choses simples : Alex avait discuté avec des inconnus, des vendeurs, des serveurs ou des passants, retrouvé des clients du Pim's à plusieurs reprises, sympathisé avec une nouvelle collègue... peut-être que rien n'était perdu. Peut-être que son bonheur ne tenait qu'à elle. Pourtant, c'était quelque chose n'arrivait toujours pas à envisager, être heureuse. Son quotidien était un tout petit peu moins pénible, parce que dans ces moments de sociabilisation, elle en oubliait tout ce qui n'allait pas; mais rien ne pourrait effacer ce qui la rongeait de l'intérieur. Ce black russian qu'elle buvait doucement en discutant avec le barman de ce bar qu'elle ne connaissait que trop bien, par contre, pourrait l'y aider au moins pendant quelques instants... « Tu es donc toujours en vie ! » Une voix qui lui paraissait bien familière la fit se retourner une seconde, libérant le barman, qui retourna rapidement à ses tâches, qui, avec ce monde, ne manquaient pas. Elle quitta son tabouret pour le rejoindre, mais face à lui, regretta aussitôt cette démarche, se rappelant subitement qu'ils avaient près de trente centimètres de différence -une différence que même ses plus hauts talons ne pourraient jamais compenser. Elle se trouva rapidement à trinquer avec une boisson qu'elle avait déjà bien entamée. « A la tienne, mon héros », répondit-elle avec l'air d'une damoiselle que l'on avait sauvée de sa détresse -ce qui n'était pas totalement faux... Elle s'était éloignée du bar, son point de repère, qui lui permettait de rester accrochée à une petite parcelle calme sans subir les allers et venues, les danses ratées et les cris de ceux qui ne tenaient pas l'alcool. Et puis, elle aimait bien discuter avec le barman, d'autant plus qu'il avait été spécialement sympathique lorsqu'elle avait retrouvé Judy -personne n'était jamais contre une tournée gratuite, si ? Cependant et malgré tous les avantages que présentait sa place au bar, elle l'avait quitté sans se poser de questions pendant dix ans : Henri méritait bien qu'elle se mélange à cette foule survoltée. Elle avait donc bu quelques gorgées, raide comme un piquet, plantée là à attendre que... que quoi ?

Bizarrement, aussi étrange que cela puisse sans doute paraître, de toutes les rencontres qu'elle avait accumulées depuis qu'elle travaillait Pim's, celle avec Henri était la plus marquante. C'était au Pim's qu'elle avait retrouvé Dustin d'une part, puis Nolan d'autre part, bien sûr... Mais faire la connaissance de quelqu'un pour la première fois dans des circonstances comme celles qui avaient été les-leurs était sans aucun doute quelque chose d'unique. Il l'avait vue se dandiner en petite tenue pour donner envie à des fêtards et des vieux pervers de se laisser emporter et de boire un peu plus, mais surtout, ce qui avait crée leur relation telle qu'elle était aujourd'hui, ça avait été ce geste qu'il avait eu. Jusqu'à présent, Dustin avait été le seul à prendre sa défense lorsqu'on lui avait manqué de respect, mais personne n'avait jamais été aussi loin au nom de son honneur, et ça avait suffi à lui faire suffisamment confiance pour le raccompagner chez lui. Mais rien de trop intime, hein, bande de pervers... Le seul fluide qu'ils avaient partagé était le sang d'Henri, qui avait tout de même réussi à se mettre dans un sacré état, mais eh, « you should see the other guys ».

Très vite, Alex avait suivi Henri pour s'installer à une table, un peu en retrait de la piste de danse. Le temps d'y arriver, elle avait déjà fini son cocktail. Henri, galant, avait rapidement offert de prendre la relève du côté de l'alcool. Quelques instants plus tard, deux bouteilles de bière étaient installées sur leur table, et il lui expliquait comment les décapsuler avec les dents. Alex, dubitative, le regardait, l'air dérangé. Pourquoi il lui montrait ça ? Avant qu'il ait le temps de finir l'opération sur sa bouteille, Alex avait déjà ouvert sa bière. C'était Samuel et Dustin qui lui avait appris le truc bien des années en arrière... et ces choses-là ne se perdaient pas. Elle en avait même fait un argument de drague lorsqu'elle avait rencontré Nolan pour la première fois. « Alors, je suis bonne élève ? » demanda-t-elle, tricheuse, en attaquant à son tour sa bière. « Merci, au fait, » ajouta-t-elle, retardataire en désignant la bouteille. Puis ses trais se figèrent dans un sourire béat et elle se leva de table. « Oh ! J'adore cette chanson ! ». Elle attrapa sa bouteille de bière et, à reculons, en tentant de rallier Henri à sa gauche, se dirigea vers la piste de danse, avant de heurter quelqu'un. Elle se retourna, confuse, et fit face à une magnifique brune, qui faisait sa taille mais dégageait une féminité qu'elle n'aurait jamais. Cette dernière ne répondait rien, mais Imogen, un brin décontenancée par la situation, se mit à danser devant elle, l'invitant du regard à la rejoindre. Daft Punk, quoi !

CE POST N'A ETE NU RELUS, NI CORIGEE  

C’était drôle parfois, de se retrouver en face de ses élèves. Parce que c’était déjà arrivé par le passé. Forcément, cette boite était l’une des plus célèbres de la ville. Les plus jeunes n’étaient pas forcément acceptés, mais certains avaient leur technique. Henri n’avait pourtant jamais fait la moindre remarque. La règle était simple : Il ne faisait rien si les élèves ne faisaient rien. Cela fonctionnait assez bien. On le laissait tranquille, dans cette bulle qui n’appartenait qu’à lui et il pouvait s’échapper du quotidien qui le dévorer. Par chance ce soir, il ne voyait aucune tête connu. Par chance, ce soir était une nouvelle nuit et Henri allait en profiter. Il n’y avait pas de limite, pas d’obstacle sur sa route. Tout ce qu’il désirait c’était s’enfuir, comme le lâche qu’il représentait à merveille depuis toujours. Il y avait quelque chose dans cette addiction, dans ce besoin de ne plus être ce qu’il était, que Laila ne comprendrait surement jamais. Une liberté nouvelle, qui le prenait au plus profond de lui-même. Chaque nouvelle musique emplissait le vide qui se trouvait à la place de son cœur et c’était formidable comme ça ! Il se sentait capable de beaucoup dans ce genre de situation, comme si plus rien ne pouvait l’arrêter. Comme s’il réalisé enfin qu’il n’avait bel et bien plus rien à perdre.

Ce soir, il avait la chance de croiser le chemin d’Alexis, encore une fois. Il n’était pas du genre à faire confiance aux autres, mais il savait qu’il n’y avait pas de mal à se laisser aller. A être curieux envers ceux qui nous entouraient. Henri était comme ça. Froid et fermé au monde dans ses moments de lucidité, mais complétement ouvert lorsque l’alcool prenait possession de lui-même. Et là tout de suite, il était content de la retrouver. Il savait qu’il passerait forcément une bonne soirée en sa compagnie et c’était exactement ce qu’il désirait. Sans réfléchir plus que ça, la jeune femme accepta son verre et trinqua avec lui, tout aussi heureuse de le voir ce soir. Il y avait du monde ce soir. La musique englobait l’ensemble de la place avec force alors que le monde se déhanchait aux rythmes les plus fous. Ce n’était qu’un aperçu de l’endroit qui comportait plusieurs salles différentes. Henri se souvenait parfaitement la façon dont la boite était décoré pour Halloween. Cela avait été incroyable. Profitant de l’occasion, ils s’éloignèrent pour s’isoler un peu dans un coin. Il n’avait peur de rien, Henri. Légèrement ivre, il retrouvait cette façon de parler sans pouvoir s’arrêter. Les mots sortaient tout seul, comme si cette facette de lui-même n’avait jamais disparu. Bavard à souhait, il se retrouvait à expliquer à Alexis comment décapsuler une bouteille de bière avec ses dents. Voilà une chose qui pourrait servir et qu’il avait après durant certaines de ses nuits où il n’y a rien de plus intéressant à faire.

« - Pas mal ! » Il ria fortement, avec ce genre de rire qui voulait tout dire. Celui d’un ami, ou d’une connaissance, ravi d’être là où il était et ravi de savoir que la nuit ne faisait que commencer. « - Avec plaisir. » Il leva son verre, comme si c’était la chose la plus normal du monde. Il n’était pas de ceux qui aimait les remercîments, ce n’était pas nécessaire. Mais au fond, cela faisait toujours plaisir. Soudain, une nouvelle musique entama un nouveau chapitre et un sourire apparus sur la petite frimousse d’Alexis. Riant comme une enfant, il se laissa tiré vers la piste de danse, essayant de reconnaitre la chanson qui semblait avoir donné à Alexis tout l’énergie du monde. Il eut une vague pensée nostalgique pour son arrivée en Amérique. Il se souvenait de tout ce que ce voyage lui avait procuré. Du bonheur de prendre sa vie en main, de découvrir un tout nouveau monde. Sans réfléchir plus que ça, il se laissa guider par le rythme de la chanson, chantant parfois lui-même. C’était le genre de moment où tout le monde dansait sans se soucier de qui était à côté.

Quelques secondes plus tard, Alexis invita une inconnue à danser, après l’avoir bousculé sans avoir fait attention. Henri s’en fichait complétement. Il voulait s’amuser, simplement. L’inconnue se pencha légèrement vers lui pour lui qu’il n’était pas mal, ce qui arracha un sourire à Henri qui fit tourner la brune tout en continuant à se déhanchait. Il colla ensuite Naya à lui, tout en lui soufflant. « - D’habitude, je suis un peu « plus » que pas mal. » Il relâcha la jeune femme pour offrir un sourire amusée à Alexis. « - Dit-lui que je suis un putain de super-héros. Dit-lui ! » Il essaya de se visualiser en collant et avec une cape, et il se trouva automatiquement ridicule, ce qui lui arracha un fou-rire.

En peu de temps, Alex avait changé. Pas radicalement, pas fondamentalement, mais elle avait changé. Elle avait évolué, pour le meilleur. Il lui semblait maintenant que tout -ou presque- avait changé depuis tout ce temps. Elle était installée avec Judy, maintenant. Elle s'étaient installées aussi rapidement qu'elles s'étaient retrouvées. Ses parents n'avaient rien eu à dire, et même si dans leur regard, elle avait pu lire tout le jugement dont ils étaient capables, Alex n'en avait quitté la maison familiale qu'avec plus de conviction encore. La vie avec Judy était douce et rassurante. Lorsqu'elle avait fini le travail, elle ne rentrait plus en territoire ennemi. Elle ne courrait plus s'abriter au Diamond's en espérant croiser son barman préféré. Maintenant, elle le faisait pour de toutes autres raisons : elle retrouvait quelqu'un qu'elle appréciait, pour décompresser. Elle passait encore des soirées toute seule, bien sûr. Elle s'était habituée à la solitude, et se gardait un jardin secret dans lequel elle s'abritait de temps à autres. Elle avait été tellement habituée à n'être accompagnée que d'elle-même que cela lui faisait à présent bizarre de retrouver une vie sociale animée. Car Judy n'était plus la seule, depuis récemment, à partager son quotidien. Leur colocation abritait régulièrement un troisième individu du sexe masculin, un beau brun trentenaire qu'elle avait retrouvé, dans la lignée de ce qui se passait à présent dans sa vie. Avec Judy et Nolan à ses côtés, Alexis renaissait de ses cendres. Elle qui n'avait jamais pensé cela possible en était encore toute étourdie...

Mais elle n'en perdait pour autant pas certaines de ses vieilles habitudes. Depuis qu'elle avait quitté le centre de rehab, maintenant près de deux ans auparavant, elle s'était tissé une nouvelle vie qui, il fallait bien l'avouer, avait été loin de la contenter. Elle s'était efforcée de se trouver des petits moments rien qu'à elle, sans la pression de sa patronne ou de ses parents. Elle n'était pas du genre à errer sans but dans les rues commerçantes de la ville et à s'acheter des vêtements et des chaussures par dizaines pour se consoler, mais plus de celles qui trouvent un certain réconfort à un bar choisi avec soin, qui, au fil des mois, se transformait en un foyer des plus accueillants. Alex avait peu à peu fait la connaissances des habitués du Diamond's, mais aussi de son personnel. Si elle n'avait que rarement croisé le chemin du patron, elle s'était prise d'affection pour le barman qui, malgré lui, était celui qui la servait presque à chaque fois qu'elle se réfugiait en ces lieux. Venir ici seule ne représentait en aucun cas un poids pour la jeune femme, qui y retrouvait toujours un visage familier avec lequel elle pourrait refaire le monde ou boire plus que de raison. Parmi les fidèles clients du bar qu'elle retrouvait régulièrement, il y avait Henri. Henri, simplement Henri. Lui était infidèle au Diamond's, puisqu'ils s'étaient rencontrés, dans un premier temps, au Pim's. Il s'était très rapidement attiré la sympathie d'Alex, de qui il avait pris la défense auprès d'un groupe de clients machos auquel elle avait eu à faire pendant son service. Après cet épisode, ils auraient très bien pu ne jamais se revoir, mais le destin en avait décidé autrement. Alex ne savait pas grand chose de lui, au final, mais cela lui convenait. Ils s'écoutaient déblatérer des trucs plus ou moins sérieux, et buvaient l'un avec l'autre en se jetant des coups d'oeil de temps à autres pour savoir s'ils étaient encore dans un état physiologique convenable -ou vivants, en tout cas. La plupart du temps, ils se retrouvaient par hasard, et ne se quittaient plus de la soirée. Ce jour-là ne semblait pas déroger à la règle. Ils s'étaient trouvés au Diamond's et s'était agrippés l'un à l'autre. Il lui avait offert un verre, et Alex n'était jamais du genre à en refuser. Ils étaient partis pour la soirée.

Les deux jeunes s'étaient assis assez brièvement, finalement, puisque la blonde s'était relevée quelques instants plus tard à peine, comme montée sur des ressorts. Daft Punk, quoi ! Les événements se succédèrent très rapidement. Ce genre de soirées n'étaient pas là pour pousser la réflexion à son paroxysme : on était là pour s'amuser, pas besoin de chercher plus loin. Aussi, lorsqu'Alexis bouscula une inconnue, elle ne s'en formalisa pas des masses. Henri ne s'en offusqua pas non plus, et ces deux compagnons se mirent à s'échanger des compliments qui firent hausser un sourcil amusé à la blonde. Si Henri s'éclipsait avec la jolie brune, elle se retrouverait toute seule, mais elle s'amusait déjà de la situation. A présent, ils dansaient tous les trois, laissant de côté toute inhibition. Alex se déhanchait au rythme de cette chanson qu'elle aimait tant, alternant des regards en direction de l'inconnue et en celle d'Henri. Work it harder, make it better, do it faster, makes us stronger. A présent, elle chantait en se dandinant. C'était ridicule d'apprécier à ce point une chanson qu'elle pouvait écouter quand elle le souhaitait, mais ça avait toujours quelque chose de magique de l'entendre par hasard, totalement hors de sa propre volonté. C'était comme entendre les Arctic Monkeys à la radio, entre un morceau de Rihanna et une chanson de Katy Perry. Ça avait quelque chose de mystique. « Dis-lui que je suis un putain de super-héros. Dis-lui ! » Il cherchait son soutien. Et elle souriait, malicieuse, hésitant entre aller dans son sens ou complètement foirer son coup. Mais la brune, là, avec qui elle dansait de façon plutôt provocante depuis qu'elles avaient échangé quelques politesses de rigueur, et bien Alexis l'aimait bien. C'était une bombasse. Une bombasse qui savait s'amuser, et sur l'instant, elle n'avait pas besoin de plus pour apprendre à apprécier la jeune femme. Alors... « Tu veux griller ta couverture aussi rapidement ? » Elle se tourna vers la brune pour lui dire, amusée : « je crois que ça veut dire qu'il aime vraiment ton cul... » Elle n'avait pas cessé de danser, mais elle savait que la chanson touchait déjà à sa fin. « Prouve que t'es vraiment un super-héros, va demander au DJ de mettre Superheroes ! » Quel défi... Alex n'était pas encore prête à abandonner Daft Punk. Pour l'encourager, elle redoubla d'efforts dans ses déhanchés, invitant du regard la brune à en faire de même. « Même les super-héros ont besoin de courage ! »

C'était devenu une habitude chez lui. Il avait besoin de ça. Il avait besoin de se déchainer sur une piste de danse et de rencontrer de nouvelles personnes. Il avait besoin de se perdre et de ne plus savoir ni son nom ni la vie qu'il menait. C'était la seule chose qui lui permettait de rire de bon cœur alors que toutes ses journées se résumaient à une vie des plus banals. Il n'avait pas besoin de passe-temps, de hobbies. Il avait les soirées. Quand la musique battait son plein, ne laissant aucun espace pour la parole et que son corps bougeait au rythme unique des chansons, Henri se sentait libéré d'un poids qui l'étouffait chaque jour un peu plus. Alors forcément, sa bonne humeur était présente. Il riait, plaisantait, comme si l'homme qu'il avait un jour été, était revenu parmi les morts. Mais il n'était pas le même pour autant. Il restait cet homme à jamais blessé. Il ne pouvait plus faire confiance, il nous pouvait plus tendre la main vers les autres. Il était comme un fantôme, décidé à ne plus entrer dans le monde des vivants, décidé à garder le silence et à continuer son chemin sans se poser la moindre question. Ce soir, il n'était pas plus différent. Il appréciait énormément Alexis, mais elle restait une inconnue dans son existence. Tout comme lui. Que savait-il réellement sur elle ? Que savait-elle réellement sur lui ? Cela avait-il une réelle importance dans leur histoire ? Ils s'en fichaient, parce qu'ils ne partageaient pas les pires instants de leur vie ensemble. Ils ne demandaient pas de l'aide, ils n'en avaient pas besoin. Tout ce qui comptait, c'était que lorsqu'ils étaient ensemble, ils s'amusaient. Les problèmes pouvaient s'envoler et le cœur pouvait devenir plus léger, car c'était ainsi et c'était tellement mieux comme ça. La vie pouvait parfaitement être sans complication et Henri y croyait dur comme fer durant ces moments de folie et de libération total. Personne ne pouvait l'empêcher de toucher le ciel des doigts ce soir, ni aucun autre soir.

Ce soir n'était pas différent des autres soirs. Comme à chaque fois qu'il tombait sur la petite blonde, Henri ne la lâchait pas. Il y avait quelques choses de rassurant à retrouver un visage familier. Il se demandait ce qui risquait de se passer si un jour, leurs chemins se croisaient d'une tout autre façon. Si elle débarquait à l'école où il travaillait ou s'ils se croisaient dans la rue en pleine journée. C'était une grande ville, mais le hasard aimait jouer des tours. Pour l'instant, à part la nuit, Henri n'avait jamais vu Alexis et ça n'avait pas d'importance. Quelque part, il savait qu'il l'appréciait même sans une goutte d'alcool dans le sang. Et où était le mal à partager une tasse de café plutôt qu'un verre d'alcool ? En tout cas, ils étaient déchainés sur la piste de danse quand une troisième personne s'incrusta. Une jolie brune, trop rentre-dedans pour Henri qui s'amusait de la situation. « - Acha¹... » Il ria de nouveau. Elle était drôle, cette fille.

« - On peut dire que tu ne perds pas ton temps ! » C'était lui la proie, pas Naya. Les rôles étaient inversés. Mais Henri ne se prenait pas la tête. Il n'était pas non plus du genre à dire oui à toutes les jolies filles qui lui tombaient dessus, mais il n'était pas non plus du genre à dire dans ce type de situation. Plus d'humeur à rire et à danser, Henri se tourna vers Alexis. C'était un super-héros voyons ! Il fallait le traiter avec respects. Il ria de nouveau quand Alexis semblait prendre le côté de la brune, quitte à lui dire qu'il appréciait déjà le cul de l'inconnue. Les deux jeunes femmes parlaient comme si elles étaient les meilleures amies du monde. « - Va pour Superheroes ! » Collant et slip ? Non merci ! Henri observa une seconde Alexis bougée, suivi par Naya avant de bouger et d'avancer. Il s'arrêta quand Naya reprit la parole, se penchant légèrement vers elle pour l'entendre. « - Tu aimerais ça aussi, j'suis certain ! »

Se frayant un chemin de fortune parmi la foule, Henri arriva jusqu'en bas de l'escalier qui montait vers la scène surélevée du DJ. Forcément, un vigile était là. Ne manquant pas de chance pour une fois, il laissa passer Henri qu'il avait déjà vu de nombreuses fois. Arrivant à côté du DJ, il lui fit signe pour lui expliquer à l'oreille d'ajouter Superheroes. Celui-ci refusa, avant qu'Henri ne reformule la demande en pointant du doigt Naya et Alexis. Après une hésitation, un petit billet vert, le DJ laissa le son du groupe Daft Punk retentir dans la salle qui semblait se déchainer. Lorsqu'Henri retrouva les deux femmes, il sauta au rythme de la chanson, chantant certaines paroles. « - C'est qui le meilleur ?! » Se déchainant de nouveau, il ajouta : « - Aller, je vous paye un autre verre ! Au fait, c'est quoi ton nom Miss belle-fesse ?! » Il l'aimait bien. Elle avait du caractère et elle ne se prenait pas la tête.

Boire et danser jusqu'à oublier. C'est ce qu'elle avait fait pendant près de deux ans pour survivre à ce qui l'attendait dehors. Elle rentrait à des heures impossibles. Ses parents ne prenaient même plus la peine de l'attendre; ils savaient qu'ils la retrouveraient le lendemain dans son lit, elle et sa fidèle compagne, la gueule de bois. Le Diamond's était devenu son second repère, un Pim's où elle n'avait pas à travailler, à se dénuder, à subir les remarques désobligeantes d'un client auquel elle ne pouvait rien répondre. Ici, c'était un bar qu'elle avait choisi. Elle y croisait Kyle régulièrement, et le pauvre brun avait partagé avec elle ses pires crises de chagrin et ses moments les plus alcoolisés. Elle y retrouvait régulièrement un certain Henri, aussi. Il n'était pas n'importe qui; il avait été l'un des rares, au Pim's, depuis qu'elle y travaillait, à avoir eu les couilles -et l'envie- de prendre sa défense face à des quarantenaires un peu trop éméchés. Il était donc l'un des rares à avoir gagné son respect en quelques instants seulement, alors même qu'elle ne savait rien de lui. Même à présent, des mois plus tard, elle ne savait finalement pas grand chose de plus à son sujet. Elle s'était déjà retrouvée chez lui pour cuver, mais ils n'avaient pas partagé davantage qu'une pizza et des barres de rire. C'était ce qui les caractérisait, à présent : leur relation était superficielle, mais c'était une superficialité rassurante. L'un comme l'autre, ils savaient pertinemment qu'ils n'allaient pas entrer dans des débats métaphysiques ensemble. La pollution, la décadence de l'industrie musicale, la conquête de l'espace, le sens de la vie... autant de sujets qu'ils étaient sûrs de ne pas aborder ensemble, et ça faisait du bien. Entre eux s'était instauré un équilibre beaucoup plus léger, qui en tirait toute sa robustesse et son attrait. Pas besoin de parler de la faim dans le monde et de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest, c'était beaucoup plus simple que ça. Beaucoup plus simple, et beaucoup plus apaisant. C'était dans ce genre de relations qu'Alex avait puisé ses forces pendant de longs mois. Et maintenant qu'elle était accompagnée dans la vie, elle n'en oubliait pas pour autant ceux qui avaient été son soutien sans même s'en rendre compte. Nolan et Judy n'étaient jamais loin d'elle, mais Kyle, Henri, et le Diamond's ne le seraient jamais non plus. Elle se le refusait. Elle s'interdisait de tout abandonner, à nouveau. La stabilité du bonheur était un état d'équilibre si délicat à atteindre et si fragile à maintenir qu'elle se défendait de briser toute cette bulle qu'elle s'était créée.

Et ce soir, cette bulle, elle la retrouvait. Sans Nolan, sans Judy, ou même sans Chloé... Elle dansait, elle riait, elle buvait, et le reste n'avait plus vraiment d'importance. La seule différence était qu'elle n'était plus aussi perdue qu'elle l'avait été auparavant : elle avait retrouvé son premier amour et sa meilleure amie, et ils n'étaient jamais loin d'elle. Maintenant, lorsqu'elle rentrait, c'était auprès de Judy et de Chloé, ou parfois même directement chez Nolan, et personne ne la jugeait. Pour la première fois depuis longtemps, on lui donnait l'impression de lui faire confiance, et c'était sans doute ce qui lui procurait ce sentiment agréable de liberté. Elle était grande. Elle était grande et indépendante, et surtout, elle n'était plus seule lorsqu'elle rentrait. Le quotidien avait donc pris une toute autre saveur, bien plus douce, et l'effet de ces soirées en était décuplé. Ses sourires étaient à présent plus que de simples mensonges qu'elle essayait de s'asséner à elle-même. Elle s'amusait vraiment, elle était changée. Dans ce genre de situations, Nolan lui manquait, parfois. Mais elle se disait que ce genre de soirées individuelles ne les faisait que mieux se retrouver ensuite, et chacun avait encore besoin de son jardin secret. Ils se faisaient confiance, c'était tout ce qu'ils avaient besoin de savoir. Et ce soir-là, elle faisait la connaissance d'une brunette toute nouvelle. Elle observait d'un œil amusé le drôle de manège qui se tramait entre elle et Henri. Si les choses finissaient bien pour eux, elle allait devoir battre en retraite, ne serait-ce que pour sa santé mentale. En attendant, elle continuait de danser. Daft Punk; elle n'avait pas besoin de plus pour se laisser porter par le rythme. « Je t’aime bien toi ! » Alex s'approcha d'elle sans cesser de danser, juste pour lui répondre avec un espèce de mystère amusé : « Toi aussi, j't'aime bien ». Aurait-elle trouvé une nouvelle compatriote de beuverie ? Étrangement, elle ne serait pas contre... Peut-être qu'à l'extérieur de l'enceinte, elles n'avaient rien à voir. Elle n'en savait rien; dans de telles circonstances, il n'y avait que peu de critères sur lesquels ils pouvaient se juger, tous autant qu'ils étaient : l'allure, l'apparence, le sens du rythme, leur goût en matière de boissons... mais c'était à peu près tout. Mais avait-on réellement besoin de plus pour partager des soirées comme celles-là ? Elle rit en entendant la jeune femme asséner des menaces de slip rouge à Henri. L'entendant ajouter que balancer son postérieur sous le nez du DJ l'aiderait peut-être dans sa cause, Alex se demanda un instant si... « Tu sais, de nous trois, c'est pas lui qui a le plus beau cul... surtout si le DJ est hétéro ! » Son regard s'était vraiment fait inquiet, mais elle fit le tour de la jeune femme pour danser dos à dos avec elle, commençait à adopter une attitude un peu plus provocante, qui n'était pas sans l'amuser. Deux femmes, dont la belle plante qu'était la brune, ne pouvaient que faire rêver les spectateurs masculins, dans tout ce qu'ils avaient de plus viril. D'un coup d'oeil, Alex vit qu'Henri était arrivé auprès du DJ et qu'il les désignait d'un geste de la main. « Pourquoi il nous montre, là ? C'est vraiment parce que le DJ est hétéro ? » Sans demander son reste, Alex accentua chacun de ses mouvements, pour être sûre qu'ils les voient bien, de là-bas. « Tout a un prix, même les Daft Punk. » Et oui... la mélodie de Superheroes commençait doucement à s'élever dans le bar.

Quelques instants plus tard, Henri revenait auprès d'elles, triomphant. « C'est qui le meilleur ?! » Se décollant légèrement de la brune pour se mettre à danser collé serré avec Henri, amusée par la situation. « Visiblement, c'est nous, les Wonderwomen... c'est notre charme qui a opéré, pas le tien ! » Elle lança un regard entendu à la jeune femme, bien décidée à s'allier à elle pour emmerder Henri. Sauf que lui ne se laissait pas troubler, et ce n'était pas plus mal... « Allez, je vous paye un autre verre ! Au fait, c'est quoi ton nom Miss belle-fesse ?! » ... car non, Alex n'était jamais contre un verre gratuit. « Pffff, mais tu connais déjà mon nom, c'est Alex... » s'amusa-t-elle en roulant des yeux. « Et toi, tu t'appelles comment ? » dit-elle en se tournant vers la jolie brune. « Black Russian, Henri ! » demanda-t-elle en bavant rien qu'à l'idée du cocktail. Ils n'étaient à présent qu'à quelques pas du bar, et sans attendre plus longtemps, Alex arrêta subitement de danser, et attrapa une main d'Henri et une main de la jolie inconnue pour les rediriger vers le bar. « KYYYYLE » hurla-t-elle pour obtenir l'attention du serveur, qui ne manquerait sans doute pas de court-circuiter d'autres clients pour les faire passer prioritaires. Ils n'étaient pas n'importe qui, après tout. « Alors, il t'offre quoi, Henri ? » demanda-t-elle à la belle paire de fesses, et à tout ce qui y était attaché. Car s'il y avait peu de choses qui pouvaient servir de critères pour juger quelqu'un dans un bar, la boisson en faisait clairement partie.