Assise sur un banc, la jeune Raichand essayait de se dépêcher et de faire son travail vite et bien. Elle avait adoptée une certaine stratégie qui normalement devait la faire gagner du temps, mais au lieu de ça elle avait l’impression d’en perdre. Noah avait dû s’absenter un moment pour aller récupérer un dossier, tandis qu’il  lui avait confié la lourde tâche de préparer les papiers dont il allait avoir besoin pour ce cas. Pourquoi ne pas lui avoir dit ça plus tôt ? Pourquoi attendre juste quand ils sont au tribunal pour se rendre compte qu’il n’avait pas le bon dossier ? Au lieu de s’énerver contre lui – déjà parce qu’elle ne voulait pas se faire virer pour insolence – mais aussi parce qu’elle ne voulait pas perdre plus de temps. Elle avait étalé tous les papiers devant elle et essayait de les ranger du mieux qu’elle pouvait, sentant tous les regards se poser sur elle lorsque les gens passaient dans le couloir. En même temps ce n’était pas commode de voir une jeune femme assise sur un banc en train de batailler avec des documents qui volaient dans tous les sens, tantôt elle était assise sur le banc, tantôt elle s’en servait comme bureau et se retrouvait donc accroupie. La dernière position fonctionnait bien, elle avait tout l’espace nécessaire – du moins le maximum qu’elle pouvait avoir – tout en voyant bien ce qu’elle faisait. Elle avait même dû faire dégager les petits vieux qui étaient venus s’asseoir sur son banc. Parce que oui, vu l’ampleur de la situation, c’était son banc. Son banc était devenu son bureau et aussi une épreuve pour montrer à Noah qu’elle pouvait être efficace même dans les situations les plus extrêmes à savoir celle-là. « Désolée, le banc est pris. Si vous vous asseyez ici un innocent ira à la chaise électrique et je suis sûre que ce n’est pas ce que vous voulez. » Lâcha la jeune avocate, toujours accroupie devant son banc. Alvira afficha un sourire hypocrite qui laissait voir toutes ses dents blanches parce que dans toutes les situations qui se présentaient à elle, elle ne devait pas oublier d’être souriante. Sa bouche souriait, mes ses yeux lançaient bel et bien des éclairs. Lorsque le énième petit vieux dégagea, elle poussa un long soupir avant de se remettre à classer ses papiers, à croire qu’elle n’en finissait plus. Elle pesta encore plus lorsque son téléphone se mis à sonner dans le fond de son sac et qu’elle dû presque le vider entièrement sur le sol pour mettre la main dessus. Lorsqu’elle le trouva enfin, il avait arrêté de sonner et elle se rendit compte que ce n’était qu’un appel de Neela. Sûrement pour lui demander si elle s’était enfin décidée à sortir de sa caverne. Elle rangea son téléphone violemment dans son sac avant d’y fourrer tout ce qui s’y trouvait de base, et repris la préparation de son dossier avec toujours autant d’impatience et plus d’acharnement, prête à laisser l’indienne en elle prendre le dessus si on venait l’embêter. C’était simple, la première personne qui lui parlerait ou oserait la déranger allait se prendre une pluie d’insulte au visage même si elle voulait seulement l’aider. Elle n’avait pas besoin d’aide, elle avait seulement besoin qu’on la laisse faire les choses comme elle, l’entendait. Si elle avait pris en charge la préparation de ce dossier plus tôt… Non, si Noah lui avait dit plus tôt qu’elle devait préparer ce foutu dossier, à l’heure qu’il est elle ne serait jamais accroupie près d’un banc, dans un tribunal en train de se battre avec des documents remplis de termes juridiques incompréhensibles.

En temps normal la Raichand n’avait pas de mal à gérer la pression et était connue pour trouver des solutions à chaque fois que les autres n’en voyaient pas. Mais là… Elle allait perdre la tête entre les documents qu’elle devait organiser et relire, et ceux qui n’avait pas leur place dans le dossier. Pourquoi s’embêter à bien faire les choses de toute façon ? Alvira était persuadée de la culpabilité de ce client là et même si Noah avait trouvé le moyen d’assembler quelques éléments qui pourraient le disculper, l’Indienne ne changeait en rien son avis le concernant. Elle avait cependant apprit qu’elle ne pouvait pas faire toujours ce qu’elle voulait, elle était bien sûr en droit de refuser un dossier, mais lorsqu’elle aurait son cabinet. Et qu’elle aurait son diplôme officiel tout court à vrai dire. Aujourd’hui elle ne devrait que suivre les ordres que ça lui  plaise ou non. Le stress et la chaleur de l’endroit ne l’aidant en rien, elle prit quelques secondes pour respirer en fermant les yeux, avant de se passer une main furtive sur le visage comme pour se donner des claques et s’encourager à faire son boulot jusqu’au bout. Le regard des gens toujours posé sur elle, elle ne prenait même plus la peine de lancer des regards noirs aux gens qui la dévisageaient, se concentrant sur ses papiers. Dans la foulée, la jeune avocate entendit même un policier ricaner, il devait sûrement se moquer d’elle à cause du cinéma qu’elle était en train de faire, mais elle s’en fichait, tant qu’il ne venait pas la déranger dans son travail. Elle ne devait pas être la première personne qu’il voit dans un tel état, lorsqu’elle était en Inde et qu’elle parcourait les couloirs du tribunal pour les toutes premières fois, Alvira se souvint qu’elle avait vu plus d’avocats ressortir en pleurant des procès, que leurs propres clients. Elle, ça ne lui était jamais arrivée. En général la jeune indienne savait gérer son image et son stress, mais ça, c’était avant. Le temps béni où elle avait encore cette patience et cette arrogance qui l’aidait à se construire son image de femme forte auprès de ses collègues mais aussi auprès de sa famille. Elle n’eut pas le plaisir de se replonger plus loin dans ses souvenirs qu’une forte voix masculine vint interrompre le fil de ses pensées. Toujours les yeux fixés sur ce qu’elle avait devant elle, elle poussa un soupir en entendant les remarques de la personne qui devait être un avocat lui aussi. Pas de doute, rien que le ton de sa voix laissait penser qu’il était un très bon orateur et connaissait son métier. Bien. Tant mieux pour lui. Dans un mouvement désespéré, elle leva la tête en direction de son interlocuteur qui semblait en savoir tellement sur le métier, avant d’écarter les yeux d’étonnement. Lui. Toujours accroupie devant son banc, l’Indienne grimaça légèrement lorsqu’elle entendit la petite pique qui venait de lui être lancée, mais le masqua rapidement avec un sourire tout aussi hypocrite. « Toujours aussi agréable à ce que je vois. » Lança la ‘stagiaire’ en se levant délicatement de tout son corps. Elle ramena ses bras sous sa poitrine en soutenant le regard du jeune homme qui se trouvait devant elle –et profita par la même occasion pour s’étendre les jambes qui commençaient à souffrir de la position qu’elle avait adoptée. Adam Howha, c’était son nom. Elle ne pouvait que se souvenir de ce personnage qu’elle avait croisé lors d’une affaire précédente. Si elle devait être honnête jusqu’au bout, rien qu’avec le physique qu’elle avait il était impossible pour elle de l’oublier, mais c’était surtout sa personnalité et son caractère qui l’avait plus marqué. Et pas dans le bon sens. La seule chose de bien qui était sorti de cet entretien avec le Maître Howha, c’était qu’elle avait pu montrer tout son potentiel et qu’elle avait donné du fil à retordre à l’avocat. Certes, ils n’avaient pas gagné mais c’était tout de même pour elle une petite victoire. « Vu comment vous avez eu du mal la dernière fois qu’on s’est rencontré, je doute que vous puissiez faire mieux. » Avec un petit sourire fier sur les lèvres en lançant  à son tour une petite pique. « Maintenant si vous voulez bien m’excuser, cher maître, j’ai du travail qui m’attend… » Elle pointa du doigt le banc qu’elle avait occupée pour illustrer ses propos. «Et si vous n’êtes pas là pour m’aider, alors vous pouvez tout aussi bien aller embêter quelqu’un d’autre avec votre discours ou vous le mettre où je pense, ça m’est égal. » Toujours avec le même sourire sur les lèvres, elle lui tourna le dos sans attendre de réponse de sa part et se remis accroupie pour continuer de trier ses papiers, en espérant qu’il parte. Elle était déjà assez stressée pour rajouter en plus la présence du jeune avocat, qui la mettait plutôt mal à l’aise.

C’était super, en plus d’être stressée et agacée par les papiers qu’elle devait absolument remettre en ordre, elle était maintenant énervée par Adam qui avait cru bon de venir l’embêter. Ne respectait-il rien au point de venir lui parler juste au moment où ne le fallait pas ? Surtout qu’elle était sûre qu’il savait qu’il n’aurait pas dû venir et la laisser, mais non. Elle l’avait compris depuis le jour où elle l’avait rencontré, c’était un chieur de première catégorie qui prenait tout pour acquis et avait tendance à prendre les gens de haut, même ceux qui étaient supposés être son égal. A se demander ce que Sameer lui trouver… Elle n’était personne pour juger de ses fréquentations – même si vu ce qui les liait, elle pensait avoir tout de même une certaine légitimité à donner son avis – mais si c’était le genre de personne dont il s’était entouré pendant toutes ses années, elle n’osait pas imaginer comment lui était devenu. Alvira ne pouvait s’empêcher d’être exaspéré à chaque fois que le jeune maître ouvrait la bouche, elle avait l’impression que chaque mot qu’il sortait était une pure provocation. Il aurait pu dire n’importe quoi, même lui donner la recette de la ratatouille qu’elle aurait l’impression qu’il la provoquait de part le ton de sa voix. Elle leva les yeux au ciel lorsqu’il fit un commentaire sur son charme. Oui, parlons-en de son charme. Comment était-ce possible d’être aussi beau et être aussi méprisable à la fois ? Et ce n’était pas à cause de son statut, elle était prête à parier que même sans ça, il aurait trouvé le moyen d’être mieux que tout le monde. En tout cas, s’il avait tout compris à comment se comporter dans un tribunal, il avait clairement échoué en ce qui concernait les relations avec les gens en général. Et venant de la part de la Raichand qui n’était pourtant pas experte en relation humaine, c’était quelque chose. « On ne commence pas tous en haut de l’échelle. Et merci de me rappeler la définition d’avocat, j’avais besoin qu’on me rafraichisse la mémoire. » Elle leva les yeux au ciel en reprenant son classement, essayant de faire comme s’il n’était pas là. C’était simple, si elle continuait de regarder devant elle et arrêtait de lui répondre, il finirait sûrement par partir. Mais c’était mal le connaître, si une compétition existait pour désigner la personne la plus chieuse du monde, il gagnerait haut la main, sans aucun doutes. Elle leva la tête en sa direction avec une expression désespérée sur le visage, il connaissait son métier, tant mieux. Mais elle aussi elle le connaissait et ce n’était pas parce qu’elle n’exerçait pas qu’elle l’ignorait. Elle se leva pour se mettre face à lui et entama un duel du regard. Encore une fois, la jolie brune ramena ses bras sous sa poitrine pour les croiser, et attendit qu’il finisse de parler. Il semblait avoir tellement à dire qu’elle ne voulait surtout pas le couper et répondre, ce serait lui donner matière à en rajouter. En tout cas, elle appréciait ce petit moment. En même pas cinq minutes elle s’était fait traiter de sou fifre, et il lui faisait comprendre qu’elle s’y prenait mal si elle voulait être avocate. Elle profita de ce petit moment pour observer le jeune homme sous toutes ses formes et sa première pensée lui revint en tête. Il n’était pas seulement beau mais d’une beauté intrigante. Ce petit je ne sais quoi qui faisait qu’on ne pouvait pas détourner les yeux de lui, mais qui ne prédisait aussi rien de bon. Et il avait ces lèvres… De belles lèvres, elle devait l’avouer. Pourvu qu’il ne se rende pas compte qu’elle était en train de le mater discrètement. Elle revint à la réalité lorsqu’il se mit à parler du vieil homme de tout à l’heure. Quoi ? Il a fait quoi encore lui ? « Cette vieille personne que j’ai maltraité comme vous dites si bien, n’avait pas à s’asseoir sur mon banc. » Fit la jeune femme en haussant les épaules comme pour se donner une certaine contenance. Elle s’en fichait pas mal du petit vieux, ce n’était pas comme si elle l’avait frappé. Et de toute façon il avait bien vu que le banc était occupé, venir essayer de s’asseoir c’était chercher les embrouilles. Et tout le monde sait qu’il ne fallait pas énerver une femme, surtout les indiennes. Elles sont connues pour avoir mauvais caractère lorsqu’elles s’énervent, et Alvira n’était pas en reste. « Mais faites donc, je peux même remplir le papier pour vous si voulez. De toute façon en bonne sou fifre que je suis, il  ne peut en être autrement. Un homme de votre envergure ne devrait pas se fatiguer le poignet juste pour ça. » Lâcha la jeune femme sur un ton des plus ironique. Elle n’allait rien lâcher et s’il voulait s’asseoir il n’avait qu’à aller s’asseoir autre part. Ce n’était pas les bancs qui manquaient dans cet endroit. Au même moment, le petit vieux repassa à côté des deux jeunes qui s’affrontaient dans un duel de regard. « J’espère que vous êtes content, non seulement un homme ira à la chaise électrique mais en plus je vais me faire radiée du barreau avant même d’avoir pu y accéder. » Elle ne pensait pas vraiment ce qu’elle disait et aurait bien pu laisser le petit vieux en dehors de ça, mais c’était plus fort qu’elle. Lorsqu’elle était agacée ou en colère, elle avait beau essayer de se contrôler, elle finissait toujours par trop en faire. Et ici, s’en prendre à un innocent était sa façon d’extérioriser sa colère sans s’en prendre directement à l’avocat qui se tenait devant elle, et qui méritait certainement une bonne paire de claques.  

Ils étaient supposés être professionnels et surtout, adulte, mais il n’y avait rien de tout ça. Adam s’amusait à pousser Alvira à bout et elle, comme une bleue elle tombait dans le piège. Dans un autre contexte elle aurait pris un peu plus sur elle et surtout, n’aurait pas perdue son calme, mais ce crétin devant elle avait ce truc qui faisait qu’elle avait envie d’exploser. Elle qui n’était pas violente de nature, aurait tellement aimé pouvoir lui exploser la tête contre le banc et s’en aller comme si de rien n’était. Mais elle n’en était pas encore là, elle était dans al réalité, ce qui était beaucoup moins drôle que dans sa tête. « C’est en rencontrant des gens comme vous que j’ai perdu espoir en l’humanité, j’ai bien les pieds sur terre mais merci de vous inquiéter de ça… » Lança l’Indienne qui ne voulait pas se démonter face à l’avocat. Il avait beau avoir plus d’expérience qu’elle et avoir gagné sûrement plus de procès qu’elle, mais elle n’avait pas peur. Il ne la faisait pas peur et était prête à lui montrer qu’elle savait ce qu’elle faisait. Même si les choses semblaient mal partie, elle ne perdait pas espoir quant au talent de Noah pour venir à bout de cette affaire, mais encore fallait-il qu’elle arrive à ranger ses documents et se débarrasser de ce boulet qui avait décidé de venir lui tenir compagnie. Elle jeta un coup d’œil à sa montre, toute stressée et voyait que malgré le fait qu’elle était en train de stagner, le temps lui avait décidé de filer à une vitesse folle. A présent debout, elle n’avait qu’une envie c’était de se baisser pour recommencer à trier ses papiers et faire comme si le jeune homme n’existait pas, mais c’était sûrement trop demander de la laisser tranquille. Elle n’avait pourtant rien demandé, mais le ciel avait l’air de s’acharner contre elle. Elle qui essayait de faire de bonnes actions pour que le karma ne s’acharne pas contre elle, se retrouvait avec Satan lui-même sur le dos. Parce que oui, malgré ce corps qui faisait rêver, ce visage et cette assurance qui ne laissait pas les femmes indifférentes, Alvira ne voyait qu’en lui l’incarnation du mal présentement. Deux cornes se mettraient à lui pousser sur la tête qu’elle ne serait même pas étonnée, au contraire elle s’attendait à tout moment à ce que ça arrive. « Et toi pourquoi tu ne retournes pas en enfer, Satan ? » Finit-elle par lâcher en hindi en espérant qu’il ne comprenne pas. Elle avait fait un geste de la main qui montrait la personne de haut en bas, avec une grimace qui ne cachait pas son agacement. Pour couronner le tout, le vieil homme qui avait lui aussi décidé de l’emmerder repassa à côté des deux avocats. Cette fois encore elle ne le rata pas et déversa presque toute sa colère et son amertume sur le pauvre papi qui n’avait rien demandé non plus. L’Indienne le savait mais elle commençait à perdre contrôle, et si elle ne finissait pas par passer la nuit en garde à vue pour agression sur le vieil homme ou sur Adam, ce serait déjà un miracle. « Mon incompétence ? Bon, ben puisque je suis un sous-fifre et incompétente en plus de ça, je vais tout simplement laisser ce pauvre homme mourir sur la chaise. Vu l’heure il est condamné de toute façon. » Dit-elle d’un ton sec en se baissant rapidement pour ramasser son sac sur le sol, avant de se relever. « Merci beaucoup papi, et vous… j’espère que la mort de cet homme vous hantera toute votre vie. Merci de votre aide en tout cas. » Elle joint les deux mains devant son visage, geste typiquement indien, pour les agiter de façon à les remercier tous les deux ironiquement. Sans dire un mot de plus, elle entra dans une salle d’audience au hasard et pour son plus grand bonheur, vide. Toujours autant remontée par cette bande d’abrutis qui se trouvaient dehors, elle s’assit sur un siège en étendant ses jambes sur le siège devant elle espérant qu’on la laisse tranquille maintenant.