Lorsqu’un cœur s’écorche, personne n’entend le doux craquement des espoirs déçus, personne ne voit les fêlures qui couvrent une âme trop noire. La jeune femme retint un sourire marqué tandis qu’elle se préparait dans la salle de bains. Elle avait trop perdu pour vivre cette vie comme la plupart des gens. Son existence avait une saveur toute différente depuis quelques années. Elle vivait au rythme de l’adrénaline qui parcourait son corps et mourait à chacune de ses consumations. Dans l’engrenage de son existence, elle se perdait parfois mais elle finissait toujours par retrouver la raison à temps. Glissant dans une robe noire, Adria termina de se préparer pour cette soirée entre filles. Elle ne trainait pas vraiment souvent avec la gente féminine, pas qu’elle préférait particulièrement la compagnie de garçons mais sa passion ne rencontrait pas vraiment une popularité démesurée parmi les femmes : la boxe, et dans un sens plus large, le sport à tout niveau. Ses anciennes copines de lycée lui avaient donc proposé de se retrouver dans un endroit chic. Plutôt habituée au look urban street ou sportwear, Adria fit un effort pour s’habiller de façon plus distinguée pour l’occasion et n’eut aucun mal à se glisser dans la peau d’une femme fatale. Un peu de maquillage et une paire de talon achevèrent sa tenue et elle fut fin prête pour partir de chez elle. En l’absence d’Alvira, elle n’avait personne pour lui donner un avis mais elle n’en avait pas besoin non plus. Totalement décomplexée, Adria savait pertinemment ce qui lui allait ou non. Son but n’était de toute façon pas de faire des rencontres mais de passer du bon temps entre copines. La journée avait été harassante, la coach sportive avait donné plusieurs heures de cours, cependant elle n’était pas mécontente de sa journée, jusqu’à présent du moins. Elle montra dans sa voiture et prit la route jusqu’au lieu de rendez-vous. Arrivée sur place, Adria retrouva ses copines à l’intérieur et s’installa à une table avec elles. L’ambiance ‘coyote-girl’ battait son plein dans le Pim’s tandis que les filles discutèrent un moment des dernières nouveautés de leur vie respective avant de prendre le chemin de la piste de danse pour se déhancher au rythme de la musique. Le spectacle ne commencerait que bien plus tard sur le comptoir du bar. Pour l’heure, la soirée suivait son cour. À un moment donné, Adria quitta un instant ses copines pour aller se rechercher un verre. Aucune d’elle ne voulant d’une autre boisson, elle se rendit seule au bar pour commander un whisky. Lorsqu’elle arriva à proximité du bar, l’ancienne boxeuse rentra par inadvertance dans un homme un peu pressé qui recula sans regarder derrière lui et se renversa le contenu de son verre dessus. « Désolée… » Dit-elle en guise d’excuse. Adria s’apprêtait à ajouter qu’elle lui offrait la prochaine tournée de sa boisson pour réparer cette bousculade involontaire, lorsqu’elle entendit l’insulte qui fusa entre ses lèvres. « Pardon ? » Fit-elle mine d’avoir mal entendu. Son regard se posa sur le brun qui la prenait de haut. Parfait. Moins impulsive qu’à l’accoutumée et de façon posée, la jolie brune s’avança vers le bar et posa ses doigts sur un verre plein qui trainait sur le comptoir. Sans attendre une seconde de plus, Adria vida le contenu du verre en plein visage de cet inconnu coincé en costume cravate. Il l’avait cherchée. « Boulet, sérieusement ? Ma foi, autant que ce soit pour une bonne raison. » Le jeune homme pouvait déjà s’estimer heureux de ne pas avoir reçu un poing en pleine face, c’est ce qu’elle aurait fait en temps normal mais Adria travaillait sur elle-même pour se contenir. Le résultat n’était pas encore au point vu ce qu’elle venait de faire, néanmoins il y avait du progrès dans l’air. Elle venait sûrement de complètement ruiner le rendez-vous du brun en termes de crédibilité. Enfin calmée, l’ancienne boxeuse laissa un billet sur le comptoir à l’intention de celui à qui elle venait de vider le verre et se commanda un whisky qu’elle vida d’une traite sous les yeux toujours abasourdis de sa ‘victime’. « Au plaisir. Ou pas. » Conclut-elle. Sans demander son reste, elle quitta ensuite le bar pour rejoindre la piste.

Adria avait le sang chaud et cet inconnu en avait fait les frais en lui adressant une parole qui lui paraissait injustifiée à ses yeux, du moins avant qu’elle ne remette le couvert en l’arrosant volontairement cette fois. Après cette petite incartade, la jeune femme retourna danser sans se soucier des conséquences de son acte. Pourquoi s’en serait-elle inquiétée de toute façon ? Elle devait bien admettre que la réaction de son interlocuteur n’avait pas été trop agressive tant il avait été surpris de l’aplomb de l’hispanique. Une autre fille qu’elle, moins apte à se défendre peut-être, aurait hésité à deux fois avant d’avoir un tel geste envers lui mais Adria n’avait pas ce problème. Depuis qu’elle s’était promis de ne plus se faire marcher sur les pieds par qui que ce soit, et qu’elle s’en était donné les moyens, la jeune femme ne redoutait plus grand-chose, peu importe la réaction du brun. Pour son bien à lui, il ne renchérit heureusement pas et s’éclipsa dans les toilettes pour être de nouveau présentable. Adria, qui ne l’avait pas suivi du regard et continuait de danser, ne l’entendit donc pas commenter à sa table l’incident dont il venait d’être victime face à la ‘furie’. Elle ne le recroisa qu’un peu plus tard, visiblement pas encore débarassée de ce lourdeau qui avait décidé de la faire chier. Il n’avait pas l’air d’avoir compris la leçon et d’en redemander en la provoquant par les mots. Adria comprit ce qu’il attendait, qu’elle explose. Elle décida donc de faire tout le contraire et ne s’arrêta pas de danser pour autant face à son insinuation. « Pourquoi ça vous plairait ? » L’ancienne boxeuse esquissa un sourire et s’arrêta pour soutenir son regard avant d’ajouter. « Les pots de colle ce n’est pas trop mon genre. » Il n’avait visiblement rien de mieux à faire de sa soirée que de venir l’emmerder. Elle pouvait presque ressentir de la pitié pour lui mais non. Soudain, alors qu’Adria s’apprêtait à se détourner de lui, un de ceux qui accompagnaient le brun s’invita sur la piste de danse. Elle remarqua le groupe d’hommes d’affaires et comprit à qui elle avait droit : pas étonnant que son interlocuteur soit un riche coincé à la fierté mal placée. Il n’avait certainement pas l’habitude qu’une personne le rembarre comme elle l’avait fait. En tout cas moins étonnant que la chance qui tourna en la faveur de la jeune femme… Un des riches hommes d’affaires qui accompagnaient le brun la reconnut instantanément. N’était-elle pas cette ancienne championne de boxe que certains de ses amis et lui avaient déjà eu l’occasion de fréquenter par le passé ? Un sport où l’argent coulait à flots et attirait ce genre de requins amateurs de sensations, d’autant plus quand une athlète locale se faisait connaître mondialement parlant. Adria avait l’habitude des soirées mondaines qui se déroulaient après les tournois, de celles où tout le monde voulait apparaître, encore plus aux côtés de ceux qui gagnaient. Et elle avait son lot de connaissances dans ce milieu-là. « Adria ? Quelle bonne surprise ! » La salua-t-il. Tyler était un des rares avec qui elle était sortie dans d’autres soirées que celles organisées en fin de tournoi. Il était réellement intéressé par la boxe et lui avait demandé à deux ou trois reprises des cours particuliers pour apprendre les bases. Elle lui rendit ses salutations. Aïe, aïe pour son interlocuteur. « C’est de cette furie-là que tu nous parlais ? T’as de la chance d’être encore en un seul morceau. » Il plaisantait avec son ami au sujet d’Adria et lui apprit qui elle était pour lui. La jeune femme n’aimait pas trop qu’on parle d’elle mais elle comprit alors l’aubaine de la situation : si le brun continuait de l’emmerder royalement, elle avait le pouvoir de renverser la donne dans sa soirée d’affaires et de lui coller une mauvaise image. Le pari était ouvert. Contrat signé ou pas. Elle avait bien vu qu’ils n’avaient pas été que là pour s’amuser vu la tension qui émanait de celui sur qui elle avait renversé le verre. « D’après lui, je suis une danseuse digne des lieux. Mais lui, on ne l’a toujours pas vu bouger d’un pouce. Ton ami ne serait pas un peu coincé sur les bords ? » La grimace de Tyler lui fit comprendre qu’ils n’étaient pas exactement des amis. Adria se tourna vers l’inconnu et soutint toujours autant son regard avec un sourire qui en disait long. Il avait voulu la relancer ? Parfait. La partie ne faisait que commencer.

Le visage de son interlocuteur ne sembla se décomposer qu’une seconde lorsqu’il découvrit qui elle était. Adria n’était pas du genre à s’en vanter mais c’était toujours amusant de voir qu’une personne ne l’imaginait pas dans ce contexte. Elle avait un sale caractère qu’elle cherchait à maitriser modérément pour ne pas taper sur tout ce qui bougeait, néanmoins il ne fallait pas la chercher trop longtemps pour qu’elle sache remettre quiconque à sa place. L’ancienne boxeuse préférait parfois l’art des mots et leur piquante répartie aux poings qui mettaient génaralement un terme trop facile et rapide à une discussion. Tyler lui avait présenté son acolyte sous le nom de Sameer, un nom qui disait vaguement quelque chose à Adria, aux origines indiennes, ce qui correspondait à celui qui le portait à le regarder de plus près, mais elle était loin de s’imaginer qu’il s’agissait… de ce Sameer, de celui dont elle avait déjà entendu parlé auparavant. Tyler remarqua la joute verbale qui s’échangea entre eux. Après avoir échangé quelques mouvements de boxe avec Adria, il s’éloigna de quelques pas tandis que la jeune femme se concentrait davantage sur celui qui la cherchait depuis le début de la soirée. Il semblait prendre son pied à essayer de la faire enrager mais la sauce ne prenait pas, elle gardait un calme glacial et s’amusait de le voir tenter de la provoquer gratuitement. Qui s’y frottait, s’y piquait. « C’est vrai que l’alcool semble être un compagnon bien plus amusant pour vous. Ou plutôt qui ne s’ennuierait pas de cette apathie . » Les clients qui accompagnaient Sameer étaient tous dispersés à danser en charmante compagnie tandis que Tyler venait d’entendre la réplique cinglante qu’elle venait de servir à Sameer. Il semblait tellement rasoir et coincé… sauf pour faire des sous-entendus bien évidemment mais dépassé ce stade, il n’en menait pas large. Adria se demandait comment Tyler avait trouvé intéressant de faire des affaires avec lui mais peut-être était-il doué dans son domaine, après tout l’ancienne boxeuse ne pouvait se permettre de juger sur ce qu’elle ne connaissait pas. Soudain, Sameer décida de se rapprocher d’elle et de se prêter au jeu de la danse. Il n’était peut-être pas si dépourvu de surprise que cela finalement. Adria esquissa un sourire après avoir entendu son murmure et capté son regard qui l’avait détaillée de haut en bas. Elle avait très bien compris ce qu’il cherchait à insinuer depuis le début de la soirée mais elle aimait jouer à l’ingénue. « Vous n’êtes pas le premier à me le dire. Même si les emmerdeurs n’ont pas souvent le temps d’en être prévenus avant que ça ne leur tombe dessus. » Il ne fallait donc pas trop la chercher, le message était une nouvelle fois passé. « Qu’est-ce qui vous venait plutôt en tête ? » La réponse différait selon les personnes mais elle voulait voir si lui assumerait jusqu’au bout ce qui lui avait traversé l’esprit ou non. « C’est marrant, en vous regardant vous, on se fait plutôt une bonne idée du personnage. » Reprit-elle ensuite sa formulation pour la lui retourner. Un entêté qui aimait avoir le dernier mot et surtout détestait être touché dans sa fierté, d’autant plus par une femme. Elle l’avait remis à sa place en début de soirée et rien que pour cette raison, il avait décidé de ne plus en décoller pour lui rendre la pareille. Pour le côté coincé, ça pouvait encore être revu, mais il avait des manières qu’elle n’appréciait pas. Tyler avait profité de leur rapprochement pour s’éloigner définitivement vers une fille qui l’intéressait, laissant le loisir à Sameer et Adria de poursuivre cette soirée sur le même rythme qu’elle avait commencée.

Spoiler:

Adria devait reconnaître une chose en faveur de Sameer. Même après avoir appris qui elle était, il n’était pas parti en courant. D’autres auraient préféré se tenir à carreaux afin de ne pas trop titiller le fauve qui sommeillait en elle. Pourtant, la jeune femme était une personne civilisée. Elle ne frappait pas tout ce qui bougeait pour le moindre différend ou désaccord à moins qu’on ne la mettre vraiment en colère pour une bonne raison ou lorsqu’il s’agissait de se défendre physiquement parlant. Elle appréciait donc ceux qui avaient ce qu’il fallait dans le pantalon pour lui tenir tête et surtout ne pas fuir devant la première difficulté. Même si Sameer semblait mal à l’aise, il avait assez de répartie pour avoir retenu son attention. Maintenant que Tyler s’était éloigné d’eux pour s’amuser de son côté, l’homme d’affaire s’était rapprochée d’elle pour engager la conversation de manière différente. Adria se méfiait toujours de son style guindé mais elle était parvenue à lire entre les lignes depuis l’instant où il était venu l’aborder sur la piste. Il souligna qu’elle avait de la réactivité et expliqua ensuite ce qu’il avait pensé en la voyant. Selon lui, elle aurait pu être mannequin, danseuse ou même escort… Adria ignorait s’il cherchait encore à la provoquer ou si c’était ce qu’il pensait vraiment, sans doute un peu des deux. Elle ne savait pas non plus comment prendre ses propos, néanmoins elle ne s’en offusqua pas et préféra répondre sur le second degré. « Comme vous avez pu le remarquer, j’ai une trop grande bouche que pour exercer l’une de ces trois professions. » Elle n’avait en effet pas suffisamment la langue dans sa poche que pour jouer à la godiche jolie et silencieuse. Adria n’avait rien d’une plante verte. Quant à lui, il était au contraire plutôt facile à cerner, du moins jusqu’à un certain point et la remarque qu’elle lui adressa en ce sens le déstabilisa grandement. Il essaya de supposer qu’elle le trouvait trop sérieux et trop con mais elle avait une analyse un peu plus développée sur la question. La jolie brune s’arrêta de danser pour reprendre un verre et l’éloigna un peu de la piste pour qu’ils puissent s’entendre sans hurler dans tout le bar. « Je pense que vous n’avez clairement pas envie d’être là mais que vous n’avez pas le choix, professionnalité oblige. » Il croyait sans doute qu’elle s’arrêterait à cette constatation mais pas du tout. « Je pense surtout que le côté coincé n’est que la conséquence de ce milieu qui ne vous correspond pas et que je suis la distraction bienvenue de la soirée pour vous permettre de penser à autre chose qu’à ce contrat conclu. Pouvoir tenir tête à quelqu’un qui vous remet en place, ça, ça vous plaît. Vous donnez suffisamment l’impression de vous amuser le temps d’endormir vos clients et qu’ils se dispersent, et puis vous déciderez de rentrer avec la sensation du devoir accompli. Pourtant, je ne sais pas, je ne vous imagine pas aussi coincé que vous le laissez paraître, plutôt assez bon vivant même, juste pas ici. Pas derrière de faux semblants. » Adria indiqua alors d’un regard la piste et poursuivit son laïus. L’inconnu n’était pas si méchant, juste diablement maladroit. « Si vous voulez mon avis, vous feriez mieux d’être vous-même devant des gens comme Tyler. Il n’a pas des habitudes de vie que l’on pourrait qualifier de très saines mais il n’est pas débile. Ça se passerait beaucoup mieux et vous serez plus détendu. Mais vous faites comme vous voulez. » L’ancienne boxeuse but plusieurs gorgées de son verre pour lui laisser le temps de digérer. Elle n’avait pas encore tout à fait terminé mais la conclusion de son point de vue approchait. « Si votre métier est votre passion, ça ne doit pas être facile de devoir se glisser dans un rôle tous les jours pour obtenir des contrats. Personnellement, je ne pourrai pas passer mon temps à jouer l’hypocrite. » Même avec les clients qu’elle entrainait, Adria ne passait pas par quatre chemins. Elle n’attaquait pas de front ou gratuitement mais s’ils lui balançaient des mots de travers ou la prenaient de haut parce qu’elle était « l’entraîneuse » et « payée » pour ça, la question était vite réglée quand elle répondait. La coach sportive se demandait pourquoi elle avait pris le temps de lui dire tout ça, après tout, hormis avoir cherché à l’embêter depuis le début de la soirée, il ne s’était pas montré très engageant, mais les circonstances ne les avaient pas conduit à partir d’un bon pied non plus.

À cause de son métier et de sa passion, beaucoup de gens voyaient seulement Adria comme une jeune et jolie athlète capable de se défendre et de faire mal physiquement mais nombre d’entre eux sous-estimaient grandement son caractère fort et se retrouvaient complètement sur les fesses en découvrant qu’elle avait le même don pour remettre des personnes à leur place simplement par les mots quand il s’avérait nécessaire de le faire. L’ancienne boxeuse avait dû rapprendre à canaliser sa colère et à limiter celle-ci sous une autre forme, c’est pourquoi elle adoptait souvent un ton aussi franc et direct, qui avait au moins le mérite de ne pas passer par quatre chemins. Depuis qu’elle avait croisé Sameer lors de cette soirée, la jeune femme n’avait pas mis longtemps à décrypter le manège qui se déroulait sous ses yeux. Lorsqu’il était revenu vers elle pour essayer de relancer leur altercation après le verre renversé, Adria s’était concentrée à chercher la faille et l’avait très vite trouvée : il jouait un jeu avec des gens qui n’étaient pas du même milieu que lui à l’exception d’échange professionnel. Elle ne l’avait pas seulement deviné parce qu’elle connaissait l’un d’entre eux, rencontré lors de quelques soirées en tournoi de boxe quelques années auparavant, mais parce que Sameer n’avait tout de suite pas semblé très serein et avait cherché le conflit avec elle pour se distraire. Il avait certainement beaucoup à perdre si ce contrat ne se signait pas et il restait ici pour divertir les hommes d’affaires. En cherchant à relancer Adria sur ce qui s’était passé, il s’était brûlé les doigts. La jeune femme ne s’était pas laissée intimider et ne s’était plus privée de le remettre en place avec ce qu’elle venait d’observer. En général, trois réactions différentes se profilaient lorsqu’elle donnait ses quatre vérités à quelqu’un : la personne partait purement et simplement, ne sachant plus quoi dire, ou bien elle restait et essayait encore de tenir tête ou enfin, elle acceptait ses propos. C’est cette dernière option que choisit Sameer. Il s’empourpra et accusa le coup avec un verre qu’il vida d’un trait. Adria attrapa le sien et but une gorgée tandis qu’elle écoutait les explications du jeune homme. Alors qu’il lui décrivait la situation, elle convint d’un hochement de tête que c’était ainsi que les affaires fonctionnaient : appâter et séduire pour mieux obtenir. Il n’avait pas beaucoup d’autres options. La jeune femme ne comprenait cependant pas comment une personne qui semblait droite dans ses bottes acceptait de sacrifier plusieurs de ses principes pour s’assurer de bons points dans son cabinet d’avocats. Était-ce par défi de réussir à signer un contrat ? Le goût du jeu ? Elle ne comprenait pas ce qui motivait Sameer, si c’était pour se sentir si mal à l’aise pendant que ses clients s’amusaient… Qu’est-ce qui le poussait à continuer quelque chose pour laquelle il avait plus ou moins des scrupules ? « Donc pour vous tout ceci n’est qu’un jeu ? Qu’est-ce qui vous motive là-dedans si c’est pour être embarrassé et vous ennuyer chaque fois que vous emmenez vos clients sortir ? On dirait que vous êtes partagés entre devoir professionnel et scrupules. Pourquoi continuer alors si ça ne vous convient pas ? » Adria avait toujours été étonnée de voir des gens s’obliger à faire des choses qu’ils ne voulaient pas. Bien sûr, dans un travail exercé, toutes les tâches ne sont pas toujours celles que l’on veut ou que l’on aime, mais quand celles-ci deviennent quotidiennes, ou du moins fréquentes, n’est-il pas un non-sens de continuer dans cette voix ? En matière de droit, il pouvait se rediriger vers autre chose. L’ancienne boxeuse vida son verre et l’écouta, mi-amusée, mi-dégoutée, lui décrire ce père de famille bien rangé qui était finalement le pire du groupe, celui qui avait proposé de prendre du bon temps. La situation amusait Adria mais d’un autre côté, elle n’aimait pas imaginer la femme de ce type et ses enfants l’attendre sagement, alors qu’il avait la tête bien ailleurs. C’était le genre d’homme que la jolie brune aurait bien aimé remettre en place aussi, cependant elle n’avait aucune raison de le faire et ensuite, elle aurait aussitôt ruiné autant le contrat de Sameer que ses relations avec Tyler. Ça ne l’aurait pas arrêtée si elle en avait eu les motifs, mais ce n’était pas le cas présentement. « Je vois. Et vous arrivez à dormir avec la conscience tranquille quand vous savez ça ? » Demanda la jeune femme, vivement intéressée par la réponse et sans jugement dans la voix. Adria était loin d’être un ange, alors elle ne comptait certainement pas donner de leçon de morale, elle qui détestait qu’on lui en serve et qui prenait aussitôt la mouche dès que quelqu’un se permettait de lui en adresser une. « Au final, tout en revient toujours à l’argent. » Constata-t-elle en guise de conclusion, lorsque Sameer lui évoqua à nouveau ce fameux contrat bien juteux. Elle avait l’impression d’entendre ses parents, carriéristes. Adria s’était bien écartée de leurs chemins en empruntant celui de la boxe et elle ne le regrettait en rien. Elle espérait pour le jeune homme qu’il n’en oubliait pas l’essentiel non plus dans sa propre vie. « Il n’y a pas toujours de bonne ou de mauvaise façon d’agir bien définie, chaque décision que l’on prend, est celle qui doit nous sembler la meilleure. Je pense que le bon choix, c’est celui pour lequel on n’éprouve aucun regret, celui pour lequel on assume chaque répercussion. Et il est différent pour tout le monde. » Chaque personne réagissait différemment et ne pouvait pas vivre avec les mêmes choix que d’autres auraient fait. Si se calquer sur le comportement des clients convenait à Sameer, Adria n’allait pas lui servir un autre mode d’emploi. Il était assez grand pour savoir ce qu’il faisait et ce qui lui paraissait bien ou non. De son côté, la coach sportive avait l’habitude de savoir comment persuader les gens quand elle voulait quelque chose, surtout dans son métier, sans pour autant avoir recours à ces procédés mais chacun avait ses façons et le contexte était différent également. Elle commanda un nouveau verre en même temps que lui et le vida tandis que son compagnon de soirée la gratifia d’un compliment sur sa franchise. La jeune femme esquissa le premier sourire sincère de la soirée, pas que les autres étaient faux, mais ils étaient davantage sortis sur le coup de la défensive. Sameer marquait un point : elle n’avait clairement pas sa langue dans sa poche. « Au point d’en dire trop parfois. » Lâcha Adria, en accompagnant son rire, ne sachant pas trop quoi répondre après ça. Voyant que les verres défilaient, elle songea qu’il valait mieux mettre un terme à cette conversation trop « sérieuse » à son goût maintenant que l’ambiance était plus détendue. « Et si vous profitiez vraiment d’être là ? » Proposa-t-elle. « On va danser ? » L’ancienne boxeuse ne baissait jamais totalement sa garde, mais quitte à rester avec lui, autant rendre le moment plus agréable encore.

Lorsque Sameer lui détailla un peu plus les autres aspects de sa vocation, Adria comprit mieux pourquoi il s’était lancé en tant qu’avocat. Il est vrai qu’elle avait arrêté son opinion à ce qu’elle avait vu ce soir, à ces côtés de son travail qui ne lui plaisaient pas. L’ancienne sportive de haut niveau pouvait comprendre l’engagement que l’on pouvait investir dans une passion et celle-ci exigeait parfois des sacrifices pas forcément au goût de celui qui cherchait à atteindre les objectifs fixés. À la lumière de cette nouvelle explication, elle réussissait facilement à faire le parallèle entre l’histoire de Sameer et de la sienne, même si leur parcours respectif avait évolué dans un milieu diamétralement différent. « Je comprends mieux votre point de vue. Parfois, pour continuer dans ce qu’on aime, nous sommes amenés à faire des choses que l’on n’aime pas toujours non plus. Il faut essayer de composer de la meilleure façon possible, trouver un équilibre. » Par exemple, en boxe, elle avait déjà été obligée de se battre contre des personnes qu’elle appréciait et respectait, des sportives qu’elle avait dû détrôner pour monter elle dans le classement et poursuivre ses rêves. Il y avait parfois des entraînements qu’elle aurait voulu sauter pour vivre un peu plus comme une jeune femme de son âge certains soirs, à l’époque, pourtant, elle s’était accrochée au régime de vie drastique des athlètes de hauts niveaux. Pour autant, Adria n’aurait jamais été prête à sacrifier ses principes et elle se rendit compte que Sameer avait ses propres scrupules. Oui, il amenait ses clients ici, certains qui avaient des familles, mais il ne les poussait pas aux mauvais comportements, et ces hommes étaient le genre de types à ne pas avoir besoin d’aide pour ça. Si ce n’était pas avec l’avocat, ils seraient sortis avec d’autres. Sameer restait en retrait. Néanmoins, Adria voyait bien qu’il détestait quasiment cet aspect-là de son travail et elle lui conseilla d’essayer de ne plus se l’imposer. Elle s’interrogea tout de même sur ce qu’il en était de sa conscience, le fait d’être celui qui amenait les clients ici. Sameer répondit une nouvelle fois sans détour, avec la même franchise qui caractérisait la coach sportive, un peu plus sur la défensive cependant, arguant qu’elle ne pouvait pas savoir s’il avait la conscience tranquille ou non. « C’est pour ça que je vous posais la question en même temps. » Il la lui avait d’ailleurs retournée entretemps. « Je ne vis pas dans ce milieu-là donc non. C’est juste une sortie entre amies, on boit quelques verres, on va danser un peu, se changer les idées, on s’amuse. Mais aucune de nous ne se fera le premier venu, encore moins un homme marié, pour reprendre votre exemple, en tout cas je peux parler pour moi. Passer un moment entre amies, que ce soit ici ou ailleurs, ne nous changent pas et ne m’empêche pas de dormir, non. » La conclusion de cette conversation se résuma à ce que tout se rapportait finalement à l’argent et que peu importe ce que chacun faisait, il ne devait pas regretter ses choix et penser que les raisons qui les poussaient à agir d’une façon ou d’une autre était la meilleure décision. Adria n’avait pas envie de s’éterniser toute la soirée sur une discussion sérieuse et philosophique, comme elle l’avait expliqué à Sameer, elle avait juste envie de s’amuser et de se changer les idées, si bien qu’elle lui proposa, puisqu’il était là par obligation professionnelle, de profiter du moment pour se dérider quelque peu également. Il finit par la remercier, probablement pour sa franchise ou pour le temps qu’elle avait pris pour essayer de le rendre plus réceptif à la soirée, elle esquissa un sourire en guise de réponse, un sourire qui s’élargit un peu plus lorsque Sameer lui confirma que la franchise dont elle avait fait preuve avait aussi du bon. Ils s’amusèrent à danser, à prendre quelques verres et à faire plus ample connaissance, si bien que la soirée fila à une vitesse folle. À un moment donné, Adria prit même la peine d’aller trouver un Tyler bien éméché mais encore lucide pour lui signifier de faire monter la valeur du contrat juteux en faveur de Sameer. Vu le respect que lui inspirait l’ancienne boxeuse, il ferait sans aucun doute le nécessaire dès le lendemain. Elle le quitta ensuite pour retrouver l’avocat. Ses amies étaient déjà rentrées entretemps, fatiguées par la soirée. « Je ne vais plus tarder à rentrer.  Vous restez ? »

Lorsqu’Adria annonça qu’elle rentrait, Sameer proposa de la raccompagner. Elle esquissa un sourire discret en songeant en son for intérieur que bon nombre de garçons qui lui avaient suggéré une telle idée par le passé avaient dû se rappeler en même temps qu’elle n’avait nullement besoin d’être chaperonnée pour se défendre, mais la compagnie de l’avocat sur le chemin du retour ne la dérangeait pas. En effet, la jeune femme ne devait pas considérer toute initiative inspirée de sympathie comme une marque de faiblesse à refuser sur le champ, et elle hocha donc positivement la tête sans réfléchir plus longtemps. Sameer lui proposa ensuite de marcher pour rentrer, ce qu’elle accepta de nouveau, un bon bol d’air frais après avoir dansé dans cette atmosphère étouffante serait le bienvenu. « Oui, bonne idée. » Répondit-elle ainsi à ses deux questions sans plus de formalités. C’était d’ailleurs un exploit pour Adria d’avoir tenu un vouvoiement si longtemps, cependant elle avait été habituée à fréquenter des personnalités de tout horizon lors d’anciens tournois de boxe importants auxquels elle avait participé par le passé et elle s’était spontanément adaptée à chaque interlocuteur qui s’adressait à elle, une habitude qu’elle avait gardée aujourd’hui. Ainsi, la profession de Sameer et les personnes qui l’avaient accompagné ce soir, lui avaient inspiré cette forme de distance respectueuse malgré leur rencontre mouvementée, mais celle-ci était futile à présent. À l’extérieur, Adria indiqua la bonne direction afin de rentrer chez elle, ensuite Sameer et elle marchèrent côte à côte, tandis que la coach sportive profitait de l’air frais pour reprendre ses esprits. Le silence qui s’était installé n’était pas gênant, toutefois Sameer le brisa en premier au bout de quelques minutes afin de reprendre leur discussion. Il lui demanda si elle vivait seule avant d’ajouter qu’il était curieux de nature, une remarque qui arracha un petit rire amusé à Adria. « J’ai cru comprendre oui, enfin quelque chose chez toi qui colle d’emblée avec ta profession. » Répondit-elle sur le ton de l’humour, il n’avait pas besoin de jouer un rôle pour cet aspect-là de sa fonction, ce trait de caractère était naturellement ancré en lui. En même temps, un avocat qui n’était pas un minimum curieux, prêt à creuser une affaire de fond en comble, avait peu de chances d’exceller dans son domaine. La jeune femme s’alluma une clope à son tour, comme elle le faisait de temps en temps après une soirée, et reprit le fil de la discussion pour justement satisfaire la curiosité de l’intéressé. « Non, bizarrement, une personne a trouvé la force de me supporter. » Après un nouveau rire, Adria retrouva son sérieux suffisamment longtemps pour expliquer la suite. « Et tu risques d’être plus surpris encore, mais elle est avocate aussi, enfin plus ou moins. Tu la connais peut-être ? Alvira Raichand. » Sa colocataire travaillait dans le droit, cependant, si l’ancienne boxeuse professionnelle avait bien compris, elle n’avait pas les autorisations pour exercer sa fonction pleinement comme dans son pays, ou alors Adria avait mal interprété, ce qui pouvait arriver mais inutile de s’attarder dans ces sordides détails. La jeune femme avait remarqué un autre point commun entre Sameer et Alvira, leurs origines indiennes. Elle en avait déduit que sur ces deux bases, ils s’étaient peut-être déjà croisés dans un cadre réunissant plusieurs avocats à Huntington Beach tout comme elle avait croisé maints boxeurs dans son milieu. La jolie brune était loin de s’imaginer que le nouveau garçon dont Alvira s’était entiché, un vieil amour perdu aujourd’hui retrouvé pour le détail de ce que sa colocataire lui avait raconté, était celui-là même avec qui Adria venait de passer la majeure partie de la soirée. « Et toi ? » Lui retourna-t-elle ensuite la question tandis qu’ils s’engouffraient déjà dans la rue où habitait la brune volcanique. Sans qu’elle le sache, il pourrait peut-être même reconnaître les lieux s’il avait eu l'occasion de ramener Alvira chez elle.

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