Sujet: à vol d'oiseau. (morten) Dim 28 Juil 2013 - 0:22
Venir au parc m'a donné la sensation de retourner dans le passé. À une époque où l'innocence prenait encore le pas sur tout. Même l'argent ne pouvait pas lui passer dessus. C'est un peu comme faire un saut en arrière de façon volontairement, pour y retrouver des souvenirs agréables. Vous savez, ceux qui vous donnent le sourire avec une pointe de nostalgie. Le genre dont on ne veut se séparer pour rien au monde. Ce moment où j'avais même pas huit ans. J'étais petit, plus petit que les autres -finalement ça n'a pas changé-. Je voyais tout en grand. Les regards se posaient sur moi : le gamin minuscule et trop souriant. J'étais la lumière des bacs à sable. J'avais pas encore perdu toute confiance en moi. J'étais pas encore noyé dans la grandeur du monde, non plus. J'étais juste Pepino. Pepino qui gratte le sable avec un surplus d'énergie. Pepino et son regard perçant. Pepino, l'enfant que tout le monde aurait aimé avoir, pourtant délaissé par ses parents. Celui qui courrait dans tous les sens en tenant la main de son cousin. Son cousin : Morten. Morten, aujourd'hui bien plus marrant et plus vivant que moi. Plus intéressant aussi. Tout le campement ne voit que par lui. Lui, le clown, lui le blagueur. Lui, qui vit. Et puis derrière y a son ombre, l'ombre Pepino, accroché au bas de son t shirt. Le misérable.
C'est donc sur un énième coup de tête que j'ai quitté le campement pour changer de paysage. Burton recroquevillé dans mon sac pokémon. Chaussures trop grandes aux pieds, j'ai laissé derrière moi tout ce petit monde constituant mon quotidien, ma vie. Ils comprennent pas toujours pourquoi je disparais d'une seconde à l'autre. Ils le sauront très certainement jamais, parce que moi aussi, j'en sais rien. C'est juste une réclamation du corps. Ou peut-être du cœur. Comme une supplication venu de nulle part qui s'échoue sur mon âme. Un truc comme ça.
Et comme tous les après midi, le soleil tape un peu trop fort sur nos têtes. Au bout de quelques minutes je ressens déjà des gouttes d'eau salées couler dans mon dos. Impétueux, je continue tout de même ma marche jusqu'à laisser mon corps s'écrouler à l'ombre d'un vieil arbre. « On s'arrête ici, il fait trop chaud et j'ai oublié de nous prendre de l'eau. » Le furet plante ses yeux sombres dans les miens tandis que mes lèvres se posent sur le haut de son crâne avant de lui rendre liberté. Content des nouveaux horizons l'animal s'élance dans le gazon. De mes lèvres ne s'échappent qu'un rire fatigué. Le rire qui veut pourtant tout dire. Celui d'un gamin heureux. Celui d'un enfant qui réalise que la vie est belle. Parce que oui, la vie est magnifique. J'ai déjà eu l'occasion de le comprendre à plusieurs reprises. Le van en est la preuve formelle, que tout n'est pas gris. Sous ma boîte crânienne dansent encore des étoiles.
Mon visage se lève au ciel et croise à nouveau le regard de Burton, à présent planté sur une branche tremblante. Il est là, juste au dessus de moi, à manquer de tomber d'une seconde à l'autre. La chute lui serait fatale. Alors, pris d'une peur trop forte, mes ongles s'enfoncent fermement dans l'écorce. Mon cœur bat si vite qu'il donne l'impression de vouloir quitter ma cage thoracique. « J'arrive, bouge pas. » J'ai la voix trop tremblante, la gorge si serrée qu'elle me fait souffrir. Le simple fait de perdre Burton m'anéantirait pour des années à venir. Déconcentré par l'idée de le voir tomber sous mes yeux, ce n'est pas Burton mais bien mon corps qui rencontre violemment le sol. Ça sonnerait presque comme une ironie du sort. La branche craque sous mon poids. Le bruit de la chair contre la terre résonne dans un bruit sourd. Le visage déformé par la douleur, c'est à peine si je parviens à laisser s'échapper le moindre cri. Autour de moi, la vie continue d'avancer. Les gens marchent sans m'apporter un seul regard. Trop occupés à leur quotidien pour s'attarder sur un gamin. Ma vue floue ne quitte pourtant pas cet arbre. Figé sur Burton, je ne remarque même pas que de ma tête s'échappe un liquide rouge. Rouge de douleur. Rouge d'imprudence. Tout ça pour quelques souvenirs seulement.
Pressé par le temps, je ne pris même pas la peine de m’arrêter de courir pour enfiler mon t-shirt. Pepino était parti. Sans moi. Alors qu’on avait prévu d’aller au parc ensemble, pas séparément. On ne changerait pas ce gamin. Jamais. Il avait toujours la tête en l’air. Parfois quand je lui parlais, j’avais l’impression qu’il ne m’écoutait même pas. Au moins, il avait le mérite de ne pas faire semblant. Je savais déjà comment ça allait se passer. J’allais débouler dans le carré d’herbe quotidiennement arrosée aux insecticides et autres produits du genre qu’il osait qualifier de parc naturel et interrompre Pepino dans ses rêveries. Ensuite, j’allais lui cracher ma colère à la gueule et son indifférence allait me la réverbérer. Parce que Pepino, il vivait dans sa bulle, et absolument rien ne pouvait la pénétrer. Certainement pas mes mauvaises ondes. Je le voyais déjà me piéger avec son sourire désolé, faisant de mon énervement un lointain souvenir. Je le détestais de me rendre aussi faible. « T’as pas l’impression d’avoir oublié quelqu’un ? » C’était ma manière à moi de le saluer. De lui faire comprendre que j’étais là malgré tout. J’étais sur le point de lui montrer le gros doigt lorsque ce liquide rouge qui s’échappait de sa tête m’interpella. Sans hésiter une seule seconde, je retirai mon haut et épongeai sa plaie avec. « Qu’est-ce que t’as encore foutu, Pep’ ? Et puis il est où Burton ? » Le fait que Pepino se blesse n’avait rien d’étonnant en soi. Ca lui apprendra à jouer les aventuriers. Un jour, il finirait vraiment par y laisser une jambe ou un bras. Mais ce n’était pas ce détail qui avait retenu mon attention. Le sac où mon cousin avait l’habitude de laisser vagabonder son furet était renversé sur le sol, vide. Je ne mis pas longtemps à comprendre ce qu’il s’était passé quelques minutes avant mon arrivée. A vrai dire, je n’avais eu qu’à lever les yeux au ciel. Burton était là, quelques branches plus haut, à nous narguer du regard. Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais secoué l’arbre jusqu’à le déloger de son perchoir, cet imbécile d’animal. Heureusement, Pepino était là pour m’aider à réfréner mes pulsions. Si je ne touchais ne serait-ce qu’à un seul poil de sa bestiole, il était capable de m’ignorer à vie. C’était la seule et unique raison qui m’avait empêché de passer à l’acte jusque maintenant.
« J’vais le chercher. » Le pire, c’est que je n’avais même pas envie de me couvrir d’égratignures pour jouer les sauveurs de furet. C’était juste que je voulais rendre le sourire à Pepino, parce que j’avais perdu l’habitude de le voir pendre la tête. Puis un Pepino triste, c’était pas un Pepino. Je devais bien avouer que j’étais un peu rouillé. Ca faisait longtemps que j’avais plus fait ça. Me hisser sur la première branche avait été l’étape la plus périlleuse. Rien qu’à me regarder, il n’y avait aucun doute sur le fait que je descendais bien du singe. La suite s’était passée comme sur des roulettes. Un vrai jeu d’enfant. Burton était à bout de bras, à présent. Je devrais aisément pouvoir l’attraper. Sauf qu’il n’était pas du même avis. Il avait bien l’air de se plaire, là-haut. Ca doit être pour ça que cet enfoiré a furtivement planté ses crocs dans ma pauvre main innocente. Suçant le sang qui s’écoulait lentement de ma plaie, je fusillai mon agresseur du regard. « Si j’étais toi, avec toutes les personnes ici-bas qui rêveraient de te porter en écharpe autour de leur cou, moi non plus, je redescendrais pas. » Inutile de préciser que je faisais partie de cet échantillon de personnes, je suppose. D’humeur taquine, je me laissai tomber en arrière en faisant jouer de mes cordes vocales pour simuler une chute. Heureusement, j’avais toujours été une star du cochon pendu. Un rire franc s’échappa de mes lèvres face à un Pepino pétrifié. « T’aurais vu ta tête mon vieux. » Elle ressemblait un peu aux visages de ces gens photographiés à l’arrache en plein looping dans un parc d’attraction. Hilarante. « Je suis censé faire quoi s’il veut pas de mon aide ? » Et pitié me dis pas que je dois lui chanter une berceuse pour le calmer. On sait jamais avec Pepino. Il est tellement aux petits soins avec sa bête que ça m’étonnerait même pas de lui.
Invité
Invité
Sujet: Re: à vol d'oiseau. (morten) Ven 2 Aoû 2013 - 21:30
La tête en sang, des étoiles au dessus de mon crâne, j'ai la vue encore floue. Pourtant, je peux voir la silhouette de Morten venir à moi. Fine et élégante, son t shirt se pose sur la blessure en guise de pansement. Une grimace étire les traits de mon visage à la pression qu'exerce les mains de mon cousin sur ma peau. La douleur est vive. À s'en mordre les doigts. Et le furet est toujours sur sa branche, de son air naïf. Il ne voulait pas que je tombe. Il l'a pas fait exprès. La seule chose pour laquelle je m'en veux est de ne pas avoir su le rattraper. Comme un idiot, je me suis retrouvé la tête dans la terre et les bras vides. J'sais vraiment pas comment il faisait, le tarzan. Soupir.
« Qu’est-ce que t’as encore foutu, Pep’ ? Et puis il est où Burton ? » Mon index pointe l'animal perché dans l'arbre. C'est suffisant comme réponse, non ? De toute façon, je n'ai même pas le temps de dire quoi que ce soit. Morten est déjà à sa rescousse. Il est pas plus agile que moi, mais il essaie quand même. Peut-être pas pour Burton mais pour moi. Mo', il a jamais vraiment porté le furet dans son cœur. Il doit pas aimer les animaux, un truc comme ça. J'en sais trop rien, j'ai jamais pris le temps de lui demander. De toute façon, j'ai pas envie de savoir. Me sentir blessé par ses propos seraient une mauvaise chose même si je suis capable de lui pardonner la seconde d'après. Je pardonne, oui, trop facilement. Je n'oublie pas toujours. Chaque blessure que l'on m'a causé sont encore présentes sur une partie infime de mon âme. Dans un petit tiroir qui s'ouvre parfois, à l'occasion d'un cauchemar ou d'une noire pensée. Donc, Morten n'apprécie pas Burton. L'animal a suffisamment d'amour venant de ma part, de toute façon. L'usine à affection.
Un cri strident fait douloureusement vibrer mes tympans. Main droite posée sur le crâne, mon visage se décompose à la vue du corps de mon cousin. Le moment de peur est éphémère. Mais il suffit à faire battre mon cœur de façon trop rapide. « T’aurais vu ta tête mon vieux. » Sourcils froncés, je lui offre ma langue en unique riposte. Le regard toujours posé sur l'animal, la question de Morten me fait sourire tandis que je relève délicatement mon torse en laissant le tissu tomber sur l'herbe verbe. « C'est pas la première fois qu'il fait ça, Burton. Soan, il arrive toujours à le rattraper. Il doit être plus agile que nous. Et plus grand. » Oui, surtout plus grand. Soan, il fait facilement deux têtes de plus que moi. Moi, le petit être semblable à un gamin. S'il avait été là, Burton serait déjà les quatre pattes sur terre. Mais aujourd'hui, il doit être quelque part sur la plage. Ou bien dans les rues, à mendier, comme il sait si bien le faire. Lui et son visage qu'on pourrait mettre en affiche pour parfum. Mais personne parvient à voir sa beauté, recouverte de crasse et de misère. Personne le connaît, même pas Morten. Alors, dans un soupir, j'escalade une seconde fois l'arbre. « Laisse moi faire, tu sauras pas l'attraper. » Il sait quand les gens ne l'aiment pas. La réflexion est inutile. Je me la garde. Pour pas le vexer.
« Reste en bas et tends les bras, je vais te le passer. » Et pendant que j'escalade, les cheveux en bataille, le pantalon recouvert de terre, je continue de parler. Parce qu'une fois que la machine est lancée, plus rien ne peut l'arrêter. « Si tu veux, on peut faire une sortie après. Fin j'veux dire, je peux te payer un café ou on peut aller au cinéma, y en a un pas cher. J'ai fait des économies ces dernières semaines. L'été, la manche, ça marche mieux. Les gens sont de bonne humeur et ils donnent plus, tu vois ? Ils sont en vacances et moins pressés aussi. Y en a même qui me sourient. C'est génial. Mais si t'as pas envie on peut rester là et parler. » Tellement génial que c'est à peine croyable : le clochard heureux de se faire mépriser avec le sourire. Quelle naïveté ! Le furet entre les mains, je me baisse dangereusement dans le vide pour le tendre à mon cousin avec confiance. « Le laisse pas s'échapper, ouvre lui mon sac, y a de quoi manger pour lui, dedans. » Parce que même les poches vides, Burton sera toujours le premier à avoir le ventre plein. Je préfère de loin mourir de faim. Il a rien demandé, lui.