“Bea, il faut que je te dise un truc.” « Yay! Je vais enfin savoir c’est quoi un plan cul! »Ce petit vestige de sa première rencontre avec Leah n'allait définitivement pas quitter son toit de si tôt....
“BEA! Je t’ai déjà dit d’oublier ce mot là. C’est du vaudou, ça va attirer les mauvais esprits! Non, en fait… tu sais, tes bonbons d’Halloween ? Et bien, hier soir…. Je les ai tous mangés. Il n’en reste aucun. Désolé. ” Pendant un long moment, son petit visage demeura figé, alors qu’elle encaissait l’annonce ainsi que ses implications. Puis, petit à petit, son inexpression craqua, laissant place à une furie émotionnelle hors de tout contrôle. Comme si son visage ne savait pas comment exprimé toute l’ampleur de l’outrage qu’elle ressentait.
Priceless.
« Mais papa! Pourquoi ?? C’était mes bonbons! Tu n’étais même pas déguisé! Tu n’avais PAS LE DROIT! »Sa figure était maintenant cramoisie, et elle ne parvenait pas à retenir des larmes de trahison, de frustration et de sincère tristesse. Il soupçonnait même qu’elle puisse littéralement exploser dans les secondes à venir. Il s’empressa donc de désamorcer sa petite dynamite.
“Mais non, du calme, du calme, je plaisantais. Tu sais bien que je n’aime pas les bonbons. Regarde, ils sont encore bien à l’abri dans l’armoire.” Tenaillée par le doute, elle prit la peine d’aller vérifier avant de répondre.
« Mais pourquoi t’as dit que tu les avais mangé ? Tu m’a fais de la peine!»“Blâme Jimmy Kimmel. Allez, c’est l’heure d’aller au lit maintenant!” « Demain, je vais manger tous tes biscuits…»“Si tu fais ça, je vais tout colorier tes pouliches pendant que tu seras à l’école. Allez, au dodo, jeune fille! » *****
Appuyé contre le cadre de porte, il la regarda s’endormir, paisiblement, serrant contre elle une peluche de licorne. Un cadeau de sa mère. C’était probablement l’une des rares occasions qui faisait encore naître chez lui un sourire spontané et sincère. Il ne se lassait jamais de la regarder ainsi quitter ce monde, l’espace d’une nuit.
Il referma tout doucement la porte, avant de regagner la cuisine, sans bruit, sans but. Le soir venu, il n’était pas rare de le voir sombrer dans une puissante apathie, où chaque geste, chaque idée même d’action, lui semblait d’une vacuité insupportable.
Pour ce qu’il en savait, il pouvait bien s’agir de la dernière Halloween qu’il célèbrerait en compagnie de sa fille. Un mauvais coup du hasard, voilà tout ce que cela prenait pour anéantir, ou créer, un univers entier…
Quelle chaîne de télé pourrait lui rendre cette réalité tolérable ?
Il se versa une coupe de vin rouge et regagna le salon, poussant du pied quelques oreillers encore en vadrouille, gracieuseté sa gamine de 7 ans. Une autre nuit où il ne parviendrait pas à trouver le sommeil. Elle ne lui avait pas laissé de licorne, à lui.
Il contempla mélancoliquement son profil sur quelques clichés, rassemblés dans une petite, mais ô combien chérie, boîte de carton. Son visage rond, souriant. Ses prunelles étincelantes de bonheur. D’amour. Son long cou délicat, mis en élégante évidence par ses cheveux auburn momentanément teint en noir remontés queue de cheval. Une beauté simple et puissante. Et disparue à jamais.
Comme à chaque fois où il refermait la boîte, il ne sut dire si dix minutes, dix heures ou dix années venaient de s’écouler. Il savait simplement que ça n’avait pas duré suffisamment longtemps.
*****
Il pleuvait. Pas torrentiellement, ni assez pour boire debout. Juste une pluie commune. Quelconque. Anonyme. Ce qui n’empêchait pas les Dropkick Murphys de s’époumoner dans ses oreilles.
Fer 4 en main, il s’était installé confortablement au milieu de la rue, avec une trentaine de balles autour de lui. Juste sur la ligne blanche. Malgré le temps sombre et l’absence de lune, l’inexistence de courbes ou de dénivellation importante sur Presidente Drive lui assurait une certaine sécurité. Et puis, à cette heure, un mardi soir, les chauffeurs ne se bousculaient pas aux portes.
Il aimait l’impact d’un fer 4. C’était puissant. Ça se réverbérait jusque dans ses coudes. Surtout contre le bitume.
Une voiture le klaxonna en s’écartant sur le bas côté pour éviter de le percuter. Il ne bougea pas d’un pouce. Il leva la main en guise de remerciement, avant de reprendre position. Il commençait à être trempé. Il sentait sa chemise s’imbiber, alors que son manteau finissait par céder face aux implacables gouttelettes. Mais il avait besoin de ce petit moment Fight Club. Ce petit moment de n’importe quoi. Pour l’aider dans sa lutte contre l’absence de sens.
Éventuellement, l’une de ses balles ricocha contre un lampadaire et alla terminer sa course contre le pare-brise arrière de l’audi de son huitième voisin. Il eut un bref moment durant lequel il considéra récupérer son portefeuille et laisser quelques billets dans la boîte aux lettres. Avant de se dire qu’il aurait amplement le temps de régler ça demain.
Si demain il y avait.
Sourire résigné aux lèvres, il s’aligna sur la devanture vitrée de son cinquième voisin dans l’autre direction.
Comme quoi il n’y avait pas que le hasard qui pouvait arbitrairement détruire du beau.
« Screw you, bitch… Hurroo. »