- Toulouse ? Ne penses-tu pas que ça soit trop…trop ?

Je suis né à Montréal y a de ça vingt-quatre ans maintenant. Ma famille n’était ni riche ni pauvre mais nous vivions heureux dans notre petit appartement au cœur du centre-ville. Je me souviens de ces longs Noël à regarder la neige tomber avec mes cousins et cousines en lançant des paris à base de bonbons qu’on avait pogné dans les affaires de mes parents sans leur permission. C’était beau ce temps là où tout était simple beau et gentil à mes yeux d’enfants. J’avais pas honte d’aller à l’école quand mes dents de lait commençaient à tomber.

Puis on a déménagé.

J’avais cinq ans et surtout pas envie de quitter mon pays natal pour un autre endroit. J’arrivais pas à concevoir que la vie pouvait se faire ailleurs qu’à Montréal avec mes grands-parents un peu trop gâteaux et gâteux pis le reste de la famille qui faisait de ma vie une chose foutrement belle.

- HEY ! C’est qui qui t’as appris ça là ?!

Le lendemain de cette petite discussion avec mon père nous avons pris l’avion « pour le soleil » comme aimait le dire ma mère trop heureuse de pouvoir enfin arrêter ses séances d’UV pour pouvoir bronzer sous le véritable soleil de la Californie. Quand on est arrivé dans ce qui est devenu notre nouveau chez nous je me suis mis à pleurer. A Montréal nous avions un petit appartement bien sympa et chaleureux où chacun des membres de la famille pouvait avoir son petit espace pour lui tout seul. J’avais ma chambre ma mère le salon pis mon père la cuisine vu qu’il a toujours eu des notions en cuisine et à Huntington tout était plus petit triste et froid. Tout me filait la chair de poule pour la suite et encore plus quand ma mère nous a annoncé à mon père et à moi être enceinte quelques mois après le déménagement.

Comme je le disais si bien à ma nounou de l’époque «  c’était vraiment la marde ».

En plus d’être obligé d’apprendre l’anglais en suivant les cours à l’école publique du coin mes parents m’avaient mis chez une nounou car leurs nouveaux travailles les empêchaient de venir me chercher après l’école comme ils le faisaient avant c’est pourquoi ils ont décidés de m’envoyer chez une nounou qui (dieu merci) parlait français et anglais. Grâce à elle j’ai rapidement amélioré mon niveau en anglais sans pour autant perdre mon accent si particulier. Chez cette nounou j’ai fait la rencontre de bon nombre de gamins de mon âge mais il n’y en a qu’un qui a tout de suite retenue mon attention ce gamin c’était Berlioz. Il était mon opposé : un peu plus grand que moi, une peau blanche et pure, des yeux magnifiques et surtout des bouclettes bien proprettes qui semblaient se moquer de la touffe de cheveux plus ou moins frisés que j’avais déjà à l’époque. J’ai tout de suite tout fait pour essayer de parler avec lui mais je n’étais pas encore assez doué pour me présenter en anglais, après tout ça ne faisait qu’une semaine que j’étais arrivé ici.


-  Moi c’est Toulouse.
- …
- Toulouse !
- … euh …
- Heum… moiiiii….me…moiiiiii Toulouse ! Toulouse !
- … nanny ? What he say ?
- He said « my name is Toulouse » I think he want to be you’re friend.
- Oh. What’s the french for « I’m Berlioz » ?

Elle s’est penchée vers lui pour lui glisser quelques mots à l’oreille.

- Well…hum…jo…jo souis Berlioz ! 

Je crois que je suis tout de suite tombé amoureux de son accent, de son visage, de sa voix, de ses manières et surtout de son sourire. Bordel oui. Oui je ne m’en rendais pas encore compte mais mon cœur d’enfant commençait déjà à s’emballer des que mes yeux se posaient sur lui. Berlioz venait de devenir l’homme de ma vie et il semblait que seules les étoiles étaient au courant de tout ça à ce moment.


Peu après cette rencontre décisive mon petit frère est né accaparent ainsi toute l’attention de mes parents. Je restais de plus en plus longtemps chez ma nounou en compagnie des autres enfants et surtout de Berlioz avec qui j’avais développé une façon de communiquer bien spéciale à défaut de parler anglais. Les années se sont mises à défiler à une vitesse folle. Mon petit frère commençait à prendre de l’assurance et ne plus être « mon beau bébé » comme j’aimais l’appeler. Je parlais enfin anglais et je ne pensais plus du tout à Montréal et au reste de ma famille bien aimée resté là-bas. J’étais incroyablement heureux. La vie me semblait formidable et pleine de sens tant que j’étais près de Berlioz.

- Dis-moi mon Lou’… Berlioz… c’est ton ami pas vrai ?
- Ben oui mon meilleur ami.
- As-tu d’autres amis ?
- … ouep. Genre y a Yan, Louise pis… pis Jordan aussi.
- Je vois. Mais Berlioz t’es souvent avec…
- Oui.
- T’as déjà pensé à l’amour ?
- C’est pas de mon âge ça. Moi je veux juste m’amuser moi.

J’avais dix ans lorsque que ma mère a abordé tant bien que mal le sujet « sensible » qu’étais Berlioz avec moi. J’pense que ma mère a toujours vu que j’étais pas celui qui allait faire perdurer le nom des Lauwrence en ayant une jolie femme puis une flopée de gamins plus chiants et chevelus les uns que les autres. Elle l’acceptait si bien avec mon père cette sexualité dont je ne me doutais pas encore de l’existence. Deux ans plus tard j’ai commencé à prendre doucement conscience des choses. Mes amis d’école commençaient à parler de filles alors que moi je gardais le silence trop occupé à bouffer du regard celui qui hier encore n’étais « que » mon meilleur ami.

- C’est pas grave Toulouse.
- Mais les autres papa ! Les autres ils regardent les filles pis parlent de choses normales ! Ils les trouvent jolies attirantes enfin…moi j’men fou tellement ! J’arrive même pas à dire « t’as raison elle est mignonne elle » parce que je ressens rien !
- Et alors ?
- ET ALORS MOI J’AIMERAIS ETRE COMME LES AUTRES !
- Tu sais Toulouse t’as jamais été comme les autres. T’as toujours été mieux .
- Je comprends pas là.
- Pourquoi tu veux être comme les autres ? A ton âge j’étais comme tes amis mais je n’avais pas certaines choses précieuses que tu as !
- J’ai quoi de mieux et de précieux ? J’ai vous, mon beau bébé et…et Berlioz.
- Et si c’est ce que tu as de plus précieux Toulouse tu dois en être fier.
- …
- Moi je suis fier de toi mon fils.

****


Je me souviens d’un soir « clé » de ma vie. J’étais dans le salon devant la télé allongé la tête sur les genoux de ma mère, mon beau bébé dans le fauteuil de mon père alors que ce dernier dormait déjà. Je somnolais à moitié devant une émission de musique que ma mère adorait. Je me souviens encore de maman en train de jurer en entendant quelqu’un frapper à la porte tout en se redressant pour aller ouvrir laissant ma tête retomber lourdement sur le canapé. Ca ne m’a pas empêché de m’assoupir à nouveau tout en écoutant la voix de ma mère s’unir à une autre qu’il me semblait connaitre par cœur. Mes yeux se sont alors ouverts sur mon cher Berlioz qui s’installait près de moi sur le canapé. Il avait encore fugué à cause de ses maudits vieux qui passaient leur temps à le rabaisser par rapport à tout ce qu’il était et que j’aimais. Il a passé la nuit chez nous et ce que je pensais être une énième nuit banale entre lui et moi s’avéra être la première d’une longue lignée de nuits passées contre lui dans l’obscurité à embrasser le dos de sa main en lui soufflant combien il était important pour moi depuis toujours. Combien je l’aimais et ce que je pourrais faire pour le garder à jamais près de moi.

Le temps a continué à suivre son cours et le couple que nous formions Blondy et moi nous semblait indestructible…enfin presque.

- MAIS POURQUOI TU DIS RIEN?! Tu trouves ça normal que je sois toujours rabaissé quand je suis là? A la rigueur ça je m'en fou mais MERDE! On ne s’en prend pas qu'à moi mais à notre couple aujourd'hui et toi tu fais quoi? Tu dis rien tu te contentes de baisser la tête MAIS T'AS PAS HONTE

- HEY, c'est mes parents, qu'est-ce que tu veux que je dise, bordel de merde ?! Tu crois que c'est facile ?! Fluffy je t'aime mais tu sais bien que je peux pas me dresser contre mes parents, j'ai plus rien moi sinon !

- T'as plus rien? Mais tu te fous de ma gueule! Et ma famille elle compte pour du beurre là? T'as toujours été le bienvenue toujours! On t'as tout le temps ouvert la porte et offert le couvert quand tu venais en pleine nuit à cause de tes vieux CONNARDS! Et moi? Moi je suis rien là? Moi je peux rien t'apporter peut être?!

- F-Fluffy... Te mets pas en colère ! Je pourrais pas vivre tout le temps chez toi, j'abuse déjà beaucoup trop ! je... Ecoute je suis désolé, j'aurai dû dire quelque chose mais... J-J'y arrive pas...


- Mais tu comprends rien! Chez nous c'est chez toi! Tu comprends rien! Tu comprends jamais rien...je...fuck you. Si t'es pas capable de défendre notre amour quand je ne peux rien faire FUCK YOU! JE VEUX PLUS TE VOIR! RESTE ICI AVEC TES VIEUX! J'MEN FOU! T'es bien là à te faire insulter? Ben reste ici moi je me casse!

Je venais de passer quelques jours chez Blondy avant que ses parents ne rentrent chez eux. Nous avions seize ans et passions notre temps à parler de nos passions, nous promener, boire et fumer pour jouer aux plus forts alors que nous n’avions même pas le courage de faire l’amour ensemble pour la première fois. Cette dispute a explosée au retour des parents de mon cher Berlioz, ces derniers ne s’étant surtout pas gardés de cracher leur venin d’homophobes écervelés sur moi avant de s’attaquer à notre couple. Je me souviens encore de Berlioz qui d’un coup a perdu tous ces grands airs, baissant la tête comme un enfant apeuré. Aujourd’hui encore je me demande pourquoi il n’a rien dit mais une chose est sûre : je m’en veux toujours autant de m’être comporté de la sorte avec lui. Six mois se sont écoulés entre cette dispute et nos retrouvailles, entre ça ? Rien le néant. Plus de nouvelles de mon cher Berlioz, plus de coups de fils intempestifs et d’sms enflammés. Adieu ses lèvres contre ma joue le matin et ses mains parfois un peu trop baladeuses dans la salle de bain avant d’aller en cours. Juste le silence et l’absence et essayer d’oublier sa présence qui me manquait plus que tout.
Nos retrouvailles ont été explosives...je crois que finalement cette petite dispute idiote nous a permis de nous réunir à jamais.

****

Les années ont continuées à passer. Berlioz et moi avons obtenus nos diplômes haut la main avant de filer à la fac pour étudier les lettres et les arts. Notre couple allait très bien et je comprenais petit à petit que c'est bien avec ce mec que j'allais finir ma vie. Je me suis toujours fait du soucis pour Berlioz et me suis tout le temps plié en quatre pour qu'il soit heureux le plus souvent et longtemps possible mais il y avait une ombre au tableau que je ne pouvais malheureusement pas effacer aussi facilement que tous les maux qui pouvaient accabler Berlioz. Après tout que pouvais-je ben faire pour le protéger d'une mère et d'un beau père homophobes au possible qui passaient leur temps à cracher leur venin au visage de Blondy? Je ne pouvais pas l'arracher continuellement à tout ça ... j'en avais pas la force. Plus le temps passait et plus j'avais peur de le voir s’effondrer sous le poids des mots et des coups. J'ai pris mon courage à deux mains et me suis décidé d’appeler le père de Blondy et je crois qu'avoir monsieur Blackstone au bout du fil est la meilleure chose que j'ai faite pour mon homme aujourd'hui encore. Si seulement quelqu'un était venu plus tôt en disant "hey si tu téléphones à ce type ton mec retrouvera son père et une vie stable sans violence" je crois que j'aurais même fait du stop pour trouver Blackstone et le ramener près de son fils.


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DERRIÈRE L’ÉCRAN