Il était rentré dans le café au signe de Dustin, avec son air de type pas tout à fait réveillé mais tout de même curieux. Les boucles sur son front avaient adopté de façon tout à fait anarchique le pli de son oreiller, signe qu’il était une nouvelle fois sorti du lit en retard – mais il était là, bien là, et même qu’il était content de l’être. Un grand sourire aux lèvres, il parcourait la salle des yeux, lissant du plat de la main son vieux t-shirt du lycée de Huntington Beach. Après leur petite ronde, ils revinrent croiser le regard de Dustin, et son sourire s’élargit un peu encore. Ouais. Il était content.
Il se sentait bien avec Dustin. Il n’avait jamais été du genre à sur-analyser tout ce qui se passait dans sa vie – enfin si, il l’avait été, mais il avait fait une croix là-dessus dans les six dernières années et ne s’en portait pas plus mal. Mais il se sentait bien avec Dustin. La première impression de la première nuit s’était confirmée au fil des jours, puis des semaines – ce type là au moins n’était pas prise de tête, et puis ugh, il avait un regard qui faisait oublier que les choses, parfois, pouvaient être graves. Dustin, c’était un bol d’air frais. Une rupture totale avec ce qu’il avait pu connaître jusqu’à aujourd’hui. Pour le meilleur, et seulement pour le meilleur. Après, ce qu’ils faisaient exactement ensemble ? Il n’en savait trop rien, et se contentait de croquer la vie à pleines dents. Pas de question, pas de douleur. Il l’avait appris de la façon la plus dure qui soit. Avec Dustin, il essayait de ne plus avoir mal. Et pour le moment, cela marchait plutôt pas mal.
Sans poser de question, il suivit l’autre homme jusqu’à la table centrale. Machinalement, il adopta l’une de ses positions bizarres de gamin dans un restaurant – pliant l’une de ses jambes pour la caler sous l’autre cuisse, le dos bien droit. Un silence s’était installé, que l’air de concentration sur le visage de Dustin l’empêchait instinctivement de briser – alors il frotta consciencieusement ses paupières, tour à tour, pour essayer de se sortir complètement du sommeil. On s’occupe comme on peut – et là, c’était même on ne peut plus nécessaire. Quand il rouvrit un œil, ce fut pour tomber directement sur Dustin, la bouche entrouverte, s’apprêtant apparemment à dire quelque chose – et à la tête qu’il tirait, Joshua avait de quoi être légitimement inquiet. Il fronça un peu les sourcils – avant d’être coupé dans ses angoisses par la serveuse. Presque aussitôt, il reprit sa mine de garçon adorable, et, relevant la tête dans un grand sourire, annonça : « Un grand café. Très très grand, noir, s’il vous plaît. » - toujours pour se réveiller, tout ça tout ça. Il laissa Dustin passer sa commande à son tour, grosso modo du même ordre – un léger sourire aux lèvres à la mention du donut avec les « petits trucs en sucre de toutes les couleurs ». Une partie très stupide de lui-même ne put s’empêcher de penser qu’ils avaient au moins les mêmes goûts – et de s’en réjouir. Presque immédiatement, il se fustigea. La dernière fois qu’il s’était connement engagé dans une relation la tête la première, il avait fini avec le cœur en morceau, un héritage en moins et une dose d’anti-dépresseurs en plus de sa médication habituelle. Ca vous apprend à être prudent, ce genre de conneries.
« Hum… ouais. Je suppose. » avait-il répondu, l’air franchement perplexe, à la remarque de Dustin sur la décoration. Ils n’avaient jamais été versés dans tout ce qui était « small talk » - d’abord parce qu’ils avaient souvent d’autres chats à fouetter, qu’ils ne se voyaient sûrement pas pour enfiler des perles, et aussi que Dustin n’était pas du genre à se perdre nerveusement dans ce genre de sujets. Il baissa un peu la tête, sourcils froncés, quand Dustin finit par se reprendre de lui-même. Est-ce qu’il pouvait s’inquiéter ? Non parce qu’il s’inquiétait déjà en fait, permission ou pas. Non, vraiment, c’était un tantinet flippant tout ce bordel. Il ouvrit la bouche, s’apprêtant à poser la question qui lui brûlait les lèvres (à savoir « ça va ? »), quand il fut coupé net par la main qui s’était déposée sur la sienne. A ce moment, son cœur fit un truc bizarre. Du genre triple-salto-arrière, et s’il ne retira pas ses doigts de cette étreinte, il eut une espèce de mouvement bizarre, nerveux, les yeux rivés sur ce qui se passait sur cette table.
Il n’avait rien contre cela. Contre les gestes d’affection en public. Absolument rien. Il était le type le plus tactile du monde, bordel – on pouvait considérer que l’on était un ami à lui dès qu’il se mettait à vous faire des câlins en vous voyant, même si vous vous étiez quittés deux heures plus tôt. Mais ça. Ca, il n’avait jamais fait. Pas comme ça. Pas si ouvertement. Et il n’avait rien contre. Il n’avait juste pas l’habitude. Un an de relation avec Daniel avaient suffi à lui apprendre que ce genre de gestes était auréolé d’un grand « NOPE. NOPE, MAUVAIS PLAN. ». Et l’on ne tournait pas la page… comme ça. Alors il avait la gorge nouée. Et ses doigts, sous la main de Dustin, s’étaient presque instinctivement repliés, comme pour limiter le contact. Il s’en voulait un peu – mais c’était un réflexe, c’était comme ça.

FLASHBACK

D’abord intimidé, il avait fini par voguer aux quatre coins de la pièce – il avait dans le regard l’expression émerveillée de ceux qui n’ont pas de talent particulier et qui réalisent tout à coup celui d’un autre. Fasciné, il s’était penché au-dessus d’une table, parcourant des yeux un étalage de croquis. Il savait qu’il se démerdait plutôt pas mal quand il s’agissait d’instruments de musique – mais c’était tout, Dustin avait lui un réel génie, quelque chose qu’il n’atteindrait jamais. Mais loin d’être amer, il se sentait quelque part privilégié. Il souriait comme un con et il se sentait privilégié. Il avait vaguement l’air d’un chiot que l’on aurait lâché dans un environnement complètement inconnu, et qui trouvait ses marques centimètre après centimètre – sauf qu’il n’avait pas besoin de renifler chaque nouvel objet, merci bien. Il sentait le regard de Dustin posé sur lui, amusé, mais le laissant soigneusement faire tout ce qu’il avait à faire. Il passa devant une sculpture, eut un léger rire. « Ma sœur deviendrait complètement chèvre ici. Elle dirait que c’est énorme, te poserait un tas de questions et tout. » - oui, ce genre de choses le ramenait systématiquement à Judy, et alors ? Lui, il avait juste l’impression de foutrement rien savoir à ce sujet et un peu peur de passer pour un con – alors il se contentait de tourner autour de la sculpture avec son air de concentration intense. Il fit un pas en arrière, rit. « Quoique ouais, j’peux le dire aussi, c’est énorme. » Nouveau regard circulaire – il y avait trop de choses à voir, beaucoup trop de choses à voir. Et franchement, il avait l’air d’un gamin le matin de Noël, même sans avoir tout vu. « Totally awesome. » finit-il par lâcher.
Il fut coupé dans ses divagations par la voix de Dustin, qui s’éleva à nouveau. C’était à peine un « hum », un rien du tout, juste pour attirer son attention – alors il releva la tête vers lui, curieux. Et l’autre homme semblait… nerveux. C’était, alors, la toute première fois qu’il le voyait ainsi – ouais parce que quand ils étaient entrés ici il n’avait pas pu techniquement le voir, tout ça tout ça. « Hu. » dit-il doucement. « Il y a un problème ? » - il avait penché la tête, réellement inquiet. « Est-ce que je peux… te peindre ? »
Hum.
Pardon ?
Il fronça les sourcils, se redressant complètement. Il avait écarté les bras l’air de dire à la fois « hé, regarde-moi. C’est pas une bonne idée. » et « T’es sérieux là ? ». Il y eut un long silence. Il ouvrit la bouche. La referma. « Non, non tu veux pas faire ça. Je veux dire… t’as pas idée. Je suis hyperactif. Vraiment. Ca va être horrible. J’vais voir un papillon et je vais vouloir le suivre. Tu vas péter un plomb. Tu vas finir par me poignarder avec un pinceau et… » Dustin s’était rapproché, graduellement, de lui, avec un air de plus en plus fermement décidé et de plus en plus flippant pour l’autre homme. « …Va y avoir du sang partout, ça va être super sordide, et en plus tu m’as vu ? Je suis tout petit, tout maigrelet, tout moche, ça va être dégueulasse. Au moins laisse moi enlever mes lunettes. J’te verrai pas, je verrai que dalle d’ailleurs, ça sera moins flippant pour moi. NON ! Non. Non. Je veux pas faire ça. Je… » Une main s’était doucement posée sur sa poitrine, comme cette nuit là au Pim’s, et son cœur battait encore à la chamade, et les yeux, très très bleus, étaient terriblement proches des siens. « …Ok. Ok. Ok. Mais t’es fourbe. Et on me trucide pas, hein ? »

FIN DU FLASHBACK

Quelques minutes s’étaient écoulées, et il avait réussi à plus ou moins se détendre. Enfin. Relativement. En tous cas, sa main s’était décrispée légèrement, et son souffle avait repris un rythme normal – c’était plutôt cool, quoi. Et puis des deux, honnêtement, il avait l’air le plus à l’aise. Ouais. Tout à fait. Et ç’avait quelque chose de profondément perturbant de voir Dustin dans un tel état – il avait encore suffisamment de présence d’esprit pour s’en rendre compte, même si la légère caresse de l’autre homme sur sa main avait envoyé un autre signal d’alarme dans son cerveau. Les yeux dans ceux de l’autre homme, il attendait aussi patiemment qu’il en était capable – c’est à dire absolument pas. Il ressentit un certain soulagement quand la serveuse apparut à nouveau et que le contact fut rompu. Avec son sourire de jeune premier, il la remercia chaleureusement, recevant enfin une tasse de café si large qu’elle en avait suspicieusement des allures de bol – ce bonheur de vivre aux Etats-Unis, le pays où tout est trop grand. Diversion ! La saisissant à deux mains, il descendit une longue gorgée de liquide brûlant. Putain, ça allait mieux. Ca allait vachement mieux. Mais son regard n’avait pas quitté celui de Dustin, en attente de la suite. Dustin qui lui aussi semblait avoir trouvé une remarquable distraction dans sa commande. Ce qui ne l’empêcha pas, quelques minutes plus tard, de laisser tomber la phrase n°1 dans les phrases flippantes de la création.
« Joshua, faut qu’on parle. »
Avec les deux mains posées à plat sur la table, et tout.
Il reposa prudemment son bol, sans quitter l’autre homme des yeux. Il y eut un silence. Un très long silence. Et puis : « Hum. Tu… tu me fais un peu flipper là tout de suite, tu sais ? »  Fallait pas lui faire des coups comme ça. Il était sensible, comme garçon, l’air de rien.  « Sérieux, ça me fait vraiment flipper. Faut pas dire des trucs comme ça. C’est pas cool. » Il fronça un peu le nez, jeta un regard à droite, puis à gauche. Ouais. Il commençait à paniquer. « La dernière fois qu’on m’a dit ça, ça s’est très, très, très, très mal fini – et non y’a jamais assez de « très » » Il avait envie de se barrer. Enfin pas de se barrer. De partir en courant, techniquement. Il aimait bien faire ça, quand il avait peur. Et là, il avait peur. Et son cerveau allait vraiment super vite – il avait probablement encore oublié de prendre ses cachets en se levant, bien joué, très bien joué. Il inspira profondément. « J’te jure. Parle. Parle tout de suite ou je vais commencer à paniquer. » finit-il par dire, tout en s’efforçant de reprendre une respiration normale. Ouais. Il avait sûrement oublié de prendre ses cachets. Et il paniquait déjà. Un peu. Il fronça les sourcils. « …Tu veux plus me voir, c’est ça ? » finit-il par dire, du bout des lèvres. Et même s’il s’efforçait de ne pas s’attacher à Dustin, ça faisait déjà un peu mal. Parce qu’il n’aimait pas être abandonné. Pire que ça – il était terrorisé à l’idée d’être abandonné. Encore. Et là, il ne pouvait pas s’empêcher de penser à Daniel. Parce que quand ces mots là avaient franchi la bouche de Daniel, son monde s’était écroulé. Tout simplement. Et même si des années s’étaient écoulées, la douleur était encore présente – et poignante. Il posa lui-même ses mains à plat sur la table, en partie pour éviter de les crisper – et, inspirant profondément à nouveau, dit : « Vas-y. Vas-y, j’suis prêt. »

Il s’était, lentement mais sûrement, enfoncé dans sa chaise. Les jambes toujours bizarrement croisées, il avait eu l’air de se refermer un peu sur lui-même, les sourcils froncés, à l’affut d’une quelconque réaction de la part de Dustin – enfin d’une explication, surtout. A la place, il avait eu un grand rire. Et c’était tellement inattendu, tellement étrange de la part de la personne en face de lui, qu’un air d’incrédulité avait pris place sur son visage – avant d’être remplacé par un léger sourire, du genre que l’on ne peut pas retenir, même lorsque l’on est inquiet. Il grogna un petit « C’est pas drôle. », comme au moins en partie persuadé que l’on se moquait de lui. Mais la main de Dustin se reposa sur la sienne. A nouveau, cette crispation légère. Tant pis. Il avait autre chose à penser. Il avait détourné les yeux, s’efforçant de reprendre un air un tant soit peu renfrogné. Mais son regard, d’une façon presque incontrôlable, se reportait sur Dustin à certaines choses que l’autre homme disait. L’inverse. Désolé. Nerveux. Faudrait être fou, je suis pas fou, tout ça tout ça. N’empêche, il était au moins un peu vexé – et sûrement qu’il avait honte d’avoir été aussi expansif sur ses angoisses, il s’efforçait de leur faire fermer leur gueule d’habitude. Et puis il finit par soupirer, se détendant un peu à nouveau. « Ouais. » Un temps. « Ouais, je veux bien un donut. »

Et puis son cerveau perdit un peu le fil de la conversation (Ca lui arrivait souvent, en fait – peut-être qu’il n’aurait pas fait un si bon avocat que ça s’il avait continué le droit, c’est pas en suivant des papillons qu’on innocente des gens). Ou plutôt il entendit très bien ce qu’on lui disait, sans vraiment le comprendre tout à fait. A nouveau, il regardait Dustin avec son petit air incrédule pendant que celui-ci lui faisait son monologue. Il ne voulait pas le brusquer ? Il pensait qu’il allait trop vite ? Ce n’était pas tant qu’il allait trop vite pour Joshua, c’était surtout qu’il allait trop vite pour la cervelle de Joshua, qui avait un peu de peine à intégrer tout ce qu’elle était en train d’entendre. Ou alors elle avait un peu trop bien intégré. Quand les yeux de Dustin se relevèrent et se plantèrent dans les siens, il fut à peu près certain qu’il venait de rougir. Encore. Et ça devenait un tantinet chiant, ce genre de conneries devant l’autre homme – sérieux, il avait l’air d’une pucelle, et ça faisait une sacré plombe qu’il n’était plus une pucelle. Un puceau. Bref. Il voulait continuer à le voir ? C’était déjà un putain de soulagement, et il se rendit compte qu’il avait inconsciemment arrêté de respirer quand un soupir franchit ses lèvres. Stop. Il voulait vraiment continuer à le voir ? Enfin ç’avait été dit avec beaucoup plus de « vraiment » que ça. Il écarquilla un peu les yeux. Ouvrit la bouche. La referma. D’accord. Ok. Il avait compris. Et c’était une espèce de panique qu’il ressentait dans son ventre, tout à coup.
Parce que même si ce n’était absolument pas la conversation à laquelle il s’attendait, Dustin le ramenait tout de même des années en arrière. Il le ramenait à d’autres yeux, très bleus, ceux d’un homme passablement éméché qui tenait sa main dans la sienne, et qui lui répétait qu’il l’aimait, qu’il avait besoin de lui et qu’il l’aimait putain. Avant de l’utiliser. De le cacher. Et de l’abandonner, au moment où il en avait le plus besoin. Il inspira profondément, par la bouche, comme pour prendre une grande goulée d’air et récupérer un semblant de calme. Son regard avait quitté celui de Dustin et à nouveau, nerveusement, regardait autour de lui. Ses yeux s’étaient fixés sur la sortie et il était à rien, rien du tout de dire quelque chose comme « Je crois que j’ai besoin de sortir. Je crois que j’ai vraiment besoin de sortir ». Mais il essayait encore de respirer. Putain. Oui. La prochaine fois, il ferait gaffe de ne pas oublier ses médicaments. Son regard, anxieux, passa de la sortie à Dustin. Et, tout à coup, il sembla se rappeler que ce n’était pas Daniel, en face de lui. Que tout allait bien. Ou que tout avait au moins une chance, une chance immense, d’aller bien. Il eut un long soupir, celui d’un type qui tente à nouveau de se maîtriser, et finalement, dit : « Je crois que j’ai vraiment besoin d’un donut. »
Et d’arrêter de flipper pour rien, aussi.

*

« T’as de la peinture sur les mains », dit-il avec un rire un peu bête, rouvrant les siennes, couvertes elles aussi là où les doigts de Dustin s’étaient refermés sur les siens. Mais il retourna bien vite son attention sur l’autre homme – et, avec un air de concentration intense, il amena son index tout prêt de l’une des taches : « Ca, c’est la couleur de mes cheveux. », dit-il, avant d’arriver à une autre – « Et ça, du motif de mon t-shirt Duran Duran. ». Nouveau rire. Il releva la tête vers Dustin, avec un pur air d’imbécile heureux. « Pas si con, hein ? » - bon, ok, y’avait probablement toute une histoire de nuance et de mélange aussi, mais merde, il était loin de pouvoir prétendre s’y connaître. Mais ha ! Dustin n’en mènerait probablement pas plus large s’il lui demandait d’accorder un piano. Na. Enfin – loin d’être véritablement remonté à ce propos, il laissa doucement son doigt glisser le long de la paume de la main de l’autre homme. Il sentit distinctement le frisson qui parcourut ce dernier – et esquissa un sourire. Leurs regards se croisèrent. C’est nerveusement qu’il finit par dire : « Je suis désolé. Je sais que je suis chiant. » - mais il eut un rire léger, l’air de dire qu’il savait très bien que Dustin lui passerait son incapacité chronique à rester en place. Après tout, s’il y avait une chose que Joshua Orwell savait faire, c’était se faire pardonner. Il avait toujours été très, très fort à ce petit jeu là. Il haussa les épaules. « J’ai peut-être ou peut-être pas oublié de prendre mes médicaments. » - plutôt « peut-être » que « peut-être pas », en fait. Il lui fit son plus grand sourire. Il avait fini par saisir la main de Dustin dans la sienne, et effleurait du pouce sa paume levée vers le ciel, comme s’il essayait de faire une connerie du genre lire sa ligne de vie, ou sa ligne de cœur tant qu’à faire.
Il y eut un silence. Il savait que le tableau, encore inachevé, était à portée de vue – juste à droite, il n’avait qu’à tourner la tête, mais il avait un peu peur. Très peur, même. Il n’avait jamais eu de véritable estime de lui-même – de son physique, n’en parlons même pas. Ca ne l’empêchait pas d’être heureux, il fuyait simplement les choses qui le mettaient un peu trop en face de lui-même. Une peinture le représentant, c’était quand même vachement direct. Mais il avait autre chose à penser. Il releva les yeux, croisant ceux de Dustin. Bleus. Alors il enclencha le moulin à paroles : « Tu sais, moi j’trouve ça plutôt sexy cette histoire de peintre. Ca te va bien, les taches partout, comme ça. J’ai l’air d’un con assis sur mon tabouret, mais toi tu t’en sors franchement pas mal. » Un rire. Il laissa traîner une main sur le rebord du plan de travail, recueillant un peu de peinture, et s’amusa à la reporter de son majeur à son pouce. Et puis son regard oscilla entre ses doigts, et le visage de Dustin. Ses doigts. Le visage de Dustin. La seconde d’après, il avait apposé une trace rouge vif sur son nez – la minute d’après, il était poursuivi sans relâche par l’autre homme.

« J’ai des lunettes putain ! On tape pas un garçon avec des lunettes ! » - il se plaignait mais il riait aux éclats, se débattant dans tout les sens pour éviter les doigts de Dustin, recouverts d’un mélange étrange de brun-cheveux-de-Joshua et de rose-rouge-t-shirt-Duran-Duran – tant pis s’il avait techniquement abandonné la paire de lunettes sur une étagère au tout début de la course-poursuite improvisée. L’une des mains de l’autre homme s’était déjà refermée sur son poignet, et le jeu consistait dès lors à gigoter au maximum pour éviter la deuxième. C’était un peu perdu d’avance, concrètement. Ca ne l’empêchait toujours pas de rire. Après quelques minutes à ce rythme, la main sur son poignet avait décidé de devenir un bras autour de sa taille, le tenant fermement plaqué, de dos, contre Dustin, pendant que l’autre s’appliquait méticuleusement sur son visage, à pleine paume. Il y eut un temps. Un silence. Et puis un fou rire de Joshua, qui se mit à proclamer entre deux éclats : « Elle est sèche ! La peinture est sèche ! J’ai gagné ! » Il se redressa, à bout de souffle, toujours hilare – appuya sa tête contre l’épaule de Dustin, qui n’avait toujours pas desserré son étreinte. Quand il rouvrit les yeux, ce fut pour rencontrer les yeux très bleus et la peinture rouge sur son nez – définitivement toujours visible, malgré son absence de lunettes. Rire. Encore. Et puis le silence – qui se prolongea quelques secondes, avant que Joshua ne relève une main pour la glisser dans les cheveux de Dustin, et l’attirer à lui pour un baiser. Comme il s’approfondissait, il sentit le bras de l’autre homme se serrer un peu plus, le pressant contre lui – le bout de doigts atteindre le bas de son t-shirt, le remontant lentement mais sûrement. Il décrocha un sourire. « Longue pause ? » Comme s’il allait s’en plaindre. « Longue pause. »

*

« Je suis désolé. » dit-il après un silence, clignant des yeux dans le vide. Il avait à nouveau repris pleine possession de ses moyens, et une respiration plus ou moins normale. Et il avait aussi pleinement conscience qu’il avait eu l’air d’un con, au passage – franchement, s’il avait voulu être flippant il n’aurait pas pu faire mieux. « J’te jure, c’était pas une vengeance à la con pour m’avoir fait peur tout à l’heure » - il parvint à avoir un petit rire, quoi que légèrement nerveux. « J’ai juste… » comment dire ça ? « …pas beaucoup d’expérience pour ce genre de… trucs. » Rire. C’était un euphémisme. Il n’avait été techniquement en couple qu’une seule fois. Ca c’était fini avec un très hollywoodien coup de poing dans le nez, et un cœur brisé en tellement de morceaux qu’il n’avait toujours pas fini de les ramasser. Yeepeee. Il agita, brièvement, une main devant son visage en riant : « Là t’as le droit de te moquer de moi si tu veux. » Même si son rire à lui sonnait un peu faux, alors bon. « J’ai vraiment envie de continuer à te voir aussi. » finit-il par dire, peut-être un peu plus vite qu’il ne l’aurait voulu, comme s’il avait peur de ne pas réussir à prononcer ces mots. « Mais… » Il fronça les sourcils. Ce qu’il avait à dire était… compliqué. Il n’était même pas tout à fait certain d’être capable de le dire correctement. Salutations à son psychiatre, au passage. « …je sais pas comment on fait. » Il releva les yeux vers Dustin, et se rendit compte qu’il devait très vaguement passer pour un gamin de douze ans là tout de suite. Il inspira profondément. « La dernière fois que je suis « allé quelque part » avec quelqu’un… » Il s’arrêta net, et tout à coup éclata de rire, comme s’il cherchait lui-même à se distraite. « Putain ! Ca fait comme si j’avais suivi un pédophile dans un camion parce qu’il me proposait des bonbons, j’te jure, c’est horrible. » Il eut une légère moue. « Non ça m’est pas arrivé. Promis. Je sais que ça a l’air possible comme ça, mais non ça m’est jamais arrivé. » Oh mon dieu il s’enfonçait. Il pinça l’arête de son nez entre deux de ses doigts. Il détestait ça. Quand son cerveau partait en vrille, et que le putain de papillon qu’il se mettait à suivre il se l’inventait lui-même. 1) Parce qu’il avait l’air d’un con, 2) Parce qu’il était flippant pour un peu tout le monde. « Désolé. Désolé. Oh putain. » Il inspira profondément, dans un petit rire nerveux. Il posa ses mains sur la table. « Ce que j’essaye de dire… » On respire, Joshua, on respire. Allez. Calme. « On se cachait. On se cachait parce qu’il voulait se cacher et moi je… je supportais pas ça. » Euphémisme, bonsoir. « Et je suis plus capable de faire ça, c’était juste horrible, mais… mais je sais pas non plus ce que c’est de pas le faire, et ça me fait putain de peur, t’imagines pas. » Il inspira profondément. Baissa la tête, comme pour se reconcentrer. Recommença à rire, un peu. « Vas-y. Tu peux dire que je suis bizarre. Parce que je suis d’accord pour qu’on… aille quelque part. Mais je suis complètement paniqué là tout de suite, au cas où tu l’aurais pas remarqué. Mais juste… totalement. Alors tu peux changer d’avis. Faire comme si t’avais rien dit. » Un temps. Il releva le menton. « Je comprendrais. »