I’m selfish and I’m cold.

Cent soixante quinze jours. Aujourd'hui, Maël avait cinq mois et demi et huit jours. Du moins, ç'aurait été le cas si le bébé avait existé. Swann était loin d'être enceinte, pourtant elle améliorait son rôle de jour en jour. Elle y aurait presque cru elle-même, si elle n'avait pas, chaque soir, retiré de sous ses vêtements un faux ventre, avant de le remettre au réveil. Elle jouait son rôle à merveille, comme elle le faisait toujours. Mais elle n'appréciait pas cette couverture, loin de là, car le personnage était son opposé total, gentille, souriante, attentionnée, tout ce qu’elle n'était ni ne serait jamais. Autant dire que Isidora Bytchkov ne supportait pas Swann Speight. Elle aurait très bien pu passer pour une schizophrène lorsque l'on constatait qu'elle possédait deux personnalités si opposées. Peut-être étais-ce le cas, autrement comment se serait-elle débrouillée pour être si convaincante ? Au fond, peut-être surestimait-elle un peu trop l'être humain, lui attribuant une capacité de déduction dont il était dépourvu. Les deux étaient possibles. Les deux pouvaient également très bien se côtoyer. En y réfléchissant, cela importait peu que de connaitre le pourquoi du comment, tant que le plan fonctionnait et que le résultat était celui escompté...
Il devait être aux alentours de seize heures lorsque la blondinette ferma sa petite boutique. Elle avait encore dû supporter une clientèle indécise et conseiller des personnes auxquelles elle accordait autant d'importance qu'à la mort de quelqu'un. Aucune. Après avoir tourné la clé dans la serrure, elle fit volte face et il lui suffit de traverser la rue pour pénétrer dans le Café Hometown. « Bonjour ! », lança-t-elle joyeusement, songeant qu'elle ne comprendrait jamais comment les gens normaux faisaient pour être constamment ainsi, joyeux et souriants. Pour elle qui devait constamment se forcer à sourire, c'était incompréhensible. Prenant place sur une banquette, blondie s'empara du menu qu'elle consulta silencieusement en attendant l'arrivée d'un serveur se voulant charmant. Celui-ci commença par lui parler du bébé, elle réprima un soupir, le remplaçant par un sourire ravi: « Il est prévu dans trois mois et demi, j'ai tellement hâte... » Elle dû encore raconter qu'il s'agissait d'un garçon et qu'elle avait pour intention de le prénommer Maël car elle trouvait ce prénom absolument ravissant. C'est limite si le serveur n'applaudit pas ce choix, elle eut une envie folle de le frapper, qu'avaient-ils tous avec les bébés ! Lorsqu'il lui laissa enfin en placer une afin de commander, Swann demanda une gaufre et un lait russe. Evidemment, elle ne jurait que par les spécialités russes et ce depuis toujours...
« Et voici pour vous, mademoiselle. Bon appétit, et encore bonne chance pour le bébé. » Se retenir de le cogner, surtout garder son calme. La jeune femme lui décocha un nouveau sourire en le remerciant, puis se saisit de ses couverts, lui faisant muettement comprendre qu'elle souhaitait manger tranquillement. Elle avait beau ne pas être réellement enceinte, elle était affamée ! Alors qu'elle buvait tranquillement, Swann faillit recracher son lait russe en levant les yeux sur le nouvel arrivant au café. Elle déglutit difficilement, était-il forcé de se trouver toujours là où elle était ? Ne comprenait-il rien ou ne souhaitait-il pas comprendre ? Un jour, elle lui ferait véritablement passer l'envie de lui coller aux basques. Ce serait très amusant pour elle, tandis qu'il aurait, disons, mal durant quelque jours. Il s'approcha de sa table et s'assit face à elle. Légère grimace tirant ses traits. Sourire crispé. Soupir. « Te fatigue pas Charlie. » Reportant sa tasse à ses lèvres, Zele se désintéressait déjà de Charlie.