Saskia est ce genre de fille compliquée, incompréhensible par le sexe opposé, imprévisible au quotidienne ; sûre d'elle, la jolie rousse fait pourtant partie de ces jeunes femmes qui accumulent les bêtises dûes aux inattentions : tête en l'air, elle est capable d'omettre un rendez-vous capital, de dire "merci" à la place de "bonjour", ou d'appeler "poupée" son patron, parce qu'elle est trop bien lunée. Les tentatives répétées de tenter les talons un jour de pluie ou de suivre un homme cachée sous un foulard sur la tête et derrières des lunettes de soleil tout sauf discrets, ne sont pas à écarter non plus de la description de son petit caractère.
Son assurance cependant, lui vaut de commencer à se faire reconnaitre comme bonne journaliste : extrêmement curieuse, elle n'hésite jamais à se lancer dans une histoire, quelle qu'elle soit. Son goût de l'aventure et son inhibition perpétuelle lui ont déja valu quelques problèmes (goûter à la cigarette dans les toilettes des garçons à l'âge de 12 ans, ça vaut bien une petite convocation chez la principale + chez la psychologue scolaire + la psy tout court + des engueulades infinies de ses parents et d'être le crush du mec dégueulasse de deux ans son cadet). Elle est cette apprentie journaliste carrément chiante qui pose les questions qu'il ne faut pas, au mauvais moment, collante mais qui veut surtout, soûte que coûte, la vérité, et si possible, aider, même si ce n'est pas forcément son rôle.
Saskia a toujours été une fille relativement populaire. Sans prêter attention à ce que pensaient les autres d'elle, la rousse a tracé son chemin sans encombre au niveau social. On la trouve toujours rigolote et de bonne compagnie, attentive aux autres, toujours prête à tenter de nouvelles expériences. Lorsque l'on a besoin d'une mini-enquête pour savoir si son mec nous trompe, c'est à Saskia que l'on fait appel. Fine psychologue, l'apprentie journaliste aime que les gens se confient à elle ; le fait qu'elle reste loyale et respectueuse des confidences d'autrui aide à la chose, il faut bien l'avouer. Très intelligente et cultivée, grande lectrice, elle cache cette partie de sa personnalité parce que considère cela comme son jardin secret. La pièce de son appartement consacrée à sa collection inestimable de livres surprend souvent, même si on sait qu'elle ne rêve pas de devenir grande journaliste pour rien.
Courageuse et téméraire, elle n'aime pas parler d'elle. S'impliquer trop personnellement dans une affaire - par personnellement, on entend se confier, donner des informations sur elle-même - l'effraie. Elle aime l'idée d'être une vague fantôme, de regarder l'action et d'en faire partie de façon neutre, de trouver toutes les informations nécessaires à son opinion. En soirée, elle préférera aller vers les gens plus discrets, qui parlent moins mais pensent le plus. Elle aime l'idée d'imperfection, de ne pas correspondre à un standard, quel qu'il soit.
Il est donc difficile d'atteindre la jeune femme, de s'en faire une réelle amie. S'approcher d'elle en soirée est chose aisée puisqu'elle aura bu plus que de raison, rigolera à outrance, cherchera le plus beau mec de la soirée pour essayer de le séduire. Pour autant, elle n'est ni une fille facile, ni une fille froide. Espiègle, elle dira toujours ce qu'elle pense, aussi cruel cela puisse-t-il paraitre, mais avec beaucoup d'humour. On l'aime pour sa franchise bon enfant.
De plus, son imprévisibilité dans les conversations, les occupations et son originalité en général lui apportent ce piquant que certains aiment et d'autres détestent. Son esprit est toujours éparpillé, et elle pense toujours à trop de choses à la fois, si bine que parfois, ses phrases n'ont aucun sens, qu'elle passe du coq à l'âne en un temps record ou sur le chemin de la boulangerie, décidera d'aller enquêter sur les meurtres à répétition de poules à une soixantaine de kilomètres de là. Sa voiture regorge de post-its sur lesquels sont inscrits ce à quoi elle doit penser, mais elle ne les relit jamais, mais aussi de vieux gobelets dont l'odeur de café envahit le véhicule. En cela, elle fait un petit peu illuminée du coin, et il est difficile de la cerner. Mais elle n'est pas si folle, au fond. Jusque un peu trop originale, et pas assez discrète, parfois.
Enfin, il n'est pas rare, lorsque la jeune femme pense que personne ne la regarde, de l'apercevoir se perdre dans ses pensées et d'afficher un regard triste, presque trop sombre pour son visage représentant la fraîcheur et la folie joyeuse de la vie. Certaines blessures ne se referment jamais, et cette part d'elle reste quasi invisible mais existe bel et bien pour quiconque se penchera sur la question et insistera avec tenacité pour écouter, au lieu de parler.
Intro (This is all yours) ; ALT-JMargaret et Allain Reynolds se sont mariés un samedi pluvieux de mai à Cardiff. Installés depuis plusieurs années déja dans la petite ville et station balnéaire de Penarth, ils ont choisi le printemps 1985 pour s'unir à la St John The Baptist City Parish Church. La belle blonde et le grand roux toujours souriant s'unissent enfin devant leurs familles respectives, heureuses de voir l'évènement se produire enfin. Les deux jeunes mariés se connaissent depuis le lycée, ils ont pratiquement grandi ensemble. Inséparables, ils sont le modèle de la réussite amoureuse et professionnelle : il est banquier, elle est institutrice, et tous les deux sont doués dans leur domaine. Ils finiront leur nuit de mariage sur la baie de Cardiff ; s'embrasseront une dernière fois avant leur premier jour de mariés avec pour seule compagnie le bruit des vagues qui s'écrasent sur la côte qu'ils chérissent tant, alors que le soleil se lève sur leurs mines fatiguées mais heureuses.
Quelques jours à peine après cet événement, ils reprirent leur quotidien, comme si de rien n'était. Les petites imperfections de la vie refirent surface.
Une histoire ne peut jamais être parfaite, alors Margaret commença à voir ses relations avec ses parents s'envenimer. Ils n'acceptaient plus sa position de "simple" institutrice. Elle s'était mariée, et devait aspirer à autre chose maintenant. Ce métier dans lequel elle semblait pourtant tant s'épanouir semblait peu à peu complexer la famille de la belle blonde, alors que son frère faisait le tour du monde en tant que parfait homme d'affaire et père de famille bien rangé, et que sa soeur cadette sortait d'une prestigieuse école de commerce après un an d'études en Australie.
Alors lorsqu'Allain se vit proposer une mutation aux Etats-Unis, ils n'hésitèrent pas bien longtemps. Une occasion de voyager, de partir loin, d'oublier les problèmes, de changer d'air. Lui aussi serait bien content de quitter le cocon familial. Eux qui avaient toujours tout vécu à deux, avec leur famille comme soutien permanent, avaient besoin de se retrouver en tant que couple, loin de toute pression.
Il faut bien l'avouer, au final, cette décision relevait plus du coup de tête qu'autre chose ; loin d'être une décision mûrement réfléchie, ce départ leur apporterait autant de bien que de mal, même s'ils ne le savaient pas encore.
Alors l'hiver suivant, ils partirent vers d'autres horizons.
Huntington Beach.
Autant dire que par rapport au Pays de Galles, c'était un dépaysement total. Leur accent ne passa pas inaperçu. Leur peau pâle et leurs cheveux blond vénitiens non plus.
Ils s'installèrent dans cette petite maison, Allain prit son poste de banquier dans sa ville d'adoption, Margaret, elle aussi, retrouva cet emploi qui avait soulevé tant de débats. Les enfants, au début, rigolaient de son accent étrange, et avaient du mal à la comprendre. Pour Allain, ce fût à peu de choses prêt la même chose : ses interlocuteurs lui faisaient gentiment remarquer qu'il n'était pas d'ici.
Personne n'était méchant avec eux. On était curieux, surtout. Pourquoi être partis de chez eux?
Ils se firent des amis parmi leurs collègues. Des américains, qui leur firent visiter les environs. Ils firent des soirées comme à leur jeunesse étudiante ; ils buvaient, ils riaient, ils oubliaient leurs familles, la pression de devoir vivre une vie sans connaitre autre chose.
Et parfois, le soir, lorsqu'ils se retrouvaient après une longue journée de travail, ils se congratulaient avec un fort accent gallois, se regardaient, les larmes aux yeux, et se rendaient compte que leurs rêves étaient devenus réalité. Ils étaient devenus réels, des personnes, existantes par elles-mêmes, dans un nouveau chez-eux. Et ils s'aimaient comme au premier jour.
Rien ne pouvait être plus parfait.
Access Granted ; The AlgorithmL'année 1987 arriva à grands pas.
Leur accent commençait peu à peu à s'évanouir alors qu'ils s'intégraient dans leur nouvelle ville. Ils en avaient presque oublié le Pays de Galles, comme un lointain souvenir. Pourtant, il fallait bien l'avouer, parfois, ils rêvaient de la côte, de leur petite ville, des vagues froides et de l'humidité galloise. Ils savaient que leur nouvelle vie les changeait et leur offrait bien des cadeaux, notamment ceux de l'indépendance et de la liberté. Mais le quotidien s'installait à nouveau, loin de chez eux, et indépendamment l'un de l'autre, ils savaient que cette vie ne durerait pas.
Allain de son côté, sentait la distance avec sa famille le ronger peu à peu. Lui qui avait toujours été proche de ses parents et de sa soeur, sentait une partie de lui s'évanouir dans le passé, se couper de la réalité. Il ne se sentait plus lui. La ville américaine lui plaisait toujours, ses amis étaient formidables et sa femme illuminait toujours sa vie mais... il manquait quelque chose. Ce qui faisait son identité. L'éternel dilemme de l'immigré : qui est-il?
Quant à Margaret, elle savait qu'elle avait fuit sa famille sans régler les problèmes et que c'était loin d'être la solution. Elle souffrait de plus en plus de ne pas être acceptée comme digne fille de sa famille. Elle ne leur parlait plus du tout. Quelques contacts avec sa fratrie la rassurait sur la santé de ses parents. Mais ne plus entendre leur voix quasi quotidiennement, ne plus rire avec eux à table malgré leurs différents qui leur avait fait hausser la voix quelques minutes avant, tout cela lui manquait et laissait un vide en elle.
Pourtant, à l'été 1986, ils durent faire à nouveau un choix.
Margaret Jane Reynolds était enceinte.
Ils auraient pu choisir ce moment retourner chez eux, régler leurs histoires, recommencer à zéro à l'endroit où ils avaient grandi tous les deux, et finalement, là où ils s'étaient construits. Mais ils n'en firent rien. Cet enfant, lui, appartenait à Huntington Beach.
Margaret essaya d'annoncer la nouvelle à ses parents ; ils ne l'écoutèrent pas. Secrètement, elle espérait encore qu'ils s'en souciaient, au Pays De Galles, qu'ils lui accordaient une petite pensée entre son frère et sa soeur, eux qui avaient si bien compris la vie.
Sa grossesse se passa sans aucune embûche particulière. Ils voyaient encore leurs amis, qui les félicitèrent chaleureusement. Ils installaient petit à petit la chambre de leur future fille, se réjouissant de la nouvelle venue dans la famille. Puisque voilà, ils allaient avoir leur propre famille. Plus besoin de ceux qui ne les acceptaient pas. N'est-ce pas?
Allain rentrait, les hivers, avec des petits cadeaux pour sa femme. Du thé, du Bara brith, du Laverbread, des petits gâteaux gallois. Il lui rappelait avec amour que le Pays de Galles faisait partie du sang de leur enfant, qu'il fallait en être fier. Elle le regardait avec amour mais malgré elle, tristement. Il l'embrassait sur la joue, puis sur les lèvres, et s'asseyait contre elle dans le canapé avant de la serrer contre lui. Leur avenir devait être plein de promesses. Comment en étaient-ils arrivés là, à souffrir de cette indépendance, tristes d'attendre leur premier enfant, celui qu'ils avaient tant attendu?
Ils finirent par se réjouir de cette arrivée donc ; leur famille était leurs amis, qui les couvaient comme jamais. Ils avaient tous le sourire, lors de ces repas bon enfants, de ces soirées au cinéma. Ils buvaient moins, mais gardaient tous cette âme d'enfant qui les protégeait de la réalité de la vie.
En avril, le 18 exactement, Margaret fut amenée à l'hôpital pour mettre au monde son premier enfant. Son mari, Allain, complètement paniqué, réussi tout de même à l'y conduire, les larmes aux yeux, essayant de joindre ses propres parents - tant pis pour la facture de téléphone. Sa femme pleurait, et jamais il ne saurait si ce fut de douleur physique ou parce qu'elle aussi, aurait aimé pouvoir avoir le soutien de ses parents.
Saskia Lily Reynolds poussa son premier cri en début en soirée. Ses parents, les larmes aux yeux, la serrèrent contre eux. Allain rappela ses parents pour leur faire entendre la douce voix de sa petite fille.
Il ne pleura que davantage lorsque ses géniteurs lui rendirent ses larmes en bégayant quelques mots incompréhensibles en gallois. Ils partageaient leur bonheur. Margaret était épuisée, mais belle, avec sa fille contre elle. Et surtout, leur fille était en bonne santé et avait des yeux clairs, ceux de sa maman, et le regard curieux. Elle était vive, elle était parfaite. Sa peau pâle était la même que ses parents.
Les parents d'Allain leur rendirent visite pour les aider à gérer les nuits difficiles de Saskia et leur travail. Ce fut un enchaînement de moments heureux. Ils avaient tout de même des parents avec eux. De bons grand-parents, heureux d'être utiles, de revivre la joie des premiers mois d'un être humain.
The Flute Tune ; J-Cut & Kolt SiewertsSaskia grandit dans un climat d'amour et de grande protection. On ne lui parlait que très peu de ses grand-parents maternels, mais Papy et Mamy Reynolds faisaient partie intégrante de sa vie. Ils s'achetèrent un appartement proche de la maison des deux jeunes parents. Elle leur rendait souvent visite, après l'école, les week-ends. Elle adorait sa Mamy. Mamy Crystin était douce et gentille ; elle aimait cuisiner et lui parler du Pays de Galles et de Glamorgan. Elle lui racontait à quel point son papa était surexcité lorsqu'il avait son âge. Elle l'aidait à faire ses devoirs et lui remplissait son verre de lait tant qu'elle travaillait, alors Saskia faisait des rédactions à rallonge. Il faut dire qu'elle aimait déja écrire, cela faisait vagabonder son esprit.
Son temps, elle le passait entre ses grand parents et les escapades inquiétantes dans la ville. Très jeune, elle développa un goût pour l'aventure, quitte à se mettre en danger. Elle entendait tellement parler du Pays de Galles qu'elle cherchait à trouver le merveilleux, un bout de Penarth à Huntington Beach. Elle prenait sa petite boite secrète de gateaux gallois et partait se balader dans des endroits qui lui étaient totalement inconnus. Oh, on la regardait étrangement, souvent, cette petite rousse qui levait toujours les yeux, marchait lentement, en permanence émerveillée par les bâtiments, aussi miteux soient-ils, les rues, les gens. Elle s'arrêtait devant des boutiques de jouets, mais aussi devant des bars ; la faune y était tellement différente selon ces deux endroits que cela la rassurait. Autre chose était possible.
Puis elle rentrait faire un bisou à ses grand parents, et traversait les deux pâtés de maisons qui la séparait de son chez elle, sa jolie petite maison, sa maman triste mais si attentionnée envers sa petite frimousse, et son papa. Oh, qu'elle l'aimait aussi, son papa!
Il lui bricolait des jouets en bois lorsqu'il avait le temps. Et puis il était fort en calculs, son papa, alors il essayait de lui expliquer, même si elle n'était pas du tout une matheuse. Son papa lui promit de l'emmener au Pays de Galle.
Alors pour ses douze ans, il l'autorisa à sécher l'école, et ils prirent l'avion avec Papy Tristan et Mamy Crystin. Margaret, elle, n'avait pas l'autorisation de sécher les cours en plein mois d'avril, alors elle resta seule dans la maison, et cela lui dit du bien. Elle ne se voyait pas retourner dans son pays natal ; trop de souvenirs y étaient ancrés, et elle avait réussi à se reconstruire tant bien que mal grâce à sa vie de famille.
Pour la petite rousse, ce fut le coup de foudre. C'était comme Mamy Crystin l'avait décrit, en plus beau! Avec son petit appareil photo jetable offert par son Papa, mini Saskia courait partout, regardait tout, s'émerveillait de chaque bruit, chaque nouvelle odeur. Le son des vagues étaient plus agréable que les chansons douces qu'on lui avait fait écouter jusque là. L'accent gallois était extraordinaire. Il donnait à ses utilisateurs une apparence différente des Américains, alors qu'ils étaient aussi humains !!
Et puis la nourriture était sublime.
Et surtout, elle découvrit la maison où son Papa avait été si agité avec ses propres parents. Sa chambre était remplie d'avions en carton accrochés au plafond, et c'est dans cette pièce que la petite Saskia dormit les deux semaines où ils se raccrochaient aux racines de la famille.
Et ces deux semaines restent encore aujourd'hui comme les plus belles de sa vie. Un terrain de jeu qui l'entourait, l'inconnu qui s'offrait enfin à elle. Ces deux semaines furent sans doute qui l'ont le plus construite, plus que toutes les épreuves qui suivirent.
Chains ; GallowsA 13 ans, elle est toujours au collège. Toujours populaire, elle prend de plus en plus ses marques avec les relations sociales, avec la capacité à plaire à autrui, à écouter quiconque voudra bien lui parler. Elle fait rire, son caractère curieux et indiscipliné plait aux élèves. Aux profs, moins, et pourtant, ils disent d'elle qu'elle est très intelligente et que ses capacités en rédaction sont impressionnantes. Elle, au fond, elle s'en fou complètement, ce n'est pas comme si elle pensait déja à son avenir. Elle est jeune, et sa fougue n'a pas de limite. Elle fait partie d'un groupe d'amis qui sort faire du skate dans des endroits improbables le soir et se fait engueuler par ses parents lorsqu'il rentre alors qu'il fait nuit depuis trop longtemps déja.
Saskia devient une adolescente. Toujours à la tignasse rousse, la jeune fille se transforme peu à peu en femme. En une belle jeune fille. Les garçons lui courent un peu autour, parce qu'elle s'en fou. Plus elle regarde ailleurs, plus ils rappliquent.
Tout cela ne l'intéresse pas. Pas encore. Elle a encore cette âme d'enfant qui veut faire des bêtises, rêver, tout essayer. Sauf les garçons, ils sont trop bêtes. Elle va de moins en moins voir Mamy Cristyn et Papy Tristan, elle n'a plus trop le temps, et puis c'est plus marrant avec les copains. Les histoires de Mamy Cristyn, elle les connait par coeur. Elle veut en vivre d'autres. Innover. Chercher, fouiller, apprendre, rigoler, pleurer. Partir.
Les années passent peu à peu. Elle s'éloigne de ses parents, se rapproche de ses amis. Pourtant, elle n'est pas spécialement proche d'eux. Ils lui parlent, elle écoute. Mais elle aime lire. La nuit. Dans le silence d'un autre monde. Pendant que les autres rêvent, Saskia vit. Son esprit est dans sa chambre, et partout à la fois. Parfois, elle sort même de sa couette et sort s’asseoir sur les marches, derrière sa maison, pour regarder les étoiles. L'hiver, l'été peu importe. Elle lève sa petite tête d'adolescente, la lune se reflétant sur ses cheveux couleur feu, et laisse son regard s'évaporer dans la nuit.
A l'âge de 16 ans, ce ne sera plus le ciel à lui seul qui le fera rêver. Ce sera le regarder avec un autre. Sa solitude sera rompue par un certain Noah. Elle ose enfin se confier à quelqu'un. Lui parler de ses livres, de ses escapades nocturnes, elle parvient à le faire. Elle l'écoute, comme elle si bien le faire, mais elle s'exprime elle aussi. C'est le plus beau cadeau qu'on puisse lui faire qu'il lui offre là : la mettre en confiance. Saskia ne sait pas à quoi c'est dû, si c'est son regard perçant, comme s'il lisait à travers elle, ou si c'est la façon qu'il a de faire battre son coeur contre le sien, mais ça marche. Ils trainent tous les deux. Elle lui présente ses parents.
Il aime le caramel, caresser les cheveux de feu de Saskia, regarder les étoiles avec elle, lorsqu'elle rigole à ses blagues et sursaute devant un film d'horreur. Il adore Star Wars et le prof de physiques, parce qu'il porte des pantalons de couleur. Et par-dessus tout, il aime serrer Saskia dans ses bras, et mettre son coeur contre le sien.
Elle, elle apprend à aimer quelqu'un. A passer sa main dans ses cheveux, à prendre discrètement sa main dans la rue, à se blottir contre lui quand ils s'étalent sur le canapé. La vie n'est plus la même pour elle. Il est grand, fort, intelligent, et surtout... oui, surtout, il l'a mise en confiance.
Le novembre de ses dix huit ans. Saskia est avec Noah depuis environ deux ans. Aujourd'hui ils ne se sont pas vus, mais elle doit le voir ce soir.
Elle jette son sac, comme à son habitude, dans l'entrée dans la maison. Elle marmonne un pâle bonjour à sa mère, en train de corriger quelques cahiers dans la cuisine, puis va se poser devant la télé en attendant Noah.
Une heure de débilités profondes à la télé plus tard, Allain rentre lui aussi à la maison. Il n'embrasse plus sa femme depuis longtemps, mais lui demande comment elle va. A son tour de marmonner quelque chose d'inaudible.
La rousse se lève pour aller se chercher un verre de lait et son téléphone portable. Elle sort un vague
"salut" à son paternel, qui est en train d'expliquer pourquoi il ne peut pas rester à manger ce soir :
" Je dois étudier un contrat au bureau, je repars dans une heure, je suis juste passé voir mes petites femmes..." Regard noir de Margaret.
"Quoi encore? Tu ne crois pas que je préférerais rester là, tranquille comme toi, non?"" Et qui c'est qui va encore veiller sur Sassy, à se demander si elle a décidé de fuguer cette nuit? "Allain allait hausser le ton à son tour, mais Saskia réagit la première.
" On dirait des gamins, sérieux... "Alors qu'elle voulut partir d'un air agacé, son pull en laine se coinça dans le tiroir des couverts. Le contenu de son verre s'étala sur les cahiers de sa mère, qui se leva aussitôt pour éviter de se faire elle-même recouvrir de lait, et continua à hurler.
" MON DIEU, QU'EST-CE QUE J'AI FAIT POUR MERITER CA???!!! "Elle sortit en trombe de la pièce. Saskia était restée dans la même position, son pull toujours coincé dans le tiroir, la jambe en équilibre, prête à avancer comme à reculer, en stand-by. Allain lui fit un petit sourire triste, l'embrassa sur le front et partit rejoindre sa femme.
La jolie rousse ne sut jamais exactement ce qu'il s'était passé par la suite. Elle revit uniquement le visage fermé de son père lorsqu'il quittait la maison pour aller passer plusieurs heures de la nuit sur son travail. Elle mangea avec sa mère, qui attendait sans doute des excuses, mais Saskia, bornée, essaya de la calmer de la mauvaise façon, ce qui lui valut deux ou trois critiques avant la perte du dialogue.
Ce n'est que vers 22H que Noah donna enfin des nouvelles. Il sonna chez elle, et c'est avec un grand soulagement qu'elle lui ouvrit la porte.
" On va faire un tour? "" Avec plaisir !! "L'adolescente attrapa brutalement sa veste et claqua la porte derrière elle. Enfin, il était là. Ils allaient pouvoir regarder les étoiles.
Ils marchèrent en silence un moment. Elle tournait de temps en temps les yeux vers lui. Il avait la même expression que son père. Un mélange de tristesse, de déception, d'énervement, de désespoir.
Et ce parallèle entre les deux hommes de sa vie la marqua énormément. Aujourd'hui, encore, elle pourrait vous dire à quel point l’enchaînement de ces deux scènes restait gravé dans sa mémoire. Pourtant, ses parents en avaient déja eu, des accrochages du genre. Mais ce soir-là en particulier la marqua, car elle savait que c'était ce soir-là que les étoiles n'auraient plus jamais la même saveur.
Ils s'arrêtèrent sur un banc. Noah s'assit, le dos courbé, le visage tourné vers ses genoux. Saskia vint se mettre en face de lui. Elle savait. Elle savait qu'il se passait quelque chose, qu'elle ne voulait pas entendre ce qu'il avait à dire, mais elle savait aussi qu'elle le devait.
Et au fond, elle savait qu'elle avait toujours su. Qu'ils ne devaient pas rester ensemble. Que ce monde ne leur appartenait pas. Qu'ils vivaient un rêve depuis deux ans.
" Mon père est muté. Je pars pour Johannesburg dans un mois. " Devant le regard vide de Saskia, il continua :
"Il n'y a pas de solution, je suis obligé de partir avec eux. Ils ne veulent pas que je reste ici sans eux. "Après quelques instants de silence, elle finit par répondre avec un petit sourire :
" Oublie pas ta crème solaire, parce qu'avec ta peau de vampire... ".
Puis elle déposa un baiser sur ses lèvres et vint se serrer contre lui. Elle ne se laisserait pas abattre. Malgré elle, elle avait toujours su que ce genre de nouvelle allait venir. Elle avait profité. Elle le ferait encore pendant un mois.
Words of Amber ; Olafur ArnaldsSaskia réapprit à dompter sa solitude. Elle se retrouva des potes, commença la fac, se refit des amis. Toujours attractive, elle plaisait toujours autant et on appréciait sa compagnie; son petit grain de folie n'était que revenu de plus belle depuis qu'elle était à nouveau seule face à la vie. Elle avait beau être encore certainement amoureuse de Noah, elle ne faisait même pas attention à cette problématique, trop occupée à vivre sa vie, à profiter de l'instant présent, à savourer ces premiers mois d'étudiante. Oh, elle n'était pas une étudiante modèle, c'est certain. Elle faisait trop la fête. Et pourtant, certains professeurs appréciaient son esprit original, sa façon de tourner les choses. Cette jeune étudiante en journalisme excentrique avait de l'avenir.
Les premiers examens venaient de passer lorsqu'elle le sentit pour la première fois. Son nouvel ennemi.
Des fourmis presque imperceptibles dans sa main et sur son flan gauches. Puis dans son bras. Des fourmis qui ne voulaient pas partir. Ca ne l'inquiéta pas, elle en avait déja eu, il s'agissait de bêtes problèmes de circulation.
Seulement une nuit, cela la réveilla. Son côté gauche semblait engourdi. Allongée droite, ou recroquevillée sur elle-même, cela ne changeait rien. Elle ne paniqua toujours pas, attendant de se rendormir.
Quelques semaines plus tard, elle sortait de sa voiture lorsque sa jambe gauche décida de ne plus la porter l'espace d'un instant. Elle se plia sous son poids avant que la jeune femme ne reprenne son contrôle. Encore une fois, elle ne s'inquiéta pas, elle était trop pressée.
Ce n'est que lorsqu'elle en parla à son médecin qu'elle commença réellement à se poser des questions. Son médecin fit une drôle de tête, lui prescrit quelques compléments alimentaires qu'elle prit avec soin. Par précaution, il lui fit faire une IRM cérébrale. On détecta quelques petits soucis d'hypersignaux, mais rien de bien inquiétant. Mais il fallait mieux aller voir un neurologue, juste pour être rassurée.
Passionée par ses études, elle mit un moment avant d'obtenir ce fameux rendez-vous. Ses parents le redoutaient, et elle, elle y allait comme lorsqu'elle sortait de chez elle lorsqu'elle était enfant : dans l'optique de vivre de nouvelles aventures.
Et elle ne savait pas encore qu'elle allait, pour le restant de ces jours, vivre la pire aventure, interminable et sans merci.
" Mademoiselle, rappelez-moi votre âge? "" Vingt ans. " " Donc des picotements, des engourdissements? Est-ce qu'ils passent? "" Je sais pas... non, je crois pas..."" Très bien, levez-vous mademoiselle, nous allons faire quelques tests pour nous rassurer. "Elle se leva. "Nous rassurer". "Juste pour être rassurée". Pourquoi fallait-il être rassuré? La peur de l'imprévu, n'était-ce pas ce qui nos rendait humain? Cette capacité à être effrayé du contact de l'autre, de l'imprévu, de la mort, de la maladie, de l'incalculable, de l'infini?
Pourquoi fallait-il tout déterminer, savoir de manière mathématique? ne pouvait-on pas les laisser, elle et ses petites fourmis? Non? Elles ne l'embêtaient pas tellement.
Il lui prescrit tout de même une ponction lombaire. "Histoire de se rassurer".
Aussi vite que possible, elle effectue donc ce prélèvement.
Après être restée bloquée du dos, et donc sans allée en cours, pendant presque une semaine, elle arrivait agacée chez le médecin qui allait la mettre face à ses résultats. Ca n'était plus vraiment une aventure pour elle, il n'y avait plus de quoi regarder partout, être heureuse de découvrir le monde. La jeune femme subissait juste la peur qui submergeait le monde.
Elle s'assit sur le fauteuil, face à ce neurologue à l'air sage mais froid. Il ne souriait pas, regardait des feuilles qu'il manipulait dans ses mains abimées par le temps. Saskia regarda les murs autour d'elle. Des paysages. Un bâteau, peint sur une ligne d'horizon. Elle se perdit à rêvasser de lui. Ce fut le premier mot du neurologue qui la sortit de sa torpeur.
" Bon... " Il releva la tête. Elle tourna la sienne vers lui. La confrontation commençait.
" Je suis restée bloquée du dos une semaine !! Et ma mère ne voulait même pas aller me chercher un Starbucks, non mais vrai... " répondit-elle du tac au tac mais avec humour. Elle s'en foutait tellement de tout ça... Mais pas son interlocuteur, qui la coupa.
" Mademoiselle! " fit-il pour qu'elle l'entende. Saskia haussa un sourcil mais se tut.
" J'ai eu vos résultats. Ils ne sont pas rassurants. "Elle leva les yeux aux ciels. On voulait tellement "la rassurer" que maintenant ils faisaient peur. Bien joué, les gars.
" Vous avez bel et bien une une atteinte meningée inflammatoire. " La rousse leva les mains de chaque côté de sa tête, affichant sur son visage, un questionnement lasse.
" Il semblerait que vous soyez victime d'une pathologie démyélinisante. " Ne comprenant toujours pas de quoi il s'agissait, excédée et inintéressée, elle rigola et se leva.
" Ah oui maintenant, c'est plus clair. Excusez-moi, j'ai un devoir à rendre demain, et je ne l'ai pas commencé, je suis sortie hier soir, j'avais la gueule de bois ce matin et ... "Il aimait ça, le vieil homme froid, lui couper la parole.
" Vous avez la sclérose en plaques. "Il restait imperturbable, ne bougeant pas d'un poil alors que la demoiselle se baissait pour ramasser son sac, près du fauteuil. Il savait très bien ce qui allait se passer. Et ce fut ce qui se passa. Elle se stoppa net dans son élan.
Mais la suite, il ne l'avait pas prévue.
" Et qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse? VOus n'avez pas entendu ce que je viens de vous dire? J'ai un devoir, j'ai pas dormi cette nuit, je vais vous vomir dessus! "" Vous ne savez pas de quoi il s'agit, n'est-ce pas? "Elle soupira comme une enfant qu'on venait de disputer, et se laissa à nouveau tomber sur le fauteuil.
Et alors qu'il lui expliquait vaillamment les histoires de poussées, de paralysie possible, des symptômes, des effets à long termes, des traitements qui pourtant ne soignait pas grand chose, des anti-douleurs, des insomnies, des rendez-vous qu'ils devaient prendre dès maintenant pour mesurer l'avancement de la maladie "parce qu'elle est différente pour chacun" (comprendre :
on ne sait pas grand chose dessus alors on ne voudrait pas que vous creviez sur le chemin de la fac), la jolie rousse regardait à nouveau ce beau tableau. Cette peinture représentant tellement de libertés et de fraicheur. Elle sentait presque le vent sur son visage, elle entendait presque le bruit des vagues. Comme celui du Pays de Galles. Dans sa tête, elle rentrait chez elle, et l'horreur de la maladie ne l'empêcherait jamais de vivre. Alors pour contrer la maladie, elle décida qu'elle n'existerait pas.
The Sadness Will Never End ; BMTHLorsqu'elle rentra chez elle, Saskia Reynolds annonça à ses parents qu'elle n'avait rien, que tout allait bien, que le rendez-vous s'était bien passé. "Pour les rassurer". Elle monta s'enfermer dans sa chambre, s'allongea sur son lit, les yeux tournés vers le plafond, mit en route un vieux vinyle abimé de Chopin, et laissa son esprit tourner, seul, trouver une solution.
Au bout d'une heure, elle était toute trouvée. Elle n'était vraiment pas malade, le rendez-vous s'était bien passé. Les restes d'alcool de la veille et la fatigue devaient jouer. Et puis elle avait ce foutu devoir à finir.
Elle n'en parla à personne. N'acheta même pas les médicaments.
Le lendemain, lorsqu'elle rentra des cours, ses deux parents vinrent frapper à sa chambre. Penchée sur un projet, elle se retourna, l'air ailleurs, vers les deux Gallois. Il s'assirent sur son lit, se regardèrent, et sa mère commença à parler.
" Il faut qu'on te parle, Sassy. On ne voulait pas te donner du soucis en plus, avec ton neurologue mais, ... "" ... mais on a décidé de se séparer. "Elle haussa les sourcils, attendant la suite. Ce n'était pas possible Ils se disputaient, et ressemblaient à deux enfants, mais cette imperfection dans leur relation était plutôt saine, non?
" Tu vois bien qu'on se dispute tout le temps. Et les histoires avec mes parents enveniment les choses depuis des années. Je dois rentrer, et ton père a sa vie ici. Papy Tristan et Mamy Crystin habitent presque en permanence ici maintenant pour être avec nous, on ne va pas les abandonner ici. Mais je dois retrouver tes autres grand-parents. "" Ne tourne pas autour du pot, Marge. " Il se tourna vers sa fille :
" Ton grand-père maternel est très malade. Ta mère va rentrer, aider là-bas. Papy Tristan et Mamy Crystin vont rentrer avec elle pour l'aider à tenir le coup si ça se passe mal. Mais il reviendront, c'est promis. Je vais prendre soin de toi, t'en fais pas, Sassy...Dépassée par la nouvelle, elle décida de fuir elle aussi. Chez elle. Dans ce tableau. Au Pays de Galles. Parmi les siens. University of Glamorgan. Elle y réussit son master et sa vie sociale.
On l'adora là-bas. La petite américaine revenue au bercail. Ses grand-parents paternels la dorlotaient, elle prit plaisir à les retrouver comme lorsqu'elle était enfant. Elle décida de ne pas rencontrer ses autres grand-parents, qui avaient encore du mal à pardonner le départ de Margaret aux Etats-Unis.
Elle passait ses soirées et nuits entre les bars, les falaises et le Penarth Pier. Le vent dans ses cheveux et le bruit de l'éclat des vagues la faisaient éternellement sourire. Sa capacité à rêver, à saisir le monde à sa façon n'en était que décuplée. Elle découvrait son pays d'origine, sans sa famille mais avec une nouvelle liberté, avait son propre chez elle, de nouveaux amis, de nouveaux jeunes hommes qui lui tournaient autour.
Elle commença, pour un projet universitaire, à tenir un blog où elle écrivait quotidiennement ou presque des articles. Sur la culture, les faits divers, les informations de la fac... Et elle y prit plaisir. Elle fit quelques excursions dans des lieux historiques, compara les situations galloise et américaine, afin d'alimenter cette page web, des interviews, elle demanda des conseils à des profs, elle se rendit à des évènements locaux, ou même plus importants à Londres ou Manchester.
Son travail fut salué par son professeur mais également reconnu par quelques journalistes égarés sur la toile. On lui donna quelques conseils, on la jugea positivement mais aussi parfois négativement. Mais peu importait : elle aimait ce qu'elle faisait, et prenait tout ce qu'on lui donnait. Elle parlait de ce blog en soirée, entre deux boissons ingurgitées cul-sec dans un coup de folie.
Les étudiants venaient la trouver pour lui donner des idées d'article. Et fit sa première filature pour l'un d'entre eux, promesse faite en soirée et presque aussitôt regrettée, mais tenue. Ce fut un désastre mais un souvenir inoubliable : cette étudiante de licence qui voulait savoir si son prof d'anglais était en couple.
La rousse repéra ses heures de cours, l'attendit en bas du bâtiment en début de soirée alors que la nuit tombait sur un jour à peine levé en cet hiver pourtant lumineux, et les cheveux attachés sous un chapeau, elle commença à le suivre machinalement.
Il s'appelait M. Darmody, et il se retourna alors qu'il entendait encore les pas de la jeune femme dans la cour intérieure de son immeuble. Il s'arrêta et se retourna. Il salua l'effort de la rousse pour se cacher derrière une poubelle, mais ne put s'empêcher de rigoler lorsqu'elle s'étala lamentablement, se prenant les pieds dans les vieux pavés de la cour.
Ayant pour premier réflexe de rebaisser sa jupe pour ne pas que M. Darmody voit sa petite culotte, elle resta allongée là, attendant la réaction du trentenaire. Peut-être ne l'avait-il pas vue? Elle ne prenait pas beaucoup de place au sol, comme ça, dans l'ombre...
" Est-ce que vous me suivez?" Non !!! Pourquoi je ferais ça? " Elle se releva avec plus ou moins de classe, replaça ses cheveux, s'assura que sa jupe était toujours dans une position décente, et ajouta :
" Vous êtes célibataire monsieur? Sinon, votre cours a l'air cool. Vous abordez la littérature victorienne sous un angle pas mal d'après ce qu'on m'a dit. Vous avez des problèmes de renards dans le coin là? C'est l'infestation en ce moment... "" AIDEN! Arrête de papoter avec ta copine dehors, venez prendre l'apéro ! "Ils levèrent la tête. Un autre trentenaire s'adressait à eux. Amusée, Saskia se lança à la suite de "Aiden", donc, pour prendre l'apéro.
Elle passa une soirée merveilleuse. Il s'avérait que les deux hommes vivaient ensemble et étaient en couple. Tous les deux étaient très cultivés et intéressant, elle nota nombre d'endroits à visiter sur son calepin Moleskine grâce à eux. Elle leur parla d'Huntington Beach, de l'accent américain, essaya de parfaire son accent londonien grâce au compagnon d'Aiden, qui était originaire de la capitale.
Elle sortit de leur appartement, en pleine nuit, perdue dans Cardiff, sans aucune idée de comment rentrer chez elle, complètement pétée comme un petit lu. Elle garde un très bon souvenir de cette soirée; celle ou l'alcool l'a empêché de sentir ses amies les fourmis, et où elle a découvert un professeur dans son univers.
Elle broda un message incompréhensible, le lendemain matin sur le chemin de la fac, pour l'étudiante de licence qui devait surement etre encore en train de rêver de M. Darmody. La rousse, évidemment, ne parla pas de son magnifique cafouillage d'enquêtrice, mais expliqua plus ou moins clairement qu'il ne serait pas intéressé, qu'il n'aimait pas les blondes mais adorait voyager.
A life as a ghost ; EditorsSaskia obtint son master de journalisme de l'université de Glamorgan haut la main. On salua sa capacité d'écriture et sa réactivité face aux évènements. On l'encouragea fortement.
Mais voilà. Elle eut son master, et aucun travail à la clé. Elle continua donc un an de plus son blog, l'alimenta en permanence, sans vraiment sortir de la vie étudiante. Sa mère s'en inquiétait, alors que son père, au téléphone, lui souhaitait de profiter de ces instants avant d'être paralysée par la vie.
Papy Tristan et Mamy Crystin passaient à nouveau moins de temps à Penarth, faisait à nouveau de leur appartement à Huntington Beach leur résidence principale, pour se rapprocher d'Allain. Ils prêtèrent donc à Saskia leur modeste maison, puisqu'elle n'avait aucune source de revenus ni aucun statut d'étudiante. Oh, elle en fit, des soirées, dans la maison d'enfance de son père. Elle dormit dans cette chambre où les avions semblaient éternellement voler, comme coincés dans une boucle temporelle, une petite bulle que la jolie jeune femme appréciait comme au premier jour.
Mais ses amis étudiants partaient vers d'autres horizons, et elle sentait le mut se dresser entre les jeunes qui stressaient pour leurs partiels et elle, qui ne stressait plus pour rien, rêvait juste de voyages et toujours plus de découvertes. Finalement, elle décida de rentrer à Huntington Beach.
L'année de ses vingt-quatre ans, elle fit donc ses retrouvailles avec la ville où elle avait grandi. C'était si différent du Pays de Galles! Elle ne savait plus quel endroit elle préférait. Le Pays de Galles, Glamorgan, Penarth, étaient devenus synonymes de fête, d'apprentissage, de joie de vivre, de jeunesse, de folie, ... mais aussi de fuite. Alors elle retrouva ses marques, dans cette chambre qui l'avait vue grandir, écouta à nouveau du Chopin, maintenant en écrivant sur son site, retrouva son Papa adoré, avec qui elle retrouva une complicité perdue depuis un petit moment.
Elle but des coups avec lorsqu'elle déprimait devant son chômage et lui devant le vide de sa vie rempli par son travail à la banque. Elle lui parla soirées, évènements du coin à ne pas rater, il lui raconta la vie monotone de la banque, son ennui, à quel point, parfois, Margaret lui manquait terriblement. Saskia, elle, ne parlait plus beaucoup à sa mère depuis bien longtemps. Elle ne saurait vous dire si la séparation de ses parents l'a blessée, anéantie ou laissée indifférente. Elle essaie de ne pas y penser, et prend soin de son père qui vieillit doucement, des regrets plein l'esprit.
Elle finit tout de même pas prendre un peu son indépendance, trouvant un appartement à Pacific Lane. Elle retrouva l'euphorie de la jeunesse, continua de découvrir d'autres quartiers, de s'engager dans des aventures pas possibles. Elle resta fidèle à elle-même, bonne compagne, oreille attentive, intelligente, tête en l'air.
Son père l'aidait à compléter ses fins de mois malgré le peu d'argent qu'il lui restait pour lui et la maison, et elle enchainait les petits boulots de serveuse, livreuse, etc. pour gagner de quoi vivre un minimum.
Oh, elle ne se plaignait pas de sa situation. Elle n'était pas ambitieuse professionnellement parlant.
Ses imperfections faisaient ce qu'elle était.
Aujourd'hui, grâce à un ami, elle a trouvé enfin un stage dans le journalisme. Elle profite toujours autant, son grain de folie effraie certains professionnels, alors que d'autres le trouvent bien utile.
Elle a appris à laisser de côté le négatif de sa vie, elle essaie tout ce qu'elle peut tenter, rencontre autant de personnes que possible, n'a peur de rien, a plus que jamais le gout de l'aventure.
Certains évènements de son passé - Noah, la SEP, la séparation de ses parents - restent cachés, profondément dans son esprit, et elle ne les déterre jamais. Elle sourit toujours ou presque, existe par une image qu'elle tente à chaque instant de rendre réelle.
Elle est heureuse. En bonne santé. Elle est encore frivole, ne veut pas grandir. Elle rêve toujours du Pays de Galles la nuit. Les fourmis deviennent de bonnes amies, et sont de plus en plus nombreuses, des douleurs commencent à l'accompagner, comme si elle devenaient trop lourdes pour son bras. Son oeil lui fait également mal. Mais peu importe.
Elle est heureuse.
Elle est en bonne santé.
Elle divertit, elle se divertit.
La perfection n'existe pas. La réalité n'existe pas, la vie est un jeu.
A toi de choisir les règles.
La perfection n'existe pas.
Tomber en marchant, rigoler lorsque ce n'est pas une blague, se tromper de mot.
Se tromper.
Profiter.
Réchauffer le monde glacé.
Se créer des souvenirs. Ne rien prendre au sérieux."Je disais à ton papa : créé-toi une collection de souvenirs. Elle te servira quand tu en auras le plus besoin." disait Mamy Crystin quand elle lui donnait un verre de lait.
Alors, elle en donne à son Papa, des souvenirs, et en garde pour elle. C'est ça, le secret du sourire.