Saskia Reynolds claqua la porte du loft qu'elle partageait avec Isla et Cooper de son pied droit, son chat dans ses bras, son sac pendant contre elle et menaçant de tomber sur le vieux parquet de l'appartement dans lequel elle venait de rentrer. Enfin. Après un soupir d’exténuation, elle laissa Petit Pois retomber sur ses pattes et ... courir dans la chambre? Non. Petit Pois n'était pas d'humeur. Petit Pois... Petit Pois, quoi? Petit Pois boudait?
L'appartement était vide de toute autre présence, si bien que la rousse, légèrement essoufflée de ses aventures, se jeta dans le canapé, encore entouré de quelques cartons, et enleva ses chaussures avec ses pieds, et après quelques secondes de silence, laissa échapper un râle. Le thé n'allait pas se faire tout seul, n'est-ce pas?
Quelques heures auparavant, à Pacific LanePetit Pois, le chat adoré de Saskia Reynolds, venait de sortir par la grande et vieille fenêtre de la chambre de sa propriétaire. L'apprentie journaliste, affalée dans son lit en train de lire en ce jour de congé, lança un regard en coin à l'animal, qu'elle voyait s'éloigner sur les toits. Elle fronça les sourcils, puis se redressa brusquement, tendant les bras autour d'elle pour s'équiper. Lunettes de soleil, chapeau melon, changement express de tenue, nouage de cheveux en chignon, tout y passa. Elle se regarda une dernière seconde, rapidement, avant d'ouvrir la porte et de passer en trombe dans le salon, devant Isla. Ou Cooper, finalement, elle ne savait pas. Un geste de la main et un vague marmonnement en guise d'au revoir, elle fila, son sac négligemment posé sur son épaule, et dévala les escaliers qui menaient à l'extérieur du bâtiment. Elle manqua de glisser sur le sol du hall d'entrée, récemment briqué, mais parvint en un seul morceau sur le trottoir. Et là, ce fut LE moment de panique.
La demoiselle tourna la tête dans tous les sens. BON. Il avait filé où, le coco?
" HEY MSIEUR! Vous avez pas vu un chat blanc? Tout blanc? Enfin, peut-être avec une tache verte sur le pelage... " fit-elle en attrapant un passant par le bras, mais devant le regard blasé de son interlocuteur, elle ne prit même pas la peine d'écouter sa réponse et fila en trombe plus loin en entendant le cinquantenaire continuer de parler.
Finalement, elle reconnut Petit Pois qui faisait sa vie, tranquillement, sur le trottoir d'en face. Aussitôt, elle se cacha vivement... derrière un lampadaire. Sisi, la technique de fou. Elle regarda au-dessus de ses lunettes de soleil, histoire d'être certaine qu'il s'agissait bien de son compagnon et non d'un clone, mais à la vue de sa démarche tout droit sortie des Aristochats, elle sut que c'était bien son chat qu'elle allait filer comme un détective privé. Elle voulait savoir où il passait son temps, elle le saurait. Oui, parfois, voire souvent, on se demandait à quoi servait la curiosité de Saskia, tellement c'était à propos de choses superflues. Pourtant, elle y prenait plaisir. A faire son petit policier, en plissant les yeux comme dans les films, l'air sérieux - trop sérieux.
Comme Petit Pois avançait, placidement, sous une voiture, la grande rousse se cacha finalement, accroupie derrière une poubelle, et sortit son portable pour prendre des photos de la chose, preuve irréfutable que son chat ne restait pas sagement à l'appartement et qu'il descendait bien cette rue passante, en direction du début de celle-ci.
Son but était de savoir où il allait, pour venir le tirer par la peau des fefesses quand il tardait trop à rentrer. Et de lui commenter sa sortie dangereuse lorsqu'il rentrerait. Pardon, non, je reformule : de lui faire la morale comme une maman le ferait à son enfant qui traine trop longtemps dans le parc le soir, l'index levé en sa direction et l'air désapprobateur devant ses miaulements, aussi choupinou soient-ils.
Bon, pour l'instant, il fallait bien l'admettre, la rousse avait plutôt le droit à des regards réprobateurs des passants, surpris de la voir ainsi, son portable visant l'autre côté de la route, cachée sous ses vêtements et dix mille accessoires, accoudée à une énorme poubelle qui puait ... eh bien, qui puait la poubelle.
Petit Pois, de l'autre côté, le minois relevé fièrement, continuait son petit chemin, tranquille pépère.
Une heure plus tard, miss Reynolds était debout près d'un banc, envoyant un message à Hazel, presque lassée de ne pas avoir été repérée par le principal interessé de son escapade. Oui, ça en devenait presque ennuyeux. Il faut dire que regarder un chat fouiller des poubelles, miauler à quelques caresses d'inconnus, se cacher sous les voitures et derrière les arbres, gratter de la terre lorsqu'elle se présentait à lui ou faire pipi contre les barrières, ça n'était sans doute pas la meilleure idée qu'elle avait eu. De temps en temps, elle prenait encore une photo de Petit Pois, puis remontait ses lunettes d'un air asthénique sur son nez. La fougue de son début d'enquête avait laissé place à de l'ennui profond. Alors elle tentait de nouvelles choses. Quand son chat essayait de grimper dans un arbre, elle l'imitait sur celui d'à côté. Cela avait valu quelques branches cassées, des fesses abimées par le bitume et une Saskia allongée sur le trottoir qui regarde les quelques nuages qui parsèment le ciel bleu.
Bougeant ses jambes, les tournant sur elles-mêmes comme le ferait une enfant, la journaliste se tenait informée des nouvelles sur quelques sites internet lorsque ... Lorsque son chat passa à quelques centimètres d'elle, lui lançant un regard d'autoroute. Il miaula vaguement puis traversa la route. Saskia réagit du tac-au-tac, excitée à l'idée d'avoir été reconnue. Son sourire lui revint aussitôt, même lorsque Petit Pois manqua de se faire dégommer par une trotinette. Elle en rigola même. Aaah, Petit Pois, tu vis dangereusement.
Par contre, elle perdit le sourire lorsqu'après des acrobaties folles, il finit par rentrer... chez quelqu'un. Par une jolie fenêtre ouverte.
Elle laissa tomber ses bras le long de son corps. C'était ça? Il la trompait un peu, en fait, quand même !?
Le visage levé vers la fenêtre en question, elle se fit pousser par un passant pressé, mais ne bougea quasiment pas, trop occupée à réfléchir à la marche à suivre. Bon, y'avait plus qu'à compter les fenêtres, faire des combines savantes pour trouver le bon appartement, s'excuser platement envers le locataire... ahah, non j'déconne. Juste reprendre le chat l'air de rien, et repartir.
Elle attendit que quelqu'un n'ouvre la porte de l'immeuble, et se glissa dans l'entrée, trop concentrée pour remercier la jeune fille qui l'observait, l'air hébété devant la rousse aux allures d'enquêtrice grossière.
Bon, ... on compte.
Elle monta quelques escaliers, puis frappa à une porte.
On lui ouvrit. Elle écarquilla les yeux. Un vieil homme à l'air agressif la regardait... agressivement. Il était en caleçon et robe de chambre, un petit peu rouge du visage et appuyé contre l'encadrement de la porte. En bref, il donnait des envies de câlin quoi.
" QUOI? C'est pas une heure pour déranger les gens!! "Elle haussa un sourcil, regarda l'heure sur sa montre. Il se payait une belle grosse grasse mat', ce monsieur. Puis elle se racla la gorge, et joint ses deux mains en se pinçant les lèvres. De sa voix la plus fluette, elle lui demanda timidement :
" J'ai perdu mon chat... "Il la regarda de haut en bas avec dédain.
" Et alors? "Elle sourit, cherchant une réponse, mais lui était trop occupée à lui claquer la porte au nez, faisant voler une mèche de cheveux devant son visage. La rousse soupira, leva les yeux au ciel derrière ses lunettes, puis se retourna. Bon, visiblement, ce n'était pas le bon appartement...
Quelle déduction de fouuuu !Elle frappa trois fois à la porte d'en face, doucement, au cas où cela puisse se régler entre le chat et elle, et chuchota, avança son visage de la porte :
" Petit Pois? Si tu es là, gratte, deux fois long, une fois court ! "Mais alors qu'elle avait encore le visage contre la porte, elle sentit qu'on l'ouvrait brusquement, comme si le locataire s'attendait à l'arrivée de la demoiselle. Bon, il fallait dire qu'elle avait dû être très discrète, avec l'autre zouave d'en face et ...
Bon, celui-là, d'occupant, c'était une autre dimension. Saskia se redressa brusquement sous l'effet de la surprise, puis tenta de prendre une allure plus digne. Devant elle, un beau gosse ultime.
Merde.
Elle enleva son chapeau, ses lunettes de soleil et se détacha les cheveux.
Quelques minutes plus tard, elle avait récupéré son chat, qui avait débarqué machinalement derrière le jeune homme, et perdu tout semblant de dignité.
Alors elle était rentrée au pas de course chez elle, pressée de s'étaler comme un hippopotame dans le canapé, et d'enfermer son chat pour lui passer un savon.
C'est ce qu'elle fit, du fond du divan et sans trop de conviction. Levant l'index, comme elle se l'était imaginée si longtemps, elle commença une tirade savante :
" Qu'est-ce qui te prend d'aller te balader dans la rue à une heure de pointe? Tu te rends compte? Comme tu traverses sans regarder? Et tu rentres chez des gens? DES INCONNUS? Un tatoué en plus? " Elle marqua une pause. Elle savait que c'était un argument premier prix. En plus, il s'agissait d'un BEAU tatoué.
" Non mais tu as vu son voisin? Si t'étais tombé sur lui, tu aurais fini en pâté pour ... pour tes copains!! Et si tu ne vois pas qui c'est, tu n'iras pas voir, je te l'in-ter-dis ! " La demoiselle soupira. En temps normal, Petit Pois aurait miaulé puis serait aller se caler dans son bac à peinture. Mais là, il tournait sur lui-même, lentement, l'air ailleurs, mais tout de même curieux devant cet environnement rempli encore de cartons et de choses qui traînaient suite au déménagement récent des trois locataires.
" Va voir me faire un thé, tiens. " blagua la jeune femme.
Puis, on sonna à la porte.
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