Je me souviendrais toujours du moment où cette famille est débarquée dans mon bureau sans rendez-vous. La mère avait le visage noyé de larmes et le père tenait une petite boule bien vivante et grouillante entre les bras. Il s’agissait de ma patiente. La plus jeune patiente que je n’aurais jamais eu. Nova Evans. Elle était en crise et c’était la raison pour laquelle ils étaient venus en urgence à mon petit hôpital psychiatrique. ‘’Hôpital’’ était un grand mot. J’étais un psychiatre renommé qui avait ouvert une clinique avec possibilité d’hospitalisation. J’avais une grande demeure qui lui-même était sur un immense terrain. Le tout avait été aménagé spécialement pour mes patients. La famille Evans avait attendu parler de moi via l’internet. J’étais resté surpris. Normalement mes patients ne se présentent pas chez moi en famille et encore moins en crise. Nova Evans était différente. Nova avait trois ans lorsque j’ai commencé à la suivre. Le regard désespéré des parents m’a convaincu bien rapidement, et puis avouons-le, un couple ne traverse pas tout le pays pour le plaisir. Nova est arrivée dans mon bureau en pleine crise. Elle hurlait et frappait son père de ses petits poings et de ses petits pieds. Ce n’était certainement pas une phase facile pour la famille. Ce qui m’interpela plus que tout le reste ça été le regard vitreux de son grand frère, Thomas. Son frère avait cinq ans, simplement deux petites années de plus que sa sœur, mais il semblait déjà fatigué et écœuré de la vie. Je voyais souvent ce regard chez les patients sur le point de se suicidé. Un enfant de son âge ne devrait pas vouloir se suicidé. Il m’a semblé évident que je devais prendre cette fillette, toute la famille, en charge. Le diagnostiques de la jeune Evans a été particulièrement périlleux à faire. Sous mes conseilles la mère est restée dans l’Oregon avec sa fille tandis que le père est repartie avec le fils en Louisiane. La mère et la fille restèrent dans mon petit hôpital. J’ai pu observer Nova pendant de nombreuses semaines. À peine avait-elle défait ses valises que la jeune fille démontra des signes profonds de troubles psychotiques. Elle parlait toute seule, prétextant parler aux papillons. Il lui arrivait de piquer des colères monstres à l’heure des repas, elle disait que sa purée de pomme de terre menaçait de la tuer. Elle pouvait parfois rester assise sur une chaise dans le jardin en fixant le vide, en clignant qu’une ou deux fois par minute les yeux. Elle restait fixée sur un point pendant des heures. Personne n’était jamais allé la déranger, puis un jour quelqu’un la fait et la petite fille de trois ans lui sauta à la gorge. Si elle avait été une adulte, probablement aurait-elle tué ce patient. Par la suite Nova s’expliquait en prétextant qu’elle devait le faire. Ça été une période traumatisante pour les patients de l’hôpital. Suite à cet évènement, même s’ils étaient tous adultes, ils craignaient Nova. Nova Evans était devenue un spectre diabolique pour les patients à l’esprit fragile. Ça été le premier élément marquant chez Nova ; elle était antipathique. Elle ne regrettait jamais rien. Mon diagnostique était est restera jusqu’à la fin irrévocable ; Nova Annabelle Evans souffrait d’un trouble psychotique continuel. Son esprit n’était jamais le sien, elle était toujours en mode attaque. Même lorsqu’elle était au repos, elle ne l’était pas. Nova était un élément dangereux pour elle-même et pour la société. J’ai vue en elle une psychopathe. La présence de cette enfant dans ma petite institution créa beaucoup de remous. La nouvelle que j’avais entre mes murs une fillette instable et dangereuse n’a pas été longtemps secrète et malheureusement pour moi, plusieurs de mes patients résidents quittèrent les lieux. Les familles n’aimaient pas savoir qu’un des leurs étaient en potentielle danger. Une année après son arrivée chez moi, Nova était devenue ma seule patiente résidente. Au fond, ce n’était pas plus mal. Je pouvais consacrer tout mon temps sur cette enfant particulière. Je voyais toujours mes autres patients. De toute ma carrière, Nova a été le plus grand défi. Une autre réalité devrait aussi être expliquée. Son père et son frère Thomas vivaient à plusieurs heures de l’Oregon. Le père ne venait qu’une fois aux douze semaines voir sa femme et sa fille. Thomas venait environs un weekend par mois à la maison. Doucement, le cerveau de Nova transforma sa réalité. Petit à petit, elle confondait ce qui se passait réellement et ce qu’elle voulait qui arrive. Le cas c’est aggravé lorsque mes patients nous ont quittés. Nous n’étions plus qu’elle, sa mère Rachel et moi. Nova croyait que j’étais devenu son papa et elle m’appelait ainsi, d’un commun accord avec sa mère nous avons décidés qu’il était préférable que cela reste ainsi. La petite n’était pas assez stable pour que nous brisions ainsi le seul élément qui semblait lui donner une impression de vie normale. Au bout de deux ans, la mère de Nova demanda le divorce à son mari et Thomas vint vivre avec nous. Rachel m’a alors expliqué qu’elle n’était tout simplement plus amoureuse de lui. Que ce n’était pas en le voyant quelques heures par année qu’elle pouvait maintenir cette flamme. C’était logique après tout, Rachel n’avait pas exprimé l’idée de repartir avec Nova auprès de sa famille. Il était évident de toute manière que la petite était plus en sécurité avec moi près d’elle que loin de moi. Un lien unique s’était installé entre nous. Un lien d’un père et sa fille. J’éprouvais beaucoup d’affection pour Nova, et je devais dire que son cerveau et comment il fonctionnait m’intriguait fortement. L’arrivé de Thomas remplis le cœur de ma patiente de joie.

Nous avions construit une vie artificielle pour Nova. L’arrivé de son frère ne nous causa aucun soucis, nous l’avons tout simplement intégré à notre mise-en-scène. Il comprenait parfaitement la raison pour laquelle sa sœur n’allait pas à l’école et pourquoi nous préférions garder la petite dans un monde imaginaire. À dire vrai, Thomas se prêta merveilleusement bien au jeu. Suite à son arrivé, j’ai pu constater une amélioration considérable de la qualité de vie de ma patiente. Le processus toutefois, m’inquiétait beaucoup. En l’espace de quelques semaines seulement Nova partit d’un état avancer de son délire psychotique à un état plus ou moins normal. Ce n’était pas quelque chose de fréquent chez les patients atteints de délires aussi profonds qu’elle. La présence de son frère la perturbait. Je n’arrivais pas exactement à comprendre pourquoi. Jusqu’à son sixième anniversaire je laissai faire les choses. Tout en n’acceptant plus de patients résidents (une rechute n’était jamais bien loin), je me suis permis de prendre de nouveaux patients. Nova, pendant environs un an, ne fût plus ma priorité. Probablement l’erreur de ma carrière. Pendant cette année je l’ai laissé vivre sa vie de petite fille dans les champs entourant ma demeure. Thomas avait une influence délicate sur elle. Pendant ce repos, la mère des enfants Evans et moi sommes devenus un couple officiel. Depuis son arrivé chez moi trois ans auparavant que nous entretenions une relation, d’abord extraconjugale, puis par a suite secrète. Nous avons profité de l’accalmie émotionnelle de sa fille pour annoncer la nouvelle aux enfants. C’est peu de temps après que l’instabilité de Nova refit surface. C’était en mai 1985. Nova avait environs six ans et demi au moment du drame.  J’avais remarqué depuis quelques temps déjà que Thomas semblait fuir la présence de sa sœur. Depuis le retour de ses crises de colères, depuis le retour des meurtres des animaux des champs, Thomas ne voulait plus être avec elle. C’était compensable, il n’avait jamais réellement pris conscience que sa sœur était malade. Pour lui nous étions pratiquement un camp de vacances où personne n’allaient en classe. Malheureusement, égoïstement en fait, je ne portais pas plus attention aux besoins de Thomas. J’étais préoccupée par le bonheur de sa mère et moi, puis par la santé mentale de sa sœur. Thomas, malgré moi, était le dernier de mes soucis. Je tentais simplement de lui remonter le moral en lui disant que sa sœur allait aller mieux prochainement. Thomas n’eut jamais la chance de découvrir ce que je disais. Thomas a été retrouvé mort pendu dans une grange non loin de la maison. Sa mère et moi avons retrouvés le corps lorsqu’il devait être 22h00 le soir. Nous étions inquiets, ni Nova, ni Thomas n’étaient rentrés. J’ai été le premier à voir la scène, je suis resté sous le choc. Thomas avait une corde accroché au cou, ce n’était pas un nœud coulant, c’était un nœud de nœud, comme s’il était tombé de l’étage supérieur de  cette vieille cabane abandonnée. Il avait ses sous-vêtements ainsi que ses pantalons descendus au niveau des chevilles. Son corps se balançait de droite à gauche, comme une poupée de chiffon. Je n’ai pas eu le temps d’avertir sa mère, lorsqu’elle rentra elle découvrit avec horreur son fils aîné. Elle se précipita aussitôt sur lui pendant que moi je grimpais détacher la corde qui s’était faufilé entre deux planches. Il tomba dans les bras de sa mère, il était déjà rigide et dur, ce qui indiquait qu’il était mort déjà depuis de nombreuses heures.  C’est en tournant la tête que j’ai vue debout au fond une petite tête blonde, elle était nue elle également. Nova se tenait debout et me fixait, son regard était absent. Elle n’avança pas vers moi. Je me souviens lui avoir demandé ce qu’il s’était passé, qu’est-ce qu’elle faisait là et depuis combien de temps ils étaient là tous les deux. Ses lèvres bougèrent à peine. « Thomas ne voulait pas faire l’amour avec moi, il disait qu’il ne m’aimait pas… » Elle parlait, c’était presqu’incompréhensible. J’ai dû la faire répéter. Elle commença à courir jusqu’à moi, je me relevai près à l’attraper, mais elle dévia du chemin droit et me poussa. Je l’attrapai dans mes bras et nous sommes tombés sur le sol de la grange. Rachel tenait son fils dans ses bras et pleurait. Je tournai doucement ma tête pour m’assurer que Nova n’avait rien. Son regard fixait sa mère avec une haine sans nom. Ce qu’elle murmura dans le creux de mon oreille ce soir-là restera à tout jamais frais dans ma mémoire. « Je suis la seule qu’il aimera… » Je ne m’explique toujours pas comment une si jeune enfant peut penser ainsi. Il a par la suite été confirmé que la mort de Thomas était accidentelle. Les enquêteurs supposèrent que les deux enfants tentaient de fuir un homme tentant de les violés. Plusieurs cas disparus et retrouvés morts et mutilés avaient été rapporter dans les derniers mois. Rachel et moi savions la vérité. Thomas tentait de fuir quelqu’un, il tentait de fuir Nova. Nous ne savons toujours pas ce qui s’est produit dans cette grange ce jour-là… Mais nous savons que Nova est responsable de la mort de son frère. Nous savons que Nova à tuer son frère.

seize ans plus tard...

« Mademoiselle Evans, comprenez-vous bien la raison pour laquelle vous êtes assis dans le boxe des accusés ? » La jeune femme début vingtaine se tenait assise en se secouant de gauche à droite, haussant mollement les épaules. « Je sais pas. » Elle parlait avec une petite voix enfantine. La mère de la victime éclaitait en sanglot au premier rang au côté de son avocat. L'assemblée se souleva en huant la jeune femme à la chevelure brune. « Elle mérite de mourir cette salope » « Faites la pourrir en prison avec un bolle d'eau et une chaudière pour qu'elle pisse » et encore plus encore se faisaient entendre dans la salle d'audiance. La juge se laissa glisser jusqu'au fond de son fauteuil. Cette cause était certainement l'une des plus tordues qu'elle avait entendue de toute sa vie. Elle glissa sa main le long de sa mâchoire et tapa de son lourd marteau. « Silence dans la salle s'il vous plaît !  » Le procureur de la couronne se leva et marcha en direction de Nova Evans, une criminelle, une meurtrière. « Mademoiselle Evans, pourriez-vous bien, s'il vous plaît nous racontez encore une fois ce qui s'est produit le soir où vous avez tuer  la victime ? » « Objection votre honneur. Mon collègue tente de manipulée l'esprit fragile de ma cliente. » « Objection rejetée. Nous ne sommes plus à l'étape de savoir si oui ou non elle est responsable de la mort de Béatrice Fisher. Répondez mademoiselle Evans. » Un large sourire se forma sur le visage crispée de Nova. Elle caressa longuement sa chevelure graisseusse. « Bien.  Par où commencez ? »

Un frisson d'horreur parcourait toujours la salle dès qu'elle ouvrait la bouche. Sa petite voix de petite fille rendait la situation plus absurde qu'elle ne l'était déjà. Cette fille, cette folle plutôt avait secouée l'Amérique tout entier au début des années 2000 en assassinant sauvagement une jeune femme dans une cage d'escalier. Une jeune femme qu'elle ne connaissait pas, une jeune femme qui ne vivait même pas dans la même région qu'elle. Nova avait parcouru la moitié des États-Unis et l'avait tout simplement assassinée, sans scrupule. Sans raison aucune. Le procès durait depuis un bon moment maintenant, mais jamais Nova n'avait été explicite sur la raison pour laquelle elle avait poignardé à trente-six reprises cette jeune femme qui ne fêtera jamais son vingtième anniversaire. Elle disait toujours et simplement qu'elle le devait. Aujourd'hui, elle en avait fait la promesse, elle dirait la vérité.

« Cette putain voulait me prendre Thomas. Je ne pouvais pas laisser ça. Mon frère, mon grand frère adoré. Je l'aime tellement Thomas. Je sais que c'est moi qu'il aime Thomas. Il me le dit tous les jours. Il était avec cette grosse chienne pour sauver les apparences. Quand il me fait l'amour, je le sens qu'il m'aime. Cette vache voulait me le voler. Je l'ai vue de mes yeux. Elle le dévorait des yeux chaque fois qu'on la croisait.  » Elle éclata d'un petite rire joyeux. « Thomas et moi ont s'aiment à la vie à la mort.  » Le rouge lui grimpa aux joues en pensant au garçon, son frère, de qui elle était farouchement amoureuse. Un silence de mort s'installait petit à petit dans la salle. Il n'avait jamais été, jusqu'à ce jour, question d'un frère nommé Thomas. L'avocat de la mère de Béatrice eu un haut le coeur. « Mademoiselle, selon mes sources, votre frère est décédé il y à de ça plus de quinze ans. Mademoiselle Fisher ne pouvait pas, en aucun cas, vouloir être la femme de Thomas.  »  La bouche de la mère de la jeune Béatrice, dix-huit ans, s'ouvrit. Elle n'en croyait pas ses oreilles. Sa fille, sa seule enfant, était décédée parce qu'une folle furieuse était amoureuse du cadavre de son frère ? Les gens dans la salle se levèrent comme un seul homme. C'était trop pour eux.  Alors qu'ils avaient le dos tourner, un cri strident les retints. Nova s'était levé et tentait d'étrangler le procureur. « Vous mentez espèce de gros salopard de merde ! Thomas m'attends. THOMAS M'ATTENDS ! »

Quelques jours plus tard la une des journaux était que la meurtrière de Béatrice Fisher avait été condamnée à dix ans de prison ferme à purger dans une institution psychiatrique. Une clause avait été ajoutée qu'une fois les dix années écoulées, elle resterait enfermer jusqu'à ce qu'elle prouve qu'elle pouvait fonctionnée en société sans courir le risque d'être un danger pour celle-ci.

Je suis longtemps resté perturbé par toute cette histoire. Est-ce que mon attachement émotionnelle envers cette famille à faussée mon jugement ? Absolument. Je ne voyais pas tous les signes, ou plutôt je les voyais, mais j’étais aveuglé par l’idée d’étudier le cas de Nova. J’étais concentré dans l’idée de lui créer un environnement artificielle où elle pourrait évoluer selon mes envies. Je m’en suis servi un peu comme un rat de laboratoire. J’aurais dû le voir que ça ne pourrait pas fonctionner après la mort de Thomas. C’était évident que tout ceci était une grossière idée. La mort de Thomas a été dévastatrice pour la femme dont j’étais tombé amoureux et elle n’a plus jamais été la même. Évidemment, lorsque ta fille de six ans assassine froidement – bien qu’accidentellement – ton fils de huit ans, les choses ne peuvent pas devenir une conte de fée. J’ai cependant continué dans ma lignée. Je me suis moi-même retrouver piégé dans cette situation malsaine. J’aimais Rachel, j’aimais croire qu’elle m’aimait aussi. J’aimais Nova, j’aimais croire qu’elle était ma fille. Mais je voulais surtout et avant tout étudier. Je ne voulais rien laisser me barrer la route. J’aurais dû réagir, mais je ne l’ai pas fait. J’aurais dû lui rappeler que Thomas était mort, plutôt que de l’encourager dans ce délire. J’aurais dû réagir, mais j’ai été faible. Je suis conscient qu’une jeune fille innocente est décédée par ma négligence. Je n’arriverais à me pardonner… J’ai échoué et aujourd’hui l’univers est privé de trois personnes. Thomas, cette Béatrice et finalement Nova. Tous les trois ont été les victimes de mon envie. Nova n’est pas une agresseurs, elle est une victime.