« Drink up baby stay up all night, I'll kiss you again, between the bars... » J'aime beaucoup Eliott Smith et surtout cette chanson, mais il y a pas à dire c'est un peu déprimant, remarque ça colle un peu avec le mec que je suis, enfin non parce que c'est une chanson d'amour et que je n'ai jamais été amoureux mais disons que l'ambiance générale résume bien le niveau de fun que je peux atteindre de temps en temps. Je sais très bien que je ne suis pas le garçon le plus intéressant au monde, pas le plus drôle, ni le plus déjanté. Mais j'essaie de changer un peu et de m'épanouir plus, mais conditionné comme j'ai été, par mes parents et leur modèle plus que scolaire, par moi même aussi il ne faut pas le nier. Donc oui j'essaye de changer, de devenir quelqu'un qui sait être indépendant, être moins timide, être un mec qui s'éclate et pour ça, bah j'écoute du Elliot Smith en ruminant, allongé sur mon lit à lire Hotel New Hampshire, John Irving compagnon de mes soirées, je suis un grand admirateur des ses romans, j'aimerai pouvoir écrire comme lui, m'exprimer comme lui, lui et Jonathan Coe sont comme des idoles comme moi, mais étrangement quand je me met à parler de bouquins avec les gens ils se désintéressent bien vite. « Mattew Enix tu viens manger de suite ! » Ô douce voix paternelle de Jake Enix qui se fait entendre, soupirant je pose mon bouquin sur la table de nuit et je me traîne jusqu'à la salle à manger, je n'arrive même plus à paraître enthousiaste à l'idée de manger avec eux, il faut que je me trouve un appartement et vite, changer d'air rapidement avant de devenir complètement gris et terne comme eux. « Et tes études fils comment ça se passe ? » pause et silence, je finis ma bouchée, qu'est ce qu'il veut que je lui réponde ? Il le sait comment vont mes études, je suis bon dans mes études, il n'y a que dans ça que je suis bon, ça aussi il le sait. « Qu'est ce que tu veux que je te dise de plus qu'hier p'pa ? Tu sais que je bosse bien, j'ai de bonne notes, alors lâche moi avec mes études, pourquoi on peut pas parler d'autres choses, genre le baseball, comme les gens normaux ? » Je me surprend à le défier, cet homme que j'ai respecté toutes ces années, cette personne dont j'ai suivit les ordres et tenu comme un modèle pendant si longtemps, j'arrive à le défier maintenant parce que je sais que je ne veux plus de ça, plus de cette obligation d'être neutre tout le temps et de ne vivre que par le travail et par leur soit disant réputation. « Mattew tu t'excuses tout de suite ! Tu ne parles pas comme ça à ton père ! » je soupire, déjà regrettant d'avoir lancé le débat, surtout que je sais comment ça va se terminer. « On ne parle pas maman, c'est bien le problème, ça fait vingt-trois ans qu'on ne parle pas. » Je pose ma serviette, et je reste droit sur ma chaise, avant de me lever et de leur tourner le dos. « On peut savoir où tu va jeune homme ?! » « Prendre l'air, juste prendre l'air... » « Mattew Enix tu… » je n'entendrai jamais la fin de cette phrase, je claque la porte bien avant.

Et tout d'un coup je me rend compte de ce que je viens de faire, j'ai tenu la tête à Jake et Erika Enix, pendant toutes ces années je n'ai jamais osé le faire et ça me remplit d'une certaine fierté, même si je sais que ça ne réglera pas les choses, qu'il faudra qu'on parle vraiment un de ces jours. Pour le moment je suis juste énervé et il faut que je pense à tout autre chose. Alors je taille mon chemin à travers les rues de cette ville que je connais presque par coeur, je suis né ici et pourtant j'ai l'impression de la redécouvrir maintenant, maintenant que je sors un peu la tête de mes livres, que je sors du carcan qu'ils m'ont imposé et du coup j'ai l'impression de voir des choses nouvelles. Par exemple, claquer la porte comme çà et sortir seul dans la nuit, sans vraiment savoir où je vais, juste partir un peu pour souffler, il y a quelques mois, quelques semaines même je ne m'en serai pas cru capable, peut être que je suis juste arrivé au bout de ce que je pouvais supporter de leur part.

Mes pas me conduisent dans un bar, un pub traditionnel, juste pile l'endroit où je n'ai pas l'habitude de traîner d'habitude et surtout pas à cette heure. C'est bondé, un peu trop à mon goût et soudain je redeviens ce petit garçon timide et incapable de faire un pas devant l'autre quand il est entouré de trop de monde, alors je me dirige vers le fond du bar, un peu tout seul, dans le noir et c'est tant mieux comme çà, je ne sais pas parler aux gens autant me mettre loin alors. Je commande quelque chose, je ne me souviens pas quoi, je sais juste que c'est fort et que je n'en ai jamais bu auparavant. Quelqu'un vient se placer à côté de moi, lui aussi il veut peut être aussi échapper au reste de la foule, je ne l'ai jamais vu auparavant, il a l'air un peu énervé, comme moi, à se demander ce qu'il fait là et je ne peux m'empêcher de me sentir solidaire en quelques sortes. Moi aussi je sais pas ce que je fais là, je sais que je veux juste échapper un peu à mon domicile familial mais je ne sais pas pourquoi je suis spécifiquement dans ce bar, à boire un alcool beaucoup trop fort pour moi. Je ne sais pas non plus pourquoi je me suis tourné vers ce gars et que j'ai engagé la discussion, surtout qu'il avait sûrement envie de rester tranquille, au pire si c'est le cas il me le dira et on restera là. « Dure journée ? » C'est simple et sobre mais je ne sais pas parler aux gens vous vous rappelez ? D'autant plus que j'allais pas lui dire « Hey mec ça boume ? » alors que c'était visiblement pas le cas. Non je voulais juste entamer une discussion, oser parler à quelqu'un que je ne connais pas, bien sûr je ne suis pas rendu à lui poser des questions personnelles ni lui dire qu'il est plutôt mignon, non çà je n'oserai jamais. « Pardon de… prendre la parole comme çà alors qu'on se connaît pas mais j'imagine que j'ai envie de parler ce soir. » Puis me reprenant un peu je lui tends la main. « Euh moi c'est Matt au fait. » Je souris timidement « et je suis le relou qui viens te parler alors que tu as sûrement envie d'être tranquille et si c'est le cas bah je vais m'excuser et me pinter dans mon coin » ajoutais-je avant de reposer mon attention sur mon verre attendant la réaction du mec en question, peut être au fond de moi j'espérai qu'il ne m'envoie pas bouler et qu'on puisse discuter un peu, peut être que ça sera juste une discussion ce soir, qu'on ne se reverrai plus jamais mais au moins voilà on aura parler, ce qui est le plus important non ? « Sinon ? Toi aussi tu préfère l'ombre à la lumière ? » demandais-je, question un peu personnelle, mais bon après tout c'est un peu grâce à ça que nous nous sommes retrouvés assis l'un à côté de l'autre accoudés à ce comptoir, maintenant reste à savoir si on allait rester longtemps à côté l'un de l'autre…