Respirer. Lâcher prise. Ne plus se prendre la tête avec les soucis du quotidien. C’était tout ce dont la Raichand avait besoin en ce moment. Elle ne voulait plus entendre parler de droit, d’avocats, de responsabilité, d’avenir… et dernièrement de mariage. Elle avait encore reçu un beau petit courrier de sa mère qui avait pris soin de glisser des photos de prétendants en même temps qu’elle prenait de ses nouvelles. Alvira en avait plus que marre de répéter à sa mère qu’elle devait arrêter de parler de sa vie amoureuse à toutes les commères du quartier, quand bien même elle est quasi-inexistante, elles n’ont pas à le savoir. Et puis qu’est-ce que ça pouvait faire qu’elle soit encore célibataire à ce stade de sa vie ? Qu’elle n’ait pas d’enfant et pour ainsi dire, pas de carrière ? Ca ne regardait qu’elle, elle était assez grande pour faire ce qu’elle voulait de sa vi et ce n’était à personne de prendre des décisions à sa place, surtout pas à sa mère. Pourquoi est-ce que même à des kilomètres ses parents arrivaient toujours à l’énerver comme ça ? A croire qu’elle était condamnée à supporter toutes ces conneries jusque la fin de sa vie. En sortant du cabinet ce soir, l’indienne avait pris la direction de la plage où elle pourrait profiter un peu de l’air marin avant de retourner se terrer chez elle comme elle le faisait depuis qu’elle était arrivée sur le continent américain. Enlevant ses chaussures dans un premier temps pour profiter du sable encore chaud de la longue journée d’été, elle se mit à marcher le long de la plage sans savoir vraiment où est-ce qu’elle allait. Alvira pouvait très ben aller jusqu’au bout de la plage ou marcher jusque la frontière mexicaine, elle s’en fichait, mais rien que le fait de marcher pied nu comme ça, ça la calmait. La jolie brune lâcha ses cheveux qu’elle avait laissée attaché toute la journée à l’aide d’un stylo, et les laisse respirer eux aussi. Ils l’avaient bien mérités eux aussi. Elle avait prit cette habitude depuis déjà quelques semaines, de venir se ressourcer le soir comme ça sur la plage, profitant du fait qu’il n’y ait personne pour se détendre et se détacher du quotidien. Elle savait qu’ici elle n’avait de comptes à rendre à personne, elle n’avait personne pour venir l’embêter en lui parlant, même des petites choses du quotidien. Le silence et la solitude n’avait jamais dérangé la Raichand, et c’était justement ce qu’elle recherchait. Au bout de quelques minutes alors qu’elle s’était déjà bien éloignée des commerces qu’elle voyait à peine de là où elle se trouvait, elle s’assit sur le sable en regardant la mer qui était plutôt agitée ce soir. Fermant les yeux quelques secondes, elle s’allongea sur le sable pour être en communion complète avec la nature. C’était juste elle, et la mer. Elle se rappelait de ces journées chaudes où elle était en Inde et où l’innocence de ses jeunes années lui permettait de profiter pleinement de ces longues journées d’été avec sa famille et ses amis. A se demander à quel moment est-ce que tout cela avait changé. A quel moment est-ce que la  Raichand avait grandit ? Tellement grandit qu’elle ne prenait même plus le temps de se poser pour profiter des petits moments simples de la vie, comme ceux-là ? Elle n’eut pas le temps de se plonger plus loin dans sa réflexion, ouvrant les yeux en sentant quelque chose d’humide sur son visage. La jeune femme se redressa en levant les yeux au ciel, avant de constater que le ciel s’était couvert… Depuis combien de temps avait-elle les yeux fermés ? Elle se passa une main sur le visage en se levant, sans se presser pour autant. Avant de reprendre la route, elle prit le châle qu’elle trainait tout le temps avec elle, et le mit sur sa tête pour essayer de se couvrir un minimum même si elle savait que ça ne servirait probablement à rien. A la même vitesse qu’à l’aller, la jeune indienne pris le chemin du retour en essuyant les gouttes de pluies qui lui tombaient sur le visage à mesure qu’elle avançait. Elle ne devait pas être assez rapide ou alors, beaucoup plus éloignée que ce qu’elle ne pensait puisqu’en même pas cinq minutes, la pluie s’était intensifiée de façon plus ou moins violente. Mais Alvira, elle n’accélérait pas pour autant, déjà parce que marcher sur du sable mouillé n’était pas facile, mais aussi parce qu’elle n’en avait pas envie. Un sourire naquit sur son visage pendant qu’elle marchait, commençant à chantonner une chanson indienne qu’elle avait l’habitude de chanter lorsqu’elle était encore en Inde. D’un geste naturel, elle prit le châle qu’elle avait sur la tête et se mise à tourner sur elle-même en effectuant des gestes précis avec toute la grâce d’une indienne, comme elle savait si bien le faire.

Kayden avait besoin de calme, de vide après cette journée bruyante et mouvementée. Aujourd’hui, il avait travaillé sur le tournage d’un film d’action important, un blockbuster. Il se devait d’être encore plus concentré que d’ordinaire car plusieurs scènes étaient particulièrement physiques et dangereuses sur fond effervescent avec toute l’équipe de réalisation présente sur le plateau, un plateau bien particulier puisque le cadre se situait aux abords de la ville. Il n’était pas trop loin de chez lui cette fois, même s’il lui arrivait souvent de devoir partir à l’étranger durant plusieurs semaines pour travailler. Ces trois dernières années, l’ancien pilote s’était déjà rendu à plusieurs reprises en Europe et en Australie. Un de ses prochains projets impliquerait peut-être l’Afrique mais il y réfléchissait encore pour le moment. Il était bien plus novice dans le métier que la plupart de ses collègues du même âge étant donné qu’il était d’abord entré dans l’armée mais c’était justement son passé d’officier qui lui avait permis de vite évoluer dans son nouveau domaine grâce à l’endurance physique qu’il présentait. Kayden n’avait pas froid aux yeux non plus. L’un des aspects essentiels à ce métier était d’oser, oser l’impossible bien souvent. L’expérience de son enfance et de ses années passées en mission pour l’armée lui avaient apporté cette désinhibition par rapport à ses peurs potentielles. Bien sûr, le jeune homme n’était pas invincible et gardait certaines craintes bien tapies au fond de lui, toutefois celles-ci ne concernaient pas son métier à proprement parler. Elles touchaient davantage au relationnel de Kayden envers les autres, même s’il s’était amélioré ces dernières années à force de travailler entouré d’innombrables personnes. C’est pourquoi, après de telles journées, il avait besoin de se retrouver seul dans un endroit calme pour décompresser, enfin presque seul. Le jeune cascadeur avait emmené sa chienne Kyra sur la plage, tard le soir, pour la promener quand la plupart des gens étaient rentrés chez eux. Sa présence l’apaisait. Il le lui rendait bien. Kyra adorait courir le long de l’eau et jouer dedans tout en se rafraîchissant les pattes. Parfois, Kayden courait avec elle lorsqu’il pratiquait un jogging mais il était souvent bien trop éreinté par sa journée de travail déjà très intense au niveau physique. On pouvait lui demander de conduire une voiture lancée à toute vitesse tout comme se jeter en parachute d’un avion qui était supposément en train d’exploser dans un film dans des cas extrêmes… bref ça variait assez. Kayden plongea les mains dans ses poches et marcha calmement le long de l’eau. Il ne réfléchissait plus à rien et profitait juste du moment avec Kyra. C’était reposant. Une fine bruine tombait, le ciel était particulièrement couvert ce soir. Soudain, sa chienne se mit à courir sans revenir vers lui. Elle s’éloignait toujours plus loin, si bien que l’ancien pilote l’appela. Pour ne rien arranger, la pluie s’abattit plus fortement sur eux. Kyra cherchait-elle à s’abriter ? Kayden en doutait, elle n’avait jamais eu une telle réaction face à la pluie. « Kyra ?! » Il avança d’un pas plus rapide et s’arrêta net en découvrant sa chienne au pied d’une fille qui dansait et titubait à la fois dans le sable. Sa silhouette lui disait quelque chose mais Kayden était encore trop loin pour deviner de qui il s’agissait. Sa chienne tournait en cercle autour de la jeune femme, animée par les mouvements gracieux qu’elle esquissait. Il s’apprêtait à s’adresser à la belle inconnue pour voir si tout allait bien – danser les yeux fermés, seule sous la pluie, c’était un peu particulier - lorsqu’il la reconnut enfin. « Alvira ? » Il s’interrompit sur ce simple nom, interloqué de la rencontrer ici et surtout dans de telles circonstances.

Elle faisait des tours sur elle-même et se mettait à danser comme si le monde autour d’elle n’existait plus. Il n’y avait plus qu’elle et la chanson qui était en train de se jouer dans  sa tête. L’espace d’un instant elle se revoyait dans les rues de Mumbai en train de courir sous la pluie avec ses cousines avant de se faire arrêter par un groupe de danseurs. Il n’était pas rares de croiser ce genre de groupe dans la rue et pendant les périodes de fête, ils étaient toujours accompagnés de tambours traditionnels ou de toute sorte d’instruments, et se mettaient à jouer pour que tous les gens du quartier puissent danser. Même si la Raichand n’était pas la meilleure dans ce domaine, lorsqu’il s’agissait de la danse elle n’était pas en reste, surtout que cela faisait partie de sa culture et surtout de son identité. Combien de fois avait-elle dansée dans la rue avec ses amies proches et sa famille, grelots au pied ? La différence était qu’ici, elle n’était pas à Mumbai, elle n’était même pas en Inde et était dehors, toute seule sous une pluie froide qui allait la faire tomber malade si elle ne se décidait pas à se mettre à l’abri. Mais ce n’était pas ça qui la stopperait, cela faisait longtemps qu’elle ne s’était plus sentie aussi libre dans ses gestes. La jolie brune passait toutes ses journées enfermée dans un cabinet assise derrière un bureau ou bien dans sa chambre en train d’étudier. Ses jambes ne demandaient que de se dégourdir au moins une fois et peu importe le prix, si elle devait attraper froid ou une pneumonie, alors tant pis. Alors qu’elle effectuait des mouvements de danse très précis, elle s’arrêta un moment sentant quelque chose se frotter contre sa jambe. « Mais… » Elle stoppa tout mouvement pendant quelques secondes avant de s’apercevoir qu’il ne s’agissait que d’un chien, rien de plus. Elle eut d’abord du mal à discerner la silhouette de l’animal à cause de toute cette pluie qui l’empêchait d’avoir une vision très nette à ce moment là, mais elle pu confirmer ce que c’était en passant une main furtive sur le dos du chien qui était aussi trempé qu’elle. Alvira n’était pas sûre de savoir ce que pouvait bien faire un chien à cette heure, sur cette partie de la plage – surtout qu’il n’avait pas l’air d’être un chien errant – mais elle s’en fichait, ça lui faisait un accompagnateur. Elle prit le châle avec lequel elle était en train de danser depuis un petit moment, avant de le brandir pour que les chiens suivent les mouvements du vêtement en même temps qu’elle dansait. Elle avait arrêté de chantonner mais les quelques notes qu’il lui restait en tête continuèrent de jouer intérieurement. Se mettant à sourire et même à rire, ce devait être la première fois depuis qu’elle était arrivée ici qu’elle se sentait aussi… libre et heureuse. Pourtant elle ne faisait pas grand-chose mis à part tourner sur elle-même sous la pluie, mais c’était ces petites choses de la vie qui lui faisait se rappeler de certains souvenirs qui lui étaient chers et qui la mettaient de bonne humeur. Tout était lié, la pluie, la danse et même le chien qui lui servait d’accompagnateur maintenant. Au moment où elle entama un geste qui demandait à ce qu’elle fasse un petit saut tout en faisant passer le morceau de tissu dans ses mains au-dessus de sa tête, elle s’arrêta brutalement en entendant appeler son prénom. Une silhouette d’homme se dessina à mesure qu’elle plissait les yeux pour voir à travers les grosses gouttes de pluie qui lui obstruaient la vue. Elle sentit une gêne monter en elle lorsqu’elle pu enfin discerner les traits de la personne qui se tenait devant elle. « Kayden… » Souffla la jeune femme qui avait prit son châle avant de se le mettre sur la tête, comme si ça allait lui servir à quelque chose. Elle essaya de se redresser du mieux qu’elle pouvait pour essayer d’être « présentable » mais vu le contexte, ce n’était même pas la peine d’essayer. Elle se rappelait très bien de lui ; ils s’étaient connus sur un tournage où la jeune avocate avait été amenée à travailler en tant que consultante. Elle n’avait pas pour habitude d’avoir la mémoire courte, mais elle l’avait encore moins lorsqu’elle rencontrait des garçons aussi charmants que Kayden. A se demander ce qu’il faisait là, s’était-il perdu ? Ou avait-il eu envie lui aussi de venir prendre l’air marin ? « Je… euh… » Elle arrivait à peine à sortir une phrase correcte à cause de la pluie qui la gênait mais aussi de la légère honte. Elle se sentait le rouge lui monter aux joues mais le camoufla derrière le châle qu’elle posa de façon à ce qu’on ne discerne pas trop son visage, juste ce qu’il fallait. « Qu’est-ce que tu fais là ? » S’enquit la jeune femme en restant plantée sous la pluie battante, les pieds enfoncés dans le sable avec un châle sur la tête et ses chaussures à la main. Elle devait faire peine à voir.  

Un sourire s’étira sur ses lèvres tandis que Kayden la contempla silencieusement pendant quelques secondes. Alvira dansait avec une énergie et une grâce particulière aux indiennes. Il se souvenait encore des actrices présentes sur le tournage de ce film aux allures bollywoodiennes. Chacune ne pouvait s’empêcher d’esquisser quelques pas de danse entre deux prises. Les femmes de cette culture avaient le rythme dans la peau. Alvira le confirmait bien encore aujourd’hui. Il se souvenait d’elle comme d’une fille simple et charmante malgré la classe qu’elle dégageait. Sa famille était une des plus riches d la région et ne s’en cachait pas. Il n’avait pas eu d’apriori sur elle à l’arrivée de l’indienne en tant que consultante sur le tournage puisqu’il ne la connaissait pas du tout mais certains de ses collègues, acteurs ou autre d’ailleurs, n’avaient pas hésité à signaler qu’elle ne serait probablement d’aucune utilité et qu’elle ne faisait qu’acte de présence sur le plateau pour représenter les affaires de sa famille, qu’elle ne serait qu’une belle plante en somme, cependant elle s’était montrée de bon conseil et n’avait pas rechigné à la tâche. Ça remontait à plusieurs mois. Néanmoins, ils avaient passé assez de temps ensemble sur le tournage, amenés à se fréquenter à quelques reprises, pour qu’il ne l’oublie pas. Alvira était même plutôt le genre de femme à vous taper dans l’œil bien que Kayden n’était pas tellement le genre d’homme à penser de cette manière. S’il n’avait pas appelé après sa chienne Kyra, la jeune femme ne l’aurait pas entendu arriver et n’aurait pas subitement arrêté sa danse. Elle donnait l’impression d’avoir été prise en défaut… la peur qu’on la regarde peut-être. Allez savoir… Toutefois, il ne la mettrait pas davantage dans l’embarras, c’est pourquoi il répondit simplement à la question sans formuler de commentaires sur ce qu’il venait de voir : l’avocate dansant et tournoyant sous la pluie. Il appréciait d’ailleurs les gens qui présentaient, comme lui, des petits grains de folie. « Je me promenais avec Kyra, elle adore venir ici. » Indiqua-t-il le bouvier bernois qui s’était assis à côté de lui en attendant qu’ils reprennent leur marche.  « Par tous les temps d’ailleurs. » Ajouta-t-il d’un rire amusé comme s’il ne pouvait rien faire contre ça. Il faut dire que lorsqu’il avait quitté son chez lui, le temps était au beau fixe et avait brusquement viré quelques minutes auparavant. « Et toi ? » Lui retourna-t-il la question d’une voix posée. Il avait bien vu ce qu’elle faisait mais, sans chercher à l’embarrasser davantage, il était tout de même curieux de connaître la réponse qu’elle donnerait. Dans les films bollywoodiens ou à thème indien du moins, toute la troupe d’acteurs se réunissait généralement à la fin du film pour effectuer une énorme chorégraphie de groupe. La pluie continuait de s’abattre drument sur la plage mais aucun d’eux n’avait l’air très pressé d’en bouger, quitte à finir trempés, à croire que rien de ce qui les entourait ne semblait vraiment compter.

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