Entre mes doigts, une lettre signée d'une main qu'y m'est inconnue, mais bel et bien adressée. Il a fallu à ce courrier, près de deux ans, pour me parvenir. Après un long tour du globe, la nouvelle a enfin atteint son destinataire. Deux ans après sa mort, j'apprenais finalement que mon frère n'était plus de ce monde. Le déchirement, ça aurait dû me briser le cœur, me détruire, m'anéantir, mais non… Au lieu de ça, rien. Je n'ai carrément rien ressenti. C'est terrible quand on y pense, il s'agit de mon frère, mon jumeau. N'importe qui me verrait comme un monstre, une âme sans cœur, mais ça c'est parce que seul les binômes de notre genre sont capables de comprendre. A la lecture de ce message, cela faisait déjà pratiquement deux ans que je faisais le deuil de mon frère. Cette fissure en travers de mon cœur, s'est faite ressentir à la minute même où les battements du sien ont cessé. J'ai su, à cet instant, que mon frère nous avait quitté. Je n'avais strictement aucune idée des circonstances de sa mort, bien que j'ai ressenti ce drôle de sentiment, ce mal être, des semaines avant que cela ne se produise. Mais des chemins et une haine partagée, nous séparaient depuis déjà si longtemps…
J'ai laissé mon frère agoniser, lentement, jusqu'à son dernier souffle, par rancune et pourtant, je suis là à sa demande. Une année après avoir reçu cette fameuse lettre, j'ai décidé de faire le déplacement. Toutes ces années loin l'un de l'autre, tout ce temps passé à nous haïr, pour finalement nous "retrouver" ainsi. Cela me paraît totalement ridicule et pourtant, nous y voilà. Pourquoi? Par curiosité? Par respect pour les dernières volontés de mon double? Par culpabilité? Franchement, je ne sais pas. Hier encore, j'étais prêt à faire demi-tour, à enchaîner une nouvelle fois en 48 heures, une dizaine d'heures d'avion pour rentrer chez moi, comme si de rien était. J'étais prêt à ignorer le fantôme de mon frère, comme il l'avait fait avec moi les dix dernières années de sa vie. Et puis, je ne l'ai pas fait, pour l'une de ces raisons que j'ignore ou peut-être pour les trois…
"J'ai cru que vous ne viendriez jamais." Ma jambe droite trépigne, je regarde l'homme d'un œil agacé, je veux juste qu'on en finisse. "Et moi donc…" D'une main, il fouille dans l'un des tiroirs de son bureau, de l'autre, il fait glisser une nouveau bout de papier vers moi. "Signez ça et on est bon." Dans son foutoir, il finit tout de même par retrouver la raison de ma venue. Je lâche un soupire et me résigne à signer la paperasse avant de prendre la clé qu'il pose devant moi. "Et j'suis censé ouvrir quoi, avec ce truc?" Il hausse les épaules et se replonge dans ses dossiers avant même que j'ai eu le temps de quitter la pièce, exaspéré. Super. Premièrement, mon frère me fait venir jusque dans les beaux quartiers de Californie, mais en plus, pour rien. Une clé à la serrure inconnue, pratique. Je glisse l'objet dans ma poche et traverse le couloir, bien décidé à rentrer chez moi et oublier cette histoire.
Ils devraient investir dans des ascenseurs plus modernes, le voyage jusqu'au pied de l'immeuble, me paraît durer une éternité. Sans compter, qu'il a décidé de s'arrêter à tous les étages dans sa course. Et voilà, il s'arrête encore… Mais cette fois-ci, j'imagine que je pourrais faire avec. Les portes s'ouvrent sur cette magnifique blonde, le temps s'arrête quelques secondes et je n'ai clairement plus envie de m'en plaindre. Et puis, l'habitacle tente de se refermer avant même qu'elle ait eu le temps de monter, ce qui me sort immédiatement de mes pensés. Dans un réflexe, je mets ma main entre les portes et lui adresse un léger sourire. Elle donne l'impression d'avoir vu un fantôme, mais bon, je ne me formalise pas. "Vous montez?" A son tour, elle sort brusquement de ses troublantes pensés et se remet en marche, sans oublier de trébucher au pied de l'ascenseur et de manquer de s'écrouler sur son sol, si elle ne s'était pas raccroché mon bras. Extrêmement maladroite ou totalement à côté de ses pompes, ça en reste attendrissant. "Tout va bien?" Je lui demande parce qu'elle n'a toujours pas lâché mon bras et qu'elle me regarde comme si j'étais un extraterrestre, mais aussi parce que je reste difficilement insensible au charme d'une jolie fille. Elle me sourit, j'en fais de même. Elle m'assure que tout va bien, je récupère mon bras. Et l'ascenseur reprend sa course… Lentement. Deux étages défilent et je sens toujours le regard de cette femme sur moi. Je l'ignore quelques secondes de plus, mais c'est plus fort que moi. "Je sais que je suis incroyablement beau mais… Si vous avez quelque chose à dire, dites-le, parce que ça devient quelque peu gênant." Que je lui dis en tournant la tête vers elle, un sourire amusé, dessiné sur les lèvres.
Aujourd'hui étant un des jours où je n'ai pas cours, j'essaye d'en profiter pour faire tout ce que je n'ai pas eu le temps de faire, car trop occupée par le travail. Je ne me presse pas pour autant et passe la matinée au centre commercial, autant pour faire les courses de la semaine que pour faire un peu de shopping. Une fois sortie du centre commercial, je fais le crochet par la maison pour y déposer mes paquets avant de prendre la direction du bureau d'une amie pour qu'on déjeune ensemble. J'arrive rapidement au cabinet d'avocats où elle travaille et on partage ce déjeuner dans son bureau. On profite de ce moment pour se raconter les dernières nouvelles et je ne vois pas le temps passer, sauf quand elle me parle de ses projets de bébé avec son mari, le sourire jusqu'aux oreilles. A ce moment-là, j'ai envie de prendre la fuite, sachant bien que c'est quelque chose que je ne connaitrais sans doute jamais... Même si je devrais me réjouir pour mon amie. Je lui adresse alors quelques sourires de façade et quand elle me dit qu'il va falloir qu'elle reprenne le travail, c'est limite si je ne suis pas soulagée. Je la salue avant de traverser le couloir qui mène à l'ascenseur, avant de l'appeler une fois devant. Je patiente quelques secondes en regardant un peu ce qui se passe autour de moi.
Puis, les portes de la cage métallique s'ouvrent. La vision de l'homme me paralyse. J'ai l'impression de devenir folle et pourtant, il est bien réel. Il est un peu plus musclé mais sinon, c'est exactement le même : le fantôme de Sloan. Comme un bruit de fond, j'entends les portes qui commencent à se refermer mais il les en empêche. Pendant quelques secondes, je suis figée, le regard perdu jusqu'à temps qu'il me sorte de mes pensées en me demandant si je monte. Je hoche faiblement la tête, incapable de dire quoi que ce soit. Mais à peine j'entre dans la machine que je trébuche, me raccrochant à la première chose qui me passe sous la main : son bras. Je le fixe et j'ai bien du mal à croire que ce soit une coïncidence. Comment le fantôme de l'amour de ma vie pourrait se trouver exactement dans la même ville que moi ? Combien y avait-il de chances pour que je le croise un jour ? De nombreuses hypothèses me traversent l'esprit et il y en aurait bien une, plus logique que les autres, même si elle est ridicule. Il n'était certes, pas proche du tout de sa famille, mais jamais il ne m'aurait caché quoi que ce soit. De nouveau, il prend la parole, me demandant si tout va bien et je souris rapidement avant de finalement lâcher son bras.
« Oui oui, tout va bien... »
Je continue de le fixer, malgré moi, et mes pensées se bousculent toujours dans ma tête. Cela fait désormais presque quatre ans que j'ai perdu le seul homme avec qui je me voyais construire un futur. Et malgré les épreuves qui s'étaient mises en travers de notre chemin, je savais que c'était lui et personne d'autre que je voulais. Oui, aujourd'hui, mon deuil est fait. Mais tomber sur son sosie remet tout en cause et me perturbe au plus haut point. Non seulement ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau, mais ils ont exactement la même voix et ça me déroute davantage. Je sursaute légèrement lorsqu'il se tourne vers moi avec un sourire amusé, me disant savoir être 'incroyablement beau' avant d'ajouter de dire ce que j'ai à dire. Ça c'est clair, c'est un des plus beaux hommes que j'ai jamais vus, je ne vais pas le contredire là-dessus... De nouveau, je lui adresse un bref sourire mais cette fois, je baisse les yeux, ne sachant pas quoi lui répondre, tout en essayant de ne pas avoir trop l'air d'une dégénérée. Je regarde mes pieds pendant quelques secondes avant d'inspirer et de reporter mon attention sur lui. La voix presque tremblante, je lui réponds enfin, impassible malgré le flot d'émotions en moi :
« Désolée. Vous allez me prendre pour une folle, c'est certain. Vous êtes le portrait craché de quelqu'un que j'ai connu... Mais c'est juste... Impossible et totalement dingue. »
Je secoue la tête, me sentant complètement ridicule, avant de baisser encore une fois les yeux... N'ayant pas spécialement envie de voir son regard apeuré. S'il ne prend pas peur au point de sortir le plus vite possible de l'ascenseur, ce sera un miracle...