Démarrer quelque chose c’est prendre le risque que ça ne se passe pas comme on le souhaite. Mais aussi, parallèlement que ce soit une expérience bien plus incroyable que prévu. Je ne sais pas encore ce que me réserve Huntington Beach. Je ne sais pas dans quelle catégorie je pourrais classer cette aventure. Il est bien trop tôt pour dire ça. Puisque pour l’instant rien n’est allé de travers. Rien n’a divergé du plan originel. Nous avons emménagé avec Kaylee. Nous avons meublé notre appartement. Nous avons tous les deux retrouvé nos anciennes activités. Kaylee s’est trouvée un boulot de serveuse et moi je suis à l’université en sciences politiques. Enfin… Pas tout fait. Depuis un moment je suis des cours de langues en supplément et j’essaye d’approfondir le droit. En fait, je vise un stage chez un avocat. Ça m’intéresse vraiment. Mais je crois que c’est futile. Je ne suis pas la bonne personne pour protéger des individus. De toute façon, je ne trouverai jamais un emploi avec des responsabilités aux vues de mon casier judiciaire. Plusieurs arrêts pour consommation d’alcool et de produit illicite sur la voie publique tout en étant mineurs, violences aggravés, implications dans des rixes, insultes à agents… Mon père a toujours payé mes cautions. Il se faisait un plaisir de me laisser poireauter un jour ou deux en cellule avant de venir me chercher parce que ma mère le suppliait trop. Mais maintenant ça n’arrivera plus… Je me demande ce que penserait un avocat en voyant le curriculum vite d’un gars qui s’est fait poignarder par son père et que celui a fini en prison pour tentative de meurtre. Sur ma personne et sur ma mère… Il a tué ma mère. Ce monstre… Vous ne pouvez pas savoir comme je suis heureux qu’il se soit retrouvé en prison. Vous ne pouvez pas connaître le soulagement que j’ai eu quand j’ai su qu’il s’est retrouvé dans une baston et qu’il s’est fait à son tour poignardé. Les soins ne lui ont pas été donnés à temps et la blessure s’est méchamment infectée. Il est mort deux semaines après. Je sais que ma famille n’est pas comme toutes les autres. Je sais que je ne suis pas un modèle. J’ai perdu ma mère suite à un coma à cause d’une violente chute dans les escaliers. Mon père est mort en prison. J’ai commis pas mal d’erreur jeune et encore l’année dernière je n’ai pas été un modèle de vertu… Je sais que personne ne voudra de moi. Je finirais serveur, garagiste ou même plombier. Je n’ai pas d’avenir. Qui voudrait d’un tatoué à la vie désastreuse ? Qui voudrait d’un jeune à la recherche de rédemption ? Je crois que si je suis encore là, c’est parce que j’ai la force de tenir. Mes études, je les fais pour faire un pied de nez à tous ceux qui me jugent au premier regard. Oui, peut-être que mes diplômes ne me serviront jamais. Peut-être que je finirais par vivre du minimum social, je n’aurais pas assez d’argent de côté pour ma retraite, je finirais dans une de ses maisons désastreuses fumeur et alcoolique… Mais au moins j’aurais cette fierté. Je serais ce puits de connaissances. À première personne ne viendrait vers moi pour me poser la moindre question, mais au moins je saurais examiner leurs comportements. Je saurais l’histoire de ce pays et verrait les mêmes conneries se répéter en boucle. J’aurais toujours ma conscience. Parce que je me suis promis une chose, jamais je n’entrerai dans le système. Jamais je ne serais l’un des pions de l’échiquier dont le roi n’a pas peur de sacrifier la vie. En fait… Il s’en moque complètement de ma vie, du moment que je sers la sienne. Alors non, non je ne me laisserai pas faire ! J’irais toujours à contre-courant et ceux peu importe où ça m’emmène.
Mes yeux se posent sur mon avant-bras où est tatouée la phrase « Le monde tourne » en français. Oui, le monde tourne. Il va toujours dans le même sens et on peut choisir de le suivre, de se laisser porter par sa cadence et n’être qu’un homme parmi l’humanité. Ou bien, on se lève et on dresse notre poing vers le ciel. Je vous laisse réfléchir sur ce que vous vous ferez. Seriez-vous qu’un individu parmi tant d’autres. Souhaitez-vous vivre votre vie tranquille en vous pliant à toutes les règles que l’on vous impose sans vous questionnez sur leur bien fondé. Ou bien seriez-vous de ceux qui ont conscience de leur âme, de leur vie, de leur but… Il est toujours tant de changer les choses. Je ne dis pas qu’il faut être anarchiste, c’est ridicule. Aucune anarchie n’a pu fonctionner convenablement. Il y a toujours quelqu’un qui finit par se hisser à la place du meneur. Parce que dans le fond, il y a toujours meilleur que nous. Je ne veux pas d’une anarchie. Je veux juste une société où les hommes arrêtent de penser collectivement et commencent un peu à regarder ce qu’il se passe autour d’eux mais aussi en eux.

Je soupire. Où en étais-je ? Ah oui ! La vaisselle ! Je suis là à frotter les assiettes et mes pensées divaguent au gré du vent. Je passe d’une idée à l’autre. Je visualise des visages. Comment peut-on faire une activité aussi barbante sans penser à quoi que ce soit ? S’il y a bien un seul moment où l’on peut faire et refaire le monde c’est bien en faisant la vaisselle ! Ou même le repassage ! Ou le ménage tout simplement ! Vive ces activités ! Parce que oui je suis un homme mais ce n’est pas pour autant que je fous rien à la maison ! Kaylee est partie travailler il y a de ça vingt minutes. Alors il faut bien que je m’occupe. Je ne suis pas un grand fan de la télé. Je la regarde mais j’en ai assez de voir des téléréalités beaucoup trop loin de la réalité. Je n’ai pas vraiment la tête à regarder un film d’amour et si je commence un film d’action ou une série, je ne vais pas pouvoir me détacher du canapé.
Du coup, j’en profite pour faire ma bonne action ! Je joue le rôle de l’homme parfait. Celui qui fait le ménage et qui vous laisse un petit mot d’amour sur la porte quand il part. Nos horaires sont assez décalés en ce moment avec Kaylee. Ça va que la fac ne me prend pas non plus trop de temps, sinon nous ne ferions que de nous croiser. En tout cas une chose est sûre, les femmes adorent qu’on prenne soin d’elle, qu’on s’occupe d’elle, qu’on leur porte des petites attentions. Et moi j’adore la façon qu’a Kaylee pour me remercier… Ne me demandez pas pourquoi. Je crois que c’est un truc naturel !

Je suis donc là, les mains dans l’eau, la tête à présent occupée à penser à celle que j’aime quand soudainement quelqu’un sonne. Je soupire. Qui est-ce que ça peut-être ? Je pense d’abord à Kaylee. Elle a peut-être fini plus tôt ou bien mon corps chaud lui manque et elle a une terrible envie de s’y blottir ! Ou encore elle a vu une araignée derrière le comptoir du bar et du coup elle courut sans s’arrêter jusqu’à l’appartement avec son petit hurlement trop mignon. Ou encore c’est le voisin qui vient me demander si je n’ai pas un peu de farine pour son repas de ce soir. Ou finalement c’est le propriétaire qui vient m’annoncer un truc important. Je ne vois pas ce que ça peut être d’autre… Je n’attends personne. J’avais prévu de m’effondrer sur mon lit avec mon ordinateur sur les genoux et de laisser le temps filer entre mes doigts…

Lorsque j’entends la sonnerie pour la seconde fois, je me décide à abandonner ma tâche pour essuyer mes mains. Le torchon dans les mains, je me dirige vers la porte et demande : « Qui c’est ? »