Quand je pense à tout ce qui m’est arrivé, je ne peux m’ôter de l’esprit l’idée qu’un mystérieux destin tisse les fils de nos vies avec une vision très claire du futur, sans prendre en compte nos désirs et nos projets.

Elle ferme le livre qu'elle tient entre ses doigts, soupire. Tu demandes, un peu inquiet. « Tu m’aimes ? » Un sourire, faux. « Ne dis pas de bêtises, Keane. Allez, j'éteins la lumière. » Elle s'éteint, la lumière. Oui, tous les soirs, la lumière, elle s'éteint sur ta mère, qui disparait derrière la porte. Tu te glisses sous ta couverture en grelottant, les paupières closes. Tu n’aimes pas ta chambre, tu n’aimes pas les peluches qui t’observent, posées sur les étagères, leurs visages tordus dans des rictus apeurant. Tu les entends, en bas, tes parents qui parlent fort, qui claquent les portes. Ta mère, elle dit que ton père, c’est un con. Tu ne sais pas ce que ça veut dire, mais un jour, tu lui demanderas. Oui, un jour...

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« M’man ? » Silence. Tu as toujours détesté cette maison, autant que ses occupants. Il y a ton père, bien sûr, un homme faible, sans intérêt, et il y a ta mère, ce genre de femme qui donne envie de vomir. Elle a ce regard, cette odeur, cette façon de s’adresser aux gens en les rabaissant. Tu tiens tout d’elle. Mais le pire, c’est ton père. Elle ne le regarde presque plus. « Maman ?! » Tu grimpes les marches quatre à quatre. C’est là que tu venais te cacher, quand tes parents se disputaient et que tu voulais savoir de quoi il était question. Et puis, en haut des marches, il y a ce bruit… C’est une plainte, comme un cri de douleur, un gémissement que l’on étouffe. C’est ta mère, elle est en train de crever, tu en es presque sûr. Ce bruit, c’est celui d’un chien qui implore. Alors, tu presses le pas, et puis la porte de la chambre de tes parents, tu la pousses un peu fort. Elle tape violemment contre le mur. Tu pinces les lèvres. A quatre pattes sur le lit, ta mère a tout l’air de souffrir, presque autant que le type qui la chevauche. Elle hurle, surprise. Il glisse sous les draps pour cacher le peu de virilité qu’il lui reste. Elle te regarde. Tu le reconnais, le chien, celui qui t’implore de tout oublier. C’est une trainée, une pute. Tu claques la porte derrière toi, pour te précipiter dans les escaliers. « Keane ! Attends, je vais t’expliquer ! Ce n’est pas ce que tu crois ! » Il n’y a rien à expliquer. Tu sais déjà tout. C’était pour que ta mère puisse satisfaire ses désirs de femme riche que quand tu étais enfant, c’était la nourrice qui venait te chercher à l’école. Alors, tu t’en vas, blessé, honteux.

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Tu baisses les yeux, un peu effrayé quand l'aiguille disparait sous ta peau. Pour la première fois, l'excitation t'envahit et presque aussitôt, tu as la sensation d'être emporté par un tourbillon d'adrénaline, sans aucun doute provoqué par la drogue quand elle afflue dans tes veines, accélérant sensiblement ton rythme cardiaque. Tu en as beaucoup entendu parler, tu pensais y être préparé, mais ça dépasse toutes tes espérances. Et, lentement, tu sombres. Tu perds toute notion de temps, tu cesses même de penser. Cette injection est une bénédiction, un moment de répit qui te permet d’oublier à quel point ta vie est compliquée. Même les récents événements y passent, noyés par l’euphorie. Brusquement, il y a un grand bruit, des hurlements, une vive lumière qui brule tes prunelles fatiguées. Une masse noir s'abat sur toi, t'écrase, t'assomme, et tu perds connaissance.

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Tu renifles. Ici, ça sent pas comme chez toi. Chez toi ça sent les légumes, la bonne bouffe, les trucs bons pour la santé. Ici, c’est différent. Ici, ça sent l'alcool, la cigarette et la sueur. « Faire tant d'histoire pour attirer l'attention, on a jamais vu ça, je t'avais dit qu'il ne nous apporterait que des ennuis » Tu reconnais cette voix, qui t'arrache un frisson de dégoût. Tu te lèves. C'est comme à la télévision: le type de la police, il ouvre la porte, retire tes menottes. Cool. Mais une seconde plus tard, ton père te tombe dessus. C'est un volcan, ton père, et soudain, éruption sur ta joue qui vire immédiatement au rouge quand sa main claque sur ta peau. Tu te mords la lèvre, tu tiens le coup. Tu voudrais lui dire, à ce père, combien le monde se moque de lui ! Tu voudrais lui raconter, sa mère le cul en l’air, qui se fait tringler de tous les côtés. Tu voudrais lui expliquer à quel point ça te blesse, toi, qu’ils ne soient plus amoureux. Tu voudrais lui dire tout ça, mais ça ne vient pas et on ne t’en laisse pas le temps. Ta mère attrape ton bras et en profite pour te glisser de te la boucler, qu’il y a déjà eu assez de scandale pour aujourd’hui.