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 I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger

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MessageSujet: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyMer 8 Jan 2014 - 4:24

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


Les maisons avaient beau être couvertes de guirlandes lumineuses et autres décorations de Noël, le mois de décembre en Californie était loin d'être un mois frileux. C'était sans doute l'une des premières fois que Donovan passait les fêtes de fin d'année sans neige et étrangement il ne s'en plaignait pas, il avait passé l'âge de s'extasier devant les premiers flocons, même si évidement il ne dirait jamais non à une bataille de boule de neige. Être au soleil pendant cette période ne le dérangeait pas vraiment. Malgré le départ d'Harper, il continuait de travailler au café, tant que le salaire tombait toujours à la fin du mois il n'avait pas de raison d'arrêter. Servir des boissons et nettoyer des tables n'était toujours pas sa grande passion mais pour le moment il avait du mal à voir ce qu'il pourrait faire d'autre, hormis peut-être une idée qui lui trottait dans la tête ces derniers jours mais qu'il mettait un point d'honneur à rejeter pour l'instant. Il n'était pas prêt et n'avait pas envie de changer quoique ce soit à sa situation actuelle. Il était plutôt heureux et pourtant il n'aurait jamais cru pouvoir se plaire dans une ville comme Huntington. Cela faisait quelques mois maintenant qu'il partageait l'appartement de Naya, les choses ne fonctionnaient pas trop mal entre eux deux, même si évidement depuis qu'il avait renoué avec Jagger ils avaient cessé les galipettes du début. Se balader à poils devant elle ne le gênait pas, mais c'était en tout bien tout honneur, elle avait le droit de se rincer l'oeil si elle le souhaitait mais toucher était désormais interdit et Donovan avait bien insisté sur ce point, bien qu'en réalité Naya n'était pas le genre de fille à s'attarder sur ces détails. Ce n'était pas comme si Donovan était son mec, il pouvait faire ce qu'il voulait avec qui il voulait, elle n'en avait pas grand chose à faire. D'ailleurs, ces derniers jours il passait son temps à vadrouiller et ne rentrait à l'appartement que pour dormir et encore. S'il n'était pas au boulot, il était à la plage, monsieur avait en effet décidé de se mettre au surf pour impressionner Jagger mais pour le moment il ne lui en avait pas parlé parce qu'il fallait être honnête, il n'était pas très doué. Quand on vient de Chicago, ce n'est pas vraiment le surf que l'on a dans la peau, mais au moins il essayait. Enfin, Il passait pas mal de temps avec Jagger, et c'était dans ces moments-là qu'il se sentait vraiment bien. Bien sûr, c'était l'apothéose lorsqu'ils se retrouvaient dans le même lit, de préférence nus, mais il appréciait aussi tout ces petits instants qu'ils partageaient. Il s'était réhabitué au son de sa voix, à la profondeur de son regard, à ses éclats de rire, à son langage de charretier, à l'odeur de ses cheveux et par dessous tout à ses lèvres qui lui offraient des baisers dont il ne se fatiguait jamais.

Allongé dans son lit, il avait du mal à dormir. Donovan n'avait pas franchement l'habitude de se coucher tôt et trouver le sommeil était toujours particulièrement compliqué, mais cette nuit il y avait quelque chose de différent, quelque chose le préoccupait. Il prétendait peut-être ne pas pouvoir mettre le doigt dessus, mais il savait très bien ce dont il s'agissait au fond de lui. Il y a quelques jours de cela il avait reçu un appel de la part de sa soeur, celle-là même à qui il n'avait pas parlé depuis des lustres. Il n'avait aucune idée de comment elle avait pu obtenir son numéro, et très franchement en entendant sa voix à l'autre bout du fil l'idée de raccrocher immédiatement avait effleuré son esprit mais il avait beau ressentir une certaine rancoeur à l'encontre de sa soeur, une part de lui avait été curieux de savoir ce qu'elle lui voulait. Milena avait essayé de se montrer amicale, il aurait presque cru revenir des années en arrière lorsqu'elle s'intéressait encore réellement à lui, sauf que désormais il n'avais plus quinze ans et il avait cessé d'avoir une confiance aveugle en sa soeur. Certes, il fut un temps où elle l'avait protégé, elle avait été là pour lui mais ensuite un homme était entré dans sa vie, elle avait commencé à fonder sa propre famille et à oublier son petit frère qui semblait de toute façon n'apporter que des problèmes à tout le monde. Donovan lui en voulait encore de l'avoir laissé tomber, ce n'est certainement pas le genre de choses qu'on oublie facilement et si on pouvait le critiquer sur bien des points, personne ne pouvait lui reprocher les désagréables ressentiments qui l'emplissaient. Il était rancunier, il ne pouvait pas le nier mais pour le coup il n'éprouvait aucun remord. Sa soeur avait juré d'être toujours là pour lui mais elle avait rompu cette promesse en un battement de cils, pourquoi aurait-il dû faire un effort? Donovan l'avait donc coupé dans son élan de gentillesse, le ton maternelle qu'elle employait pour s'adresser à lui l'irritait particulièrement. Il l'avait prié de bien vouloir en venir au but de cet appel mais l'avait presque aussitôt regretté en entendant ce qu'elle avait à dire.  "Papa est malade, il veut te voir." Cette phrase résonnait depuis dans sa tête dans un écho interminable. Il avait dû marmonner quelque chose à sa soeur, quelque chose sans importance, et il avait raccroché parce qu'il n'était pas parvenu à trouver autre chose à dire. Son père, l'homme qu'il devait sans doute le plus haïr sur Terre, demandait à le voir. La bonne blague! Il pouvait se brosser pour que Donovan accepte de traverser le pays pour le rencontrer et l'écouter alors qu'il avait littéralement passé sa vie à chercher à lui échapper, à fuir cet homme pour qu'il n'était même pas sûr d'avoir jamais éprouver quoique ce soit d'autre que de la haine. Pourtant, il était là dans son lit à se tourner et se retourner sans parvenir à atteindre les bras de Morphée. Son réveil affichait presque trois heures du matin. Il sentait une forme de colère l'envahir peu à peu, même à des milliers de kilomètres ce connard arrivait à lui couper l'envie de dormir! De quel droit sa soeur l'avait-elle appelé? De quel droit son père osait-il lui demander de rentrer? Il avait enfin eu l'impression que les pièces du puzzle s'assemblaient jusqu'à ce que son téléphone sonne et que sa pseudo famille vienne foutre à nouveau le bordel dans sa vie. Il était bien à Huntington Beach et la seule personne avec qui il voulait être c'était Jagger, personne d'autre. Sa soeur, son père, ils pouvaient tous les deux aller se faire voir, Donovan ne voulait pas les revoir, il n'avait même pas envie de penser à eux. Il leur avait donné leur chance il y a longtemps, c'était trop tard à présent. Ils n'auraient plus jamais aucun droit de passage pour revenir dans sa vie, il en avait fini avec eux il y a des années de cela.

Donovan se redressa un peu dans son lit, il alluma une lampe de chevet qui se trouvait juste à côté, et resta ainsi quelques instants à simplement contempler le mur qui se trouvait face à lui. Au bout d'un moment, il se décida enfin à attraper son paquet de cigarettes et à quitter la petite pièce qui lui servait de chambre. Torse-nu, il était uniquement vêtu d'un boxer qui lui moulait aussi bien les fesses que l'entre jambe, c'était ainsi qu'il se sentait le plus à l'aise pour dormir quand il n'était pas complètement nu. Il déambula jusqu'au salon où il faisait tellement noir qu'il se cogna une ou deux fois le pied dans un meuble. À chaque coup, il laissait échapper un flot de jurons tout en essayant d'être discret pour ne pas réveiller Naya. Lorsqu'il parvint à atteindre la cuisine, il ouvrit le frigo à la recherche d'un truc à se mettre sous la dent. Il sortit un pot de cornichons et en attrapa un qu'il avala en moins de deux secondes. Niveau cornichon, il était comme Snooki de Jersey Shore, il pourrait en manger à toutes les sauces, et il raffolait y compris des cornichons frits! Only a real redneck would know… Donovan retourna au salon et attrapa une cigarette avant de l'allumer. Il était toujours dans le noir, parce que l'obscurité a quelque chose de très apaisant à ses yeux et puis à quoi bon allumer la lumière? Il aurait bien été fumer sur le balcon sauf que la pluie s'abattait à grosses goûtes sur les vitres de l'appartement, ça n'avait pas cessé depuis le début de soirée. Tant pis, pour une fois il fumerait à l'intérieur, Naya n'étant pas du genre casse-couilles, elle ne lui en tiendrait pas rigueur. Dono' parcouru le comptoir devant lui, il prit place sur l'un des tabourets tout en tentant de se détendre et de chasser de son esprit tout ce qui le dérangeait et l'empêchait d'être en train de roupiller en ce moment même. Malgré l'obscurité, il aperçu une pile de courrier, sa colocataire (ouais bon, son hôtesse) lui avait justement dit tout à l'heure qu'il avait une lettre mais il n'avait pas encore pris le temps de le lire. Il avait trouvé ça un peu bizarre de recevoir quelque chose ici alors que pratiquement personne ne savait qu'il vivait dans cet appartement, ce n'était pas une cohabitation officielle, et à qui aurait-il dû donner son adresse de toute façon? Mais soit, il avait reçu du courrier, peu importe, il avait prévu de s'en occuper demain matin en compagnie d'une clope et d'un café. Puisqu'il était déjà levé et qu'à défaut d'avoir un café il avait tout de même une cigarette, autant regarder ça maintenant. Ne pas remettre à demain ce que l'on peut faire aujourd'hui, son dicton pour la nouvelle année? On dirait bien! Donovan quitta son siège pour aller allumer la lumière avant de revenir parcourir le tas de lettres et autre tracts publicitaires. C'est dingue le tas de merdes que les gens reçoivent dans leur boite aux lettres de nos jours. Il trouva alors l'enveloppe qui lui était destinée. L'écriture ne lui était pas familière et pourtant on aurait dit une lettre personnelle, un truc qu'un proche vous envoie pour vous parler de quelque chose d'intime et personnel par exemple. Pendant une seconde il imagina recevoir une lettre de sa soeur, mais si elle lui avait envoyé ceci elle n'aurait pas pris la peine de l'appeler ensuite, pas vrai? Donovan s'empressa de terminer sa cigarette pour retourner dans sa chambre.

Il s'était rassis sur son lit, la lettre toujours dans les mains, il la tourna dans tous les sens à la recherche d'un indice sur sa provenance. Rien. Sans réfléchir il l'ouvrit à l'arrache, comme un chiffonnier, autrement dit à la Donovan. Qui sait, peut-être allait-il trouver un énorme chèque à l'intérieur… Il avait déjà entendu ce genre d'histoire, des vieux qui lèguent leur argent à des inconnus juste pour le plaisir de faire des heureux! Tout à coup il était presque impatient de voir ce qu'il y avait à l'intérieur. Il sortit une lettre, elle était pliée en deux, il secoua l'enveloppe, juste pour être sûr de ne rien laisser de côté (*tousse* Un chèque. *tousse*). Une fois certain qu'elle soit vide, il la déposa sur sa table de chevet à côté de la lampe qui était restée allumée, se gratta furtivement la petite barbe de deux jours qu'il s'était laissé pousser et s'empara de la lettre pour la déplier. Ses yeux balayèrent rapidement le papier sans vraiment s'attarder sur les mots, il avait toujours détesté lire. La signature était bizarre et avait attiré son attention."Cordialement, maitre corbeau". Maitre corbeau? Arf! C'était sans doute encore une grosse connerie, peut-être même un truc comme une chaine qui vous dit que si vous n'envoyez pas ce message à au moins dix autres personnes vous allez mourir demain. Mais sérieusement, qui faisait encore des chaines par lettre papier? Avec internet, c'était carrément devenu démodé de s'envoyer ces merdes-là via la poste! Il était presque sur le point de la chiffonner quand il se rappela pourquoi il s'était levé. Il n'avait pas sommeil et quitte à perdre son temps il valait mieux le faire en lisant un message débile plutôt que d'offrir encore une seule de ses pensées à son père. Il rapporta donc la lettre sous yeux et entama la lecture.

"Cher Donovan" blablabla. Et puis soudain, alors qu'il attendait une histoire du genre "Marie-Margaret était une gentille petite fille de dix ans qui s'est faite tuer sauvagement (c'est-à-dire décapitée, amputée, dépecée et peut-être même mangée, parce que ça rime!) alors que ses parents étaient de sortis. Depuis cette sombre soirée, elle a juré de se venger de son meurtrier en venant assassiner dans leur sommeil toutes les personnes qui ne transmettent pas ce message à X autres personnes", Il se rendit rapidement compte que cette lettre contenait un message tout à fait différent. Il était d'abord confus, c'était comme s'il ne comprenait pas les mots qui était en train de défiler sous ses yeux. Son coeur s'était accéléré parce que qui que ce soit qui lui avait envoyé cette lettre, ça parlait de Jagger et … d'enfants? Ou plutôt d'un enfant en particulier? Pas certain d'avoir très bien compris, ou peut-être peu enclin à comprendre, il la relut une seconde fois, puis une troisième. Cette fois là, il se permit de la lire à haute voix. "Ironique, quand on sait que Rose, Grace, ou Lily, aurait pu voir le jour il y a un bon moment... Ah, oui, tu ne savais pas..." Le léger sourire moqueur qu'il affichait encore avant d'entamer sa lecture avait complètement disparu pour laisser place à un froncement de sourcils, un air inquiet ou en colère peut-être, c'était difficile à dire, s'était installé sur son visage. Il resta un moment sans bouger, seul le bruit de sa respiration s'accélérant peu à peu envahissait la pièce et quand il sentit que s'en était trop, qu'il allait exploser, il lâcha la lettre, se leva pour shooter dans la table de chevet, dégommant au passage la lampe qui se brisa au sol. Il donna ensuite un coup de poing dans le mur, puis un second, puis un troisième et peut-être même un quatrième. Il avait les doigts en sang mais il n'en avait rien à foutre. Oui, soudainement, il n'en avait vraiment plus rien à foutre de rien. Donovan ne prit pas la peine de reprendre sa respiration ou ne serait-ce que de se calmer pour rationaliser tout ça, il attrapa un jean qui trainait dans un coin et un simple t-shirt blanc  qui ne cachait rien du développement certain de sa musculature, il enfila le tout en vitesse, ramassa la lettre au passage et sauta littéralement dans une paire de chaussures. Moins de deux minutes plus tard il était à la porte et à peine l'avait-il ouverte que la pluie s'abattit aussitôt sur ses épaules lui rappelant la terrible impression qu'il avait que le ciel était en train de lui tomber sur la tête. Quand il se retrouva à courir sur le trottoir juste en bas de la résidence de Naya, il était déjà trempé comme une soupe, il n'avait même pas pensé à prendre ses clés. À l'instant présent il ne se souvenait même plus d'où il avait garé sa voiture pour être honnête. Il avait une seule chose en tête, voir Jagger. Il avait besoin de la regarder droit dans les yeux et de l'entendre dire "Ce n'est pas vrai Donovan. C'est un ramassis de mensonges complètement immondes! Ce n'est pas vrai, je te le promets. Il avait besoin de plonger son regard dans celui de celle en qui il avait actuellement le plus confiance et il avait besoin qu'elle le calme et l'apaise. Il courait à grandes foulées sous la pluie battante, il connaissait le chemin jusqu'à chez elle par coeur, il aurait pu y courir les yeux fermés. Pour le coup, il était surtout guidé par un sentiment qui l'effrayait lui-même. Il ne voulait pas y croire, elle lui aurait dit si quelque chose comme ça été arrivé… Si elle avait été… Il ne pouvait pas le dire, pas même dans sa tête. Il n'en avait peut-être pas l'air mais le plus grand rêve de Donovan était très certainement d'avoir un jour une famille. Pas maintenant, certes, il se voyait mal avec un enfant sous le bras pendant qu'il vivait sa vie de nomade. Mais il savait qu'un jour, le jour où il serait devenu plus posé et où il ne ressentirait plus le besoin d'être lui-même un gamin parfois, il voudrait avoir des enfants, des tas de petits marmots qui sautilleront partout et lui hurleront dans les oreilles "parce que c'est rigolo".

Il courait sous la pluie à trois heures du matin, en t-shirt qui plus est. Il courait et il pensait à Jagger et à ce qu'il venait de lire. Il essayait de se remémorer la soirée au Penthouse, quand il lui avait ouvert son coeur, quand il lui avait parlé de sa vie d'avant, de Jake et Ryan, de son père aussi. Il n'avait plus aucun secret pour elle et il pensait qu'elle n'en avait plus non plus pour lui. Du moins, il n'imaginait pas qu'elle puisse garder une telle chose pour elle, et aussi fort désirait-il ne pas y croire, il était incapable de passer outre. C'était là, ancré dans sa tête, et ça cohabitait avec la colère qu'il éprouvait déjà contre sa soeur et son père d'être venu déranger sa tranquillité fraichement acquise. C'était comme si l'univers mettait toujours un putain de point d'honneur à lui rappeler qu'il ne vivrait jamais une existence heureuse, que pour une raison qu'il ignorait lui-même, il n'était apparemment pas assez digne d'être aimé et d'aimer en retour. Il se sentait soudain très seul. Mais au delà de la colère il y avait surtout de l'incompréhension. Lorsqu'il releva finalement la tête et qu'il aperçu la porte de la maison de Jagger, il ralentit la cadence jusqu'à se stopper complètement. Il était là sur la pelouse devant chez elle, le souffle coupé, le coeur battant à mille à l'heure et prêt à exploser. C'était comme si tous les sentiments qui existent sur Terre étaient en train de passer par lui, il était submergé mais il devait encore tenir quelques mètres, quelques mots...

Son poing frappa à la porte, un coup, deux coups. "Jagger!" hurla-t-il à pleins poumons. Il ne pensa même pas au fait qu'elle allait sans doute flipper sa race d'entendre quelqu'un taper ainsi à sa porte, elle ne reconnaitrait peut-être même pas sa voix. Il frappa un troisième coup avant de ne plus bouger du tout. Il attendit quelques instants et quand on lui ouvrit enfin, il ne lui laissa le temps de rien, il repoussa lui-même la porte l'obligeant certainement à reculer. Il n'était pas exactement dans son état normal. Il déplia la lettre qui était dans sa poche de jean et donc légèrement trempée mais encore lisible, du moins il l'espérait. "Est-ce que c'est vrai, putain de merde?" Donovan hurlait encore. Le son de sa voix n'avait pas retrouvé son volume normal. Il tremblait à la fois sous le coup de la colère, de l'angoisse et de l'eau. Il était clairement trempé jusqu'aux os mais il s'en fichait, il aurait pu attraper une pneumonie pour ce que ça vaut, au point où il en était il s'en foutait comme de l'an quarante. Il n'avait même pas conscience de son état, ni même du fait que Jagger ne devait rien comprendre à la situation. Il n'y avait qu'une seule chose qui comptait et c'était de savoir la vérité. "Y'a un putain de connard qui m'a envoyé une lettre pour me dire … pour me dire…. " Il n'arrivait pas à le dire. "Lis-la bordel! Lis et dis-moi que ce n'est pas vrai." Son regard trouva enfin le chemin vers celui de Jagger et tandis qu'il respirait péniblement, retrouvant peu à peu son souffle, il ne la quittait pas des yeux.

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyJeu 16 Jan 2014 - 5:01

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



Il y avait un jour dans sa mémoire, comme une brûlure, une plaie ouverte. Le souvenir des kilomètres qui s’enchaînent, de la fatigue qui vous bouffe jusqu’aux os, du soleil qui brûle, de l’océan au loin. La peur qui prend à la gorge. D’une minuscule, minuscule femme qui titube dans les couloirs d’un hôpital et qui a mal, tellement mal. Ce jour, elle n’en parlait pas. Jamais. Plusieurs fois, elle avait regardé Hendrix dans les yeux, avec ce regard qui criait la douleur - mais comment trouver les mots pour dire que l’on n’a plus rien? Que John et Ginger Dickens ne sont pas les seuls  à avoir perdus la vie ce jour là? Comment faire, sans se revoir prostrée sur le bord de la route, à suffoquer d’une douleur double quand à la fois la vie et l’envie de vivre disparaissent. Des heures et des heures plus tard, une femme dans une blouse blanche avait dit à une autre femme épuisée les mots qui font mal. « Fausse couche spontanée ». Il n’y a pas de terme pour la souffrance.
Comment regarder Donovan dans les yeux et lui dire: « J’ai perdu ton enfant »? Dans les heures de solitude, il lui arrivait de l’imaginer. Une petite fille, qu’elle se disait. Elle aurait eu le regard de sa mère, le sourire de son père, son infinie tendresse. Elle aurait dit « merde » avant de dire « s’il vous plaît ». Peut-être même que ç’aurait été une espèce de garçon manqué, comme Jagger. Elle aurait rêvé de voir le monde, d’aller plus loin encore que ses parents réunis. Elle n’aurait eu ni peur, ni angoisse, elle aurait été aimée comme personne ne l’avait été avant elle. Sûrement un nom de vieux musicos, comme ses parents - Marley, peut-être. Elle aurait été belle, tellement. Elle aurait tout fait pour faire plus qu’en rêver. Pour ne pas sentir comme un coup de poignard dans son ventre alors que Hendrix lui annonçait le décès de ses parents. Pour ne pas être si faible, si vulnérable. Sur l’os de sa cheville, elle avait cette unique lettre tatouée - un M, pour l’enfant qui n’avait pas vu le jour et qu’elle aimait pourtant, tellement.
Et le deuil n’en finissait pas - alors elle avait gardé le silence, comme pour oublier. Jusqu’au jour où elle avait commencé à recevoir ces lettres. Une. Puis deux. Puis trois. Signées par un putain de corbeau - elle aurait éclaté de rire si ça n’avait pas été aussi tragique. Le premier jour, elle s’en souvenait, elle avait failli la foutre au feu. Comment pouvait-on savoir, hein? Elle n’avait rien dit à personne - et cette connasse de médecin était tenu au secret. Putain de blague de mauvais goût. Et rien n’y indiquait vraiment que ce « corbeau » savait pour l’enfant. La deuxième lettre avait apporté le doute, le doute qui lentement mais sûrement commence à bouffer le coeur. La troisième lettre l’avait laissée en morceaux. Ceux qui pensaient qu’elle n’avait pas de coeur avaient tord. Mais le sien était fissuré. Avant, avant de partir, pendant ces années sur les routes, elle était simplement insouciante. Aujourd’hui, elle était blessée à mort. Quand on disait que rien ne pouvait l’atteindre, qu’elle se relevait toujours, elle avait envie de rire - amèrement. Elle aussi, elle avait sa part de souffrance, et la blessure était encore fraîche. Donovan était venu la chercher, de force il les avait à nouveau liés l’un à l’autre - elle n’avait jamais voulu lui cacher toute cette histoire, mais c’était trop tôt, beaucoup trop tôt. Si cela n’avait tenu qu’à elle, des mois et des mois encore se seraient écoulés, mais il avait passé outre sa douleur et avait repris sa place dans sa vie. Elle comprenait. Elle avait toujours été fuyante, avait toujours eu peur de l’engagement - comment aurait-il pu deviner que cette fois-ci c’étaient la culpabilité, la honte et la souffrance qui la retenaient? Cet homme là était l’homme dont elle avait était prête à garder l’enfant. Mais il était aussi celui qu’elle avait trahi. Même sans le vouloir. Alors elle s’était tue. En attendant que la force revienne, la force de parler, de se battre pour cet homme, de se faire pardonner. De tourner la page.
Jusqu’à la nuit.

Il pleuvait des cordes. Un vrai hiver californien - humide, avec ses nuages lourds, ses villes endormies. Elle ne dormait pas. Assise à la fenêtre de la chambre qu’elle avait fini par investir chez son frère, elle regardait l’orage. Dans son enfance elle avait quelques fois vu la neige à San Francisco - pour un jour ou deux, et encore très rarement, la ville se figeait sous un épais manteau blanc et l’eau gelait un peu dans les ports. Il ne faisait même pas franchement froid, ce manteau fondait vite, mais ils profitaient tous avidement de cette inextricable beauté. Elle avait aligné les lettres sur une table basse. Penser à sa ville d’origine lui rappelait les jours les plus heureux. Penser aux jours heureux lui rappelait le jour où elle avait tout perdu. La solitude lui pesait. Hendrix était absent - une espèce de sortie scolaire avec les gamins de son cours de littérature, genre classe verte ou virée camping (et elle ne s’était pas privée de le traiter de gros pédophile). Elle aurait pu appeler Donovan, elle ne l’avait pas fait. Depuis la première lettre, elle avait commencé à se retenir - comme poussée par une intuition primaire, un réflexe de survie qui voulait qu’elle établisse une distance pour moins ressentir la douleur de la révélation. Bien sûr, elle avait toujours l’espoir qu’il ne s’agisse là que d’un bluff. Qui sait? Ce corbeau allait peut-être se lasser, la laisser en paix, il disait qu’il allait la soulager lui-même de ce poids, mais quel genre de personne pouvait bien faire cela? Elle parlerait quand elle serait prête. Ca serait peut-être dans une semaine, peut-être dans un mois, peut-être dans un an, peut-être dans une vie. Elle avait peur de prononcer trop tôt les mots de la souffrance et de la honte. Peut de devenir folle, de ne plus jamais s’en relever.
Peur que Donovan l’accuse, qu’il lui tourne le dos. Elle connaissait mal le goût de l’angoisse. Mais il la prenait toujours avec violence, sans crier gare - et il la laissait en miettes. Elle connaissait Donovan. Elle savait qu’il flamboyait - elle savait aussi sa fragilité. Son espèce de vulnérabilité immense, la violence de chacune de ses émotions. La dernière fois, au Penthouse, il lui avait ouvert son coeur. Elle n’avait pas osé ouvrir le sien. Parce qu’elle se serait détruite - et qu’elle l’aurait détruit lui aussi.

On ne sait jamais à quel moment une vie va basculer.
Un instant elle se tenait sur le bord de cette fenêtre, seule, plongée dans ses pensées, plongée dans son angoisse sourde. L’instant suivant elle était sortie de ses pensées par deux coups violents frappés à la porte, puis une voix qui hurlait son nom au travers de l’orage. Elle ne la reconnut même pas sur le coup - c’était la voix personnifiée de la peur et de la douleur. Et puis il y eut un troisième coup, et l’évidence tomba sur elle - Donovan. Alors elle aurait juré qu’elle avait à nouveau senti ce coup de poignard dans son ventre, cette souffrance brute. Comme dans un rêve, ou plutôt un cauchemar, un putain de cauchemar, elle traversa la maison dans son vieux t-shirt, la main tendue. Quand elle ouvrit la porte, elle sentit l’air de décembre glacer son coeur et ses jambes nues - et elle recula brutalement alors que Donovan entrait en furie, claquait la porte derrière lui et agitait une lettre sous son nez en hurlant, toujours. Elle aurait voulu faire comme elle avait toujours fait aux instants où il devenait fou - attraper son visage, poser son front contre le sien, le regarder dans les yeux, lui dire qu’elle était là, qu’elle ne bougeait pas de là, qu’elle était là. Elle ne pouvait pas. Elle n’avait pas le droit. Elle n’avait plus le droit. Elle avait le sentiment horrible que son corps entier avait été baigné dans la glace. Elle ne ressentait plus rien, et à la fois ressentait tout. Il était trempé jusqu’aux os, furieux, terrifié, il hurlait, il avait mal, tellement mal, il était comme un animal blessé et il la regardait droit dans les yeux pour qu’elle lui dise tout ce qu’elle ne pouvait pas dire. Le moment était venu - celui où l’on ne peut plus retourner en arrière, celui où tout s’écroule peut-être. Mais elle n’était pas prête. Comment dire la vérité? Pourtant elle ne pouvait plus mentir. Plus maintenant. Elle n’avait pas à lire la lettre pour savoir ce qu’elle contenait. Elle se trouvait stupide, tellement stupide d’avoir espéré même un instant que ce corbeau ne la dénoncerait pas. Elle était là, comme une enfant aux pieds nus dans le grand salon de la maison. Elle voulait dire à Donovan de se calmer, de respirer, de se réchauffer. Elle voulait lui dire qu’il lui faisait peur. Qu’elle avait mal. Mais rien de tout cela ne comptait plus vraiment, ni pour l’un, ni pour l’autre. Tout ce qui comptait, c’était cet enfant qui avait grandi dans son ventre - et qui avait disparu. Tout le monde s’en allait. Ses parents. Sa fille. Est-ce qu’elle l’avait mérité, à tant vouloir s’en aller elle-même? Donovan lui aussi allait s’en aller. Elle le sentait au plus profond de ses os et réalisait avec une cruelle intensité qu’elle ne pouvait plus vivre sans lui.
« Je… » commença-t-elle, avant de s’arrêter net. Elle ne trouvait plus les mots. Elle avait trop peur, tellement peur, de lui, d’elle-même, de ce trou béant dans son ventre qui n’attendait que de la dévorer toute entier. « Tu… » Non, non plus. Elle se rendit tout à coup compte qu’elle était presque nue, corps et âme, et dans un réflexe de pudeur qui ne lui allait pas elle noua ses bras autour de sa poitrine, recula de quelques pas. Les larmes déjà menaçaient au coin de ses yeux. Elle les avait retenues beaucoup trop longtemps. Elle détourna le regard. Elle ne voulait pas le voir, ou plutôt, elle n’avait plus la force de le voir, elle ne méritait pas de le voir.
Les images tournaient trop vite dans sa tête. Le premier coup de téléphone de Hendrix, celui qui fait peur, celui de la mort qui rode, l’appel du foyer. Donovan qui tente de la retenir et elle qui n’en peut plus de terreur, qui doit partir au plus vite, et il ne peut pas rester avec elle, pas pour le moment, il ne peut pas la voir comme ça, elle aurait tellement honte. Les lignes blanches sur le goudron noir qui s’enchaînent. Le jour qui avance. L’angoisse, toujours. Les minutes s’écoulent et elle sait que c’est trop long, beaucoup trop long - alors elle accélère, tout pour y arriver. Elle fait des paris sur l’avenir comme le font les enfants - si j’arrive à temps tout ira bien, tout ira bien pour toujours. Mais le téléphone sonne à nouveau et elle a été lente. Trop lente. Elle arrête la voiture pour pleurer au bord de la route. Et cette souffrance ignoble qui commence au plus profond du ventre. Le sang. Trop de sang.
Elle voudrait s’enfuir sous la pluie elle aussi. Comme poussée par un réflexe primaire, comme une main qui se recule après avoir touché une flamme, elle bondit vers la porte pour rejoindre un ailleurs où la douleur ne serait pas si intense - et sentit le bras de Donovan lui barrer la route, se saisir d’elle. Elle sentait son ventre contre son dos, et son corps brûlant lui sembla absurdement glacé. Mais il la touchait. Elle s’empara de la lettre et la jeta au sol - elle ne voulait plus la voir, plus jamais la voir, est-ce que c’était si égoïste que cela de vouloir oublier que la vie nous a arraché un enfant? Elle se rendit compte avec horreur qu’elle pleurait déjà. Un flot continu, entrecoupé de sanglots. Elle était dos à lui. Plaquée contre lui. Elle ne pouvait pas voir son visage. Alors les mots retenus depuis des mois se bousculèrent tout à coup. « Je suis désolée, je suis tellement désolée Donovan, je suis désolée putain » Elle n’arrivait plus à respirer. Entre les larmes, la pression de cet homme sur son corps, la peur, les mots, elle n’arrivait plus à respirer - toute entière elle était bouffée par cette impression qu’elle était en train de se noyer. Qu’il n’y aurait pas d’après à cette nuit d’horreur. « J’aurais voulu, je te le jure, mais j’ai eu tellement mal, j’ai eu tellement peur, je pouvais pas, je suis désolée, je suis tellement désolée » Comment dire l’horreur? Elle n’arrivait qu’à dire ses regrets. Dans l’espoir de lui faire comprendre qu’elle y avait laissé une part d’elle-même, qu’y penser déjà était une torture. Elle plaqua ses mains sur sa bouche pour étouffer les sanglots. « Je t’en supplie, ne me déteste pas. J’ai rien voulu de tout ça. Je l’aurais aimée, tellement, je t’en supplie, je suis désolée ».
Elle aurait voulu que Hendrix soit là. Ou cet autre Donovan, celui qui ne hurle pas et qui l’a regarde comme si elle était une reine. L’un des hommes de sa vie. Elle aurait voulu qu’il l’embrasse doucement et qu’il la calme - qu’il lui dise que tout allait bien, que tout s’arrangerait demain, que rien de cela n’était vrai, seulement un cauchemar, un stupide cauchemar. Mais elle sait qu’il s’agit là de la réalité. Et elle se regarde avec des yeux hallucinés alors qu’elle tombe en morceau. Comme ce jour sur la route, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Même si Donovan la pardonnait, même s’il était possible de pardonner, est-ce qu’il pourrait encore dire à cette femme-là qu’il l’aimait? Cette femme brisée qui ne ressemble plus à celle qui l’a connue. Cette femme si loin de la Jagger Dickens qui riait aux éclats à Memphis, Tennessee. Probablement pas.

Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)

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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyLun 20 Jan 2014 - 0:20

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


Il avait cru qu'en la voyant il se sentirait mieux, il avait cru qu'il retrouverait ce sentiment du "Je suis chez-moi, elle là et tout va bien", mais il avait beau la regarder dans les yeux il était incapable de parvenir à sentir à nouveau cette sensation qu'il affectionnait tant. Il était incapable de la regarder comme il l'aurait fait s'il n'avait jamais eu cette foutue lettre dans les mains, il avait besoin de réponses avant de redescendre de quelques étages et de redevenir lui-même. Donovan Halvey, c'était un vrai passionné ce type, il vivait toujours tout à cent à l'heure, ses sentiments multipliés par mille, ses réactions puissance un million, il était une sorte de bombe à retardement qui menaçait d'exploser à tout moment. Il n'avait pas réfléchi, il s'était précipité dehors et il avait couru jusqu'à chez Jagger, ou plutôt jusqu'à chez Hendrix. Sur le trajet, des tas de choses avaient traversé son esprit mais il n'avait pas particulièrement pensé à ce qu'il dirait lorsqu'il serait face à elle. Il savait qu'il était en colère, mais cette colère cachait surtout une peur immense. Et si c'était vrai? Il n'était pas certain de ce qu'il ferait si elle se trouvait dans l'incapacité de démentir. Un instant, il avait hésité en se tenant devant chez elle, il ne se faisait même plus confiance et il avait peur de perdre le contrôle, c'était Jagger tout de même! Celle pour qui il ressentait tellement de choses profondes et sincères qu'il aurait pu en crever, c'était l'amour de sa vie merde! Il n'avait pas envie de faire quoi que ce soit qu'il regretterait ensuite. Il avait lui même repoussé la porte à peine s'était-elle ouverte, il était terriblement impatient. Il fallait qu'il rentre et il fallait qu'il hurle, c'était plus qu'une simple réaction à une stupide lettre, c'était un besoin. Il fallait qu'il extériorise, même si ça voulait dire passer pour un dingue au bord de la pire crise de nerfs de tous les temps, même si ça signifiait qu'il devait la secouer un peu… En temps normal il lui aurait sauté dessus mais pas pour l'engueuler, non. En temps normal il se serait emparé de ses lèvres pour l'embrasser avec fougue, il lui aurait arraché ce t-shirt ridicule qu'elle portait toujours pour dormir et il l'aurait transporté jusqu'au canapé ou jusqu'à sa chambre. Leurs lèvres ne se seraient pas quittées jusqu'au moment où il l'aurait faite hurler de plaisir, et ils se seraient endormis dans les bras l'un de l'autre pour se réveiller avec le sourire aux premiers rayons du soleil. Sauf que ce n'était pas ce qu'il allait se passer. Il le savait et elle le savait aussi. Donovan avait plaqué la lettre dans les mains de Jagger avant de lui ordonner de la lire, il n'y avait pas grand chose d'affectueux dans le ton de sa voix et pourtant il avait beau l'aimer de tout son putain d'être, il était incapable de lui sourire, de se calmer pour elle, pour ne pas l'inquiéter d'avantage. Une part de lui était ravi de lui faire peur tout autant que cette lettre l'avait effrayé. Il attendait de la voir se plonger dans sa lecture mais elle restait immobile. Il la perçait de ses yeux emplis d'une rage certaine. Ce soir, une fois de plus, Donovan affrontait ses plus vieux démons. Il avait beau être colérique, il avait aussi un coeur énorme mais tellement fragile. La vie ne lui avait jamais fait de cadeaux, il n'avait jamais rien eu sans avoir à se battre avant, mais il était fatigué d'enchainer déception sur déception. Il était fatigué de se démener pour les autres alors qu'il ne récoltait jamais rien en retour. Il n'était pas certain de pouvoir supporter un énième coeur brisé. La coupe était pleine et elle débordait ce soir. 

Les quelques secondes où il l'avait regardé dans les yeux lui parurent durer une éternité, et puis elle avait fuit son regard et il s'était retrouvé comme un con. Le silence lui était insupportable, il avait encore besoin de crier ou de cogner dans quelque chose, il sentait que c'était encore en train de monter en lui. Il allait ouvrir la bouche quand il la vit commencer à articuler quelque chose, sauf qu'au final elle ne savait pas quoi dire. Il s'attrapa les cheveux avec ses deux mains, il essayait sincèrement de garder un minimum son calme, il essayait en tout cas de ne pas se laisser aller à fracasser le moindre objet à portée de main, mais le putain de silence de Jagger était en train de le provoquer d'avantage et il n'avait pas une résistance éternelle. Il explosa alors à nouveau en criant droit sur elle. "Je? Tu? …. Parle bordel! Fais des phrases!" C'est à cet instant bien précis, juste après avoir crié, qu'il se rendit compte de sa vulnérabilité. Elle n'était pas Jagger la fille forte, elle était Jagger la fille aux mille et une failles et il se surprit lui-même à sentir la colère s'apaiser très légèrement. Il observait son visage, l'expression qui s'y formait. Ce n'était pas une expression qu'il avait eu l'habitude de voir sur elle, mais c'était tout de même une expression faciale qu'elle lui avait déjà montré… Elle avait eu exactement la même au moment où elle lui avait tout avoué concernant ses parents. C'était ce quart de seconde où il avait tout le loisir de la voir se briser en morceaux et de ne plus rien avoir en commun avec la Jagger qu'il connaissait si bien. En réalité, elle était déjà brisée mais il fallait bien admettre qu'elle était douée pour garder ses histoires, même les plus sombres, rien que pour elle. Ce que Donovan voyait en elle c'était ce qu'elle pouvait aussi voir en lui. Il sembla alors se souvenir que la vie n'avait pas été toute douce pour Jagger non plus, même si la concernant c'était plus récent que lui qui avait toujours vécu une existence merdique et qui ne gardait pratiquement aucun bon souvenir de son enfance ou de son adolescence. Le temps de quelques secondes il retrouvait sa part de tendresse et surtout, son désir si profond de la protéger malgré elle. Au fond de lui il avait toujours eu conscience de cette fragilité qui la constituait, elle était humaine après tout et Donovan était persuadé que c'était une chose que l'on pouvait retrouver en chacun d'entre nous. Il était lui-même vu comme un mec fort, sauf que ceux qui le connaissaient vraiment bien savaient évidement qu'il n'était rien d'autre qu'un gros dur au coeur tendre. Il avait ses moments… Donovan ne devenait méchant que dans trois situations: pour se défendre lui-même et pour défendre sa famille (et par famille il entend bien sûr Jake, Ryan, leurs femmes et leurs enfants). Mais surtout, il devenait très très méchant lorsqu'il voyait quelqu'un s'en prendre à Jagger. Il n'avait jamais supporté de la laisser se débrouiller seule comme une grande même s'il y était souvent contraint parce que Madame, elle, ne supportait pas qu'il intervienne. Il avait beau faire comme si de rien n'était, une chose était sûre, lorsqu'ils sortaient quelque part ensemble, il ne la lâchait jamais des yeux, pas une seule seconde, pas un seul instant. Elle pouvait être de l'autre côté de la pièce qu'il aurait su exactement ce qu'elle était en train de faire, à qui elle était en train de parler, ce qu'elle buvait, et tout ce qu'il y aurait eu à savoir d'autre. Lorsqu'il s'agissait de Jagger, il avait des yeux derrière la tête, c'était certain. Il essayait de se remémorer la dernière soirée à laquelle ils s'étaient rendus tous les deux. Ce qu'il préférait par dessus tout c'était la laisser aller de son côté et lui jeter des petits regards furtifs pendant qu'elle se lançait dans des débats sur des sujets qui n'intéressaient certainement pas Donovan, avec un abruti de merde qui n'aurait rien mérité d'autre qu'un coup de boule. Parfois, il s'attirait les foudres de sa belle en s'immisçant dans la conversation pour lui voler un baiser langoureux. En fait, à plusieurs reprises il avait même eu droit à des (petites) baffes. Evidemment il ne réservait ce petit cinéma que pour les soirs où sa jalousie, pourtant pas maladive, prenait le dessus. Et s'il avait le malheur de la voir rire avec un autre homme (ou une femme pour ce que ça vaut), comme ces grands éclats de rire qui vous font poser une main chaleureuse sur l'épaule de votre interlocuteur, vous voyez le genre? Ugh! Dans ces moments là Donovan était perdu et si le type (pas la fille parce qu'on ne tape pas les filles) en question s'en sortait sans une égratignure, il pouvait se considérer chanceux. Oh, il ne s'attaquait jamais à eux devant Jagger, il préférait les prendre à la sortie, entre deux cigarettes par exemple. Au moins ça lui évitait une dispute avec sa belle sur le pourquoi du comment un tel comportement était totalement humiliant pour elle, qu'elle n'était pas sa chose, qu'elle ne lui appartenait pas et ne lui appartiendrait jamais, et blablabla et blablabla. 

Il aurait pu être heureux de la voir souffrir, de voir qu'à son tour elle ressentait toute la peine du monde s'abattre sur ses épaules. Oui, s'il avait été cruel et vu son état, il aurait pu l'être, il aurait sans doute ressenti une once de joie à voir Jagger se décomposer littéralement. Sauf que Donovan était incapable d'éprouver un quelconque bonheur à voir celle qu'il aimait souffrir. Il avait beau être en colère, il sentait son amour pour elle remonter à la surface et quand il la vit faire un pas vers la porte, il avait déjà eu le réflexe d'avancer lui aussi et de la retenir. C'était presque comme s'il avait anticipé cette réaction, comme s'il avait su à l'avance qu'elle ferait ça pile à ce moment-là. "Non!" s'était-il exclamé brusquement. "N'y pense même pas!" Il resserra son emprise sur elle, pas pour lui faire mal mais pour être sûre qu'elle comprenne bien. Jagger venait de les ramener tous les deux à l'endroit très précis où elle l'avait laissé en plan plusieurs mois auparavant. Donovan n'avait qu'à fermer les yeux pour revoir la scène se jouer devant lui, ce terrible sentiment qui s'était emparé de tout son être lorsque ses doigts avaient lâché prise et qu'il avait laissé Jagger partir… Jagger et leur bébé. Il le savait maintenant. "Pas cette fois Jagger… " Sa voix était redevenue normale, il était même capable de chuchoter à présent. Elle était là, tout contre lui, son dos à elle plaqué sur son ventre  à lui et vu l'état de son t-shirt il pouvait la sentir à la perfection, comme toutes ces fois où il l'avait eu contre lui alors qu'il était torse nu. "Ne pars pas putain! T'as promis." C'était à mi-chemin entre la supplication et l'ordre. Finalement, ils s'étaient plutôt bien trouvés tous les deux. L'un comme l'autre, ils aimaient fuir. Dès qu'ils sentaient que quelque chose n'allait pas ils prenaient leurs clics et leurs clacs sans se retourner. Donovan connaissait bien ce type de comportement, il avait eu le même toute sa vie. Fuir, courir, partir… Sauf qu'à présent, il avait compris que ce n'était pas la solution et que ce n'est pas parce qu'on s'en va en laissant derrière soit des erreurs, des secrets, des gens qu'on aime, que ceux-ci s'évaporent. Ce n'est pas parce qu'on part, que tout s'efface et disparait. 

La respiration haletante, il comprenait qu'elle avait dû garder ce secret pour elle toute seule et que ça n'avait pas été une partie de plaisir. Il se prenait une grosse claque dans la figure, une énième cette nuit. C'était soudain très clair, il était égoïste. Bien sûr qu'elle ne lui avait pas dit la vérité, bien sûr qu'il avait le droit d'être fâché mais il n'avait pas le droit de lui faire du mal, il n'avait pas le droit de prendre sa grosse voix et de lui montrer ses gros muscles juste pour l'effrayer et passer ses nerfs sur elle. C'était complètement égoïste et dégueulasse et ce n'était pas Donovan. Il sentit une sorte de tremblement s'emparer d'elle, Jagger était en train de pleurer. Il aurait voulu trouver un truc à dire, il aurait voulu la faire se retourner pour l'attraper dans ses bras, la serrer et la réconforter mais il y avait malgré lui quelque chose qui l'en empêchait. Ça le tuait de la sentir en train de s'effondrer dans ses bras mais il était hors de question qu'il la laisse reculer ou s'échapper. Ils devaient avoir cette conversation, ce n'était pas une option. Les rares fois où ils avaient craqué en présence l'un de l'autre, ils s'étaient toujours fixés droit dans les yeux mais pour la première fois ils ne se faisaient pas face. C'était d'autant plus dur à supporter pour Donovan parce qu'il n'arrivait pas exactement à saisir où elle en était, il n'était pas sûr de tout comprendre et de toute façon il ne pourrait pas tout comprendre avant qu'elle ne lui ait donné quelques explications. Même après celles-ci, il n'était toujours pas garanti de comprendre. Et tandis qu'il se perdait dans ses propres angoisses la voix de Jagger retentit dans la pièce. On aurait dit une enfant qui lâche complètement prise et qui est incapable de s'arrêter avant d'avoir dit tout ce qu'elle a sur le coeur. Et peut-être que finalement, ne pas la regarder dans les yeux, c'était encore plus intense pour lui parce qu'il sentait son corps se contracter à chaque fois qu'elle luttait pour prendre de l'air, étouffée par les larmes et les sanglots. Elle présentait ses excuses et les mots sortaient de sa bouche et à chaque fois ça faisait à Donovan l'effet d'un coup de marteau sur le haut de la tête mais il ne voulait pas craquer, il devait rester fort et rester debout pour elle parce qu'il craignait de la lâcher et de la voir finir sur le sol, complètement brisée. « Je t’en supplie, ne me déteste pas. J’ai rien voulu de tout ça. Je l’aurais aimée, tellement, je t’en supplie, je suis désolée » Elle venait de l'achever. C'est dingue à quel point une seule phrase peut vous faire du mal, et avec quelle rapidité un monde que vous avez passé toute votre vie à construire peut s'écrouler. Donovan avait l'impression que son existence n'était qu'un putain de château de cartes, un truc qui s'effondrait, pouf, juste comme ça. Un coup de vent qui balaye tout et c'est terminé. "Jagger?" Il donna un petite coup d'épaule pour la faire réagir mais elle avait porté ses mains à sa bouche, elle était ailleurs. Dans sa tête la culpabilité commençait sérieusement à le gagner, c'était sa faute après tout si elle était dans cet état. S'il avait attendu ne serait-ce que le lendemain matin... Il ne sembla réaliser que maintenant qu'elle était si peu couverte et collée contre lui qui était toujours trempé. Il avala difficilement et puis tout à coup, s'en était trop pour lui. "Jagger…" Il l'avait répété sur un ton tellement plus doux mais ferme, et on pouvait sentir dans sa voix qu'il l'aimait sincèrement. Il l'obligea alors à se retourner et il l'attrapa tout de suite pour la loger au creux de ses bras. "Je ne pourrais jamais te détester. Et putain même si je ne comprends pas tout, même si je n'ai jamais été aussi paumé et blessé de ma vie… Je ne peux pas…" Il l'aimait bordel, il l'aimait tellement. Il lui avait dit, il avait même eu envie de le crier au monde entier, ce n'était certainement pas pour la lâcher au premier problème… Peu importe que ce soit quelque chose d'horrible et de difficile à pardonner ou pas, en lui disant "je t'aime" c'était comme s'il avait pris un engagement envers elle. Il lui avait promis d'être là et de la prendre telle qu'elle était. ".. Ne pas t'aimer.". Il resserra son étreinte plus fort encore. "Je t'en supplie, arrête de pleurer…" Donovan passa sa main dans le dos de Jagger, il était venu en hurlant et avec une irrésistible envie de cogner dans un mur mais voilà qu'il était en train de donner un câlin à la jeune femme. Il ne lui hurlait plus dessus, il ne pouvait pas.  "Je suis désolé de t'avoir crié dessus Jagger. Je suis désolé." Il n'avait même plus envie de la laisser respirer, il voulait juste l'entourer éternellement de ses gros bras, se coucher dans un lit avec elle et la serrer contre lui, pleurer ensemble un bon coup peut-être, et ne plus jamais avoir à reparler de ça. Sauf que si Donovan aurait voulu pouvoir la laisser tranquille et n'avoir aucune question à lui poser, ce n'était pas le cas... Il en avait des tas. Comment? Où? Pourquoi? Il avait besoin de savoir.  "Jagg'… Je sais que… Je sais que c'est difficile pour toi mais…" Il voulait y aller doucement pour ne pas la brusquer. Et même s'il était plus de trois heures du matin, maintenant qu'il était là il ne pouvait pas attendre le lendemain pour avoir au moins quelques informations supplémentaires. C'était intenable! Littéralement intenable. "… j'ai besoin de savoir. Tu comprends? Je ne peux pas faire comme si je n'avais jamais lu la lettre. Et d'ailleurs… Je ne sais pas qui l'a envoyé mais je te jure que je vais retrouver cette enflure et je vais lui faire sa fête!" Désormais c'était vers cette personne que la colère de Donovan était dirigée. Après tout, Jagger lui en aurait peut-être parlé quand elle se serait sentie prête, puisque visiblement, vu son état, elle ne l'était absolument pas maintenant. Le fameux "corbeau" était donc à l'origine des pleurs qui s'échappaient de Jagger à ce moment précis, il lui avait forcé la main et avait abordé une chose extrêmement intime qu'elle avait pris soin de garder pour elle. C'était une violation de sa vie privée et rien que d'y penser Donovan avait envie de serrer les poings et de dégommer quelqu'un mais plutôt que de se laisser gagner par de mauvais sentiments, il décida de respirer un bon coup pour reprendre ses esprits. Il baissa la tête et se fraya un chemin au milieu des cheveux de Jagger qui couvraient son visage tandis qu'elle était encore dans ses bras, et il déposa un simple baiser sur sa joue. "Ça va aller." murmura-t-il au creux de son oreille, comme s'il s'agissait du plus grand des secrets et qu'ils seraient les deux seuls humains à le détenir. 

Il passa une nouvelle fois la paume de sa main sur le dos de Jagger, il savait se montrer aussi réconfortant qu'un énorme ours en peluche, de ceux qu'on gagne à la fête foraine par exemple. Sa main glissa le long de son bras et il alla doucement entremêler ses doigts avec ceux de Jagger. "Étreindre une main, c'est tout donner, d'un coup, sans prudence, sans contrat, sans rien." Une fois de plus, c'était Donovan et Jagger versus the world. Sans lui lâcher la main, parce qu'il ne pouvait pas, il s'écarta un peu et la tira avec lui pour la guider à travers la pièce. "[…] tenir ta main c'est tenir à toi, tenir de toi. Et plus je serre, plus j'entrecroise nos doigts, les entrelace, plus je te dis mon incommensurable besoin, un besoin tel que ta paume me renseigne sur toi." Il la fit s'asseoir sur le canapé avant d'aller chercher une couverture qui était posée dans un coin. Il l'enroula autour d'elle et retira son t-shirt avant de prendre place à ses côtés. Il lui piqua même un bout de couverture. "Ça va aller." répétait-il encore. Il attrapa son menton et la força à le regarder. "Sur ta paume, j'ai pu lire que tu étais quelqu'un de bien."

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyLun 27 Jan 2014 - 23:10

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Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



Elle sentait distinctement que quelque chose, là, au plus profond, était en train de partir en morceau. Ce n’était même pas sa dignité, et pourtant en temps normal elle se serait haïe d’autant d’impudeur, de tant de larmes. C’étaient ces maigres barrières qu’au fil des semaines elle avait réussi à construire, le fruit de cette entreprise farouche mais vaine pour oublier jusqu’au nom de Marley Dickens-Halvey. Au prix d’efforts surhumains, elle avait réussi, parfois, à se ménager quelques instants où son fantôme ne la hantait pas - les instants où elle se trouvait dans les bras de Donovan, et où elle pouvait croire que tout était comme avant la mort, avant les drames, avant ce moment où tout était parti en fumée. Mais elle était là, elle était contre lui, presque pliée en deux sur le bras puissant. et elle la sentait à nouveau, la douleur sourde dans son ventre. Cette angoisse mêlée de rage. Les larmes avaient un goût de sang, un goût d’échec. Elle pleurait des excuses et une voix, toute, toute petite voix dans sa tête lui répétait sans cesse: « mais elle est morte, tu sais, Jagger - comment pourrait-il encore te regarder en face? »

Elle ne le méritait pas. Elle ne le méritait plus. 

La raison aurait pu lui dire qu’elle n’y était pour rien, que ces choses là arrivaient, que la nature était ainsi faite, que la douleur avait été trop violente, que la fatigue, la peur, avaient gagné la bataille sur sa volonté. Qu’elle n’aurait rien pu faire. Que le destin avait choisi de tout lui arracher. Qu’elle n’avait pas eu son mot à dire, qu’elle aussi était une victime. Mais la raison, elle ne l’aurait pas écoutée. Elle revoyait simplement le sang autour d’elle. Le désespoir brut dans les yeux de Donovan quand elle avait ouvert la porte - le regard d’un homme à qui l’on arrache une part de lui-même, qui touche des bouts des doigts un rêve et le voit s’en aller. Du désespoir à la déception, il n’y avait qu’un pas. Comment pourrait-il encore lui dire qu’il l’aimait? Une part d’elle avait été une meurtrière. 

Elle avait échoué là où elle avait toujours su que s’arrêtait son indépendance. Elle avait passé une vie à fuir l’engagement, à fuir la contrainte, à fuir les chaînes. Mais elle avait passé une vie à savoir qu’une dernière corde la liait, mais qu’elle aimait cette corde plus que tout - sa famille. Elle avait grandi au milieu des sourires, sans haine, sans amertume, nourrie de rêves et d’amour. Elle avait grandi en sachant qu’on la comprenait, en sachant que rien n’était grave, que les liens du sang ne blessaient pas. Elle ne s’était pas rebellée contre une mère qu’elle avait érigé en modèle absolu. Elle s’était jurée, un jour, de rendre un enfant aussi heureux. Le jour où elle s’était rendue compte qu’elle était enceinte, qu’elle avait été cette chance sur un milliard pour que la chose arrive malgré tout… elle n’avait pas pleuré, elle n’avait pas crié. Presque sereinement, elle s’était dit que le moment était venu - que tout irait bien malgré tout, que la vie ferait pour cet enfant les mêmes cadeaux de bonheur parfait. Elle avait appris à connaître Donovan. Elle savait que quelque chose les liait, même si elle n’oserait jamais reconnaître ce sentiment là. Il avait des failles qu’alors il ne nommait pas, mais il avait aussi ce regard de tendresse quand il la tenait dans ses bras - elle croyait suffisamment en lui pour cette aventure-là. Elle avait accepté cette enfant, pleinement, tellement. Pour ne vivre que l’échec.

Elle avait beau lutter, elle savait que toujours subsisterait dans son coeur cet instant là. Celui qui n’avait jamais eu lieu, et qui n’aurait jamais lieu. Une enfant, très brune, très belle, sur les genoux d’un homme qui lui sourit. Il fait mine de lui voler son nez et Marley rit aux éclats. Elle agite ses mains vers son père pour lui reprendre son du - avant de se tourner vers Jagger, et de la supplier du regard. Les yeux de la petite fille transpercent sa mère de part en part. C’est l’air de l’absolue confiance - de la chair de sa chair et du sang de son sang. Les deux se ressemblent tellement. Peut-être juste que Marley sera plus grande, comme son père et son oncle. Elle a aussi des traits adoucis. Les fossettes de Donovan. Cette candeur qui s’éternise. Elle est tellement parfaite que cela en fait mal. Tellement mal.


Et pourtant, il lui dit qu’il l’aimait encore. Ce n’était même pas qu’il l’aimait encore - comme s’il lui avait laissé quelques restes pour s’en repaître, une aumône de tendresse, une charité. Il lui dit qu’il l’aimait. Qu’il n’avait simplement pas le choix, qu’il ne pouvait pas faire autrement. Doucement, il l’avait prise dans ses bras, et de honte, de douleur, elle avait niché son visage au creux de son épaule - pour ne pas voir le sien. Il l’appela doucement par son nom et elle n’entendit pas le dégoût qu’elle aurait cru devoir entendre. Il lui jura qu’il ne pourrait jamais la détester. Mais qu’il avait mal. Est-ce qu’il ne voyait pas en elle une meurtrière? Les larmes, la douleur, la surprise, la peur, toutes ces choses l’avaient assommée. Elle savait que s’il défaisait son étreinte elle s’écroulerait - et ne s’en relèverait pas. Mais elle entendit ces mots. Ils traversèrent son cerveau et elle ne voulut pas y croire, parce qu’elle avait passé tellement, tellement de semaines à se haïr qu’elle en avait oublié tout le reste. Il s’excusa de lui avoir crié dessus. Une part d’elle se dit qu’il avait eu raison, qu’il aurait même pu hurler plus fort. Elle ne se reconnaissait même plus - une coquille vide dans laquelle un nouveau néant se creusa, alors qu’il lui demandait de lui raconter.

Comment dire l’horreur? Elle étouffait déjà dans ses souvenirs. Elle avait peur d’y apposer des mots, elle n’avait jamais été très bonne pour faire des discours. Elle avait peur pour lui, aussi, surtout. Peur de le happer et de le faire tomber avec elle - elle aurait eu de la compagnie, mais il faisait si noir au fond de son ventre. Elle essaya de se raccrocher à cet éclat de colère, quand il parla du Corbeau - mais elle était tellement fatiguée, beaucoup trop fatiguée pour être en rage. Elle resta muette. Elle se laissa noyer dans l’infinie tendresse, cet amour qui lui semblait hallucination. Elle était souple, pliante dans ses bras alors qui déposait un baiser sur sa joue, soupirait à son oreille que tout irait bien, l’enlaçait, prenait sa main. Il ne la haïssait pas - elle n’en croyait pas sa chance, ses yeux, ses oreilles, elle n’en croyait plus rien. Doucement elle sentit qu’on lui avait fait traverser la pièce, qu’on l’asseyait sur le canapé, qu’on l’enroulait dans une couverture. Elle n’avait jamais été aussi docile - aussi éteinte. Mais c’était comme… comme si elle n’avait eu de cesse de courir, comme si elle n’avait pas dormi depuis mille ans. Il se nicha contre elle et elle eut ce gémissement, comme un enfant malade. Elle ne se débattit pas, elle ne se débattait plus, même quand leurs regards se rencontrèrent enfin, et qu’à nouveau il lui dit que tout irait bien.

Qui lui avait donné cet homme? Cet homme qui la portait quand elle s’écroulait? Elle avait cette lassitude, cette lassitude profonde dans le regard - comme une cassure. Lui aussi. Mais chez lui, cette faille était noyée dans de l’amour, tellement d’amour. 

Les sanglots s’étaient espacés, puis s’étaient éteints. Son souffle avait repris, s’était peu à peu accordé à celui de l’homme serré contre elle. Son corps s’était réchauffé, aussi. Un peu. Celui de Donovan était redevenu brûlant. Réconfortant. Une, deux, trois minutes s’écoulèrent où elle leurs regards restèrent ancrés. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait là - peut-être qu’elle y puisait de la force, peut-être qu’elle y cherchait à oublier. Le silence avait repris sa place, mais elle n’avait plus peur - non, ce silence là la berçait. La lettre était restée, ouverte, sur le sol. Mais ce n’était plus une menace, seulement un bout de papier. Quelques mots à l’encre noire. Inoffensifs. A nouveau, on lui donnait le droit de révéler ses propres secrets. De dire ses mots. Sa douleur.

Elle baissa les yeux. Pas parce qu’elle avait honte - plutôt pour contempler cette scène qui tournait en boucle en elle, la scène du bonheur inachevé. Sa main était venue machinalement chercher celle de Donovan sous les grandes couvertures - elle n’avait pas ce réflexe tendre d’ordinaire, mais tout à coup elle avait besoin de se rattacher à quelque chose. Le premier mot qui traversa sa bouche fut le premier mot qui lui vint à l’esprit. Le nom par lequel tout devait commencer, le nom qui brisait le coeur. « Marley. » Elle eut un sourire pâle, fantomatique, tremblait - un sourire désabusé. « Je… je crois que ç’aurait été une fille. Et que je l’aurais appelée Marley. » Marley Dickens-Halvey. C’était étrange, ils n’auraient jamais cru avant qu’ils pourraient faire quoi que ce soit ensemble. Mais ce nom coulait sur ses lèvres - il allait de lui-même. Il faisait sens. « Mais j’en saurai jamais rien. Hein? » Ce n’était pas vraiment une question. Plutôt une note de désespoir, une amertume. « J’avais rien prévu. Je pensais pas que ça pouvait arriver. Mais je suis tombée enceinte. » Elle pencha la tête, détourna à nouveau les yeux, pour ne plus voir Donovan. Elle se demandait encore comment cela avait bien pu arriver. Mauvais coup du destin. Ou elle avait trop bu, et elle avait oublié. Toujours était-il qu’un matin elle avait su que la vie grandissait dans son ventre, et qu’elle l’avait acceptée. « De toi. » A nouveau, elle ressentit le besoin urgent de lui dire qu’elle était désolée, tellement désolée. Un sanglot sec remonta sa gorge, elle le réprima, réprima ses excuses. Si elle s’arrêtait maintenant, elle ne pourrait plus jamais en parler. Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais elle en avait l’absolue certitude. « Je le savais quand je suis partie ». Le jour du coup de téléphone, de la voix d’Hendrix, de la main qui essaye de la retenir, de la route, de la mort. Le jour dont chaque seconde la hanterait probablement jusqu’à la fin de sa vie. « Mais j’avais peur. Peur que tu me voies… comme ça » Pourquoi s’était-elle protégée ainsi ce jour là? Aujourd’hui, il la voyait effectivement brisée. Il n’aurait probablement rien changé à l’époque, mais elle aurait eu son corps auquel se raccrocher alors qu’elle se pliait de douleur. C’aurait été déjà ça. Mais elle avait espéré préserver une dignité qui déjà partait en lambeau, rester fidèle à ce qu’elle avait toujours été. Fuir le seul homme qu’elle avait totalement accepté. « Quand Hendrix… » A nouveau, un sanglot retenu. Elle eut un mouvement un peu brusque, un réflexe primaire qui voulait à nouveau qu’elle s’enfuie - mais elle n’avait pas la force. « Quand Hendrix m’a dit pour… ç’a été… » Un temps. Elle releva les yeux vers lui, le regard halluciné, presque incrédule. « On se rend pas compte que ça peut faire si mal. J’ai tout arrêté. Je suis sortie de la voiture et… ». Machinalement, elle lâcha la main de Donovan et enroula ses deux bras autour de son ventre. C’était comme une douleur fantôme qui ne la quittait pas. Elle se manifestait, parfois, toujours aussi violente. « Et j’avais tellement mal ». Elle avait recommencé à pleurer. Mais son corps était cette fois trop fatigué pour les sanglots. Les larmes coulaient silencieusement - une par une, traçaient un sillon sur ses joues. A nouveau, elle n’osait plus regarder l’homme à ses côtés. Voir son regard, dans lequel avait dû s’agrandir la déchirure. « J’ai mis trop de temps. Pour tout. Pour rentrer. Si j’étais arrivée à Huntington Beach… » tout aurait été différent. Comme une gamine, elle s’accrochait à ce pari fou qu’elle avait fait avec le destin. Si elle faisait la route jusqu’à l’hôpital avant la fin, tout irait bien. Mais elle n’avait pas réussi, alors la vie avait sacrifié sa famille. « J’aurais tellement voulu arriver à Huntington Beach. »

Le silence, à nouveau, avait changé de nature. Il était devenu lourd. Presque assourdissant. Le couper de ses mots devenait une véritable épreuve de force. « Je pouvais rien dire, parce que ça faisait trop mal. Ca fait toujours trop mal. » Elle passa une main sur son visage - essuya quelques larmes. « Avant même d’aller voir le docteur, je savais qu’il y avait plus rien. Plus de vie. Elle a… fini le travail. M’a dit que j’avais fait une fausse couche. Spontanée. A cause de l’angoisse, de la fatigue. Mais je le savais. Une femme sait ça. » Elle baissa à nouveau les yeux. « Une mère sait ça. » Même quand elle ne l’a été qu’à moitié, pour quelques semaines. « J’avais honte. Et j’avais mal. Et j’y pense tous les jours. A… à comment elle aurait été. Et tant pis si c’est trop tard, tant pis si c’est pas vrai, tant pis si je me plante surement, mais je me souviens d’elle. »

Elle aurait pu dire tellement d’autres choses. Que cette petite fille avait le sourire de son père, que tous les deux s’adoraient. Mais elle ne pouvait pas. Elle n’avait pas eu le temps de songer à comment annoncer sa grossesse à Donovan - juste le vague sentiment qu’il aurait pu accepter, et peut-être même qu’il aurait pu être heureux. Elle n’en savait rien. Elle avait cette impression. Il aurait peut-être voulu fuir, qui sait? Elle n’avait jamais été certaine. Elle le lui aurait annoncé, sinon. Avant de partir. Elle l’aurait regardé dans les yeux et lui aurait dit: tu vas être père. Mais comment prévoir sa réaction? Aujourd’hui il était trop tard, simplement trop tard. Elle s’était enfuie, une fois encore, la fois de trop, et ces deux personnes étouffant de bonheur autour de l’enfant lui semblaient deux étrangers, à des années lumières de cette maison, de la lettre, de la pluie sur la ville, des larmes. Ce qu’elle savait, c’est qu’à la croisée des chemins elle avait été forcée d’emprunter le plus sombre. Depuis, au désir de liberté était venu s’ajouter la peur du coup de poignard dans le ventre, du bord de la route, de la vie qui s’enfuit. Elle était simplement paralysée par la douleur, et par tout ce qu’on ne lui avait pas donné le droit de vivre. Elle avait perdu son enfant - alors quelque part elle en était redevenu un aussi, qui se rattache aux lambeaux du passé et que l’idée du futur pétrifie.

Elle sentait la chaleur qui émanait du corps de cet homme. L’homme qui lui faisait se sentir chez elle - l’homme qui l’avait sortie de cette douleur pour qu’elle se réchauffe à son soleil, l’homme qui était venu ici, l’homme qui de force l’avait rattachée à lui. Les mots étaient dits. Il savait. Anesthésié par cette histoire, elle fixait le vide. Lui-même était une ruine, lui-même venait de souffrir. Tout à coup, au plus profond, dans une part d’elle qui vivait encore, un morceau de coeur qui battait encore, ne pouvait s’empêcher de se demander s’il aurait la force de l’aider à se reconstruire.

Elle avait envie de prendre à nouveau sa main dans la sienne. Cette main immense, un peu calleuse, cette main de titan et son infinie douceur. Elle n’osait pas.

Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
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I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger Empty
MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptySam 1 Fév 2014 - 3:54

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


Ce besoin d'elle, c'était si fort et si ancré en lui, il n'avait pas d'autre choix que d'être à ses côtés, de lui tenir la main et d'oublier un peu sa colère et sa propre douleur. Donovan était accro à Jagger, et il l'avait été dès l'instant où ils s'étaient rencontrés. Il avait beau lutter contre cette nécessité qu'il avait de vouloir toujours la serrer dans ses bras, de couvrir son corps de baisers, de jouer avec elle et de l'aimer encore plus fort à chaque seconde et jusqu'à ce que mort s'en suive. Donovan était tellement faible fasse à elle et en même temps elle lui donnait tant de force. Leur relation était à la fois complexe et tellement simple. Il avait souvent l'impression que personne d'autre n'aurait pu comprendre, que personne d'autre n'avait jamais ne serait-ce qu'osé ressentir ce qu'il ressentait pour elle. Avec Jagger c'était différent de tout ce qu'il avait connu auparavant, elle lui donnait envie de vivre, d'aller toujours plus loin, d'être heureux surtout. Elle était cet espèce de tourbillon qui l'entrainait malgré lui, il se laissait faire parce qu'il avait une confiance presque aveugle en elle. Même si elle était loin d'être la fille la plus tendre ou la plus romantique qu'il soit, elle savait comment réchauffer son coeur et sans même le vouloir elle était capable de le transporter dans un autre monde. Lorsqu'ils étaient tous les deux, juste tous les deux, le monde autour pouvait tout aussi bien disparaitre, Donovan n'en avait rien à faire. Il aimait cette espèce de parenthèse que Jagger lui avait offert durant ces quelques mois sur la route, elle rendait ses journées beaucoup plus amusantes et elle rendait chaque aventure plus palpitante que la précédente. Jagger représentait ce que Donovan avait passé sa vie à espérer et ce pour quoi il était parti en vadrouille en laissant Chicago derrière lui. Bien sûr, il avait fui une situation devenue trop douloureuse, mais il était aussi parti à la recherche de quelque chose et cette chose, il l'avait trouvé en Jagger très précisément. Il n'arrivait pas toujours à mettre des mots dessus, mais à l'intérieur de lui tout semblait toujours très clair. Il l'aimait si fort, c'était naturel et spontané mais par dessous tout incontrôlable. Il n'y avait rien d'assez puissant pour lui faire passer l'envie de mourir pour elle. Si Donovan avait pu prendre toute la douleur qu'éprouvait Jagger et l'ajouter à la sienne, même si ça aurait sans doute été un véritable enfer, il l'aurait fait sans hésiter. 

Il ne l'avait jamais vu comme ça, pas même lorsqu'elle avait craqué dans ses bras en lui parlant de ses parents. Il avait l'impression de ne même plus la reconnaitre, c'était comme si tout ce qu'il avait toujours cru savoir à propos de Jagger était remis en question. Il en devenait fou de se sentir si étranger à elle. Tous les deux s'étaient rencontrés quelques mois auparavant, ça ne faisait pas des années et des années que leurs routes s'étaient croisées, mais la connexion avait tout de suite été si forte et réelle… Il avait osé croire qu'il la connaissait de long en large, qu'il connaissait les moindres recoins de sa personne. Il se rendait compte à quel point il avait été bête d'avoir cru qu'elle n'avait plus rien à cacher. Donovan n'était cependant pas sûr de savoir ce qu'il ressentait face à ce bouleversement. Etait-il heureux de voir que quelque part elle resterait toujours un mystère, ou du moins qu'elle savait conserver son propre jardin secret? Ou au contraire, était-il déçu de savoir qu'elle n'avait pas eu assez confiance en lui pour lui en parler avant? Il était encore trop top pour se décider, après tout la nouvelle venait tout juste de lui tomber dessus et il n'avait même pas encore récupéré. Il avait beau s'être calmé, il ressentait toujours un grand mixe d'émotions qui avaient toutes plus ou moins de mal à cohabiter les unes avec les autres.  

Son instinct de protection avait repris le dessus, Donovan ne supportait pas de la voir s'émietter à ce point, il ne supportait pas de l'entendre pleurer et de la voir si… vide et si fragile. S'ils avaient été des soldats sur un champ de bataille, Jagger aurait tenu le rôle du soldat à terre et prêt à accepter sa fin proche et inévitable. Donovan lui, aurait été celui qui malgré une blessure béante, retourne en arrière pour soulever son compagnon de fortune, le caler sur son dos et lui sauver la vie. Il n'allait pas la laisser tomber, il allait être son pilier si elle le laissait faire. A vrai dire, même si elle ne le laissait pas faire, Donovan était prêt à lutter contre Jagger et sa fâcheuse tendance à le repousser lorsqu'elle aurait pourtant le plus besoin de lui. Il l'avait donc amené jusqu'au canapé où il l'avait fait s'asseoir et pour une fois elle s'était laissée faire. Elle était si docile qu'il avait lui-même du mal à y croire. Une fois de plus, il ne pouvait pas se réjouir. Ce n'était pas Jagger, pas celle qu'il connaissait en tout cas. Il avait repéré une couverture dans un coin, et avait songé à s'enrouler lui-même dedans parce qu'il fallait bien avouer qu'il commençait à avoir froid. La sensation que lui procurait ses vêtements trempés au contact de sa peau était loin d'être agréable et il n'avait qu'une envie, tout retirer. Jugeant que ce n'était absolument pas le moment pour se mettre littéralement nu, mais aussi que Jagger avait tout autant besoin de la couverture que lui, il s'en était emparé et l'avait placé sur ses épaules à elle. Il en était venu à un point où il la faisait passer avant lui-même, c'était aussi simple que ça. Ne supportant plus son t-shirt inondé qui allait finir par lui donner une pneumonie, il l'avait retiré pour se glisser à côté d'elle. Pendant quelques secondes, il éprouva une sensation étrange. Il était presque gêné. Elle pleurait encore un peu et ni l'un ni l'autre n'était capable d'articuler un mot. Pour tout dire, Donovan commençait à apprécier le silence et très vite il reprit confiance en lui. C'était Jagger qui était assise près de lui, personne d'autre. Il respirait calmement désormais, mais ça n'en demeurait pas moins douloureux. Une fois qu'il l'avait forcé à le regarder et que leurs yeux se croisèrent, il refusait de bouger. Il voulait soutenir cet échange, soutenir ce regard. Il cherchait une preuve qu'au fond d'elle, elle n'était pas complètement perdue. Il avait tellement peur de la perdre, peur de ne pas réussir à surmonter cette épreuve… Et s'ils n'arrivaient plus jamais à être les mêmes? Et si au lieu de les rapprocher cette histoire les séparait? A mesure qu'il sentait l'angoisse le gagner à nouveau, Donovan se laissait aller à ne plus vraiment la regarder, c'était à son tour d'être ailleurs. Et puis soudain, il retrouva une certaine lucidité et il se rappelait qu'il devait être fort pour elle. Pour pouvoir mettre de côté ses propres sentiment, il était obligé de mobiliser toute la bonne volonté du monde, c'était presque un effort surhumain mais il n'avait pas le choix. Il puisait encore en elle tout ce qu'il pouvait pour ne pas se laisser aller, pour ne pas craquer à son tour. Et puis il l'observa baisser les yeux… En apparence, Donovan ne montrait rien mais à l'intérieur de lui, il avait envie de la supplier de ne pas le laisser tomber lui non plus. S'il la soutenait plus que tout, il avait espéré qu'elle puisse en faire autant. En la voyant détourner son regard, il pensa un instant qu'elle ne voulait plus de lui mais en réalité, et il le comprit rapidement, c'était beaucoup trop dur pour elle de parler et de lui faire face en même temps. Elle ne l'abandonnait pas, elle allait s'ouvrir à lui, il le sentait. La main de Jagger le prit par surprise sous la couverture. Il ne l'avait pas quitté des yeux, et quand il sentit ses doigts tout proches des siens il ne put s'empêcher de les caresser doucement. Elle ne pleurait plus mais elle avait toujours l'air si triste. Il ne pouvait pas s'empêcher de la trouver magnifique. You make sad look beautiful Jagger Dickens. Presque apaisé par le silence et sa présence, il releva la tête et fronça les sourcils lorsqu'elle laissa échapper un premier mot d'entre ses lèvres. Marley. Il ne savait pas ce dont il s'agissait mais il eut un pressentiment sur ce qui allait suivre et il n'avait soudainement plus du tout envie d'avoir les détails qu'il avait pourtant demandé. « Je… je crois que ç’aurait été une fille. Et que je l’aurais appelée Marley. »


FLASH BACK
Les portes battantes s'ouvrirent pour laisser apparaitre Ryan, il avait l'air de franchir la ligne d'arrivée d'un marathon. Essoufflé, fatigué, mais tellement heureux, il avait levait les bras à la manière d'un grand vainqueur. Donovan s'était mis debout presque instantanément, il avait d'abord eu l'air paniqué avant de voir son meilleur ami afficher un large sourire.  "C'est une fille!" Les deux hommes laissèrent alors exploser leur joie dans le couloir de la maternité. Donovan entama une petite danse et il fut rapidement imité par Ryan. Quelques personnes leur lancèrent des regards de travers, la réceptionniste leva les yeux au ciel tout en secouant la tête, des loustics comme ça elle en voyait tous les jours. Mais tous les deux, ils n'en avaient rien à foutre des autres. Ils étaient fous de joie. Lorsque finalement leur petite danse prit fin, Donovan donna une chaleureuse accolade à celui qu'il considérait depuis quelques années déjà comme son frère. Plus qu'un meilleur ami, Ryan était devenu un mentor, un père même. Il prenait soin de Donovan, il faisait toujours en sorte qu'il aille bien, il n'hésitait pas à le remettre dans le droit chemin quand il le sentait s'égarer. Dans le boulot comme dans la vie de tous les jours, il assurait ses arrières. Lui qui n'avait jamais eu une véritable famille avait enfin la chance de se sentir aimé par des êtres qui semblaiten être tout droit descendus du ciel pour veiller sur son cas.  "Tu veux la voir?" Donovan acquiesça, il était même carrément impatient de découvrir la petite. Les deux hommes s'activèrent donc jusqu'à la chambre où la femme de Ryan avait été installée. Ce dernier fit signe à celui qui se tenait derrière lui de faire doucement en rentrant dans la pièce. Jess, avait l'air fatiguée mais elle était rayonnante. "Wow." Il était carrément sur le cul. Dans les bras de la nouvelle maman, il aperçut un tout petit enfant, un minuscule bébé tout rose et tout calme. Son coeur venait de se ramollir. "T'as vu ça?!" L'air sincèrement fier, Ryan s'approcha du lit de sa femme tout en indiquant à Donovan un fauteuil où il pouvait s'asseoir. Il prit l'enfant dans ses bras le plus délicatement possible, et la transporta jusqu'à Donovan. "Attention à sa tête, tiens-la bien." Lorsqu'elle se retrouva dans ses mains, Dono' se sentit presque fébrile tant le sentiment qui l'emplissait était inconnu. "Wow." répéta-t-il, les yeux fixés sur le nourrisson qu'il observait dans les détails. Son petit nez retroussé était à croquer, ses lèvres avaient l'air toutes douces, ses joues légèrement rosies la rendait adorable, ses paupières fermées lui renvoyaient une sensation d'apaisement si profond qu'il en était presque jaloux. C'était peut-être fou à dire mais il avait l'impression d'être en train de tomber amoureux. Ça ne lui était jamais arrivé et d'ailleurs il ne voulait pas paraitre malsain, mais voilà… Il avait ce tout petit être posé dans ses bras et soudainement il se sentait tellement heureux, une immense chaleur était en train de se répandre en lui et ça le rendait toute chose. Pourtant, croyez-moi, il était loin d'être le genre de garçon à devenir gaga mais les enfants c'était sa faiblesse et pour la première fois de sa vie il tenait un nouveau-né et il se sentait connecté avec elle jusqu'au plus profond de son âme. Ryan et sa femme observait la scène avec attention lorsqu'ils se décidèrent a briser le silence qui s'était installé. "Donovan, je te présente Lucy. Lucy, je te présente ton tonton Donovan." Un large sourire se dessina sur les lèvres du jeune pompier, tonton Donovan, ça sonnait particulièrement bien à ses oreilles. Il n'avait toujours pas décroché et la fixait encore. Elle semblait s'éveiller un peu, ses yeux demeuraient fermés mais elle commençait à gesticuler. Ses petits pieds venaient se tortiller sur l'avant-bras de Donovan qui cru mourir en entendant Jess ajouter: "Et peut-être que tonton Donovan pourrait aussi être parrain Donovan, non?" Cette fois, il releva la tête. Son meilleur ami et sa femme l'observaient tous les deux et ils riaient presque face à son expression de surprise.  "Vous… Vous voulez que JE sois son parrain?" Ils avaient l'air au moins aussi excités et émus que lui. "On a bien réfléchi et on a pas réussi à penser à quelqu'un d'autre… C'était une évidence pour nous. Tu acceptes?". Donovan baissa à nouveau la tête sur la petite. Elle était belle comme un coeur. "Oui, évidemment!" Il attrapa la petite main potelée et y déposa un tout petit baiser. Puis, il chuchota ces quelques mots au bébé: "Tu peux compter sur moi Lucy, j'assure tes arrières. Maintenant et pour toujours.".
FIN DU FLASH BACK


Marley. Ce prénom résonnait désormais dans sa tête. Que Jagger lui dise ça, c'était comme se prendre un coup de poignard dans le ventre. Il avait l'impression d'avoir touché du bout des doigts un rêve et maintenant qu'elle avait mis un prénom sur ce bébé qui n'était jamais né et qui ne naitrait jamais, il se sentait heurté par la réalité. Une énorme claque, encore. Marley. Marley Halvey-Dickens ou Marley Dickens-Halvey plutôt, histoire d'équilibrer les "ey". Peut-être aurait-il voulu ne jamais entendre ça, peut-être que demander des explications à Jagger avait été une mauvaise idée… Ça le prenait aux tripes et ça lui faisait mal putain. Il avait envie que cette douleur s'arrête, ne plus rien ressentir… Et puis, une fois encore il se rappela qu'elle, elle vivait sans doute avec ce sentiment depuis que c'était arrivé. Comment avait-elle pu? Comment avait-elle survécu à une telle douleur? Il avait soudain très envie de la serrer encore, de lui dire qu'il l'aimait plus que tout, et que ce n'était pas à elle d'être désolée mais à lui. Sauf que les mots étaient incapables de sortir, pas tout de suite. Il était sous le choc, presque sonné par ce qu'elle venait de lâcher. C'était une bombe, une véritable bombe et elle lui avait explosé dans la gueule. Il aurait tout donner pour que ça s'arrête, pour repartir de zéro. Et s'il fermait les yeux et qu'il y pensait assez fort, peut-être arriverait-il à faire remonter le temps, peut-être pourrait-ils les renvoyer tous les deux à ce jour où elle avait changé sa vie en y entrant. Elle n'avait jamais demandé son autorisation, elle avait juste fait irruption dans son monde, l'avait secoué et marqué au fer rouge et depuis il n'était plus le même homme. Il aurait tout fait pour revenir à l'époque où ils étaient insouciants, ils vivaient et c'était tout. Depuis qu'il était arrivé à Huntington Beach tout semblait tellement difficile. Donovan se sentait de plus en plus mal, il y pensait et il se rendait compte que depuis qu'il avait essayé de récupérer Jagger, il n'avait réussi quà la faire pleurer. Le poids de la culpabilité s'abattit alors à son tour sur ses épaules déjà si chargées et il sentait que si autre chose venait s'y ajouter il n'allait plus pouvoir rester fort. Il resserra sa main autour de celle de Jagger lorsqu'il l'entendit dire que de toute façon elle n'en saurait jamais rien, lui aussi avait terriblement besoin de s'accrocher à elle. 

Donovan la laissa continuer. Elle pouvait prendre son temps, ça lui en donnait à lui aussi pour assimiler les choses. « Mais je suis tombée enceinte. » C'était complètement surréel de l'entendre dire ça. Donovan tourna la tête tandis que Jagger avait détourné les yeux. C'était fou à quel point ils avaient besoin l'un de l'autre tout en ressentant cette cruelle nécessité de se fuir. De son côté, il ne savait pas quoi dire. Il avait beau essayer de trouver quelque chose, il avait peur de faire preuve d'une trop grande maladresse et de lui faire plus de mal. Il n'avait pas envie de dire quoi que ce soit qui pourrait être mal compris ou qui referait pleurer Jagger alors il demeurait silencieux. C'était préférable. Et puis, une petite part de lui commençait à croire que s'il osait ouvrir la bouche il allait se mettre à pleurer lui aussi et franchement, même si ça l'aurait sans doute beaucoup soulagé, ils n'avaient pas besoin de ça maintenant. « De toi. ». Il cherchait des yeux un truc qu'il pourrait attraper rapidement et fracasser sur le sol. Il en avait besoin, il en avait sérieusement besoin. Il aperçu une sorte de vase qui se trouvait sur une étagère, il avait l'air en verre… Donovan n'avait pas envie de se lever pour aller le chercher, mais il se visualisait le tenir en main et puis le balancer sur le sol avec toute la violence possible, de toutes ses forces… Oui, il visualisait ce foutu vase en mille morceaux à ses pieds et il se sentait un peu mieux. Casser des trucs, c'était sa manière à lui d'extérioriser. C'était un trait de sa personnalité qui lui venait de son père pour sûr. Donovan se souvenait encore de ce bureau que son père avait renversé peu de temps après la mort de sa mère. Il l'avait fait sans effort, comme s'il avait été doté d'une force surhumaine. Pendant quelque mois, Donovan était persuadé que son père était Superman, mais ça n'avait pas duré longtemps. Il se souvenait aussi des tiroirs qu'il avait arraché avec force dans la chambre de Milena parce qu'elle avait osé répondre un peu trop sèchement. Mais par dessous tout, il se souvenait du jour où dans un excès de colère son père l'avait attrapé pour lui en coller une, il l'avait balancé sur son lit comme il l'aurait fait d'une poupée de chiffon et Donovan avait rebondi et atterri de l'autre côté du matelas jusqu'à se cogner la tête sur le rebord d'une table de chevet. Cette histoire lui avait valu plusieurs points de suture. Il porta sa main à sa tête, il pouvait toujours sentir un petit cran à l'endroit où son crâne avait cogné le rebord de la table. Penser à son père le mettait en rage. 

Jagger. Elle avait encore le courage de lui raconter, elle prenait son temps mais elle y parvenait, petit bout par petit bout et il l'admirait un peu plus à chaque fois. Il était à deux doigts de lui dire que c'était bon, qu'il n'avait pas besoin d'en savoir d'avantage. Mais c'était injuste. Elle n'avait pas à porter tout cela toute seule, il y avait des choses qu'il devait entendre. Il le savait bien mais il voulait que ça se termine vite. Comme quand on enlève un pansement, il faut l'arracher pour ne pas avoir mal. Il voulait que Jagger arrache le pansement, qu'elle l'arrache rapidement. Il voyait bien que de son côté, elle était toujours bouleversée, il ne pouvait pas lui demander de se dépêcher. Il aurait fallu être un gros connard insensible pour oser la bousculer. Il avait cessé de compter les coups de massue… Elle savait qu'elle était enceinte lorsqu'elle l'a quitté mais elle avait peur. Peur qu'il la voit comme ça. Donovan sentit son coeur tomber très bas dans sa poitrine. Quel crétin! Mais quel idiot, franchement! Pourquoi avait-il lâché le bras de Jagger? Pourquoi? Il avait envie de se gifler, de se taper la tête dans un mur, il avait envie d'hurler encore. Il secoua légèrement la tête. "Jagger… Je…" Il parlait si doucement que c'était à peine audible. Il essayait d'intervenir mais à peine les mots étaient-ils sortis de sa bouche qu'il sentait qu'il ne pouvait pas aller plus loin. Elle mentionna son frère et le moment où il lui avait annoncé pour leurs parents. Elle aborda la douleur. Et c'est là qu'il se sentit partir. Une larme se mit à couler le long de sa joue, il porta tout de suite ses deux mains à son visage. Il n'avait pas lâché Jagger, c'était elle qui l'avait lâché. Elle avait porté les siennes sur son ventre. Donovan était incapable de bouger, il sentait une énorme boule se former dans sa gorge. Il allait exploser, il en était sûr. Pourquoi vivre si c'était pour ressentir autant de peine? Pourquoi vivre si c'était pour avoir sa vie? Une vie où il avait tout perdu, une vie qui lui arrachait une à une toutes les personnes à qui il tenait ou aurait pu tenir. Une chienne de vie. Une vie tellement injuste, tellement cruelle. Pourquoi ne mourrait-il pas sur le champ? Il essuyait ses joues humides mais il avait beau réussir à retirer chaque larme de son visage, elles étaient de suite remplacées par de nouvelles. Un son brusque s'échappa de lui. Ça l'avait surpris lui-même. Il ne pouvait même pas faire semblant, il ne pouvait plus se cacher, ni cacher toute la tristesse et la douleur fulgurante qui s'emparait de lui et qui le rongeait de l'intérieur. Il avait mal pour Jagger et il avait mal pour cet enfant. Son enfant. 

Ils avaient tous les deux cessés de parler, le silence s'était imposé dans la pièce mais ça n'en rendait pas la situation plus supportable, au contraire même… C'était un silence lourd, un silence qui pesait sur eux. Donovan se sentait tellement oppressé, il renifla bruyamment. Au point où il en était, il n'en avait que faire de se cacher ou de faire semblant d'être fort. Comment pouvait-il être fort alors qu'il avait face à lui la personne à qui il tenait le plus et qu'elle était en train de lui raconter la pire des histoires. Il manquait d'air, il suffoquait. Il s'était légèrement écarté, pas parce qu'il avait envie de s'éloigner d'elle mais parce qu'il sentait qu'il allait devoir bouger très bientôt. Il sentait des fourmis le gagner, l'envie de courir à nouveau. Ils pourraient s'enfuir tous les deux si elle était d'accord… Le silence fut brisé par Jagger, une fois de plus elle surmontait ce qu'elle avait à surmonter pour qu'il sache enfin la vérité. La dernière ligne droite avant qu'il ne soit au courant de tout. « Une femme sait ça. Une mère sait ça. » Il ferma les yeux, il les serrait si fort, si fort… On venait de lui arracher le coeur, de creuser un trou immense, un trou noir et froid. Un trou sans fin. Il n'avait plus rien et surtout plus aucune foi. Et pourtant, il l'avait toujours elle. C'était tout ce qui le raccrochait encore à un instinct primitif de survie, sans ça il se serait sans doute laissé agoniser. S'il l'avait perdu elle aussi… Non, il ne pouvait même pas y songer. S'il la perdait, il se perdrait lui-même. S'il la perdait, il en mourrait, clairement. Mourir d'un coeur brisé, c'est la pire des morts. Ou peut-être la plus belle… Ça dépend sans doute du point de vue. 

Jagger lui avoua penser chaque jour à ce que leur fille aurait été. Il savait que dorénavant il en ferait sans doute de même. Il la voyait déjà dans son esprit et il savait qu'il saurait la retrouver en chaque gamine qui croiserait son chemin à partir de cette nuit. C'était peut-être le pire… L'imaginer. Imaginer la tête qu'elle aurait eu, imaginer ses éclats de rire, imaginer le son de sa voix, imaginer la couleur de ses yeux, imaginer la chaleur de ses câlins, imaginer tout ce qu'elle aurait pu faire et tout ce qu'elle ne fera jamais. A nouveau, Donovan et Jagger restaient silencieux. Il essayait de reprendre le dessus, mais il lui fallait quelques minutes. Il avait tant envie de pleurer encore un peu. Juste un peu. Il devait être un homme, il devait être fort. Il se souvenait de son père (lui encore) qui lui avait à de si nombreuses reprises dit que pleurer était réservé aux filles et aux tapettes. Il se rappelait très bien du jour où il était rentré de l'école en pleurant, son père l'avait fait s'asseoir dans la cuisine après avoir envoyé sa soeur dans sa chambre. Il lui avait demandé s'il avait envie de l'énerver. Donovan avait répondu que non mais qu'il ne pouvait pas s'empêcher de pleurer. Il avait à peine sept ans, c'était seulement quelques mois après le décès de sa mère. Son père lui avait alors demandé ce qui n'allait pas. Il lui avait dressé la liste de toutes les choses qu'il avait la chance d'avoir, toutes les choses qu'il lui "offrait" si gracieusement: de la nourriture, un toit, un lit et quelques jouets. Il n'était pas à plaindre bon sang! Donovan s'était tu, étranglé par les sanglots. Son père le fit se lever, le secoua comme un prunier comme si ça allait suffire à faire passer son chagrin. Le petit s'exclama que sa mère lui manquait. Il eu le droit ce jour-là à une gifle et à la fameuse phrase qui résonnait encore dans sa tête: "Dégage avant que je ne t'en colle une autre. Et t'as intérêt à ne plus pleurer pour des conneries sinon ce n'est pas ma main dans la figure que tu vas prendre, ce sera pire, je te le garantis!". Il n'avait pas le droit de parler de sa mère et encore moins de pleurer à cause d'elle. Il s'était réfugié dans le lit de sa soeur où il s'était endormi dans ses bras. À cette époque-là, Milena était la seule personne au monde capable de lui accorder de l'importance, de le faire se sentir aimé. Elle lui chantait une comptine, elle lui lisait des histoires, elle se donnait du mal pour que son petit frère continue de voir toute la magie qui demeurait tout autour de lui. Il n'avait pas encore huit ans et il était déjà plus abimé par la vie que bien des gens. 


FLASH BACK
Une infirmière était venue chercher Lucy pour une série d'examens de routine. Jess avait fait signe à Ryan de la suivre, juste au cas où. Après tout, les histoires de bébés échangés, ça existait! Ils n'avaient pas envie qu'une histoire comme ça leur arrive, surtout pas lorsqu'ils avaient mis au monde une petite fille aussi magnifique. Elle était parfaite. Donovan avait donc commencé à reprendre ses affaires, et remettre son manteau. Il avait un sourire accroché à ses lèvres depuis l'instant où il avait pénétré dans la chambre. Il s'avança vers le lit et embrassa tendrement Jess sur la joue. Il avait toujours su qu'elle était la fille parfaite pour Ryan, elle le rendait heureux et pour être tout à fait franc Donovan était parfois jaloux de les voir aussi amoureux. Il se demandait ce que ça pouvait bien faire d'aimer quelqu'un aussi fort qu'ils s'aimaient ces deux-là. "Elle est magnifique! Vous avez fait du bon travail tous les deux!" lâcha-t-il finalement. "C'est incroyable, pas vrai?" Elle le regardait avec un sourire malicieux. Donovan acquiesça. "C'est complètement… Je ne trouve même pas de mot." Il s'arrêta un instant. "Quand Ryan me la mise dans les bras, j'ai cru que mon coeur allait exploser. Je n'ai jamais ressenti ça avant! C'était mieux que n'importe quelle drogue, si tu veux mon avis!" Jess éclata de rire. Elle avait toujours eu beaucoup d'affection pour Donovan. Elle insistait à chaque fois pour qu'il reste diner avec eux après les longues journées de travail, elle l'invitait à bruncher en famille le dimanche, et parfois lorsqu'elle apportait son déjeuner à Ryan, elle en avait aussi un pour Donovan. Ils étaient à l'aise l'un avec l'autre, et ils partageaient un respect mutuel et une grande affection. "Un jour, tu auras ta propre petite fille , ton propre bébé Donovan et tu verras que ce que tu as ressenti aujourd'hui sera encore plus fort. Tu la regarderas dans les yeux et tu croiras voir le portrait craché de sa mère, tu tomberas fou amoureux d'elle. Tu verras… Ce sera le plus beau jour de ta vie Donovan et tu sais quoi?" Il secoua la tête, attendant la suite. "Je crois que tu seras un père fantastique. Et si je ne le pensais pas, je ne t'aurais jamais choisi comme parrain pour Lucy. Ryan et moi sommes d'accord sur ce point. Tout ce qu'il te manque, c'est LA fille qui saura t'aimer à ta juste valeur et que tu pourras aimer en retour." Donovan l'embrassa à nouveau sur la joue. Il avait envie de la serrer dans ses bras et de ne plus lâcher tant il était touché par ce que son amie venait de lui dire. "Du fond du coeur, merci."
FIN DU FLASH BACK



Donovan avait réussi à refouler les larmes. Il se mordait malgré tout l'intérieur de la joue, juste au cas où… Il prit une respiration profonde avant de se tourner complètement vers Jagger. Il utilisa son pouce pour le passer sur le visage de sa belle et essuyer une larme. Il s'approcha d'elle, toujours silencieux, et il déposa un baiser sur son front avant de se lever et de marcher droit devant lui. Il lui tournait le dos pour se tenir face à ce vase qu'il avait repéré tout à l'heure. Il s'en empara et le fit rouler dans ses mains pour l'admirer un peu. Il ressembla toutes les forces en lui pour pouvoir prendre la parole sans avoir la voix qui se brise. "Je suis désolé, et je sais que ça ne changera jamais rien à ce qu'il s'est passé… Mais si j'avais su…" Il se concentrait sur le vase, le perçait de son regard, le dos toujours tourné vers Jagger. "Je n'aurais jamais dû lâcher ta main… Sur le coup j'ai cru que c'était ce dont tu avais besoin, je n'ai pas compris pourquoi tu pleurais, ni pourquoi tu partais, je savais que c'était grave et que je ne pouvais pas t'empêcher de reprendre la route." Il ne fallait pas qu'il s'arrête de parler. S'il le faisait, alors il n'était pas certain de pouvoir reprendre. "J'aurais dû insister… J'aurais dû partir avec toi, te dire que quoi que ce soit qui puisse te bouleverser ainsi, je serai toujours à tes côtés… Au lieu de ça, je t'ai lâché Jagger." Il prit une profonde inspiration à nouveau. "Je n'aurais peut-être rien pu changer à ta douleur, mais au moins…" La voix de Donovan commençait à changer, alors il marqua une très courte pause pour pouvoir mieux la contrôler. "Au moins j'aurais été là. J'aurais pu te serrer dans mes bras. J'aurais pu essayer d'alléger ta peine même si je sais que ça aurait été difficile, j'aurais quand même essayé. Ça me rend…" Les battements de son coeur s'accéléraient encore, il sentait qu'une vague d'émotions montait en lui. Brusquement, sans qu'elle ne s'y attende il balança le vase contre le mur à l'opposé de la pièce, il était peut-être impulsif mais pas totalement inconscient. Il l'avait balancé assez loin d'eux pour être sûr qu'elle ne puisse pas recevoir un seul éclat de verre sur elle. Et il avait hurlé presque aussitôt: "Fou, putain! Ça me rend fou!" Il resta debout. Juste comme ça. Il fixait l'endroit où le vase avait frappé, puis le sol où il était éparpillé en morceau. "C'est une métaphore." déclara-t-il enfin après quelques instants de silence. "Le vase c'est nous." Brisés. Ils étaient tous les deux brisés. 


Malgré la violence qui venait d'émaner de lui, Donovan semblait déjà avoir retrouvé son calme. Il pouvait passer d'une émotion à une autre en un rien de temps, c'était presque inquiétant même de le voir capable de jongler avec tout ces sentiments. Il avait à la fois l'air de tout contrôler et d'être un véritable bordel émotionnel. Qui sait ce qu'il ferait ensuite? Lui le savait pourtant très bien. Il se dirigea vers Jagger, lui tendis la main pour qu'elle se lève. Elle n'avait qu'à la saisir, c'était aussi simple que ça. "Je t'aime. Si tu me fais confiance, prends cette main Jagger. Prends-là et je te promets que tu ne seras plus jamais seule face à la douleur. Prends ma main et laisse moi partager ta peine. C'était ton enfant, mais c'était aussi le mien. C'était notre bébé." Il la fixait droit dans les yeux et il lui parlait avec détermination, avec envie et surtout avec amour. "Marley. J'aurais trouvé ça fantastique. Donovan, Jagger et… Marley." Un amour passionnel. Fusionnel. Un amour tellement fort qu'il aurait pu soulever des montagnes. Jess avait raison le jour où elle lui avait dit qu'il ne lui manquait que LA fille qui saurait faire battre son coeur. Jagger était celle avec qui il s'imaginait passer le restant de ses jours. Elle était CETTE fille pour qui il acceptait de tout perdre, le peu qu'il possédait encore. Il était prêt à vendre son âme pour elle. Alors il lui tendait la main, et il plaçait dans cette main le peu d'espoir qu'il lui restait. Il plaçait dans sa paume, tout l'amour, toute la tendresse, toute la passion dévorante qu'il éprouvait pour elle. "Prends ma main Jagger, et on se reconstruira tous les deux. Ensemble. " Il avait peur, tellement peur qu'elle refuse, qu'elle lui en veuille… Et si elle envoyait promener cette main? Et si elle ne voulait plus jamais être avec lui parce qu'il lui rappelait trop ce qu'elle avait vécu? Il avait tant besoin d'elle. "Je t'aime." répéta-t-il. " Et je l'aurais aimé elle aussi… De tout mon coeur.". Une ultime pause. "Prends ma main Jagg' je t'en supplie." Et il ferma les yeux en espérant sentir la paume de la jeune femme venir se loger dans la sienne. Elle était tout ce qu'il avait. Il s'offrait tout entier à elle, maintenant et pour toujours. 

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptySam 8 Fév 2014 - 5:26

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



 Parler n’avait jamais été aussi difficile. Parler… l’avait laissée vide. 
C’était comme si chaque mot avait contribué à drainer ses forces. Elle était enroulée dans cette couverture, sur le vieux divan. Tout le long, ses yeux étaient restés grands ouverts sur le vide. Plusieurs fois, elle avait ressenti le besoin urgent de se tourner pour les plonger dans ceux de Donovan et y puiser la force - mais avait renoncé, de peur de n’y rencontrer que la douleur. Elle ne se connaissait pas ainsi, non, elle ne s’était jamais connue ainsi - elle se faisait peur, un peu, quelque part. Regarder le vide, c’était comme contempler crûment son coeur, et voir sa plaie béante. On ne s’en doute pas, de combien ce qui n’a pas été peut vous déchirer au plus profond. Elle avait toujours laissé faire le temps - son action salvatrice. Elle avait toujours laissé les heures guérir ses blessures, ses peurs, ses angoisses, ses échecs. Mais le temps ne peut rien y faire quand le monde s’est écroulé, quand tout s’est évanoui, sans espoir de retour. Elle s’était raccrochée à l’idée de repartir un jour, quand le moment serait venu - d’aller se reconstruire ailleurs, laisser la pluie laver la douleur, et recommencer encore. Elle s’était raccrochée à cette idée, mais… comment faire quand la seule idée de reprendre la route vous pétrifiait de terreur? Quand on sent, au plus profond, qu’ailleurs non plus il n’y a plus rien?

Parfois, pendant le jour, elle arrivait à oublier. Elle se laisser entraîner par la ville, par ses vies croisées. Elle se laissait entraîner par les grands rires de son frère, de ses amis. Elle jouait à être celle qu’elle avait toujours été. Ce petit brin de femme qui ne se soucie de rien, se moque de tout. Son sang se réchauffait un peu et pour quelques heures elle pouvait prétendre que rien n’avait changé - qu’elle était encore Jagger Dickens, que tout allait bien. Elle se disait que les années sur les routes n’avaient été qu’une parenthèse, rien de plus qu’une parenthèse, pas un monde qui s’écroule, pas un univers qui s’achève. Elle était partie, elle était revenue, simplement - elle se disait qu’il n’y avait pas de drame, seulement une femme qui rentre à la maison après des années d’absence. Mais quand la nuit et la solitude tombaient… Ces images qui lui brûlaient la rétine revenaient la hanter. La lune amenait la tragédie, la tragédie les larmes. Dans ses rêves, elle tendait les bras vers Marley et Marley était là, brûlante de vie, brûlante d’amour. La nuit, elle voyait la folie ramper vers elle. Elle entendait le rire d’un enfant, un rire à en faire trembler les murs. Le matin la laissait creuse, amère, seule à en mourir. Elle réalisait que ses bras ne s’étaient refermés que sur le vide, à peine une illusion, à peine une fumée.
Et puis la culpabilité. Les questions, toujours trop nombreuses. Et si elle n’avait jamais quitté Huntington Beach? Et si elle avait été déjà là, au chevet de ses parents? Et si elle avait été plus forte? Et si elle avait osé garder dans sa main celle qui à l’instant fatal s’était tendue vers elle? Et si elle avait eu moins peur? Et si elle avait eu moins mal? Elle savait qu’elle ne pourrait jamais, ô grand jamais y répondre. Elle savait même que certaines de ces interrogations n’avaient pas de sens - que ce qui était fait ne pouvait plus être refait. Mais elle ne pouvait les empêcher de tourner en rond dans sa tête. D’entamer, lentement mais sûrement, tout ce qui pouvait bien lui rester de raison.
Donovan devrait s’en aller. Elle ne pourrait lui en vouloir. Elle comprendrait. Il ne lui resterait plus rien - mais elle comprendrait.


C’était pas très, très loin de Milwaukee. Près du lac Michigan. La nuit était tombée depuis un moment déjà mais la nuit était tellement longue - et ils ne comptaient plus les heures. Par les fenêtres du van filtrait la lumière blanche des étoiles et des lampadaires. La ville s’était endormie - elle en avait oublié le nom. Il faisait froid, un peu. Mais la femme était nue sur les draps défaits. Il y avait quelques cadavres de bouteille, au sol. Dans un grand cendrier, les restes de beaucoup de cigarettes, de quelques joints. Il y avait dans l’air une odeur de fête et l’empreinte d’une tendresse. Une vieille radio tournait en fond sonore, le son si bas qu’elle troublait à peine le silence. La femme nue regardait l’homme. Ses cheveux détachés faisaient sur les draps comme une couronne. Elle respirait doucement. Le rythme était profond, témoin d’une paix que rien n’aurait pu troubler. Dans son regard embrumé on pouvait voir la douceur et la langueur. Quelques heures plus tard à peine, elle nierait les avoir même ressentis. Sans pour autant oublier.
Ils se connaissaient depuis peu. Un mois peut-être? Mais Jagger avait ce sentiment étrange qu’ils avaient marché côte à côte pendant des années. Ils se connaissaient depuis peu. Une vie, peut-être. Mais l’enfant qu’était encore Donovan, parfois, lui mettait les larmes aux yeux. Ils se connaissaient depuis peu. Les jours semblaient des millénaires. Elle savait, comme par instinct, les pensées qui traversaient cet homme - elle aurait déjà pu le réciter par coeur.
Quand il la touchait, elle ressentait cet absurde mélange de violence et de douceur. Il exhalait tout entier la pure force et la pure dévotion. Route après route, ville après ville, elle l’avait appris par corps. Elle connaissait ce regard qu’il posait sur elle, qui lui faisait sentir sublime. Les premières nuits, il n’était pas là. Les premières nuits étaient impersonnelles, le fruit du hasard et le fruit de la route. Quelques temps plus tard, elle avait senti naître en elle une certitude: Donovan Halvey, à chaque fois, lui faisait l’amour. Elle ne savait pas vraiment quand tout cela avait commencé - le plus probable était qu’elle s’y était faite, petit à petit, sans même le remarquer, sans rien en dire. Peut-être que même lui ne s’en était pas rendu compte. Mais deux corps qui s’entrechoquent étaient un jour devenus deux personnes, et avaient construit des souvenirs. Quand ils s’enlaçaient, il la recouvrait de son ombre. Elle avait appris à ne plus avoir peur du noir.
Cette nuit était restée, comme un moment hors du temps. Une trêve dans cette éternelle guerre qu’ils se vouaient, à chaque instant. Elle avait baissé sa garde pour quelques heures - il l’avait accueillie dans ses bras. N’en avaient subsisté que quelques images dans sa mémoire. Le mauvais vin. Le cendrier qui déborde. La lumière blanche qui éclaire le lit. Le regard qui la contemple. Le sien, qui répond. Leurs peaux qui se rencontrent. Une main qui prend la sienne. Des lèvres qui dévorent d’autres lèvres. Deux souffles qui s’emmêlent. Un corps qui recouvre le sien. La violence. La douceur. L’instant où se séparer semble inconcevable. Tellement.
Quelques semaines plus tard, elle avait posé une main sur son ventre - et elle avait su.

Elle le vit se lever comme dans un rêve. Le regard halluciné, rougi par les larmes, elle le vit faire quelques pas. Il n’y avait pas de mot pour l’angoisse qui lui tordit alors le ventre. Il s’en allait. Il s’en allait. Il avait bien raison de l’abandonner ici - après ce qu’elle avait fait, ou ce qu’elle n’avait pas fait. Il s’en allait. Il devait s’en aller. Il avait bien raison - elle avait échoué, elle aurait pu faire quelque chose, elle aurait pu sauver ce rêve, lui répétait cette voix horrible, dans un recoin de son cerveau. Mais alors, pourquoi se sentait-elle plus vide encore? Elle ne pensait même pas que ça serait possible. Si elle avait été même capable de le supplier, elle l’aurait fait. Elle savait qu’elle n’était qu’à quelques mots de s’écrouler, et de ne plus s’en relever. Quelques mots ou une présence. Cette présence était celle de Donovan - du seul homme qui avait pu lui apprendre à être deux. Mais elle le regardait simplement, toujours trop faible pour agir, trop faible pour bouger, trop faible même pour   respirer encore. Et puis il se mit à parler. Il lui tournait le dos, un vieux vase de Hendrix entre les mains. Il énonçait chaque mot comme avec prudence. Lentement. Des excuses. Des excuses à n’en plus finir, mais jamais ce « c’est fini » qu’elle avait commencé à craindre. Il disait qu’il n’aurait jamais dû lâcher sa main - mais est-ce que cela aurait changé quelque chose? Peut-être. Elle n’en savait plus rien. Au moins, ils auraient été deux. Peut-être même qu’il l’aurait tenue dans la peur, l’aurait empêchée de s’écrouler. Il faisait cela, parfois. Poser ses deux mains sur sa taille à elle, son front sur son front, et plonger ses yeux dans les siens - comme pour lui rappeler qu’il y avait autre chose que ce trou noir qui la bouffait de l’intérieur. Qu’il était là, qu’il ne bougeait pas de là. Cet homme là qui ressentait tout trop vite, trop fort - il savait comment apaiser sa violence à elle. Il avait dans le regard cette incroyable lumière. Et puis, sa peau reconnaissait son contact. Touch has a memory. Même inconsciemment, elle se sentait chez elle.
Mais elle l’avait chassé. Elle les avait condamnés à la violence de cette nuit - à la douleur brute de la révélation. Elle payait le prix aujourd’hui en le voyant s’écrouler devant elle. Il ne la regardait toujours pas - mais elle voyait ses épaules trembler, même imperceptiblement. Elle voyait s’écrouler quelque chose dans le coeur de cet homme, sentait la rage dans sa voix. Et puis il y eut ce hurlement, ce cri de bête blessée, cette souffrance comme un agonie. Elle ferma les yeux, et le vase qui s’écrasa contre le mur lui rappela le sang tout autour d’elle. Elle rouvrit les yeux. Baissa la tête. Oui, le vase, c’était une métaphore. La métaphore du moment où quelque chose nous est arraché - quelque chose qui ne reviendra jamais. Elle ferma les mains. Sur le vide.
Les souvenirs lui bouffaient le ventre.

Il s’était endormi avant elle - il s’endormait souvent avant elle. Vivre à cent à l’heure semblait toujours consumer l’énergie de Donovan un peu plus vite que la sienne - peut-être parce que lui, en plus, ressentait à cent à l’heure. Jagger regardait par la fenêtre. Le hasard les avait amené à Belleville - elle parlait du hasard, parce qu’ils avaient depuis bien longtemps cessé de se concerter. Le monde les emmenait là où il voulait les emmener. Elle s’assit un instant sur le rebord du lit. S’en releva presque aussitôt, comme électrocutée. Son coeur était serré. Son corps, infatigable. L’attente avait mis dans chacun de ses membres comme une tension - le besoin urgent d’occuper ses mains, de faire quelque chose. Elle posa une main sur le volant. La retira. Pas maintenant. Elle ouvrit la porte pour faire entrer un peu d’air, pour respirer, elle avait besoin de respirer. Elle n’y arrivait pas. Elle n’avait pas le courage de réveiller Donovan, il aurait vu l’angoisse dans son regard, et puis ce n’était pas le moment, simplement pas le moment. Ses yeux, comme de leur propre chef, se posèrent sur l’objet qui l’attendait sur le rebord de l’évier. Combien de temps à attendre encore? Elle était supposée le savoir - mais tout s’échappait de son cerveau. Bientôt. Voilà. C’était tout ce qu’elle avait besoin de se dire - bientôt. Mais bientôt était trop loin, trop proche à la fois. Peut-être même que le temps était déjà largement dépassé, mais qu’elle n’avait simplement pas encore le courage. C’était possible. Mais elle était dans ce genre d’instants où tout est possible. Le genre d’instants où une vie change. Elle avait froid. Elle ferma la porte, presque avec rage. Traversa le van en deux, trois pas. Sa main se posa sur le test de grossesse. L’autre, sur son ventre. Elle fit comme ces gamines-là, dans les séries télévisées - elle s’empara de la notice pour être sûre de comprendre. Mais elle avait déjà cette certitude au fond du coeur. 
Positif.
Elle ne se laissa pas tomber contre le mur. Elle ne pleura pas. Elle ne hurla pas. Son premier réflexe fut de regarder Donovan. Peut-être pour s’assurer qu’il dormait toujours - peut-être pour s’assurer qu’il était toujours là. Elle avait la sensation étrange, et un peu inexplicable, que son coeur tournait à vide. Quelque chose venait de se passer, elle le savait - quelque chose de monumental mais elle ne comprenait pas vraiment encore. Positif. Elle s’avança vers lui. Posa ses yeux sur son corps. Il dormait profondément, avec aux lèvres un léger sourire. Il dormait comme un enfant. Enfant. Positif. Sa main se resserra sur son t-shirt miteux, au niveau de son ventre. Elle jeta un regard vers l’extérieur - le monde était toujours à portée de main et elle se sentait toujours libre, et pourtant… Positif. Elle inspira profondément. Expira. Elle savait qu’elle aurait dû paniquer, au moins, mais elle n’y arrivait pas. A la place, elle vit le regard que sa mère avait toujours posé sur elle. Cette infinie tendresse, cette fierté sans borne. Il y a des années de cela, Jagger lui avait demandé - « Maman, est-ce que tu regrettes? ». Sa mère lui avait répondu qu’un jour, elle comprendrait qu’il n’y avait pas là matière à regret. Elle n’avait pas peur. Elle savait. Elle avait compris.

Les regrets étaient venus plus tard. Après la route. Après le jour qui fait mal. Après qu’on lui ait tout arraché. Elle aurait voulu alors, à nouveau, plonger ses yeux dans ceux de sa mère et lui demander comment faire taire la douleur, comment retrouver tout ce qui a été perdu. Elle ne pouvait plus.

Ce qui la sortit de ses pensée, ce fut ce « Je t’aime ». Elle releva la tête, comme interloquée. Il était revenu de la violence, à nouveau il la contemplait. Il tendait une main vers elle, une main comme le dernier jour, une main comme une promesse. Elle la regardait et à nouveau elle avait peur de s’en saisir. Elle sentit comme une brûlure alors qu’il disait ces mots. « C’était notre bébé ». Une brûlure dans des yeux trop secs pour pleurer encore. Marley. L’entendre prononcer ce nom, ce nom qu’elle avait donné à l’enfant en secret, ce nom pour faire un deuil, lui tordait le coeur d’émotions multiples. Donovan, Jagger, et Marley. Ils auraient été si beaux ensemble, tellement beaux. La ville ne se serait jamais remise de tant de beauté, parce qu’ils auraient été flamboyants. Personne n’aurait pu soutenir leur bonheur, ils se seraient suffi à eux-mêmes. Comment continuer à avancer après tout cela? Même si ces choses n’avaient jamais été, elle les sentait distinctement dans ses souvenirs. Elle gardait sa main à elle contre son ventre, contre le vide dans son ventre, et elle le regardait. Comment pouvait-il encore vouloir d’elle? Elle avait échoué. Elle le regardait, et elle savait qu’il était son foyer. Mais comment avancer encore avec cet homme, quand on sait, intimement, que l’enfant perdu aurait eu son sourire?
Il était là. Il lui disait de prendre sa main. Il lui disait qu’ils pouvaient encore se reconstruire - qu’ils pouvaient encore se reconstruire ensemble. Il lui disait qu’il l’aurait aimée. Elle avait eu peur, tellement peur - mais quelque part elle l’avait toujours su, comme si cette famille avait toujours dû être. Mais elle n’avait pas été. Il y avait une chose qu’elle savait, aussi, à cet instant - c’est que peu à peu respirer devenait plus facile. Il avait pris la moitié de son fardeau. Bien sûr, il restait toujours sur ses épaules beaucoup trop pour une seule personne - mais ce n’était plus ce poids qui inexorablement l’entraînait vers le fond. Elle ne sombrait plus. « Je t’aime »

Les nuits d’insomnie s’étaient multipliées. Mais elle les dissimulait de mieux en mieux. Cela faisait quelques heures déjà qu’elle était allongée dans le lit. Comme mue par un réflexe primaire, elle avait déposé sa tête contre le torse de Donovan. Il dormait, encore, toujours de son sommeil d’enfant. Mais comme s’il avait senti sa présence à l’instant où elle l’avait rejoint, il lui avait fait place, enroulé un bras autour de sa taille pour mieux la tenir contre le lui. Parfois, elle avait l’impression que leurs corps se reconnaissaient et cherchaient la présence de l’autre.
Il avait semblé s’agiter un peu, avant qu’elle n’arrive. Assise sur le comptoir, elle avait vu son visage se tordre comme sous une douleur brutale, sa main se resserrer sur le vide, sa voix, brisée, murmurer ce qui ressemblait à un appel à l’aide. Il avait des cauchemars, parfois. Elle ne savait pas vraiment ce qu’il y vivait - ils avaient conservé leurs secrets, un dernier retranchement dans leurs mémoires, avec des mots qu’ils ne s’étaient pas dit encore. Mais tout n’avait pas à être dit. Elle avait précautionneusement déposé sa tasse sur leur semblant de table (quand est-ce qu’elle commencé à penser à cet endroit comme étant le leur?), et elle s’était glissée sous les draps. Quand leurs peaux étaient entrées en contact, il avait cessé de s’agiter. Elle avait posé sa main sur ce ventre où dormait aussi une ébauche de vie. Souri. Fermé les yeux. Elle respirait doucement l’odeur de sa peau, se réchauffait à sa chaleur. Une part d’elle ressentait un bonheur profond. A cette part, elle avait déjà donné un nom. Marley.
L’avenir ne faisait pas de doute. Elle avait encore envie parfois de s’enfuir, mais cette envie peu à peu s’évaporait. Elle allait mieux, elle avait moins peur. Elle avait accepté cet homme, et tant pis s’il leur fallait des siècles pour se construire. Elle avait le sentiment qu’il voudrait d’elle. Voudrait d’elles. Et que tout irait bien. Elle avait toujours eu cette confiance farouche en ce que lui réservait le lendemain. La vie ne l’avait jamais trahie, pourquoi la trahirait-elle maintenant? Elle était une enfant de la chance, une enfant de l’amour. L’univers ne cessait jamais de lui sourire. Et puis elle avait cette présence à ses côtés, cet homme. Il avait ses propres démons, mais il n’avait de cesse de lui donner envie de croire. 
Elle eut alors cette envie étrange. Elle ne l’avait jamais eue avant. En y repensant, elle la mettrait certainement sur le compte de l’enfant qui grandissait en elle. Elle déposa un baiser, léger, éphémère, juste au coin de sa bouche. Il s’agita un peu, à peine. Un minuscule mouvement de la tête. Ses lèvres s’entrouvrirent. Dans son sommeil, il murmura trois mots. « Je t’aime. »
Elle n’avait pas peur.

Des heures et des heures plus tard, elle lâcherait pourtant sa main.
Pour la route, et pour la mort.

Elle n’aurait jamais dû lâcher cette main. Alors, comme on dépose un baiser au coin des lèvres d’un homme endormi, elle s’en empara cette fois-ci. Cinq doigts qui tremblaient un peu - mais qui s’apaisèrent au contact. Elle était cette fois-ci celle des deux qui quitte un cauchemar. Elle se releva, et elle n’aurait jamais cru qu’elle en serait capable - mais il y avait ce bras puissant qui la soutenait dans ses efforts, alors tout allait bien. Elle se nicha tout contre lui. L’enserra dans son étreinte, posa son front contre son épaule. All the cracks in the walls reminds you of things we said, and I could tell you that I won't hurt you this time, but it's just safer to keep you in this heart of mine. Elle voulait lui dire de lui donner sa force. Elle voulait lui dire qu’elle avait peur, encore, mais moins, tellement moins quand il était là. Elle voulait lui parler de la nuit avant la mort, de la mémoire de leurs peaux. Mais elle n’y parvenait pas. Seulement « J’ai besoin de toi ». Elle voulait lui dire ces mots là, ces trois mots qu’il lui avait dit dans le sommeil. Mais sa gorge était nouée. « Ne me déteste pas ». Sa voix était encore enrouée par les sanglots - même quand il n’y avait plus rien à pleurer, elle gardait une larme dans chaque phrase. « J’ai peur de pas réussir à reconstruire… mais j’ai encore plus peur que tu arrêtes de m’aimer. J’ai besoin de toi. » Pourquoi avait-il fallu la mort pour qu’elle arrive à dire ces mots? Cette nécessité, à chaque seconde, de savoir qu’ils avançaient dans la même direction. « Elle aurait été belle, elle aurait été tellement belle » Ses mains se resserrèrent dans le dos de l’homme qui la soutenait. Elle avait peur qu’il s’écarte, et qu’elle s’écroule. « Je suis tellement désolée. » Elle avait envie de se noyer en lui. Qu’ils ne soient plus qu’une personne. Peut-être qu’alors ils seraient un peu plus forts, peut-être qu’alors ils seraient entiers. « Je te fais confiance, bien sûr que je te fais confiance » Après des années à ne faire confiance à personne, elle savait qu’elle était en train de remettre son coeur entre ses mains. « J’ai besoin de toi » Elle sentit à nouveau un sanglot troubler son souffle - mais tout allait mieux, tout allait mieux déjà. « Ensemble. D’accord. Ensemble. J’ai peur, si tu savais… mais ensemble. J’y arriverai plus, seule, j’ai peur de tomber. » Mais le vide se trouvait en elle - et c’était un véritable trou noir, il n’en finissait pas. « J’aurai jamais dû lâcher ta main. Mais il fallait que je rentre à la maison. Mais j’ai perdu ma maison. J’ai… j’ai plus rien à part toi. » Où peut-être que tout avait été là, depuis le début? « J’ai tout perdu. J’ai tellement peur de te perdre aussi. J’ai tout perdu. Ne la laisse pas m’emporter avec elle. Je suis tellement fatiguée de me battre. De courir, encore, et encore. Aide-moi. » Ses mains se serrèrent en poing. Elle était là, minuscule femme, presque nue, serrée contre le corps d’un homme qui la portait plus qu’il ne l’enlaçait. Tenue, pour la première fois depuis le bord de la route et les couloirs de l’hôpital - depuis la douleur qui rend fou. « Aime-moi » 

Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)

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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyLun 10 Fév 2014 - 0:55

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


Lorsqu'il était enfant et qu'il n'arrivait pas à dormir, Donovan contemplait le plafond de sa chambre dans l'obscurité la plus totale et il rêvait tout éveillé à ce qu'aurait pu être sa vie. Il imaginait surtout tout ce qu'il aurait pu faire avec sa mère si elle n'était pas morte, tout ce qu'elle lui aurait dit et tout les secrets qu'il aurait pu partager avec elle. Son père ayant détruit toutes les photos restantes de sa femme, Donovan devait chaque soir fournir de plus en plus d'efforts pour se souvenir d'elle. Quelle était la couleur de ses cheveux? Et celle de ses yeux? Quelle taille mesurait-elle? Comment était le son de sa voix? A quoi son parfum ressemblait-il? Il était parvenu à garder un foulard qui lui avait appartenu. Il le cachait toujours dans la housse de son oreiller pour ne pas se faire prendre par son père et ne le sortait que lorsqu'il était sûr que toute la maison était bien endormie. Il n'en avait même pas parlé à sa soeur. C'était son petit secret à lui. Du haut de ses sept ans, ce foulard était tout ce qui lui restait de sa mère. Les premiers mois après sa mort, Donovan aimait y enfouir son visage. Il prenait trois grandes inspirations, pas plus. Il avait l'impression de la retrouver. Il suffisait de fermer les yeux pour sentir ses bras autour de lui le bercer tendrement. L'espace de quelques minutes, il se sentait en sécurité à nouveau, il n'avait plus peur de ce monstre qui dormait dans la pièce d'à côté et qui lui enseignait à agir contre sa nature de gamin sensible. Donovan se souvenait encore de ce jour où il avait réalisé que le foulard ne sentait plus le parfum de sa mère mais le sien. Ça lui avait brisé le coeur, et quelque part c'était comme la perdre elle une seconde fois. La nuit, il oubliait tout ce que son père lui disait à propos de ne pas pleurer. Il se laissait aller en silence, jusqu'à ce que le sommeil vienne le chercher. Lorsqu'il fut un peu plus grand et que la perte de sa mère n'était plus aussi douloureuse, bien que toujours pesante, il imaginait toutes les choses qu'il aurait pu faire avec son père si celui-ci n'avait pas été le dernier des salauds. Il s'inventait parfois une toute autre vie, et il se surprenait même à prier pour se réveiller dans un autre lit, avec une autre famille. Après l'école, il se rendait parfois au parc avec ses amis, ils jouaient au foot ou au basket, à cette époque-là l'idée de faire des conneries ne l'avait pas encore trop effleuré. Il regardait surtout les pères et leurs fils passant aux alentours. Ils avaient toujours cet air heureux que Donovan enviait. Il se demandait ce que ça ferait de sourire "juste comme ça". À l'adolescence, quand il avait enfin tiré un trait sur tous ses rêves d'une vie meilleure, il songeait malgré tout à ce qu'il ferait s'il devenait un jour père. Tout ce qu'il savait c'était que jamais, sous aucun prétexte, il ne reproduirait les erreurs de celui qui l'avait élevé. En vieillissant, il avait réalisé à quel point il souhaitait avoir sa propre famille. Il n'était pas vraiment pressé, ça viendrait quand ça viendrait. Ça faisait simplement parti des choses qu'il voyait dans son futur. C'était un rêve dont il ne parlait pas souvent, mais c'était sans doute son souhait le plus cher. À présent, il savait qu'il avait touché son but du bout des doigts, qu'il l'avait presque eu entre les mains, mais qu'au dernier moment on le lui avait repris. Il savait aussi que dorénavant, en s'endormant le soir, il ne songerait plus à son père et à quel point sa vie aurait pu être différente s'il avait eu une autre famille. Il verrait défiler tout ce qu'il aurait pu faire et tout ce qu'il aurait pu être avec Jagger et Marley à ses côtés. Elle aurait été une fille à papa, mais pas dans le sens où il aurait fait d'elle une petite peste capricieuse et ingrate. Elle aurait été sa princesse. Il l'aurait aimé si fort. Il n'avait même pas besoin de fermer les yeux pour se voir avec une petite brune sur les épaules en train de jouer au dada. Il imaginait le sourire immense qui se serait dessiné sur ses propres lèvres lorsqu'il l'aurait entendu rire aux éclats après une énième bataille de chatouilles ou tout simplement lorsqu'elle l'aurait appelé "papa". Il avait le coeur brisé de savoir que rien de tout ceci n'arriverait, pas avec Marley en tous cas. Mais il se rendait compte, à quel point ce besoin d'avoir une famille était encore et toujours présent en lui. Et pour la première fois, il avait l'impression que malgré l'échec auquel il faisait face, ce rêve serait possible. Jagger aurait été une maman formidable, et elle pourrait toujours l'être plus tard. Il n'aimait pas planifier les choses, il avait envie d'être avec elle et il savait dans son coeur que ce n'était pas prêt de changer de si tôt, mais ils avaient encore le temps de voir venir avant d'envisager d'autres aventures ensemble. Il se rappelait sa mauvaise blague de l'autre jour, quand il avait posé un genoux à terre et qu'il avait parlé de faire des enfants… Il s'en voulait à présent. Il n'avait rien vu, pas même une expression sur son visage qui aurait pu lui indiquer qu'il lui faisait du mal. Jagger avait dû se forger une carapace très solide pour ne pas avoir craqué ce jour-là, pour s'être simplement comporté tel qu'il l'attendait. En la voyant aussi détruite aujourd'hui, il avait l'impression que peut-être elle n'était pas tant contre l'idée d'avoir des enfants finalement, que ça ne la répugnait pas autant qu'elle voulait bien lui laisser croire. Donovan n'était sûr de rien cela dit, hormis le fait qu'elle aurait assumé cet enfant et qu'elle l'aurait aimé. Elle l'avait elle-même dit à l'instant et ça lui avait fait du mal de l'entendre. Il savait qu'elle était sincère, qu'elle ne jouait pas et il aurait voulu pouvoir l'aider d'avantage. Ce qu'elle avait dû ressentir… Il n'arrivait pas à y penser, pas encore. Il regrettait terriblement le fait qu'elle ait été seule pour vivre tout ceci, si seulement elle avait pu lui dire avant. Il était comme ça Donovan, à toujours vouloir refaire le monde avec des si, mais tout ça il le gardait pour lui tout seul. C'était son jardin secret. Sa vie imaginaire était pour sûr beaucoup moins pénible que sa vie réelle et malgré tout, il était certain de ne pas vouloir changer quoi que ce soit à son existence. Du moins, s'il n'avait pas toujours été de cet avis, dorénavant il était incapable d'imaginer une vie différente. S'il n'avait pas traversé toutes ces épreuves il ne serait pas l'homme qu'il est aujourd'hui et surtout, il n'aurait sans doute jamais rencontré cette fille dont il était fou. Jagger. À ses côtés, il avait l'impression d'avoir trouvé sa place. Comme deux pièces d'un même puzzle, ils s'emboitaient à la perfection tous les deux. C'était pour ça qu'il lui avait couru après durant des mois, il avait besoin de la retrouver parce qu'en la laissant partir il avait laissé une part de lui même et il ne pouvait pas le supporter. Le vide qu'il avait cherché à combler tout au long de sa vie n'existait plus lorsqu'elle lui souriait et que leurs deux corps rentraient en contact. Tout comme il avait été apaisé par le foulard de sa mère, Donovan était apaisé par la présence de Jagger. Tard le soir, il l'observait dormir à la lueur d'un réverbère éclairant le van. Ça n'arrivait pas souvent, parce qu'elle restait tout le temps éveillée tard, plus tard que lui, mais ça arrivait de temps en temps quand même. C'était sans doute l'une de ces nuit-là que Donovan a compris à quel point il aimait Jagger et à quel point il avait besoin d'elle. Elle était vulnérable, endormie profondément et si paisible. Elle était belle. Et pour la nuit, elle était à lui. 

Donovan n'était pas faible. Il avait appris avec le temps et sans doute avec les coups et les cris de son père aussi, à refouler ses sentiments qui le submergeaient pourtant très souvent. Il était incapable de gérer ses émotions normalement. Lorsqu'il était enfant il pleurait, mais puisqu'on le lui avait rapidement interdit, ses pleurs s'étaient transformés en frustration et à présent, dès qu'il sentait le contrôle de la situation lui échapper, il entrait dans une colère noire. C'était un peu comme s'il était possédé, l'espace de quelques minutes, il n'était plus tout à fait lui-même. Il était alors loin le temps où on le décrivait comme le gamin trop sensible. Son père ne pourrait plus jamais lui dire qu'il n'était pas un homme. Et pourtant, ce soir, il avait pleuré. Il n'avait pas pu s'en empêcher. Ce qu'il avait ressenti avait été trop brutal, trop intense, trop sincère pour être enterré et oublié dans un coin de sa tête. Il avait laissé son coeur prendre le contrôle. Face à Jagger et dans le cas présent, il s'en fichait pas mal. Avec elle, il avait l'impression que malgré les apparences, il pouvait être complètement lui-même. Il n'avait pas peur de ressentir des choses et de les exprimer. Pour la première fois de sa vie, personne ne lui demandait de ravaler ses émotions, de les ignorer. Vu l'état dans lequel elle était elle-même, elle n'avait sans doute pas grand chose à lui dire. Elle ne savait pas toutes ces choses qui avaient été implantées dans le crâne de Donovan alors qu'il n'était qu'un gosse. Elle n'avait pas idée de tout ce qu'il avait dû accumuler et encaisser sans jamais broncher de crainte de s'attirer les foudres de son père. Elle ne savait pas qu'il était passé maitre dans l'art du mensonge depuis très longtemps parce qu'il fallait bien justifier ses blessures auprès de ses camarades de classes, de ses professeurs et de son médecin, mais qu'avec elle il était incapable de ne pas être honnête. Il avait trop peur de la perdre s'il osait lui mentir et plus le temps passait, plus il devenait dépendant. Il avait besoin d'elle. Ça ne s'expliquait même pas. Il le ressentait en lui. Il se souvenait de ces quelques mois où il avait dû vivre avec le manque de ne pas l'avoir avec lui sur la route. Il s'était senti tellement seul et tellement perdu. Jagger, c'était la seule personne capable de le comprendre sans pourtant avoir toutes les clés en mains. Elle ignorait encore bien des choses à son sujet mais malgré tout elle le connaissait mieux que quiconque, mieux que lui-même ne se connaissait peut-être. Et bien qu'il ressentait ce constant besoin d'être avec elle, il y avait aussi en lui un incroyable sentiment de liberté. 

Après avoir laissé éclater sa colère, il était revenu vers elle pour lui tendre la main.   Il s'offrait à nouveau à elle, tout comme il l'avait fait cette nuit-là au bar lorsqu'elle lui avait demandé de ne pas partir. Il lui demandait de lui faire confiance, d'accepter de se relever avec lui et de le laisser l'aider. Il retenait son souffle par crainte de la voir le repousser. Si elle l'avait fait, il aurait compris. Ça l'aurait brisé, encore, mais il aurait compris. Mais Jagger ne voulait pas le repousser. Leurs doigts se touchèrent, et il rouvrit les yeux. Elle se levait et quelques secondes après à peine, elle se retrouvait dans ses bras, là où il aurait toujours de la place pour elle. Il n'avait plus peur. Ils étaient tous les deux ici, ensemble et il ne pouvait plus avoir peur. Il ne devait plus. Il avait simplement envie de la serrer pour toujours, de ne jamais la lâcher. Elle avait besoin de lui? Il la serrait un peu plus fort, un peu plus longtemps encore. Il ne la laisserait pas tomber. Jamais. "Ça tombe bien…" sa voix était si douce, c'était différent encore de toutes les fois où il s'était montré gentil avec elle. Il avait été blessé comme jamais ce soir, et il était passé d'une rage folle à une tendresse extrême. Son instinct de protection, encore et toujours. "Moi aussi." ajouta-t-il tout bas. En baissant un tout petit peu la tête, sa bouche arrivait juste au dessous des oreilles de Jagger. Lorsqu'elle lui demanda de ne pas la détester, il se secoua la tête et murmura. "Jamais." Il comprenait qu'ils avaient tous les deux les mêmes craintes et particulièrement celle de se faire rejeter par l'autre, de ne plus être accepté. Mais cette histoire, ne pouvait que les rapprocher. Même si ça avait été seulement pour un court laps de temps, Jagger avait été la mère de son enfant. Elle avait porté en elle un bébé qui était de lui et ça, il ne l'oublierait pas. Il n'aurait jamais cru pouvoir se sentir encore plus connecté avec elle mais c'était le cas. Et il voulait qu'elle le sache.  Il s'écarta très légèrement pour pouvoir bien voir son visage qu'il attrapa entre ses deux mains."Ecoute-moi." Il déposa un baiser sur ses lèvres. "Jamais, tu m'entends? Jamais je ne cesserais de ressentir ce que je ressens pour toi." Il l'embrassa à nouveau. "Je suis là et je ne vais nulle part. Pas sans toi." Il l'aimait si fort. Il avait envie de la serrer et de la garder sur son torse nu jusqu'à ce que sa peine et sa douleur l'aient quitté. "Je sais." C'était tout ce qu'il parvenait à dire au sujet de cette petite fille qu'elle avait imaginé et qu'il s'imaginait aussi maintenant. Il aurait voulu lui dire plus, mais c'était trop difficile et il avait peur de lui faire plus de peine qu'autre chose. Mais oui, elle aurait été belle. Elle aurait été aussi belle que sa mère. Il n'en doutait pas un instant. "C'est moi qui suis désolé.  J'ai été bête. Et je suis désolé de ne pas l'avoir compris avant. Je suis désolé de t'avoir parlé de mariage et d'enfants. Si j'avais su je n'aurais pas fait cette blague débile… J'ai jamais voulu te blesser." Il culpabilisait terriblement, même si une partie de lui était conscient du fait qu'il n'avait pas vraiment fait quoi que ce soit de mal. Il ne savait pas. Comment aurait-il pu deviner? Au moins, elle lui disait qu'elle lui faisait confiance et ça le rassurait un peu. Il s'imaginait que Jagger n'avait peut-être pas eu assez confiance en lui pour oser lui parler de sa grossesse et plus tard pour lui parler de ce qui était arrivé. Il se demandait si elle aurait pu ne jamais lui en parler. Mais il préférait ne pas y penser, à quoi bon? Cela n'aurait servi à rien d'autre que de le rendre fou, et il avait déjà un million de choses à l'esprit. "Je ne suis pas un de ces pauvres types qui prend du plaisir à briser le coeur des filles Jagger. Tu le sais, pas vrai? Avec toi, je ne joue plus depuis longtemps. " Il avait encore envie de l'embrasser mais au lieu de ça, il caressa doucement son dos. "Je sais que dernièrement… beaucoup de choses ont changé pour toi aussi bien que pour moi, mais quoi qu'il arrive on reste les mêmes au fond." Il souriait presque. "Si un jour tu en doutes, ferme les yeux et rappelle-toi ce jour-là à Memphis." Il n'avait pas besoin d'en dire d'avantage. Elle se souviendrait, et elle saurait pourquoi il lui disait cela. C'était le jour où elle avait changé sa vie.

Il la sentait encore fragile dans ses bras. Elle avait peur de tomber. "Tu ne peux pas tomber Jagger." Il repoussa une mèche de ses cheveux derrière son oreille pour observer ses yeux magnifiques qu'il appelait son chez-lui. Ces yeux. Ce corps. Cette fille. Elle tout entière était son chez-lui. "Tu ne peux pas tomber si je te tiens. Et je ne peux pas tomber si tu es là, avec moi." Ils étaient tellement similaires ces deux-là à s'en vouloir pour des choses dont ils n'étaient pas si responsables. Il regrettait de l'avoir laissé partir et elle regrettait d'avoir lâché sa main. Mais il comprenait. Il comprenait que sur le moment, elle avait fait ce qu'il y avait à faire tout comme il avait cru faire le bon choix. Il l'avait vu tel un somptueux oiseau réclamant à nouveau sa liberté et Donovan n'était pas assez cruel pour la garder enfermée. Il préférait la voir libre et heureuse que de l'empêcher de partir et de la voir malheureuse. Il n'avait tout simplement pas compris ses larmes. "D'accord." Il caressa sa joue avec la paume de sa main. Elle ne lui avait jamais clairement dit qu'elle l'aimait mais Donovan n'en avait pas besoin. Il savait qu'elle tenait à lui, il savait que ce n'était pas seulement dans sa tête. Il acceptait de peut-être l'aimer plus fort qu'elle ne l'aimerait jamais. Il savait que tout ce qu'elle lui avait déjà dit n'était pas sorti si facilement de sa bouche. Jagger n'était pas le genre à tomber amoureuse, lui non plus d'ailleurs. La différence, c'était leur manière d'exprimer leur ressenti. "Tu n'as plus besoin de courir. Tu n'as plus besoin de te battre." Il avait presque envie de la soulever du sol tant elle se laissait déjà porter. Doucement, il ramena sa mains sur les hanches de celle qu'il tenait encore dans ses bras. Millimètre par millimètre, il s'avançait vers ce ventre plat qui avait abrité leur enfant. Il n'avait pas encore osé la toucher, mais il avait terriblement envie de le faire. Alors il avançait ses mains dans la plus grande des délicatesses. "Je t'aime." répéta-t-il. Il laissa ses doigts glisser sur son ventre mais dès lors qu'il sentit l'envie de pleurer le gagner à nouveau, il les retira rapidement pour aller les glisser dans les cheveux de Jagger. "Je me fiche du nombre de fois où je devrais te le répéter. Je te le dirai jusqu'à ce que tu y crois, et jusqu'à ce que tu n'en doutes plus." Il passa sa main sur sa nuque et l'embrassa.  "Je t'aime."

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyLun 17 Fév 2014 - 23:46

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



 On croit, naïvement, être débarrassé des angoisses enfantines. Du grand monstre sous le lit, des présences qui s’attardent, des douleurs fantômes. Mais la terreur et la souffrance changent juste de nom. Jour après jour, semaine après semaine, la chose qui vous serre le coeur ne fait que se transformer. On croit, naïvement, que l’on grandit - on se construit des armures, des carapaces d’insouciance. Jagger avait passé des années à rire. A construire le mythe de celle qui s’en moque. Mais un mythe reste un mythe - il s’en va quand la nuit tombe. La nuit était tombée sur Huntington Beach, pourtant. Elle s’accrochait à cet homme avec les mains du désespoir, serrées en poings sur la peau nue. Elle respirait à plein nez son odeur, s’abandonnait à son souffle. Son coeur s’était ouvert, scindé en deux, et tout entier brisé semblait saigner un flot continu. Mais elle s’accrochait à cet homme. Et tant pis pour le désespoir. Tant pis pour le coeur qui saigne, tant pis pour les regrets. Elle n’était plus seule.
Ils se soutenaient plus qu’ils ne se tenaient. Il avait toujours fait cela, Donovan - la forcer à rester là, à rester en vie, à rester dans la réalité. Il avait toujours été comme un point d’ancrage, un regard dans laquelle elle se plongeait et qui lui disait - trop vite, trop loin. Il la rappelait à elle, de sa voix, de ses bras, de son corps. Il était celui vers qui elle revenait, le soir. Celui qui reste quand les routes s’enchaînent. Aux villes qui se succèdent, il avait donné du sens. Un endroit où se réfugier, un point fixe. Un foyer. Il avait pris cette place et il n’y avait pas de mot pour dire combien, sans même le savoir, elle s’était attachée à lui. L’anonyme qui un jour avait imposé son visage. Elle l’avait connu, puis elle l’avait reconnu.

« Jagger. Jagger, regarde-moi, ça va aller. » Donovan, (mal) enveloppé dans une sur-blouse d’hôpital, a dit ces mots d’un ton ferme - comme si sa main n’était pas en train de se faire broyer par la jeune femme à ses côtés, et comme si cela ne lui arrachait pas de temps à autres une pure grimace de douleur. « Tu y es presque. Ca va aller. Je te jure, ça va aller. ». Ca peut paraître totalement futile, vu comme ça, mais entendre le son de sa voix, plonger ses yeux dans les siens, la soulage pourtant. Elle est à bout de souffle. Elle se retient tout juste de hurler à cette putain de sage-femme tout le mal qu’elle peut bien penser de ses « poussez » à répétition. Elle est à peu près sûre qu’elle doit ressembler à un monstre, après les nuits d’angoisse et les heures d’efforts mais… putain. Sa main est serrée autour de celle de Donovan, presque autant pour s’y ancrer que pour évacuer la souffrance, et elle se rattache à cet instant parce qu’elle sait que c’est un tournant, parce qu’elle sait qu’après cela vient le plus pur des bonheurs. « Jagger, courage, encore un effort, je t’aime, tu peux y arriver » Elle hurle - elle est à peu près certaine qu’elle n’a jamais hurlé ainsi. Sa tête se soulève, et tout son corps semble pris dans une tension pure, une lutte. Elle a envie de pleurer. Alors pour ne pas le faire elle laisse s’échapper de sa bouche un long chapelet de jurons - et la sage-femme lui jette un regard stupéfait. Mais Donovan se penche vers elle, et sans jamais dégager sa main dépose un baiser sur son front. Tout ira bien. Tout ira bien.

Elle laisse retomber sa tête. Elle a l’impression d’avoir lutté à mort - et d’avoir vaincu. Son souffle est court mais la douleur est finie. Pendant quelques instants elle ne sait plus trop où elle est, ce qu’elle fait là. Mais tout à coup la conscience lui revient - et ses yeux se posent sur le visage de Donovan. Il pleure. Son coeur s’arrête pour un instant. Et puis elle voit son sourire. Et elle entend un cri, à plein poumons, miroir de celui qu’elle a poussé un peu plus tôt, qui déchire l’air. Son enfant. Son enfant. Alors, presque hébétée, elle balbutie: « mon bébé. laissez-moi voir mon bébé. » Elle ne pensait même pas avoir encore la force de parler - mais elle a réussi. « je veux voir mon bébé ». Comme dans un rêve, elle tend les bras - et l’on dépose contre son ventre fatigué un tout petit, minuscule corps chaud. Elle voudrait voir son visage - elle n’y arrive pas. Il lui faut quelques secondes pour se rendre compte qu’elle est en train de pleurer. Quelques autres secondes pour essuyer ses larmes. Et ébahie, elle tombe nez à nez avec un regard curieux. Elle réalise le souffle qui, doucement, se calque sur le sien. Elle est presque… presque intimidée. Une main à nouveau se pose sur la sienne et elle voit Donovan. Il la regarde comme s’il la voyait pour la toute première fois. Il les regarde. Les yeux de l’enfant s’arrachent un instant à sa mère pour s’attacher à lui. Il sourit entre les larmes, et murmure tendrement « salut, toi. ». Tout est là. « Bienvenue, Marley. »

Mais la route…

Il lui murmura tous ces mots, ceux auxquels elle n’avait jamais cru. Ceux auxquels elle avait pris l’habitude de rire - pour mieux les balayer du revers de la main. Il lui murmura ces mots, et pour la toute première fois elle s’y rattacha. Parce qu’elle savait, presque instinctivement, qu’en lui elle pouvait se laisser aller à croire. Elle avait en cet homme cette confiance absolue. Il lui avait prouvé mille fois qu’il en était digne. Et tant pis si les « toujours » n’ont aucun sens. Tant pis si rien ne reste - pas même ce que l’on a gardé bien au chaud dans un recoin de son ventre, que l’on a aimé par avance, que l’on a recouvert de promesses de bonheur. Elle avait foi en cet homme, en son regard et en ses bras. Quand il lui dit qu’il était là, qu’il n’irait nulle part sans elle, elle sentit au plus profond de son coeur qu’il ne lui mentait pas. Quand étaient-ils devenus ces amants là? Ils avaient si longtemps joué à la guerre, elle ne s’était même pas rendue compte que les enfants terribles s’étaient faits amants.
Le mariage, les enfants. Cette blague stupide. Si elle en avait encore eu la force, elle aurait eu un rire - creux, vide, amer. A cet instant, elle avait réussi à jouer la colère - à jouer cette femme flamboyante que rien ne pouvait enfermer, rien ni personne. A cet instant, elle avait réussi à faire croire que rien n’avait changé. Mais il y avait eu ce torrent de lave, dans son coeur, ce coup de poignard. Peut-être même qu’alors il avait servi la violence de sa réponse et de son déni. Mais elle ne pouvait plus mentir, maintenant - il avait compris. Il avait compris la femme brisée qu’elle était devenue. Il restait, pourtant. Ils allaient faire la suite du chemin ensemble, pas après pas, et tant pis pour la douleur. A deux, on titube moins. Et il y avait ce jour qui illuminait sa mémoire. Memphis, Tennessee. Le regard que l’on croise sans savoir qu’une chose vient de changer, que l’on vient de rencontrer celui qui vous porte sur son dos quand le monde s’écroule.
« J’aimerais tellement, tu sais. Retourner là-bas. Je t’ai jamais rien dit, parce que c’était trop dur pour moi de regarder la vérité en face mais… mais j’étais heureuse. J’ai été tellement heureuse. » Elle ferma les yeux - comme pour mieux inspirer l’odeur de la mauvaise bière, de la nuit qui tombe, du tabac - de la première fois que leurs corps s’étaient enlacés. Puis enflammés. « Tout était facile. » Et aujourd’hui, tout était devenu tellement horrible - chaque pas une épreuve, chaque matin une pure souffrance. « Je voudrais tellement redevenir cette fille-là. Je sais pas… je sais pas ce qu’il reste de moi. ». Une coquille, vide. L’écho d’un bruit. La fureur. Le son de quelque chose qui se déchire. Et puis cette dernière étincelle au fond d’elle-même, qui se réchauffe au feu d’un autre corps - un reste d’une vie d’avant. Quelques chances qui restent. Mais elle n’est plus seule. Elle n’est plus seule et ils sont deux à partager cette plaie béante, ce vide dans le coeur. Ils sont deux avec ce besoin désespéré d’avancer encore. Ils savent que jamais cet espace ne se comblera. Qu’il restera quelque chose dans la mémoire, un reste d’une famille qui n’aura jamais été. Mais ils savent qu’à défaut d’oublier, ils peuvent continuer.

« Marley, ma puce, regarde moi ». Six années ont passé, mais pourtant Jagger est toujours stupéfaite quand l’enfant lève ses grands yeux vers elle. La petite fille lui ressemble tellement qu’elle en a souvent le souffle coupé. C’est presque son propre visage que Jagger à chaque fois reconnaît - mais un visage qui serait dépouillé de sa violence farouche. Son sourire a la douceur de celui de son père. Elle est déjà grande pour son âge - ce n’est probablement pas de sa mère qu’elle tient cela non plus. Mais surtout, elle a dans chacun de ses gestes une aisance magnifique. Celle d’un enfant qui n’a jamais douté - qui a eu tout l’amour du monde, qui attend avec impatience le jour où elle aussi pourra briller. Jagger a confiance. Comme toutes les mères, peut-être. Mais quand Marley rit, le monde s’éclaire d’une lueur nouvelle. Alors elle lève une main pour, doucement, replacer une boucle brune derrière une oreille. D’un baiser, elle efface une dernière trace du sommeil sur une joue pleine. Elle puis elle se redresse, et prend tout doucement sa main dans la sienne. Et pousse la porte.
C’est toute une foule autour de la grande table qui applaudit alors l’entrée. Marley a posé deux mains sur sa bouche. En première ligne se trouve Donovan, qui ouvre en grand des bras où la petite fille intimidée vient se jeter. Il la serre, peut-être un peu plus fort que de raison et dans un grand rire lui dit: « Encore un joyeux anniversaire, ma chérie. je t’aime tellement ». Quand il la relâche enfin, c’est une Ally Fleming flamboyante qui la prend en otage, balbutiant quelque chose à propos de Marley étant de plus en plus belle, et qu’elle compte bien sur sa filleule préférée pour vite dépasser sa naine de mère. Et puis Hendrix Dickens prend le relais en arguant que c’est sa filleule préférée. Et puis il y a aussi Neela Meyers, Julian McNeal, Lyana Hamilton, tellement de monde pour l’aimer, tellement. Alors que Marley bondit littéralement vers sa grand-mère et ceux qu’elle appelle fièrement ses « deux papys Dickens », Jagger se rapproche doucement de Donovan. Il enroule un bras autour de sa taille, et le sourire aux lèvres ils suivent leur fille du regard. « Elle s’en doutait, pour sa surprise? » lui demande-t-il. Elle sourit. « Je crois pas. » Ils ont ce bonheur immense au ventre, de voir cette enfant rire aux éclats en apercevant même Lucy, la filleule de Donovan, et sa mère Jessica - tout droit venus de Chicago. Les yeux de Jagger ne quittent pas Marley. Sa fille. Sa fierté. Elle pose sa tête contre l’épaule de Donovan. « T’as fait du bon boulot, pour une fois. » Il rit. Et puis il se saisit de son menton entre deux doigts, se penche vers sa bouche pour y déposer un baiser.

Mais la route…

Elle rouvre les yeux, pour s’arracher à ce souvenir qui n’en est pas un. Ses poings se sont déliés. Peut-être qu’enfin la bataille est finie. Elle l’espère, de tout son coeur. La souffrance a laissé sa place à un simple poids. Il est difficile d’agir, mais au moins ça n’est plus impossible. Elle se laisse faire, alors qu’il repousse doucement une mèche de ses cheveux. Puis caressait doucement sa joue. Lui jurait qu’elle ne tomberait pas, qu’il était là, qu’il la tenait. Ce n’était plus seulement qu’elle voulait le croire - elle le croyait. Mais quand il posa ses mains sur ses hanches, pendant un instant effleura son ventre, elle plongea son visage dans ses mains. Elle ne pleura pas. Elle ne pouvait plus pleurer - elle l’avait déjà fait pour une vie, elle n’en avait même plus la force. Mais il y avait dans ce geste une telle intimité. Comme un hommage. Un adieu à cette présence qui y avait logé - et à toute la vie que, dans un autre monde, ils auraient bien pu partager. Donovan. Jagger. Et Marley. Il y a des rêves qui font plus mal que n’importe quel souvenir. Celui-là était probablement le plus beau - elle savait que, dorénavant, cet homme et elle le partageaient.
Quand elle retira ses mains, il avait recommencé à parler. Il lui disait qu’elle l’aimait. Elle le regardait droit dans les yeux - et pendant une seconde surprit ses lèvres reproduire le mouvement des siennes, esquisser ce mot sans un son, sans un bruit, peut-être même sans le réaliser. Lentement. Elle défit son étreinte, pour mieux la reformer quand doucement, il s’empara de ses lèvres. Elle s’y noya, comme pour noyer le rêve - s’y oublia, pour y oublier la douleur. Il était là. Il était là. Flamboyant. Brûlant. Puissant. Brisé aussi - mais à deux ils étaient complets, et n’était-ce pas le plus important? Il était là. La rage, l’impuissance, le désespoir, la colère, la douleur se mêlaient en une émotion sans nom. Dans cette bouche, elle se reconstruisait - en fermant très, très fort les yeux elle pouvait y entr’apercevoir un avenir. Elle ne savait pas encore lequel, lui aussi était anonyme. Mais il y avait un demain. Elle avait presque oublié qu’il pouvait y avoir un lendemain.
Son regard était plongé au plus profond du sien. Les sentiments la terrassaient - c’est à bout de souffle qu’elle lui murmura: « D’accord. », à défaut de pouvoir lui répondre. « Fais-moi oublier » ajouta-t-elle après un silence. Elle posa son front contre le sien, sa bouche tout près de la sienne. « Fais-moi oublier. » Elle ferma les yeux. « J’ai tellement mal. Tellement. Tellement… ». Ses mains s’enfoncèrent dans les cheveux de Donovan - sa bouche, à nouveau, vint chercher la sienne. Y puiser la force. Y puiser l’avenir. « C’est fini. » laissa-t-elle tomber dans le silence, presque irréel, de la maison. « J’ai fini de m’enfuir. J’ai plus de raison de me battre. Plus rien à cacher. Je reste là. Tu sais tout. Je reste là. » Elle rouvrit les yeux, doucement. « Je peux plus prendre la route seule sans avoir peur de la mort. » Un silence. « Je peux plus. »

« Maman? » Pendant une seconde, les yeux de Jagger quittent la route et se posent sur la jeune femme à ses côtés. La jeune femme. Ce n’est plus une enfant. Bientôt, elle aura dix-huit ans. Elle est très grande. Ses yeux sont restés immenses - le miroir exact de ceux de Jagger. Elle est extrêmement belle, délicate, une masse de boucles brunes tenue en chignon dégageant un visage d’ange. Quand elle rit, son rire fait toujours trembler les murs. Marley. Quand elle annonce son nom, elle le fait avec un aplomb qui ne va pas sans rappeler celui de sa mère. Son regard semble défier le monde entier. Elle ne fait rien à moitié - la haine, comme l’amour. Quand elle et Jagger se regardent, c’est avec une tendresse que seul vient troubler un profond respect.  En Jagger, Marley voit un modèle. Une liberté brute, mille et une histoires à raconter. Elle sait le feu qui brûle en elle, parce qu’elle a le même. En Marley, Jagger voit la fin de la route. Le foyer. Le temps a passé, et elle a gagné cette certitude - aucune errance n’a été réellement vaine. Le chemin menait vers Donovan, et vers leur enfant. Marley est une enfant du bonheur. Jagger sourit. « Oui? »
Sa fille réfléchit un instant. Et puis ses yeux se fixent sur le paysage qui défile, comme si soudain la pudeur l’avait rattrapée. Elle qui d’ordinaire en a si peu. Une seconde s’écoule, puis une autre, puis une autre. Et enfin elle ose formuler les mots: « Comment tu as su? Comment t’as pu savoir que papa… » Jagger, une seconde, baisse les yeux. Comme pour dissimuler la tendresse qui, tout à coup, a empreint son sourire. Marley ne termine pas sa question. Mais Jagger a compris - comment a-t-elle pu savoir que cet homme là ne partirait pas? Comment a-t-elle pu savoir la douceur? Comment a-t-elle pu savoir que rien, rien ne pourrait le faire partir? Comment a-t-elle pu savoir les bras qui la soutiennent aux jours les plus sombres? Et l’amour dans son regard? Elle sait les questions que Marley se pose. Le regard d’admiration pure que la jeune femme a pour sur son père. Parfois, Jagger elle-même se le demande. Qui lui a donné cet homme qui, des années après, malgré le temps et les épreuves, ne peut s’endormir sans l’entourer de ses bras? Elle sait que parfois, quand ils marchent ensemble dans la rue, toujours flamboyants, toujours furieux, toujours magnifiques, ils éblouissent par cette harmonie étrange.
Jagger regarde la route. Les bandes blanches qui défilent, le monde qui avance. Au loin se dessine déjà Huntington Beach.
« Ca a commencé à Memphis… »

Il y a des choses que la route n’a pas arraché. 

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- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
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I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger Empty
MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyDim 23 Fév 2014 - 4:04

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


À force de tout perdre, Donovan avait fini par refuser de s'attacher à quoi que ce soit ou à qui que ce soit. Il avait pris la route en essayant d'oublier. Oublier ce père qui ne l'avait jamais aimé, oublier cette soeur qui l'avait abandonné, oublier ces amis qu'il n'avait pas su sauver et oublier la douleur qui lui crevait le coeur à chaque instant. Il était monté dans sa voiture sans destination en tête, il voulait juste rouler et partir loin. Il avait bêtement pensé que peut-être la culpabilité s'en irait, qu'il pourrait tout effacer et recommencer. Il se battait contre lui-même, il s'empêchait de ressentir quoi que ce soit. Il n'avait pas envie d'être heureux. Et puis un jour, il y a eu Jagger et elle a envoyé valser toutes les promesses qu'il s'était faites. Il n'avait pas pu s'empêcher de s'attacher à elle, il n'avait pas pu se retenir de ressentir. Elle s'était présentée à lui comme une bouffée d'air. Alors qu'il avait cessé de lutter, elle l'avait malgré elle forcé à revenir à la vie. Il avait retrouvé une raison de sourire, une raison de s'accrocher à l'idée de bonheur. Lui qui avait fini par se convaincre qu'il ne méritait plus rien, elle avait croisé son chemin et il s'était accroché à elle comme on s'accroche à un dernier espoir. Dans ses bras, il oubliait ses peines. Il se réveillait parfois transpirant après avoir encore rêvé de ce jour où il n'avait pas été le héros qu'il aurait dû être. Il avait l'impression d'être à nouveau pris au piège par le feu. La chaleur commençait à l'étouffer, la peur l'envahissait peu à peu et le cauchemar recommençait encore et encore. Il y avait cette femme et son bébé hors d'atteinte. Trop loin. Sans savoir comment il avait atterri là, il était sur le sol. Les flammes tout autour de lui le tétanisaient, lui qui n'avait pourtant pas peur du feu et qui avait d'ailleurs bien trop souvent pris des risques inconscients. Il était incapable de bouger, la peur l'avait pris au ventre. Il avait senti que cette journée ne s'achèverait pas comme les autres. Et pourtant, pendant quelques secondes, oubliant cette femme et cet enfant qu'il savait d'avance ne pas pouvoir sauver, il avait ressenti comme un soulagement à l'idée de mourir lui aussi. La fin. Plus de souffrance, plus de peur, plus d'angoisse, juste la mort. Combien de fois avait-il revécu tout cela dans ses rêves? Donovan n'avait jamais réussi à se pardonner cette idée qui lui avait traversé l'esprit alors qu'il s'était senti partir. Il avait voulu mourir et pourtant, il s'était réveillé et il se réveillait encore jour après jour. Mais Jake, Ryan, et cette femme avec le bébé, ils étaient tous morts. Pourquoi? C'était la question qui revenait sans cesse, même après tout ce temps, même après des jours entiers passés dans le noir à rejouer l'histoire de sa vie en boucle. Il avait l'impression d'être une imposture. Il avait survécu, il était en vie alors qu'il était prêt à accepter une toute autre destinée. De ses cauchemars, Donovan ne parlait jamais, mais lorsqu'il se réveillait en sursaut et en sueur, son premier réflexe était toujours de se tourner vers Jagger. Il la regardait dormir et elle le ramenait à la réalité. Tout allait bien. Parfois pourtant, il sentait l'angoisse le gagner à nouveau. Pas sûr de ce dont il avait peur exactement, il avait besoin de l'entendre respirer, il la fixait avec inquiétude mais elle aussi était en vie. Tout allait bien. Il y avait des jours où il n'y pensait plus, des jours de répit mais les angoisses finissaient toujours pas revenir. Elle ignorait sans doute pourquoi de temps en temps il la regardait avec les sourcils froncés et la mine d'un homme inquiet. Elle ignorait que parfois, il la voyait au milieu des flammes à la place de cette autre femme et que dans ses pires cauchemars c'était elle qu'il n'arrivait pas à sauver. Lui aussi était doué pour cacher ses sentiments après tout, les plus douloureux surtout.

En devenant pompier, Donovan avait eu l'impression de trouver sa place. Il n'était plus l'enfant terrible des rues de Chicago, il n'était plus ce gosse dont personne ne voulait. Il se souvenait encore de sa première intervention, des premières personnes qui lui avaient donné d'énormes câlins pour le remercier de les avoir sauver ou d'avoir sauvé l'un de leurs proches. Pour la première fois de sa vie il se sentait utile à quelqu'un, bon à quelque chose. Il avait gagné une famille, des amis précieux. Il s'était reconstruit, persuadé qu'à partir de là tout se passerait comme sur des roulettes. Il avait toujours eu le chic pour se mettre en danger sans vraiment s'en rendre compte, il s'en sortait toujours indemne. Ses supérieurs devenaient fous à chaque fois qu'il repoussait toujours un peu plus les limites. Donovan n'avait jamais vraiment été capable d'obéir à des ordres, malgré tout il fallait reconnaitre qu'il était excellent dans son métier. Passionné et dévoué. Le drame qu'il avait vécu l'empêchait souvent de se rappeler les bons moments qu'il avait passé à la caserne, les amis qu'il avait pu se faire parmi ses collègues, toutes les fois où il avait dû intervenir dans des écoles pour parler de son métier… Les enfants le voyaient toujours comme une sorte de superman avec un casque et sans la cape. Il avait envoyé chier son père, il n'était pas le raté que celui-ci avait toujours décrit. Pas très doué à l'école, on lui avait souvent répété qu'il finirait mal, qu'il ne serait jamais qu'un bon à rien, mais il leur avait prouvé à tous le contraire. La confiance en soi retrouvée, Donovan faisait parti des hommes heureux. Il n'aurait jamais pu imaginer qu'à nouveau, il vivrait des moments difficiles, que tout recommencerait, qu'il perdrait tout. Il se revoyait présenter sa démission à son chef, ce dernier l'avait même suivi jusqu'à la sortie de la caserne pour tenter de le retenir. On lui avait conseillé de parler à un psychiatre de ce qu'il s'était passé, mais il n'avait jamais pu se résoudre à asseoir son cul dans le canapé d'un médecin pour parler de choses sur lesquelles il n'arrivait même pas à mettre de mots. Il avait donc trouvé son propre remède, sa propre solution. Fuir. S'il avait bien changé durant toutes ces années en tant que soldat du feu, il avait malgré tout retrouvé ses réflexes les plus primaires avec une rapidité et une facilité déconcertante. Il faut croire que l'on ne change jamais vraiment.

Avec le recul, il avait essayé de trouver un sens à tout cela et la seule raison qu'il arrivait à fournir pour expliquer tous les malheurs qu'il avait connu était très simple. Le véritable bonheur était ailleurs. Il avait dû quitter Chicago non pas pour se perdre lui-même, ni pour se laisser disparaitre, il avait quitté sa ville natale pour trouver la personne qui serait capable de le faire respirer à nouveau. S'il avait d'abord lutté contre le bonheur retrouvé auprès d'elle, il avait peu à peu baissé les armes et il avait accepté l'évidence qui s'imposait à lui. Il l'aimait. Il n'avait jamais aimé personne avant Jagger, pas de cette manière-là en tout cas. Et si elle n'était pas parvenue à lui retirer toute sa culpabilité, ni à tuer tout ses démons, elle avait quand même réussi à lui redonner envie de vivre. S'il était là aujourd'hui, c'était pour elle. Uniquement pour elle. Donovan resserra son étreinte autour de Jagger. Il se rendait compte de son évolution depuis qu'ils s'étaient rencontrés. Pour la première fois depuis toujours, il n'avait pas envie de s'enfuir, il n'avait pas envie d'oublier non plus. Surtout, il ne voulait pas oublier qu'il y avait eu ce bébé. C'était son histoire, leur histoire et cet enfant faisait désormais parti d'eux, parti de lui. Et ils avaient aussi mal l'un que l'autre, peut-être elle encore plus que lui après tout, mais il avait envie non pas de se laisser abattre mais de se relever. Il n'était plus un enfant désormais, il était un adulte et en tant que tel, il avait la sensation d'être plus fort. Cette nuit, il avait l'impression d'avoir grandi. Il souffrirait sans doute toujours du manque de réponse à ses "pourquoi?" mais il n'était plus tout seul à présent et ça faisait toute la différence.

Elle évoqua le passé et elle en parlait comme jamais il ne l'avait entendu en parler. "Moi aussi, j'étais heureux." Il avait été heureux alors qu'il n'aurait jamais cru pouvoir l'être à nouveau, et s'il avait réussi une fois à retrouver le bonheur après l'avoir perdu, il savait désormais qu'il pourrait recommencer encore. La vie n'est pas un jeu où l'on a seulement une chance ou deux et ensuite c'est fini, il y a toujours la possibilité de changer les choses, de les bousculer, des les améliorer, réparer des erreurs et des coeurs brisés. Donovan un optimiste? Non, pas spécialement mais là, tout de suite, il avait tellement besoin de l'être. Il avait besoin de croire que les choses s'arrangeraient et que la terrible douleur qu'il ressentait dans sa poitrine finirait par s'apaiser. Il avait besoin de croire qu'il ne se sentirait pas en colère pour le restant de sa vie, que Jagger saurait aussi se reconstruire et qu'elle réussirait à surmonter sa peine. Ce n'était pas la fin pour eux, pas encore… Ce n'était que le début. "Je ne sais pas si on arrivera un jour à être ce garçon et cette fille-là à nouveau mais…" Il avait attrapé son menton pour la regarder droit dans les yeux. "On arrivera à être heureux." Il se perdait dans son regard, comme presque toujours. Aujourd'hui plus que jamais, il avait envie de se perdre en elle tout entier. "On ne peut pas recommencer du début, on ne peut pas changer le passé ni le revivre, mais on peut aller de l'avant. On peut y arriver." Il lâcha son menton pour aller caresser sa joue. "Ensemble.". Il se souvenait très bien des grands éclats de rire, des cris aussi parce qu'ils avaient toujours adoré se tenir tête l'un et l'autre, des nuits enlacés, des baisers enflammés. Il se souvenait de la passion qui l'avait parcouru et qui s'était emparé de son corps, de son coeur. Il se souvenait très bien de tout ce qu'ils avaient vécu. Chaque jour une nouvelle aventure. Chaque jour de nouveaux souvenirs. Il avait pris des milliers de photos mentales et il se les rejouait dans sa tête constamment. Il était heureux. Ils étaient heureux.

Lorsque leurs lèvres se rejoignirent enfin en un baiser, il n'avait plus envie de s'arrêter. Elle était son oxygène, il n'avait pas besoin d'air pour vivre, seulement besoin de ces lèvres, de ce corps, de cette fille. Dehors, la pluie continue de tomber, mais le monde s'est arrêté de tourner. Il a tellement besoin d'elle, et elle a besoin de lui. Elle lui demande de lui faire oublier. Leurs yeux se sont encore retrouvés et il en perd le souffle tant il veut la protéger et lui offrir ce qu'elle demande. Un autre baiser. « C’est fini. » dit-elle. Il hoche légèrement la tête et répète tout doucement après elle: "C'est fini.". Elle non plus n'a plus envie de s'enfuir, plus envie de se battre contre lui, contre ce qu'elle ressent sans doute, mais surtout elle ne se bat plus pour lui cacher la vérité. Enfin elle s'est ouverte à lui complètement, et elle l'a laissé entrer dans cette petit partie d'elle auquel il n'avait encore jamais eu accès. "N'aie plus peur Jagger." Il cherchait à rejoindre son cou pour s'y nicher, et ses mains descendirent délicatement sur ses hanches. "Laisse-moi faire." murmure-t-il au creux de son oreille. Il s'empare de ses lèvres à nouveau. Puis il passe une main sous son t-shirt et remonte doucement. Il reconnait chaque morceau de peau, chaque centimètre de ce corps, mais il a la sensation de redécouvrir ce ventre qui lui semble étranger ce soir. Enfin, il s'écarte d'elle sans lâcher sa main. Les yeux dans les yeux, comme toujours.

Une nuit d'amour pour surmonter la tristesse. Le remède des amants. Se perdre l'un dans l'autre, se noyer dans des regards, des baisers, des caresses. S'aimer. S'aimer pour oublier, mais par dessous tout s'aimer pour laisser l'espoir renaitre. Et à l'aube, la vie recommencera, le monde tournera rond à nouveau et tout ira bien.

~~

"Qu'est-ce que tu fous?" Il avait sursauté en l'entendant parler. Elle était arrivée en douce derrière lui pour le prendre par surprise alors qu'il se trouvait face à un miroir. Il sortait de la douche, autour de sa taille était nouée une serviette de bain pour tout vêtement. "Rien." Il affichait l'air coupable d'un adolescent surpris par sa mère avec une main dans le caleçon et une boite de mouchoirs sur le lit. Jagger fronçait déjà les sourcils, il mentait et ça se voyait plus clairement encore que le nez au milieu de la figure. Simplement avec ses yeux, elle était capable de lui demander "Tu te fous de ma gueule?", et il savait qu'il allait être obligé de lui dire pourquoi il était à l'instant en train de s'observer sous toutes les coutures face à une glace. "J'ai envie d'un nouveau tatouage…" Il haussa les épaules, un léger sourire commençait à apparaitre. Au fond, il pouvait tout aussi bien lui demander son avis plutôt que de chercher lui-même l'endroit parfait où rajouter un peu d'encre. "J'étais en train de me demander où je pourrais le placer." Elle n'avait toujours pas l'air très convaincue alors que lui affichait une certaine excitation. "Je veux me faire faire un petit Buzz l'éclair!" lâcha-t-il finalement. Elle prit d'abord un air choqué avant d'avoir l'air franchement énervée. Cette fois, ses yeux criaient "OVER MY DEAD BODY DONOVAN!"  "Tu déconnes j'espère?!" Légèrement déçu par sa réaction, il secoua la tête. "J'ai toujours adoré Toy Story… " Un instant de silence s'installa avant qu'il ne reprenne avec son air d'imbécile heureux. "Vers l'infini et l'au-delà!" Elle le fusillait du regard. Apparemment ça ne la faisait pas vraiment rire. Finalement, elle sembla se détendre un peu et un sourire se dessina à son tour sur ses lèvres. "Très bien. Mais je dois te prévenir que si tu te fais tatouer un truc aussi con …" elle avait soudainement un air victorieux. "Grève du sexe." lâcha-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.


Il ouvrit brusquement les yeux. Ouf, ce n'était qu'un rêve. Un très mauvais rêve, mais un rêve quand même. Il porta une main à son coeur comme pour se calmer après ce petit moment d'angoisse qu'il venait d'avoir. Il n'était pas sûr de savoir ce qui l'avait le plus chamboulé, le fait de se voir désirer un tatouage Buzz l'éclair ou bien la menace de Jagger. Toujours dans le but de se rassurer, il se dégagea des draps et se redressa dans le lit. Un, deux, trois,  quatre, cinq. Ils étaient tous là où ils devaient être et pas de Buzz en vue. Donovan se tourna de l'autre côté et aperçu Jagger endormie. Il se mit à sourire en l'observant. Elle avait l'air d'aller un peu mieux. Cinq jours s'étaient écoulés depuis qu'il avait reçu la lettre du corbeau. Cinq jours qu'ils ne s'étaient pas quittés. Pourtant, ce matin Donovan avait quelque chose de prévu et il allait justement profiter du sommeil de Jagger pour s'éclipser en douce. Même si certains moments semblaient plus difficiles que d'autres, il faisait de son mieux pour gérer la situation. La nouvelle étant toute fraiche dans sa tête, son coeur se brisait encore à chaque fois qu'il sortait dans la rue et qu'il apercevait des parents avec leurs enfants. Il avait failli perdre ses moyens devant une adorable gamine venue au café avec sa mère. Elle était montée sur un tabouret pour lui demander un coca-cola mais au lieu de s'exécuter, Donovan l'avait fixé pendant de longues secondes jusqu'à ce que la petite s'impatiente et qu'elle le ramène à la réalité avec sa voix aigüe. Parfois, il trouvait une excuse à donner à Jagger pour s'isoler quelques minutes et ne pas craquer devant elle. Par moment, il avait encore la sensation d'être perdu et submergé par tout un tas d'émotions, en particulier par la colère. Il ressentait le besoin de dégommer quelque chose, mais il ne voulait pas laisser cette colère prendre le dessus et le contrôler. Alors il préférait aller se calmer tout seul dans un coin, toujours dans l'optique de rester fort pour elle. Il aimait bien croire qu'elle n'avait rien remarqué à son comportement, mais clairement il se voilait la face. Jagger n'était pas assez stupide pour croire à toutes ses excuses bidons. Il ne prenait parfois pas de douche pendant deux jours entiers et tout à coup il en prendrait plusieurs en une seule journée? À d'autres! Donovan n'était pas seulement préoccupé par Jagger et par le deuil de ce bébé qui ne verrait jamais le jour… Il y avait encore l'histoire avec son père qui n'était pas réglée. Sa soeur lui avait laissé deux nouveaux messages sur son répondeur, il ne l'avait pas rappelé mais il sentait que la situation à Chicago était devenue critique et qu'il allait devoir prendre une décision rapidement. Il luttait contre lui-même une fois de plus, il ne voulait pas revoir sa famille. Et pourtant le soir, lorsqu'il ne songeait pas à Marley, il pensait à son père et à ce qu'il voudrait lui dire en face une dernière fois. C'était sans doute cette histoire-ci qui lui provoquait les plus grosses montées de colère. Il ne voulait pas embêter Jagger avec ça, elle avait déjà assez de choses à gérer. L'autre soir, il avait tout de même essayé de lui en parler mais elle s'était tournée vers lui pour lui faire face et elle avait plongé ses yeux  dans les siens avec une telle intensité qu'il avait été incapable de prononcer un seul mot. Comment aurait-il pu la regarder dans les yeux et lui dire à elle qui n'avait eu ni la chance, ni le temps de dire au revoir à ses parents, qu'il hésitait à rendre une dernière visite à son père. Il avait peur de raviver d'autres souvenirs douloureux chez elle, peur de lui faire du mal.

Il s'était habillé en vitesse et avait quitté la maison d'Hendrix dans le plus grand des silences. Le frère jumeau de Jagger ne rentrerait que d'ici quelques jours de son voyage scolaire avec ses élèves et d'ici là ils avaient l'endroit pour eux tout seuls. Comme à chaque fois qu'il sortait de là, il s'était arrêté dans l'allée de la maison pour observer le van de Jagger exposé dans le jardin comme une précieuse pièce de musée. Il se revoyait en sortir au petit matin pour fumer sa première cigarette. Toujours les mêmes rituels, les mêmes habitudes. Il avait aimé ce van tout comme il avait aimé la fille à qui il appartenait. À l'époque, l'un n'allait pas sans l'autre. Il l'observait donc avec un léger sourire mêlé à un air triste. C'était là-dedans qu'ils avaient conçu leur bébé. Donovan sortit son paquet de clopes pour s'en glisser une entre les lèvres. Au volant de sa voiture, il roulait vers le centre ville. Par la fenêtre, il y avait la mer et le soleil matinal de Californie. Il était de bonne humeur ce matin parce qu'il avait une surprise à offrir à Jagger. Il avait eu cette idée en tête depuis deux ou trois jours, et voilà qu'il sautait enfin le pas. Plutôt fier de lui, il espérait quand même que ça lui ferait plaisir. Bien sûr, ça n'allait pas emporter tout ses soucis, ça n'allait pas lui enlever ce vide qu'elle pouvait ressentir au plus profond d'elle-même, mais si ça pouvait au moins l'aider à sourire comme avant de temps en temps, il était prêt à tenter le coup. Et dans le pire des cas, il pourrait toujours rapporter sa surprise là où il l'avait trouvé et reprendre son argent.

La matinée était déjà bien avancée lorsqu'il retrouva le chemin de la maison. Il quitta sa voiture avec une grosse boite dans les mains. Sur le couvercle parsemé de trous, trônait un gros ruban rouge. "Jagger?" appela-t-il à peine avait-il franchi le pas de la porte. Elle était là, dans le salon. Il afficha son sourire le plus charmant et lui indiqua la boite qu'il posa au sol devant lui.  "J'ai un truc pour toi." annonça-t-il impatient de la voir découvrir sa surprise.

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyMer 16 Avr 2014 - 17:29

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



 Oublier. Deux bras qui s’enroulent autour d’un corps, une peau qui doucement s’appose à la sienne. Oublier. Une bouche qui trace son chemin, imprime les mots d’amours. Oublier. Elle se souvient de cette nuit comme de la toute première d’une nouvelle ère, du regard de Donovan qui la transperce, de leurs deux mains qui restent entremêlées. De l’extrême douceur. Il la touche comme s’il avait peur qu’elle ne se brise - et à nouveau, elle craint de pleurer. La fatigue se fond dans la langueur. Pas une seconde ils ne se quittent des yeux. Mais la douleur est partie. Oublier. Leurs peaux ont le goût des larmes - mais tout est quand même plus facile. Ils cherchent le lendemain et le trouvent en s’enlaçant. Finies, la colère, la rage, la souffrance brute. Finis, le sang et la route, l’instant où la vie s’en va, où ce qui reste aussi meurt un peu. Ils s’apprennent à nouveau, avec l’incrédulité des survivants. L’oubli ne dure qu’un instant - bien sûr, bien sûr que les souvenirs restent. Mais c’en est fini de la solitude, enfin. Quand leurs corps finissent par s’apaiser, elle laisse sa tête reposer tout contre l’autre. Donovan fait rempart contre les cauchemars.

Quand Jagger ouvrit les yeux, le grand lit était vide. La matinée était bien avancée - un soleil immense filtrait au travers des rideaux. Il avait plu pendant plusieurs jours, comme une longue nuit de cauchemar - mais à nouveau Huntington Beach redevenait mordorée. Tout allait bien.
Elle passa une main sur son visage. De l’autre, partit en quête d’un quelconque vêtement qui trainerait sur le sol de la chambre. Sa main se referma sur une vieille chemise, un peu douteuse, beaucoup trop grande, sûrement pas la sienne - elle l’enfila tout de même, s’extirpa des draps. Il faisait un peu froid, pour la Californie - assez pour la réveiller totalement. Vaguement, elle se demanda où avait encore disparu Donovan - et puis elle chassa cette pensée traitre, la domesticité qu’elle impliquait. Alors qu’elle se glissait dans la salle de bain, son regard tomba sur le tatouage de sa cheville, reflété par le grand miroir - le minuscule M lui rappela qu’elle n’avait pas rêvé de Marley. Peut-être pour la toute première fois depuis des mois entiers. Elle ne savait plus trop si elle devait en pleurer ou en rire - alors du bout des doigts elle effleura son ventre, et soupira.
L’eau brûlante réchauffait son corps engourdi par le sommeil, effaçait les traces d’une soirée passée à s’enlacer encore. Donovan était resté. Loin de la haine qu’elle avait pu imaginer, il avait pris sa main et parlé d’amour, jour après jour, nuit après nuit. Dans la grande maison, ils avaient joué au bon vieux temps. Ils avaient fait comme si tout allait bien, comme si la souffrance n’avait jamais été. Avec soin, ils avaient essayé de cacher à l’autre les instants où leurs regards s’embrumaient, et où la mémoire revenait serrer leurs coeurs - mais elle n’était pas dupe, et probablement que lui non plus. Tant pis. Elle se raccrochait à ces autres moments, ceux où ils croyaient à l’insouciance. Ils lui donnaient une force que jamais elle n’aurait pu soupçonner. Celle d’avancer, malgré tout. Il l’aimait. Une part d’elle, toujours, le traitait d’inconscient. Une autre part…
Elle secoua la tête. A nouveau, enfila cette chemise qui n’était toujours pas la sienne, et les cheveux encore détrempés fit son chemin jusqu’à la cuisine, sourit en voyant un reste de café encore au chaud sur le comptoir. Elle s’en versa un bol, s’installa sur l’un des hauts tabourets. La ville était déjà pleinement éveillée, s’offrait à sa vue. Elle extirpa une cigarette de son paquet, l’alluma, but une longue gorgée. Lentement, ses pensées se remettaient en place. Elle avait la distincte impression que Donovan (qui, décidément, parlait un peu trop dans son sommeil) avait marmonné les mots « Buzz l’éclair » à un moment donné - elle n’était pas franchement du genre inquisition, mais là les choses devenaient un tout petit peu angoissantes. Elle reposa un bol déjà à moitié vide, tira une nouvelle fois sur sa cigarette - alluma la radio qui trônait sur le bar, et d’une oreille distraite écouta les nouvelles du jour. Plus ou moins que de la merde. Elle s’ennuyait. Sa semaine de repos n’en était pas vraiment une - elle sentait à chaque instant de solitude le besoin urgent d’agir, de s’occuper, de fuir les souvenirs qui menaçaient. Plusieurs fois, elle avait eu envie de reprendre la route. De faire un tour, quelque part, loin, au moins pour la journée. Mais à chaque fois elle avait croisé les yeux de l’homme qui s’était installé à ses côtés, et elle s’était dit… que ça ne serait peut-être pas si mal, de rester ici quelques temps. De prendre le temps de la langueur.

Cette fois-ci, ce fut le téléphone qui la tira du fil de ses pensées. Elle s’en saisit distraitement, décrocha sans même regarder de qui il s’agissait. Elle s’en doutait plus ou moins. Hendrix. Il lui demanda, pêle-mêle, comment est-ce qu’elle allait, si la maison ne s’était pas écroulée, ce qu’elle devenait, et même « Est-ce que tu es encore en train de fumer à l’intérieur? » - bah, c’est pas comme si elle pouvait nier alors que son discours était distinctement entrecoupé par les instants où elle expirait de longs volutes de fumée. Tout du long, elle sentait, juste sur le bout de sa langue, le prénom « Marley » qui la brûlait - mais le souvenir de la nuit où Donovan avait appris la vérité était encore trop présent. Elle le retint. C’était étrange, comment en ces mois de douleur elle était en quelques sortes passée maîtresse dans l’art de la dissimulation. Elle se raccrocha à la première branche qui passait - comprenez l’instant où son frère lui dit qu’il espérait qu’elle n’avait ramené personne de louche dans sa baraque, absolument sans aucune référence à Donovan Halvey (ironie). Un rire. « T’inquiète, ô sainte vierge Marie. J’ai pas (encore) transformé ton salon en club échangiste. Je file de ce pas remettre ma ceinture de chasteté, promis - et après je file à confesse! » - elle écrasa le mégot de sa cigarette dans le cendrier. Hendrix deviendrait probablement fou s’il savait que l’homme dont il se méfiait le plus au monde (à tord ou à raison) s’était plus ou moins installé ici, couchait avec sa soeur au moins trois fois par jour, descendait son stock de bière, avait fracassé un vase dans un élan de colère, utilisait son shampoing, et, cerise sur le gâteau de l’amour fraternel et de la cohésion familiale, l’avait mise enceinte il y avait déjà quelques temps. Enfin, il le saurait probablement tôt ou tard. Elle avait la distincte impression qu’un de ces jours elle n’aurait plus de frère jumeau - soit parce qu’il aurait fait un infarctus, soit parce qu’il l’aurait reniée. En attendant, ce qu’il ne savait pas ne pouvait pas lui faire de mal. Elle raccrocha au beau milieux des protestations sonores d’un Hendrix qui affirmait qu’il « n’était pas dupe, Jagger Monroe Dickens!». Soupira. Elle aussi, elle pouvait ajouter des deuxièmes prénoms quand elle avait des coups de sang. Monsieur Hendrix Grant Dickens.
Elle ne savait pas quoi faire. Sûrement pas la vaisselle. Probablement pas le ménage. Non, elle n’allait sûrement pas faire la cuisine en attendant le retour du grand mâle alpha. Et la lessive pouvait toujours aller se faire foutre - avec un peu de chance, ses fringues feraient un tour complet dans le cycle de la saleté et finiraient par paraître propres. Non? Non. Et merde. Elle baissa la tête. Elle avait envie de voir Ally. Cela faisait deux ou trois jours déjà, qu’elle en ressentait le besoin. Mais elle ne pouvait s’empêcher de penser à ce rêve, ce rêve d’une autre vie, où sa meilleure amie aurait été la marraine de sa fille - alors elle se retint, même si elle avait déjà atteint la lettre B de son répertoire (B pour Barbie Légiste - elle n’avait qu’à changer de couleur de cheveux, et puis Jagger était à peu près sûre de tenir un concept énorme de nouvelle poupée à vendre très très cher à Mattel. Enfin la fortune se rapprochait! Dans les faits, elle alternait régulièrement avec "Barbie Sushi", cela dit). Un jour aussi, il faudrait l’annoncer à la jeune femme. Depuis que Donovan avait appris la vérité, elle s’était rendue compte que mentir… la fatiguait. Mais était-ce vraiment pire que de voir dans les regards de tout ceux qu’elle aimait sa propre douleur? Elle n’en savait rien. Machinalement, elle alluma une deuxième cigarette - puis acheva son bol de café. Elle réalisa tout à coup qu’elle avait enroulé l’un de ses bras autour de son ventre. Elle ferma les yeux.
Marley Dickens-Halvey.
Chasser le souvenir. Vite. Avant qu’il ne recommence à la dévorer.

Elle finit par se résigner, et par descendre de son perchoir, en quête d’un quelconque reste à grignoter dans un placard ou dans le frigo. Le d’ordinaire très serviable réfrigérateur semblait cependant avoir été dépouillé de tout ce qui n’était pas de la bière ou des glaçons (ce qui arrivait un peu trop souvent, quand son frère n’était pas là pour faire des courses raisonnables et nutritives - mais honnêtement, qui a besoin de légumes quand on a de la bière?). Quant au placard… apparemment vide, mais en se hissant sur la pointe des pieds et en le tâtant minutieusement du plat de la main, centimètre par centimètre (à l’aveugle oui, la génétique n’avait pas été très généreuse sur le plan de la taille pour la jeune femme, et apparemment Ikéa aimait bien se foutre de sa gueule en plaçant plein de trucs super utiles un peu trop haut pour elle) elle parvint à mettre le doigt sur un Milky Way égaré. Le dernier. Le survivant. Ha ha. Victoire! Pas de quoi casser trois pattes à un canard, elle allait probablement mourir dans les heures qui suivaient si Donovan n’avait pas eu la bonne idée de ramener des vivres (comprenez: des coquillettes. Ou au moins du pain de mie. Ou du nutella. Ou de la glace. Ou tout ça en même temps, mais il fallait pas trop rêver non plus), mais au moins elle avait de quoi faire croire à son estomac qu’elle n’était pas devenue anorexique et qu’elle n’avait pas inopinément déménagé en Somalie. Et après… le café, c’est nutritif non? Au moins un peu? Un tout petit peu?
Elle venait tout juste de retourner dans le salon, de grimper sur un fauteuil, et ouvrait vaillamment la confiserie salvatrice quand elle entendit le bruit distinctif d’une porte de voiture qui claque, puis de quelques pas dans l’entrée. Oh. Elle espérait au moins qu’il s’agissait de Donovan, parce que sinon elle allait avoir un tout petit peu la honte vêtue en tout et pour tout d’une chemise, à contempler une barre chocolatée comme si elle comptait lui faire l’amour prochainement. LE Milky Way. En tous cas, c’était bien lui. Et quand il dit « Jagger? », son premier réflexe fut de répondre: « C’est mort, t’auras pas mon Milky Way. ». Mais en y regardant de plus près, il n’avait pas vraiment l’air d’en avoir particulièrement après lui. Du tout. Non, il était plus occupé à se tenir là, à avoir l’air outrageusement beau, à lui sourire comme s’il avait récemment gagné à la loterie, à avoir les cheveux en bataille et à ne pas avoir encore couché avec elle aujourd’h… dérive mentale. Stop Jagger. Franchement, stop. Et puis même. Entre temps, ses yeux étaient tombés sur la boîte qu’il tenait fièrement entre ses mains - couronnée d’un grand ruban rouge. Elle haussa un sourcil. « J’ai un truc pour toi », dit-il, non sans une certaine impatience. En fait, il avait peut-être gagné à la loterie. Enfin, elle espérait surtout que ça n’avait rien à voir avec Toy Story - après cette nuit, elle pouvait légitimement se faire du soucis, et elle n’était pas sûre de sauter de joie si elle se retrouvait aujourd’hui heureuse détentrice d’une figurine en plastique de Buzz l’Eclair. D’abord parce qu’elle était une fille. Et ensuite parce qu’elle n’avait plus huit ans.
Quoiqu’il arrive, c’était assez pour titiller sa curiosité. Elle déposa précautionneusement le Milky Way sur la table, se releva, s’approcha de Donovan. Elle se trouvait à quelques centimètres de lui quand soudain elle s’arrêta, pourtant toute prête à se saisir simplement de la boîte, et eut un temps d’hésitation. Il était là. Et elle ne pouvait pas nier que d’une certaine façons, pendant cette matinée il… il lui avait manqué. Nerveusement, elle se mordilla la lèvre. Elle ne savait pas réellement ce qui s’était passé en elle, la nuit où le corbeau avait révélé la vérité. Mais… mais elle avait été touchée par cet homme, par sa violence et par sa douceur. Par cette force absurde qu’il avait dévoilé tout à coup, et qu’il avait toute entière employé à la soutenir. C’était assez pour la convaincre de faire des efforts. Sa main ne se posa pas sur la boîte, ou sur le ruban - elle se posa à l’arrière de la tête de Donovan, et doucement elle l’attira à lui pour l’embrasser.
Quand ils se séparèrent, elle était étrangement nerveuse. Probablement parce qu’elle venait d’avoir l’air de la dernière (des connes) des femmes au foyer / jeunes mariées, et que ça n’était pas elle, sûrement pas elle. Mais… elle en avait eu envie. Et comme pour donner le change, elle se racla bruyamment la gorge et dit « J’espère que ça se mange! » - et sur cet espoir fou, elle tira doucement sur le bout du ruban pour le défaire.

C’est alors qu’elle l’entendit. Un léger, très léger bruit de quelque chose qui s’agite. Elle fronça un peu les sourcils - pas de colère, plutôt d’une infime inquiétude. Qu’est-ce que Donovan était allé inventer comme connerie, encore? Elle acheva de tirer sur le ruban rouge, que, sans vraiment s’en soucier, elle laissa s’échouer sur le sol. Et puis ses mains soulevèrent doucement le couvercle - et elle tomba nez à nez avec un regard curieux. Deux tout petits, petits yeux. Elle se mordit la lèvre. Une minuscule boule de poils rousse la fixait avec grande attention, apparemment tout aussi surprise qu’elle-même. Un chat. Un chaton. Un chaton. Mon dieu. Elle avait le sentiment étrange qu’elle venait de tomber amoureuse. Elle déposa le couvercle sur la table la plus proche - et des deux mains, avec une infinie prudence, elle souleva le petit animal à hauteur de son visage. Il se laissa faire, agitant juste mollement les pattes. Non, ça ne se mangeait pas. Pas du tout, même. Mais elle n’arrivait pas à se souvenir de la dernière fois qu’on lui avait fait un cadeau aussi… parfait. Elle se laissa aller à un immense sourire - et c’est cette fois-ci entre les deux oreilles du chaton qu’elle déposa un baiser, alors que celui-ci laissait échapper un « miaou » sonore, puis quelques ronronnements encore hésitants.
Elle ne savait pas ce qui dominait en elle. Le bonheur, ou bien cette légère tristesse quand, doucement, elle nicha le chat entre ses bras - comme pour le bercer. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à cette autre présence, qui aurait dû se trouver là. Mais… mais bon sang. C’était probablement le bonheur. Encore un peu incrédule, à nouveau elle se tourna vers Donovan. « C’est… c’est pour moi? » - bien sûr que c’était pour elle. Mais quelque part elle avait un peu de mal à y croire. Quelques heures plus tard elle se haïrait probablement d’avoir ainsi eu l’air d’une pauvre nunuche dont les yeux étincellent devant tout animal à taille réduite (elle avait TOUJOURS une réputation à tenir, diantre! elle se laissait un petit peu trop aller ces derniers temps, ça commençait à sentir mauvais cette histoire), mais elle se sentit distinctement rougir. Et comme pour le dissimuler, sans plus de discours, elle attira à nouveau Donovan à elle pour l’embrasser. Pour le remercier. Pour, à défaut de savoir le dire, lui exprimer cette reconnaissance profonde qu’elle éprouvait pour lui et pour le fait qu’il était là. Toujours là. Invincible.
Et puis elle détourna les yeux. « C’est pour moi… » répéta-t-elle avec un sourire béat. Le chat, lentement mais sûrement, s’installait entre les bras de Jagger - comme si sa place s’était toujours trouvée là. « …Merci. » Elle eut soudain un grand éclat de rire. « Putain, j’ai eu tellement peur que tu me sortes un truc de merde par rapport à Buzz l’Eclair! Mais là… » Elle se mordit un peu la lèvre - légèrement. « Je crois que c’est parfait. »

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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyMar 22 Avr 2014 - 11:42

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


Une femme était venue au café Hometown pour déposer une affiche. Sa chatte avait apparemment eu des petits et elle proposait de les offrir à qui promettrait de bien s'en occuper. Au départ, Donovan n'en avait pas vraiment pensé beaucoup plus, il l'avait simplement laissé placarder son affiche qui intéresserait peut-être quelqu'un parmi les clients du café. Il y avait une photo des chatons accompagnant les informations laissées par la propriétaire, il fallait bien avouer qu'ils étaient mignons, comme n'importe quelle boule de poils à vrai dire. Cela dit, Donovan n'avait jamais vraiment porté un grand intérêt pour ces bestioles-là. Il avait toujours bien aimé les chiens mais n'en avait jamais eu et ce n'était définitivement pas dans ses projets vu son style de vie. Mais il était rentré un soir et il avait eu envie de prendre Jagger dans ses bras, encore. Il ne l'avait pas remarqué tout de suite, il l'avait d'abord couverte de baiser et peut-être que quelques uns de ses doigts étaient passés sous son t-shirt pour lui montrer qu'il en avait envie ce soir, pour changer… Quoi qu'il en soit, il s'était stoppé net en voyant dans ses yeux cette petite lueur qui lui fendait le coeur. Il avait essayé de faire comme si de rien n'était, il ne voulait pas faire de commentaire qui pourrait la bouleverser d'avantage, mais il avait vu de la tristesse dans son regard et ça le rendait fou. Donovan n'en pouvait plus de voir Jagger souffrir et de ne pas être capable d'y changer quoi que ce soit. Il comprenait à peu près ce qu'il se passait dans sa tête à elle car sans doute cela était similaire à ce qu'il se passait dans sa tête à lui, mais il était fatigué de croiser ces yeux magnifiques qui dégageaient un sentiment de peine si profond. Il n'avait aucune idée de ce qui pourrait l'aider à sourire sincèrement à nouveau, pas même une minuscule petite idée. Du moins, jusqu'à ce qu'il ait un déclic en retournant au travail le lendemain et qu'il aperçoive l'affiche toujours accrochée-là. Un chat. Un chaton. Hum. Il y avait réfléchit dix secondes à peine avant de s'emparer de son téléphone pour composer le numéro indiqué. La femme au bout du fil lui annonça qu'il ne restait déjà plus que deux chatons sur les six proposés, et que s'il en voulait un elle pourrait lui garder l'un des deux jusqu'au lendemain matin. C'était donc pour cela qu'il s'était éclipsé aux aurores (enfin presque). Il avait eu le choix entre un chaton roux ou un chaton d'une couleur chelou qui ne l'inspirait pas trop. Un petit rouquin, bizarrement ça l'amusait beaucoup. Donovan songeait déjà à toutes les blagues qu'il pourrait faire, mais surtout il était un peu forcé d'admettre que la chaton roux était carrément trop mignon. Même lui, qui n'était pas spécialement fan de chat (par contre fan de chatte, y'a pas de problème… Too much? Pardon.) avait du mal à ne pas succomber aux charmes de l'animal. Il serait bien devenu gaga à lui gratouiller le haut de la tête s'il n'avait pas eu peur de passer pour un con devant la bonne femme.

Il n'avait jamais parlé d'avoir un animal avec Jagger avant, il s'était donc lancé sans savoir si cette surprise lui ferait plaisir mais une part de lui osait espérer que malgré le point d'honneur qu'elle mettait à tout le temps se différencier des autres filles, elle partagerait malgré tout cette gagattitude (oui, c'est un mot et non, ça n'a rien à voir avec Lady Gaga, merci bien. Au revoir.) pour les petites bê-bêtes toutes mignonnes. Franchement, même Jagger serait obligée de craquer devant un bébé chat, non? (bébé chat ça sonne encore plus mignon que chaton, soyons honnêtes!) Donovan avait passé le trajet à parler au matou confortablement (pas vraiment) installé dans sa boite en carton sur la banquette arrière. Il avait même essayé de réfléchir à un nom mais le chat et lui n'avaient pas réussi à se mettre d'accord sur quoi que ce soit, du coup il allait dire à Jagger qu'elle pourrait se charger de cette corvée. Comme ça, si le nom était pourri ce ne serait pas sa faute à lui! Malin le mec, malin! Il avait franchi la porte de la maison d'Hendrix avec assurance et impatience. La boite au noeud rouge et aux petits trous dans les mains, il l'avait fièrement placé devant lui pour la lui présenter. Il avait à peine calculé les premiers mots qu'elle avait eu pour lui à propos d'un Milky Way, bien trop excité à l'idée de la voir ouvrir le paquet. Pourtant, si elle avait l'air intéressée, elle prit d'abord la peine de le saluer. C'était tout nouveau pour eux deux ces élans d'affections, d'ailleurs Donovan était conscient du fait que ça n'arriverait sans doute pas à l'extérieur, en public surtout. Il imaginait mal Jagger se montrer toute lovey dovey partout et à tout bout de champ mais évidemment, pour le peu que ça arrivait il en profitait. Tout de même légèrement surpris par ce baiser, mais plus parce qu'il était à fond dans l'histoire du chaton que parce qu'il n'en avait pas envie, il afficha un sourire un peu niais qu'il s'efforça d'effacer rapidement l'instant d'après. Le moment "so cuuuute" ne dura pas longtemps, déjà Jagger redevenait Jagger. "À priori, ça ne se mange pas… M'enfin, tout n'est qu'une question de point de vue, ça peut s'arranger si tu as très faim. D'ailleurs, si tu y tiens vraiment le truc qu'il y a dans cette boite avec ma célèbre sauce à la bière, ça ne doit pas être mauvais!" Et Donovan redevenait Donovan. Sa sauce à la bière? Oh rien de bien méchant… Ça consistait simplement à renverser une bouteille sur n'importe quel aliment. Et hop, un cuisinier en carton, un! 

Jagger se décida finalement à ouvrir la boite. Elle s'attaqua d'abord au gros noeud rouge, elle avait l'air un tantinet inquiète. Donovan trépignait d'avance, les doigts et les orteils croisés. Pitié, faites qu'elle aime les chatons! Il l'observait avec attention, ne manquant pas un seul de ses mouvements, il n'osait même plus cligner des yeux. Il tenait absolument à voir l'expression sur son visage au moment où elle réaliserait ce dont il s'agissait. L'effet de surprise ne manqua pas. Le chaton paraissait encore plus petit que tout à l'heure dans cette boite un peu trop grande. Donovan ne put s'empêcher de sourire à nouveau. Jagger n'avait pas l'air déçue ou en colère. Il avait la sensation de marquer des points. Peut-être que finalement il aurait le droit à ce fameux Milky Way qu'elle ne voulait pas lui donner. Le chat dans les bras, Jagger était ravie et ça se voyait. Elle aurait été bien incapable de cacher ce sourire énorme qui venait de s'afficher sur son visage. Franchement, s'il n'avait pas été un mec, un vrai, il aurait pu en pleurer de la voir sourire ainsi après les jours difficiles qu'ils venaient de vivre et les mois difficiles qu'elle avait connu tout simplement. Un sourire comme ça, ce n'était pas tous les jours. Les yeux toujours rivés sur elle, il la trouvait incroyablement belle et s'il avait choisi de se comporter en animal (comme il le faisait au moins soixante pour cent du temps) il lui aurait sauté dessus pour l'embrasser à nouveau et plus si affinité. N'empêche qu'il avait un petit espoir d'être très bien récompensé d'ici peu pour cette ingénieuse idée. À défaut de récolter un deuxième baiser, ce fut le chat qui eu le droit d'en avoir un. Encore un peu et Donovan allait commencer à être jaloux. Jagger regardait l'animal d'une manière qui aurait presque pu le faire douter lui sur l'identité de celui qu'elle aimait déjà plus que l'autre. Le chat se fit entendre et Donovan songea au fait que lui-même savait très bien dire "miaou" et que s'il n'était peut-être pas roux, il était quand même sacrément mignon lui aussi. Alors non, il n'allait certainement pas se laisser aller à envier un pauvre matou. Vraiment pas. Ou peut-être un tout, tout petit peu alors. Ugh. Non, non! Il ne regrettait pas déjà d'avoir adopté le chat, surtout pas quand il voyait à quel point il semblait rendre heureuse Jagger. Donovan avait donné une trentaine de dollars seulement à la dame pour les soins vétérinaires ou une connerie du genre, il ne s'était certainement pas ruiné pour ça. Comme quoi, pas la peine d'offrir un diamant à une fille pour lui faire plaisir, surtout quand la fille en question n'est autre que Jagger. "Ouais, c'est pour toi." Pour qui d'autre croyait-elle que c'était? Le pape? Surtout qu'il avait expressément dit: "J'ai un truc pour toi". Il se surprit à la trouver adorable. Adorable. Ce n'était pas vraiment le genre de mot qu'il avait l'habitude d'employer pour parler de Jagger. Pas du tout même. Mais pour une fois, elle l'était vraiment. Elle ressemblait un peu à une enfant qui découvre ses cadeaux au pied du sapin le matin de noël et qui se rend compte qu'elle a obtenu absolument tout ce qu'elle souhaitait et peut-être même plus encore! Pour une fois, ce n'était pas Donovan qui avait l'air d'un gosse! Pour le coup, il était drôlement fier de lui-même. Il était en train de se donner un high five mental lorsqu'il la senti l'attirer vers elle et l'embrasser. Deux pour Donovan, un pour le chat. Ça va, l'équilibre était conservé. Donovan jeta un petit coup d'oeil au chaton d'un air de dire "Et toc! Toi elle t'embrasse sur les oreilles et moi sur la bouche. C'est qui le patron?". Quand ce serait boom chica whoa whoa entre Donovan et Jagger, le chat allait pendre un sacré coup dans les dents! Et ça allait forcément venir d'ici pas longtemps, pas vrai? "Je t'avoue que j'ai eu un peu peur que tu m'envoies chier avec le chat. Je veux dire, je sais qu'en général on offre pas un animal à quelqu'un mais … Je sais pas. J'ai eu envie. J'ai pas réfléchi." Il haussa les épaules avant de l'entendre dire merci. Ça aussi c'était rare. Et puis elle se mit à rire et Donovan fronça les sourcils en l'entendant parler de Buzz l'éclair. "Hein?" Le temps de se remettre de ses émotions, il ne voyait pas de quoi elle parlait. Il retenait surtout le fait qu'elle décrivait sa surprise comme "parfaite" et il n'aurait pas pu être plus ravi. "J'ai franchement pas une gueule à t'offrir des figurines de dessins animés Disney, si?'" Il secoua la tête avant de réaliser qu'il avait sans doute encore parlé dans son sommeil. Elle lui avait déjà dit que ça lui arrivait parfois. "Putain mais ça me saoule de parler quand je dors. Imagine si j'avais parlé du chaton, ça aurait gâché la surprise!" Il affichait un air un peu boudeur avant de se tourner vers elle, les sourcils toujours froncés. "J'ai rêvé que je me faisais faire un tatouage Buzz l'Éclair." lâcha-t-il finalement le plus sérieusement du monde. "Et tu peux te foutre de ma gueule maintenant si tu veux." Il enfonça ses mains dans ses poches. S'il avait eu un caillou devant les pieds il aurait sans doute avancé de quelques pas en shootant dedans. Il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'il avait déjà dit dans son sommeil et qu'elle aurait possiblement entendu sans le lui dire le lendemain matin.


En réalité, il y avait bien un nouveau tatouage que Donovan avait envie de se faire et il avait même commencé à le dessiner mais pour l'instant il n'en avait parlé à personne, pas même à Jagger. C'était un truc un peu privé et il avait besoin de conserver certaines choses juste pour lui. Ce n'était certainement pas contre elle, ni parce qu'il n'avait pas envie de partager ça avec, mais c'était l'un des moyens qu'il avait choisi pour extérioriser les sentiments qu'il avait connu récemment, et il avait besoin de le faire seul. Il lui montrerait sans doute le produit fini avant de se le faire tatouer, mais pas avant. "Bon. J'ai réfléchi avec le chat et on a pas d'idée sur comment l'appeler. Du coup, t'as qu'à laissé libre cours à ton imagination. Par pitié, tu ne l'appelles pas Vodka, s'il te plait. Ça serait peut-être mignon les cinq premières minutes mais après ça serait carrément con. Imagine on le perd, tu te vois faire des affiches "Où est Vodka?! Aidez-nous à retrouver notre chat!"? Ouais, non…Pas moi! " Donovan tentait encore de garder une expression sérieuse mais en réalité il commençait à ravoir envie de sourire. "Je suis passé acheter deux trois trucs avant de rentrer, putain si tu voyais le nombre de conneries qu'ils ont pas inventé pour divertir les animaux!" Il y avait un air un peu coupable qui s'était emparé de son visage. "Je lui ai acheté une souris en peluche qui fait pouet-pouet." Un vrai gosse. Il tendit le bras pour caresser le chaton mais très vite ses mains atterrirent sur Jagger. Il avait envie d'avoir sa surprise lui aussi, merde. "En tous cas, je suis content de voir qu'il te plait. Et puis je me suis dit qu'il te tiendrait compagnie si jamais je dois m'éloigner un peu trop longtemps." Il avait dit ça machinalement, sans même y penser mais une fois que c'était sorti, il réalisait que c'était un peu trop ambigu. En plus, il savait bien que Jagger pouvait tout à fait vivre sans lui mais vu les derniers jours qu'ils avaient passé, il savait aussi qu'elle avait besoin d'affection malgré tout ce qu'elle voudrait bien dire. Donovan releva les yeux vers l'endroit où il avait pris le vase qu'il avait brisé lors de sa confrontation avec Jagger après avoir reçu et lu la lettre du corbeau. "Faudrait que je dise un truc…" Autant profiter d'un moment où elle était vraiment heureuse pour lui parler du fait qu'il allait peut-être ou peut-être pas se rendre à Chicago d'ici quelques jours. Par où commencer? Il n'en était pas très sûr. "Enfin, en fait non… Enfin, si… J'ai un truc à te dire mais ça peut attendre. Je devrais peut-être aller chercher les jouets du chat avant!" Et voilà qu'il essayait de se défiler. Ah Donovan, Donovan.

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger Empty
MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyDim 4 Mai 2014 - 14:09

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



Cookie, Milk, Ruby, Rudolf et Angie. Non, ceci n’était pas une liste des courses un petit peu douteuse - il s’agissait simplement des noms des trois chats et des deux chiens anciennement détenus par la famille Dickens, aux premières années passées par celle-ci à Huntington Beach. Cookie et Milk, deux chats de la même portée, et leur toute jeune comparse Ruby. Puis Rudolf et Angie, un bouvier bernois et un golden retriever qui avaient vaillamment accompagné la jeune femme dans ses premières aventures. Donovan n’en savait rien. Pour être honnête, il ne savait pas grand chose de son passé. Juste deux, trois choses qu’elle avait laissé tomber au détour d’une conversation. Bon sang - il n’était même pas au courant qu’elle avait été en couple pendant plus de six mois avec un certain Julian McNeal qui lui avait pourtant probablement déjà commandé du café au Hometown. Ce n’était pas tant qu’elle avait honte. Ce n’était même pas qu’elle n’aimait pas parler de son passé - franchement, elle avait eu une adolescence plutôt enviable dans son genre. C’était simplement que… c’était inutile. Donovan et elle, ils n’avaient été à l’origine que deux personnes dont les routes se croisent. Deux voyageurs. Qui raconte sa vie entière à un autre voyageur? Au fil du temps, simplement, les habitudes étaient restées. Ce qu’ils trouvaient dans l’instant leur suffisait, toujours, il n’y avait pas besoin de plus. Ils avaient tout juste parlé du plus grave - ce qui hantait les cauchemars de Donovan, surtout, et encore, seulement à un instant de crise, de violence. Le reste n’avait pas d’importance. Et puis depuis Memphis, ils avaient vécu de quoi remplir mille vies. Et demain, ils recommenceraient. Et après-demain encore.

Toujours était-il que ce mec là avait déniché par instinct l’un de ses points faibles. C’était un petit peu rageant, sur les bords, cette intuition qu’il avait systématiquement quand il s’agissait d’elle et de ses rares moments de sensibilité. Même au lit. Surtout au lit. A chaque fois, elle devait s’avouer vaincue - et dieu seul savait combien la chose était ignoble à ses yeux. Mais il savait. Toujours. Et à bien y réfléchir… peut-être qu’elle agissait de même avec lui. C’était peut-être un vice. Mais ensemble, ils n’avaient pas besoin de penser.


Jagger Monroe Dickens, 14 ans. Huntington Beach.

C’était une journée comme les autres. En été. Il faisait une chaleur terrible sur la ville - un été californien comme on n’en fait plus. Une adolescente noyée dans une grande chemise aux couleurs douteuses, probablement volée au plus jeune de ses deux pères, était misérablement vautrée sur le tapis du salon. Sa tête reposait sur le dos de Angie, valeureuse chienne qui n’avait probablement rien demandé et rien vu venir dans cette histoire. Elle avait fini par s’accorder une minute de répit après avoir en vain tenté de convaincre Hendrix d’aller au cinéma avec elle, avoir essayé fumer un joint en douce avant de se faire attraper par sa mère (« attends au moins de rentrer au lycée, jeune fille! »), avoir lu les deux premières phrases d’un bouquin avant de se rendre compte que… ouais, ça la faisait toujours chier, et avoir posé toutes les questions de logistique sexuelle les plus gênantes imaginables à un John Dickens qui se demandait probablement encore quel dieu il avait offensé pour que la jumelle de la paire soit… bah soit Jagger. Une vieille cassette des Proclaimers tournait en fond sonore, bloquée sur sa « chanson préférée du moment » (I would walk 500 miles - qui commençait sincèrement à faire péter un plomb à l’ensemble de la famille, mais bon, la culture musicale, c’est important!). Elle lorgnait du coin de l’oeil le téléphone, mais sa volonté de téléphoner à Lyana ou à Julian pour les convaincre de sortir aller boire un lait-fraise (non, elle aurait tenté de convaincre le serveur de foutre un peu de bière à la place du lait, fallait pas déconner non plus) entrait sérieusement en conflit avec une incommensurable flemme de se traîner jusqu’à ce putain de poste fixe. Restait la gamine dans son costume de hippie vautrée à moitié sur sa chienne. Putain. Il faisait chaud - il faisait horriblement chaud, quand même. Elle ne l’aurait sûrement pas admis devant lui, mais elle comprenait plus ou moins la décision de son frère de rester cloitré dans le noir, dans sa chambre, tel le rat de bibliothèque qu’il était - c’étaient au moins quelques pas de moins à faire sous un soleil de plomb à avoir l’impression que ses bottes de l’armée allaient s’enfoncer dans le bitume. Sérieux. Comment avoir des vacances d’été crédibles en Californie?!
Elle ferma les yeux dans un grognement. Elle entendit et sentit Angie soupirer sous elle - pas une pour rattraper l’autre. Une sieste. Ca pouvait être cool, une sieste, aussi, non? Elle se réveillerait éventuellement à une heure où l’on pouvait s’agiter dans tous les sens sans mourir immédiatement d’une crise cardiaque. Ouais mais une sieste, ça allait à l’encontre de son code d’honneur… (« Dormir, c’est pour les faibles! ») Arf. Quand même. Elle essaya de se concentrer intensément sur l’idée de faire un petit somme - mais 1) c’était le pire moyen du monde pour s’endormir effectivement et 2) la concentration, ça n’avait jamais été son fort. Elle allait hurler bruyamment sa frustration quand elle fut interrompue par la voix (au beau milieu de sa mue, et c’était une source inépuisable de blagues en tout genre) de son frère jumeau qui tentait un « Jagger? » interrogatif (et vu qu’il muait, suivez un peu, cela donna un « Ja » très grave et un « gger » qui partait très curieusement dans les aigus). Elle ouvrit un oeil. Se redressa. Angie en profita pour s’enfuir et aller faire copine-copine avec sa liberté retrouvée. Elle brandit un poing vers elle pour crier « Traîtresse! ». Dans les faits, elle s’arrêta au « traî » quand elle vit ce que Hendrix tenait dans ses mains. Un chaton. Alors elle dit plus ou moins quelque chose qui devait ressembler à « Traî… oh mon dieu! ».
Il s’agissait de celle qu’ils nommeraient quelques heures plus tard Ruby, d’un commun accord et sur une chanson des Rolling Stones - peut-être en hommage à Angie qui avait passé de longues minutes d’impatience à servir de coussin à sa maîtresse et qui tenait également son nom d’une chanson des Rolling Stones. Cookie et Milk mirent un peu de temps à l’accepter, mais dès lors qu’ils l’identifièrent comme femelle tout alla beaucoup mieux (allez savoir pourquoi… les abeilles et les fleurs… la petite graine… tout ça tout ça…). Rudolf et Angie soupirèrent en coeur. Ginger, John et Milan haussèrent un sourcil avant de passer ce énième caprice des jumeaux démoniaques et leurs grands yeux de biches. Ruby. « Don't question why she needs to be so free, she’ll tell you it's the only way to be, she just can't be chained to a life where nothings gained… goodbye Ruby Tuesday! » qu’ils braillèrent ensemble à l’occasion d’un mini-baptême improvisé. Jagger ne savait pas encore vraiment qu’un de ces jours ces mots s’appliqueraient presque exactement à elle.



Et pourtant, Donovan.
Donovan qui touchait toujours les cordes sensibles, et qui la regardait avec son sourire d’enfant. Donovan qui n’arrêtait pas de parler alors qu’elle berçait doucement le petit chat, presque nerveux et terriblement heureux de voir qu’il avait encore fait mouche (connard, sérieusement, connard!). Vraiment, un vrai moulin à parole ce type. Elle ne l’écoutait que d’une oreille mais capta grosso-modo les informations importantes - elle ne devait surtout pas appeler ce chat Vodka (tant mieux, elle était plutôt whisky - pour le coup c’était mal la connaître!), il avait craqué comme une fashionista le jour des soldes sur plusieurs jouets stupides pour chats, et qu’il devait… s’éloigner un peu trop longtemps? Elle releva la tête, les sourcils légèrement froncés. Tout en s’efforçant, encore, de ne pas avoir l’air du genre de cruche qu’elle haïssait, et en se répétant comme un mantra: « ok gars, vis ta vie, va faire un tour comme ça je pourrais bouffer tranquille tous les milky way », mais en n’y croyant qu’à moitié. Ce n’était pas tant qu’elle était jalouse, ou possessive (qui c’est qui tapait dans les poubelles?). Simplement que… c’était plutôt son genre à elle de se tailler à l’improviste, alors là mine de rien il l’inquiétait légèrement. Cet homme là la prenait dans ses bras au milieu de la nuit et grognait parce qu’il n’avait pas réussi à s’endormir avant qu’elle ne le rejoigne. Il ne pouvait pas rester éloignée d’elle sans ressentir le besoin pressant de la rejoindre sous la douche et donc de l’obliger à reprendre une douche dans la foulée. Il se sentait obligé de venir s’enrouler autour d’elle quand elle tentait de faire la cuisine, malgré l’odeur toujours horrible du plat en cours (ou alors c’était une tentative de l’éloigner de l’arme du crime et de l’intoxication alimentaire en devenir, tiens, elle n’avait jamais vu les choses comme ça et pourtant c’était pas con). Pas du tout le genre à se casser inopinément pour faire un petit tour de quelques semaines en solo, quoi, quand il l’avait à disposition. Alors oui, quand il annonça qu’il avait un truc à lui dire elle ne fut qu’à moitié surprise. Et quand il se défila presque aussitôt bah… elle ne fut pas vraiment surprise non plus. L’art de la diversion. Probablement leur plus grand point commun, quand on y pensait.
Il y avait distinctement inscrit dans son regard les mots « Mec, je sais très bien à quoi tu joues là tout de suite, on me la fait pas à moi » quand il sortit momentanément de la maison pour récupérer ses (honteux) paquets de jouets pour chats. Mais ses yeux retombèrent sur l’animal. Elle sourit. La petite boule de poils rousse avait fini par se faire une place plutôt confortable dans les bras de sa nouvelle maîtresse et ronronnait maintenant avec un peu plus d’assurance. Elle ne l’avouerait probablement jamais, mais elle ne put résister à l’envie de le gratter entre les oreilles en articulant une suite de syllabes insensées qui devaient ressembler plus ou moins à « rougnougnoudioudiou », avant de se racler la gorge et de regarder nerveusement autour d’elle. Hum. Bref. Elle savait déjà comment ce nouveau venu s’appellerait. Et non, il n’hériterait pas d’un énième nom tiré d’une chanson des Rolling Stones - entre le chat, le chien, une armée de poissons rouges, deux escargots et un bernard l’hermite, les jumeaux Dickens avaient probablement fini par épuiser le filon de toutes façons. Pour ainsi dire, le nom coulait sous le sens. Déjà, elle ne pouvait plus penser au chaton sous un autre titre. Et tant pis si c’était mièvre à souhait - tant pis, si Donovan aurait alors une bonne raison de se moquer d’elle. Il lui fallait être sincère. Quand l’homme poussa à nouveau la porte, quand même lourdement chargé pour ce qui n’était censé être que des jouets pour un animal de compagnie, elle eut un léger sourire. Et doucement, elle dit: « Memphis. »
Elle releva les yeux vers lui. « Il s’appelle Memphis. ». Memphis comme la jeune femme en short et chemise qui s’emmerde sévère dans le musée à la gloire d’Elvis Presley. Memphis comme le grand type qui lui tend la main, avec ses boucles brunes, son vieux blouson, et qui ne la croit pas quand elle lui dit son nom. Memphis comme les bouteilles de bière à pas cher sur le bord du fleuve, Memphis comme les cigarettes. Memphis comme le premier baiser, Memphis comme deux corps qui s’enflamment. Memphis comme la nuit, Memphis comme le jour, Memphis comme « Ca te dirait, de me suivre un peu? ». Memphis comme « Oui. ». Elle fuit son regard. Putain. De. Mièvrerie. De. Merde. Fait. Chier. Elle aurait bien voulu enfoncer ses mains dans ses poches pour appuyer toute sa gêne dans une telle situation, mais ouais, c’est vrai, elle n’avait pas mis de pantalon, et en prime ses mains étaient prises. Riches idées. Alors elle se contenta de singer les mots qu’il avait pu prononcer tout à l’heure, et en imitant son accent elle grogna: « Et tu peux te foutre de ma gueule maintenant si tu veux. ». Elle lui tourna le dos pour faire quelques pas jusqu’au salon, où elle s’installa prudemment sur le canapé, le précieux paquet toujours dans ses bras. A nouveau, elle ne put s’empêcher de sourire quand elle y déposa Memphis (oui, c’est plus ou moins décidé) et que celui-ci tente d’y prendre ses marques, avant de revenir se blottir contre elle. Tiens, ça lui rappelait quelqu’un. Au hasard, Donovan. Elle posa son coude sur le dos du canapé et se retourna vers lui, et comme pour faire diversion ajouta: « Et crois pas que je t’ai pas entendu… Sérieux, un tatouage Buzz l’Eclair? » Elle rit, puis planta très sérieusement ses yeux dans les siens: « Over my dead body, Donovan. ».
Il y aurait eu autre chose à dire. Comme « tu crois que je t’ai pas entendu? tu as quelque chose à me dire, et ça te tracasse. ». Mais elle n’avait sûrement pas gagné le prix de l’épouse modèle qui accueille son mari rentrant du boulot en lui massant les épaules, en lui retirant ses chaussures pour lui enfiler ses charentaises, et en lui demandant comment s’est passée sa journée au boulot - merci bien, alors elle ne dit rien. Peut-être aussi, surtout, parce que ça l’inquiéait. Peut-être parce que l’ennui la guettait à chaque seconde, et qu’avec l’ennui venaient les pensées qui faisaient mal. Peut-être parce que chaque seconde passée loin de cet homme, sans se faire la guerre et sans se faire l’amour, amenait à son esprit son lot de douleur. Alors non, elle n’avait pas réellement envie qu’il s’en aille. Quelle que soit la raison. Pas envie de se retrouver seule dans le grand lit et de sentir le froid, de voir le sang, de se rappeler le regard du médecin, lourd, sur elle, quand il avait « Ca sera bientôt fini ». L’envie brutale de répondre « « Ca » quoi? Mon bébé? ».
Son regard s’était considérablement assombri. Elle se rendit tout à coup compte qu’elle n’avait pas détourné les yeux de ceux de Donovan. Hendrix revient bientôt, se dit-elle. Mais Hendrix ne savait pas. Ally non plus. Personne ne savait. Elle posa doucement sa main sur la tête du chaton - qui s’y nicha doucement. A nouveau, s’arracha au regard de Donovan. Lui tourna le dos.
« Allez. Fais péter la souris en peluche qui fait pouet-pouet, je sais que t’en crèves d’envie. » dit-elle avec un sourire un peu triste. Se rattacher à l’instant. Elle avait toujours été très forte, pour se rattacher à l’instant. Mais la perspective de se retrouver seule à nouveau avait quelque chose de profondément insurmontable… alors sa voix sonnait légèrement brisée, légèrement différente de sa voix ordinaire. Tant pis. Se rattacher à l’idée que Donovan était comme un gamin de cinq ans qui a acheté plein, plein de jouets pour son premier animal de compagnie lui semblait une bonne solution pour vite arrêter de penser aux instants qui lui avaient brisé le coeur - même si ce n’était peut-être là que la facilité. « Donovan. Tu sais que j’avais trois chats et deux chiens quand j’étais gamine, et que j’ai jamais osé leur faire le coup de la souris en peluche qui fait pouet-pouet? » Probablement que Milan, le père écolo du lot, lui aurait fait un long discours sur les enfants du tiers monde « employés » pour faire ce genre de conneries pour les animaux de compagnie des bourgeois occidentaux, et que rien ne valait mieux qu’un bon vieux jouet maison cent pour cent à base de matériaux respectueux de l’environnement. Et probablement qu’elle ne l’aurait écouté que d’une oreille. Comme toujours. Mais pour la forme, elle jeta un regard appuyé et sarcastique à son compagnon - oui, juste pour faire chier. « Cela dit, c’est presque mignon. » ajouta-t-elle après un silence. Il fallait bien concéder ça. Alerte attendrissement. Alerte. Alerte. Son attention se reporta à nouveau sur Memphis, qui décidément allait pouvoir servir de très bon alibi - diversion. Elle sourit légèrement, encore une fois. La tristesse était cette fois-ci moins perceptible. « Allez, viens par là. » finit-elle par dire à Donovan. « Memphis et moi t’acceptons sur ce canapé. » Clin d’oeil - elle n’en finissait jamais de se foutre des tendances (grosses tendances) à la jalousie de l’autre homme, et la titillait de temps à autres parce que les choses finissaient régulièrement très, très bien au lit. Et au lit, au moins, elle ne pensait plus à rien de douloureux. Sauf pratiques sexuelles déviantes. Non, plus rien de douloureux. Plus aucune raison de se torturer l’esprit. De ressasser ces heures.
Marley.
Dans un autre monde, une autre vie, idéale, ce n’aurait pas été un jouet stupide qu’il aurait acheté à un chat. Non. Il se serait disputé avec Jagger pour offrir une poupée à leur fille et Jagger aurait refusé tout net que leur enfant se conforme aux dictats de la société de consommation quant à l’identité sociale de leur bébé. Donovan aurait craqué. Marley aurait eu un modèle miniature d’avion de ligne. Marley aurait fait la gueule. Alors Jagger lui aurait acheté une poupée aussi, parce que au moins elle aurait été certaine que ça ne serait pas un désir dicté seulement par la société de consommation. Et la petite fille se serait installée aux côtés de sa mère sur le grand canapé et toutes les deux auraient nargué le père en réfléchissant à haute voix quant à l’éventuelle permission de le laisser s’installer aussi.  Mais ce n’était pas cet autre monde. Ce n’était pas cette autre vie. Rien n’était idéal. Mais il y avait ce tout petit animal qui se nichait contre elle, comme s’il l’avait reconnue immédiatement. Et Donovan était là. A portée de main. Toujours là. Tout faisait mal - mais curieusement, quelque part, tout allait bien. C’était déjà ça.

Mais ces mots tournaient dans sa tête. « Si jamais je dois m’éloigner un peu trop longtemps ». Sa bouche était hermétiquement close - mais elle ne pouvait s’empêcher d’y penser. Encore. Et encore. Peu importaient les diversions. Maintenant, les mots la hantaient. Comme tant d’autres choses.

Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)

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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyMar 13 Mai 2014 - 4:20

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


Il était sorti pour échapper à cette confidence qu'il devait pourtant lui faire. Il savait bien qu'éventuellement, il devrait lui en parler et que le temps étant compté, il n'allait pas pouvoir continuer à ignorer cette histoire encore très longtemps. Donovan avait laissé le chaton avec Jagger, ou l'inverse. Jagger avec le chaton. Peu importe. Les mains dans les poches, il traina des pieds jusqu'à sa voiture. Avant de l'ouvrir pour s'emparer des paquets qu'ils avait déposé à l'arrière, il pris appuis sur le toit du véhicule et laissa tomber son front sur ses bras. Putain. Pourquoi devait-il rendre tout ça compliqué? Il n'y avait pas de raison. Il n'avait qu'à dire à Jagger la vérité, tout simplement. Que son père était malade, qu'il n'en avait plus pour longtemps et qu'il demandait à le voir. Il pourrait aussi ajouter qu'il n'était pas vraiment décidé quant à savoir si oui ou non il allait accepter de se rendre à son chevet mais qu'il ressentait malgré tout un énorme besoin de retourner à Chicago. Il ne serait sans doute pas obligé de rentrer dans les détails s'il n'en avait pas envie, d'ailleurs rien ne disait que Jagger lui poserait des questions. Elle n'était pas du genre à poser des questions. Et si malgré tout elle décidait d'en poser, que dirait-il? Elle avait elle-même ressenti le besoin de rentrer chez elle, et c'était bien pour ça qu'ils étaient tous les deux à Huntington. Elle pouvait comprendre. Mais le pouvait-elle vraiment? Jagger avait sans doute de très bons souvenirs ici, des souvenirs d'une enfance heureuse, de parents aimants, d'un frère présent et d'amis importants qui comptaient pour elle. Et lui, qu'avait-il à Chicago? Un lot de regrets, des histoires peu glorieuses, le souvenir des larmes et du sang. Son soi-disant "chez lui" n'évoquait rien de joyeux. Pourtant, il y avait bien quelques personnes à qui il tenait encore. Jess et Lucy par exemple. Il y avait aussi la famille de Jack. Donovan n'avait certainement pas oublié ces gens-là. Ceux qui avaient compté pour lui. Il leur envoyait encore des lettres, des cartes postales surtout, pour montrer aux enfants de ses amis disparus où leur tonton Dono avait posé ses valises. Il y joignait parfois un peu d'argent. Et à de rares occasions, il leur téléphonait. Ils étaient tous encore tellement ancrés dans son coeur, et même s'il ne pouvait pas les voir parce que c'était trop difficile, il pensait à eux chaque jour. En dehors de ça, Chicago ressemblait dans sa tête à un énorme tunnel rempli de fumée noire. À chaque fois qu'il osait y songer un peu trop longtemps, il redevenait ce gamin qui erre dans les rues, qui joue au gros dur mais qui au fond de lui a une peur bleue de ce que sera demain. Il en voulait encore tellement à son père, sa colère n'avait jamais été apaisée, et il doutait franchement qu'elle le soit un jour. Il s'imaginait vivre avec pour toujours. Il n'était qu'un gosse qu'on aurait dû protéger mais au lieu de ça, on l'avait traité comme un moins que rien, on lui avait mis en tête qu'il n'était pas assez bien et que quoi qu'il arrive toute sa vie ne serait qu'une succession d'échecs plus terribles les uns que les autres. On lui avait enseigné que la vie n'était pas belle et que c'était à peine mieux que d'être mort. Lorsqu'il était enfant, Donovan observait son père partir travailler, puis rentrer chez eux pour boire comme un trou. Il croyait que c'était ça qu'on appelait vivre. Plus les années avaient passé et plus il avait fini par se laisser convaincre qu'une sorte de malédiction s'était abattue sur sa famille. Il n'arrivait pas à comprendre tout ces gens qui avaient l'air heureux, et quand on lui parlait de bonheur et de douceur de vivre, de petits plaisirs, il riait comme un crétin parce qu'il n'avait aucune idée de ce que c'était. Il n'était pas heureux et les gens autour de lui ne l'étaient pas non plus. Maintenant, il savait que c'était faux et il savait qu'il était plus fort que tout ça. Plus fort que la peur, plus fort que la peine, plus fort que la perte. Donovan releva la tête et s'écarta à nouveau de la voiture pour ouvrir la portière et attraper les jouets et les autres babioles qu'il avait acheté pour le chat. Il souriait en voyant toutes ces conneries, Jagger allait sans doute trouver que c'était un peu abusé d'avoir dépensé autant dans ces merdes pour un tout petit chaton mais tant pis. Les bras chargés, il avait pris une dernière inspiration histoire de se ressaisir un peu et d'afficher un visage plus rassurant que celui qu'il avait eu ces dernières minutes. Il franchit à nouveau la porte de l'entrée. Il n'eut pas le temps de tout poser qu'il entendit Jagger prononcer le nom de la ville dans laquelle ils s'étaient rencontrés. Il la fixait, immobile, et elle indiqua qu'il s'agissait du prénom qu'elle avait choisi pour le chat. Donovan déposa ce qu'il avait dans les bras sur le sol et resta encore immobile quelques instants. Memphis. Ouais… Ça sonnait pas trop mal. Et même s'il n'allait pas l'avouer à voix haute, ça lui faisait carrément plaisir qu'elle l'appelle comme ça. Ça avait au moins l'avantage d'avoir du sens pour eux deux. "Va pour Memphis." finit-il par dire avec un certain détachement pour ne pas trop lui montrer qu'il était touché par ce choix. Jagger avait repris la parole avec un accent un peu bizarre pour répéter ce qu'il avait dit plus tôt à propos de son rêve avec le tatouage de Buzz. Il leva les yeux au ciel en comprenant que l'accent bizarre était en fait une tentative d'imitation. "J'ai pas envie de me foutre de ta gueule à propos du prénom du chat, par contre laisse-moi te dire que tu m'imites très mal et que ce que tu viens de faire là, c'est une insulte aux habitants de Chi-town." Doucement mais sûrement, ils avaient recommencé à s'envoyer des piques, à se chamailler, à agir comme ils l'avaient toujours fait, et même si elle le rendait parfois complètement fou, il aimait bien voir qu'elle n'avait rien perdu de son mordant. Le tatouage Buzz l'Éclair, il ne savait pas pourquoi il le lui avait dit… Il aurait mieux fait de la fermer et de faire comme s'il ne se souvenait pas de son rêve. En l'entendant dire "Over my dead body", il fronça des sourcils. "Juste parce que je l'ai rêvé ne veut pas dire que je veux vraiment ce genre de tatouage complètement con." Ouh. Il était à deux doigts d'être vexé parce que oui, peut-être qu'un jour alors qu'il n'était qu'un très jeune pompier sans une très grosse cervelle, il avait vraiment envisagé ce tatouage débile. Et alors? Bien sûr, il lui avait dit qu'elle pouvait se foutre de sa gueule, mais il avait espéré qu'elle s'abstiendrait. C'était mal la connaitre, évidement. "T'façon, je fais ce que je veux avec mon corps." lâcha-t-il un peu à la manière d'un ado en pleine crise de rébellion contre le pouvoir parental. "Fuck you. Je suis majeur et vacciné, je fais ce que je veux." C'était ça à peu de chose près. Il baissa les yeux sur les jouets du chat, et si au lieu de parler ils commençaient à divertir le matou? Ce serait sans doute beaucoup plus amusant pour lui que de se faire tourner en ridicule par Jagger. Lorsqu'il releva la tête, Jagger le regardait et elle semblait partie ailleurs le temps de quelques secondes qui parurent quand même très longues. Son visage à lui s'adoucit soudainement. Elle avait l'air inquiète et même si elle venait de se moquer ouvertement de lui, il n'était pas si rancunier que ça et surtout, il savait qu'au fond c'était simplement un jeu, mais ce regard qu'elle affichait… C'était tout sauf un jeu. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, parce qu'il savait qu'il devait dire un truc. Vite. Il fallait qu'il la divertisse encore, qu'il lui ôte toute pensée parasite de l'esprit, qu'il lui donne matière à le singer si ça pouvait lui faire plaisir. Il était prêt à tout pour ne pas croiser ce regard bien trop sérieux à nouveau. Pour être honnête, elle lui faisait peur quand elle le regardait comme ça et dernièrement, ça lui arrivait souvent. 

Assise sur le canapé, il l'observait se détourner. Si elle avait décidé de ne plus le regarder, il n'arrivait pas à en faire autant. Il n'avait même pas réagi lorsqu'elle lui dit qu'il pouvait sortir la souris pour Memphis. Il aurait pu relever le "Je sais que t'en crèves d'envie" mais il était ailleurs. Encore. Il imaginait les yeux tristes de Jagger de l'autre côté de ce dos qui lui faisait face. Être impuissant, c'était le plus difficile à supporter. Elle n'arrivait pas à le duper. Il savait. Et elle pouvait se tourner autant qu'elle le voudrait, il saurait toujours. Un instant de silence. Et puis il secoua la tête, et se pencha pour attraper la fameuse souris. Il la fixa avec dégoût, parce que même si c'était une peluche il trouvait ça répugnant. Pourquoi avait-il choisi ce jouet-là d'ailleurs? "Toi, t'avais trois chats?" Il feignit un rire moqueur avant d'ajouter: "Pauvres bêtes.". Il ne s'étonnait même plus de la facilité avec laquelle il arrivait à passer de ces moments d'inquiétude pour elle aux moments où il la taquinait. C'était devenu plutôt simple, mais terriblement fatiguant, il fallait bien l'avouer. Il appuya soudainement sur le jouet qu'il avait à la main et un couinement étonnement aigu résonna dans la pièce. Donovan laissa échapper un petit rire. C'était puéril, mais il trouvait ça marrant. "Je t'ai offert un chat seulement parce que je sais que je serai là pour superviser la chose. Je te connais bien, tu serais du genre à oublier de le nourrir ou à pas nettoyer ses merdes et tout et tout et quelques jours plus tard faudrait payer un véto la peau du cul parce que Madame a fait n'importe quoi." Mais presque instantanément il regretta d'avoir dit ça. Parce que certes, il parlait là d'un animal, mais s'il y avait eu Marley… Il savait qu'elle aurait été responsable et que Jagger se serait occupée du bébé avec le plus grand soin. Il se sentait bête d'avoir insinué qu'elle était incapable de s'occuper d'un petit être dépendant entièrement d'elle. Comparer leur enfant à un chat, ce n'était pas très délicat, mais s'il y avait pensé, elle y penserait sans doute aussi. Il chassa tout ça de son esprit, pour l'écouter. Mignon qu'elle disait. Pff. "C'est pas mignon." Il recommençait à froncer les sourcils en croyant qu'elle se moquait à nouveau de lui."Je veux pas que le chat s'ennuie, c'est tout. Et puis s'il peut s'acharner sur ces petits truc-là plutôt que sur tes affaires, les miennes ou celle de ton frère, c'est pas plus mal. Les coups de griffes et tout, ça peut abîmer des choses dans la maison, non? Bah j'ai juste voulu anticiper un peu." Il haussa les épaules. "Y'a vraiment rien de mignon là dedans." Il appuya sans le vouloir sur la souris dont le couinement se fit entendre une seconde fois. Et il rigola, encore. 

Jagger l'invita alors à la rejoindre ou plutôt à les rejoindre sur le canapé mais pas de la bonne manière visiblement car à peine lui avait-elle lancé un clin d'oeil taquin qu'il brandit la souris en l'air et la balança droit sur elle. Elle se la prit en plein dans la figure et il resta planta là, fier de son coup et en même temps un peu effrayé des représailles qui l'attendaient. "Moi et mon cul on a pas envie de s'asseoir avec vous." Annonça-t-il en allant s'écraser dans le fauteuil juste en face. Il lança un regard noir au chaton qui semblait le narguer, bien installé contre Jagger. Donovan avait soudainement oublié pourquoi diable, il avait pensé que ce serait une bonne idée d'offrir une boule de poils à cette fille. En revanche, ce qu'il n'avait pas oublié c'était que lui-même avait pratiquement dû se mettre à genoux pour qu'elle l'accepte à nouveau dans sa vie, mais ce foutu chat, elle n'avait même pas besoin de plus de dix minutes pour l'aimer et le chérir comme s'il était la chose la plus précieuse qu'elle possédait. Tu parles d'une putain d'injustice à la con. Qu'est-ce que Memphis avait de plus que lui? Des poils. Oui, bon… D'accord. Il était adorable. Mais ce n'était quand même pas une raison. Donovan aussi aimait bien les caresses derrière les oreilles et les gratouilles sur le haut de la tête. Et surtout, il aimait bien les câlins avec Jagger. Pourtant, il regrettait un peu d'avoir balancé la souris sur elle, et de s'être assis en face au lieu de s'asseoir à côté. Il aurait pu s'étendre de tout son long sur le canapé, il lui aurait peut-être même mis ses pieds sous le nez juste pour la faire chier, mais ensuite il aurait pu glisser ses doigts sur ses jambes nues et il aurait remonté petit à petit, très doucement… Les yeux rivés sur le corps de la femme qu'il désirait tellement, il la trouvait parfaite. Physiquement en tous cas. Niveau caractère, c'était discutable. Perdu dans ses fantasmes sur les jambes de Jagger, il ne vit pas venir le retour de peluche qu'il se prit à son tour en plein visage. "Aïe!" hurla-t-il, pas du tout exagéré et oubliant complètement qu'il avait été le premier à jeter la chose sur elle.


Ils se regardaient tous les deux (tous les trois), un air de défiance sur le visage. Le silence s'était installé pour laisser place à un jeu auquel ils ne pouvaient jouer qu'avec les yeux. Au bout d'un moment Donovan décida de rompre le silence."Je suis jaloux d'un putain de chat." Il secoua la tête. "Je suis con.". Ses yeux quittèrent Jagger et Memphis pour atterrir sur le sol. Un sentiment soudain de culpabilité s'empara de lui mais ce n'était pas juste le chat, c'était aussi cette autre chose qu'il avait commencé à introduire mais qu'il avait été incapable de formuler clairement parce que pas assez courageux. "Je suis vraiment con." Le ton de sa voix se faisait plus grave, et il avait pris un air beaucoup plus sérieux. Il releva la tête, et c'était à son tour d'avoir les yeux remplis de tristesse. Il avait l'impression d'être un putain de bipolaire qui pleure et qui rigole sans savoir pourquoi. En réalité, la tristesse ne l'avait jamais vraiment quitté, et chaque fois qu'il souriait face à elle c'était simplement une façade. "Pardon." Un silence à nouveau. Elle ne devait pas très bien comprendre ce qu'il lui prenait encore, lui-même ne comprenait pas pourquoi il était si compliqué. "Je n'aurais pas choisi mieux que Memphis comme prénom, ça lui va comme un gant. Et je suis désolé d'avoir laissé entendre que tu n'étais pas assez responsable pour t'en occuper… Je ne voulais pas dire que… enfin… Tu sais." Il ne voulait pas dire qu'elle n'aurait pas été une bonne mère par exemple, et ce n'était pas ce qu'il avait voulu insinuer non plus au moment où il l'avait dit mais indirectement il avait eu peur que ce soit ce qu'elle avait compris alors il préférait demander pardon pour ça également. "Excuse-moi aussi de t'avoir balancé la peluche à la gueule." Il n'avait plus l'air très solide tout à coup, il ressemblait trait pour trait à ce petit garçon que son père secouait un peu trop brutalement, lui laissant toujours des bleus impressionnants sur les bras à force de serrer trop fort, et il avait de toute façon l'impression d'être cet enfant à nouveau quand il s'entendit dire: "Mon père va mourir.".

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyMar 24 Juin 2014 - 22:13

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Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



Toute sa vie, Jagger avait lutté pour avoir ce qu’elle voulait. Elle l’avait obtenu. Il n’y avait pas grand chose que l’univers ait pu lui refuser - la route, la liberté, son indépendance. En quelques années, elle avait respiré plus de grand air que d’autres n’en respirent pendant une vie. Pour être honnête, elle avait été la reine du monde. Debout au bord du grand canyon, les pieds fermement ancrés au sol, les bras en croix et le coeur au vent. La vie avait cédé à chacun de ses caprices d’enfant. Alors, avant, elle se levait le matin, et tout était facile. Elle ouvrait en grand les fenêtres du van, le jour était beau, elle allumait une cigarette, enfilait un t-shirt, et elle prenait le volant. Simplement. Pour ailleurs - pour voir les merveilles du jour, ses merdes aussi, tout, elle prenait tout, elle s’en abreuvait, parce que c’était ce qu’elle avait toujours intensément désiré. A cette époque où Donovan était sur la route avec elle, encore, elle savourait la sensation sublime de tout avoir. Elle le réveillait à la chaleur de son corps quand l’aube pointait, ils partageaient une bière parce que merde, c’est toujours l’heure de l’apéro quelque part, ils se foutaient sur la gueule, parfois, se réconciliaient, toujours. Et à nouveau la route, parce que c’était cela l’important. Vivre. Laisser libre cours à une véritable boulimie de sensations. Jagger avait toute entière été forgée par l’immédiateté. Elle voulait aller à tel endroit - et bien elle y allait. Simplement. Elle voulait embrasser cet homme qui l’enlaçait la nuit. Et bien elle l’embrassait. Simplement. Mais à trop vivre dans l’instant, elle avait oublié qu’au-delà de ce qu’elle désirait, il y avait ce dont elle avait besoin.

Ce dont elle avait besoin, elle ne l’avait jamais vraiment obtenu. Besoin de rentrer à la maison. Besoin de quelques repères quand la route se faisait trop longue. Besoin d’un lendemain, d’une certitude, pour savoir que quelqu’un l’attendrait quand elle ne pourrait plus vivre à ce rythme. Besoin de tenir son enfant dans ses bras, de voir Marley grandir et de se dire que pour une fois elle avait su construire. Elle avait pris la route pour retrouver son foyer, suivi les lignes blanches, les lumières et l’instinct. Elle avait pris la route parce que le besoin de retrouver les visages aimants s’était présenté, violent, et cruel. Mais cette fois-ci le destin lui avait refusé cette faveur. Elle n’avait trouvé que la mort.

Et puis Donovan.

Quelqu’un vers qui se tourner quand elle ne savait plus quoi faire pour lutter. Quelqu’un pour lui sourire, et lui dire que tout allait bien. Quelqu’un pour, méthodiquement, ramasser tous les morceaux de ce qu’elle avait été - et reconstruire. Quand il était là, elle sentait qu’elle était presque entière. Il lui faisait oublier ce vide terrible dans son ventre et dans son coeur. Un corps pour l’entourer quand elle sentait que le sien se glaçait. Un regard à croiser pour se dire que la vie continuait quand même. Et pour la toute première fois de sa vie, elle avait l’impression que le monde lui donnait une chose dont elle avait besoin. Une maison. Un repère. Un lendemain. Une certitude. L’admettre? Pas encore. Peut-être jamais - elle n’en savait trop rien.

Qui aurait pu savoir?


Jagger Dickens et Donovan Halvey. Houston, Texas.

C’était peut-être deux mois après le début du voyage. Le voyage à deux. Enfin à l’époque, elle n’aurait certainement pas présenté les choses comme ça. Depuis le temps, elle en avait plus ou moins pris l’habitude. Houston, Texas. Il faisait une chaleur terrible sur la ville, et pourtant la nuit était déjà tombée. Enfin c’était peut-être parce qu’ils étaient enfermés dans ce qui semblait être une cave, bruyante, avec des tonnes d’autres personnes. Une boîte de nuit, concrètement. Ils n’avaient pas grand chose d’autre à faire ce soir là. Et puis Jagger avait commencé à s’agiter dangereusement dans le van et à pousser des rugissements qui devaient plus ou moins signifier qu’elle s’ennuyait. Alors ils étaient sortis. Et puis ils avaient vu de la lumière. Alors ils étaient entrés.

Et ils étaient sévèrement entamés. Mettez cela sur le compte du joint qu’ils avaient fumé avant. Ou parce qu’ils avaient décidé de se la jouer « gastronomie » locale en enchaînants des verres de bourbon Garrison Brothers. En tous cas, à un moment ou à un autre, il était rentré dans le club ce grand type avec sa barbe de trois (quatre, cinq, peut-être même six) jours et ce tout petit brin de femme en robe noire, et qu’à partir de là il avait été difficile de les rater. Elle parlait fort, et mal, souriait beaucoup, racontait à peu près n’importe quoi avec n’importe qui, et attirait nécessairement les regards. Lui, il ignorait à peu près tout ceux (surtout celles, en fait) qui l’approchaient et semblait la couver constamment du sien. Elle était dans son élément. Lui, il semblait qu’elle était son élément. Une, deux, trois heures s’écoulèrent à ce rythme. Ils avaient apparemment décidé de ralentir un peu sur le bourbon, et enchaînaient sans vergogne les verres de bière. Au grand malheur de Donovan, Jagger s’en était vu offrir beaucoup. Il gardait ses distances, avec l’air d’un homme qui essaye de contenir sa rage. A un moment, il n’avait simplement plus pu.

Elle s’était laissée entraîner sur la piste par une espèce de grand conna… blond. Il s’était adossé au bar, et assumait pleinement le fait qu’il était en train de surveiller tous ses faits et gestes. Et ce qu’il voyait… ne lui plaisait pas vraiment. Surtout quand elle ferma les yeux et que l’autre type lui murmura quelque chose à l’oreille qui la fit rire. Il serra le poing. Elle le savait. Honnêtement, elle ne pouvait pas nier qu’elle avait remarqué son attitude. Prenez cela pour de la cruauté. Elle pensait surtout que Donovan Halvey était une passade, une putain de passade, et qu’il fallait se rattacher à la liberté avant de se faire enfermer. Et vite. Elle était bornée, à l’époque - encore plus qu’aujourd’hui. Elle savait sa jalousie maladive, même s’il faisait plutôt un bon boulot en tentant de la cacher. Elle savait qu’il était un danger. Toujours fut-il qu’à un moment l’homme avec qui elle dansait s’écarta pour aller fumer une clope, et qu’elle retourna au bar pour prendre une nouvelle bière… et que Donovan avait disparu. Alors elle leva les yeux au ciel. Et poussa la porte de la boîte pour tomber nez à nez avec la dernière scène qu’elle aurait voulu voir: son partenaire de danse plaqué contre le mur, tenu à la gorge par monsieur Halvey en personne, un poing en suspension à quelques centimètres de son nez. Donovan parlait, mais pour être honnête elle choisit délibérément de ne pas écouter ce qu’il disait. Elle haussa juste un sourcil, croisa les bras, se racla bruyamment la gorge jusqu’à ce que les deux têtes se tournent vers elles, et elle glissa avec tout le sarcasme dont elle était capable: « …tu crois que tu fais quoi, là? ». Alors, il laissa retomber son poing. Bien. Déjà une bonne chose de faite. Et parce qu’il était probablement très, très entamé lui aussi, il dit cette phrase qui n’avait aucun rapport avec le contexte. Enfin si. Mais pas le contexte du moment précis. Ou très relativement: « Houston, nous avons un problème. ». « C’est toi qui a un putain de problème, Donovan. »

Inutile de le préciser, ils s’engueulèrent. C’était comme un prélude à ce qui allait se passer des mois plus tard au Penthouse - mais un prélude où les deux auraient été beaucoup trop déchirés pour aborder tous les sujets sensibles qu’ils abordèrent au Penthouse. Enfin, toujours est-il que les choses s’achevèrent sensiblement de la même manière. Quand ils poussèrent à nouveau la porte de la boîte, sa bouche à elle était rougie par les baisers, et ses boucles à lui sérieusement en désordre. Et ils firent la seule chose qu’il y avait à faire. Ils dansèrent. Ils dansèrent et ils ne se quittaient plus - elle était dos à lui, et il la tenait fermement tout contre elle, accordait chaque mouvement aux siens, la tête nichée dans le creux de son épaule. Un instant plus tôt, Jagger avait été furieuse. Et voilà que tout à coup le monde n’existait plus. Seulement la peau de Donovan. L’odeur de Donovan. Ses mains, grandes mains, posées de part et d’autre sur ses hanches, qui l’accompagnaient dans chaque balancement. La minute hors du temps se prolongea pendant bien une heure - et puis ils rentrèrent ensemble au van. S’arrêtant à chaque coin de rue pour s’embrasser comme d’autres se mordent. S’enlacer comme d’autres s’étouffent. Quelques jours encore allaient s’écouler avant la Nuit. Quelques semaines avant celle où elle poserait sa main sur son ventre et saluerait Marley. Avant que Donovan, au creux du sommeil, ne lui dise les trois mots qui, curieusement, ne firent pas si peur. Elle pensait encore que cela ne comptait pas, qu’il n’y avait là qu’une espèce de feu de paille. Elle ne voyait qu’un vague danger.

Pas encore le foyer. L’homme qui soutient dans la douleur - et qui donne le courage.


Ils n’avaient jamais cessé de marcher sur cette ligne étrange, entre la guerre et la passion. Un instant il lui offrait un chaton. L’instant suivant il se foutait de sa gueule après qu’elle se soit elle-même foutue de son accent - même si merde, il fallait avouer qu’elle avait été légitime sur ce coup, ce type aurait donné un sacré fil à retordre à n’importe quel orthophoniste. Le fameux « th » de la langue anglaise était réinventé au quotidien par la langue de Donovan Halvey. Et puis la conversation enchaîna avec le fameux tatouage Buzz l’Eclair qu’elle souhaitait ne jamais, ô grand jamais voir sur sa peau - déjà qu’elle n’avait pas encore fini de se foutre de sa gueule pour le « Angela » que lui avait imprimé à vie un coup d’un soir, tatoueuse par malheur, des années avant leur rencontre… et elle haussa un sourcil ironique. « Tu fais ce que tu veux avec ton corps? Merci Dona pour cette grande réplique du féminisme. » Avant de ne pas pouvoir s’empêcher de rire un peu. Elle n’avait jamais, ô grand jamais voulu s’engager dans une véritable relation. Mais il fallait avouer une chose: elle ne pouvait pas reprocher à Donovan de la cloîtrer dans un quotidien morne. Chaque journée amenait avec elle son lot d’absurdité. Son lot de surprises, aussi. Elle avait toujours eu peur qu’on l’oblige à grandir. Qu’on l’oblige à se stabiliser. Mais cet homme, aussi impulsif et jaloux qu’il puisse être parfois, était avant tout autant un enfant qu’elle. Le sérieux? Ils ne l’approchaient que lorsqu’il y avait réellement quelque chose de grave. Le reste du temps… putain, est-ce qu’il venait vraiment de ricaner comme un attardé après avoir fait couiner la souris?! Avant de l’attaquer de front sur sa légère tendance à la procrastination et à la négligence. Tss. « Trois chats et deux chiens connard. Et contrairement à toi, je leur piquais pas leurs jouets. » dit-elle, peut-être un peu trop sèchement. Parce qu’il n’avait certainement pas voulu s’aventurer sur ce terrain là pour la blesser, mais… doucement, elle posa une main sur son ventre et y ressentit intensément le vide qui y avait pris place, il y a des mois de cela. Marley. Peut-être qu’elle n’était pas la personne la plus fiable du monde, mais… Elle aurait aimé sa fille, tellement, elle ne l’aurait jamais abandonné, jamais négligé, elle en avait l’absolue certitude. Et elle en avait le regret. Elle détourna les yeux, essaya de sourire pour appuyer sa réplique et faire croire que oui, tout allait parfaitement bien.

Continuer. Continuer quand même. Ne pas montrer que l’on vient d’avoir intensément mal. Surtout pas.

Probablement sans le vouloir encore, il lui apporta la distraction rêvée en lui balançant la souris à la gueule après s’être clairement assis loin de Memphis et elle. Pf. Connard. Elle lança un bruyant « T’es sérieux, là?! » avant de lui balancer à nouveau ce putain de jouer en pleine face. Il aimait pas les rats et les rongeurs? Ha! Prends-toi en un dans la gueule! Fallait pas acheter ce genre de jouet! Et surtout fallait pas me faire chier avec! Réponse voulue et obtenue: un « Aie » bruyant et vaguement suraigu digne de Dona la Féministe, conjugué au couinement pitoyable du jouet qui retombe sur le sol. Elle eut un léger sourire, un peu fourbe sur les bords. Ouais. Elle aussi elle savait viser. Mais ce (très, très léger) choc à la tête semblait au moins lui avoir remis les idées en place, parce que du bout des lèvres Donovan finit par avouer la terrible et très humiliante vérité - il était jaloux du chat. Et con. Bingo. « Sérieusement? Les chats et les poubelles? J’suis la seule à commencer à me faire du soucis, là? » Probablement, oui, parce qu’il continua à parler. Admettant, comme en signe de reddition, qu’elle avait bien choisi le nom de l’animal. Memphis. Memphis qui avait un petit peu sursauté pendant l’épique lancer de souris, mais qui entre temps s’était à nouveau niché confortablement contre la jeune femme et ronronnait de tout son saoul. Tiens. Ca lui rappelait vaguement quelqu’un - sauf que Donovan, lui, ronflait carrément. Et puis il parla d’une autre chose. De ce qu’il avait dit un peu plus tôt. Elle détourna à nouveau les yeux. Encore fuyante, dès qu’un mot la touchait trop personnellement. « Je sais. » dit-elle simplement. Quelque part, elle éprouvait un certain soulagement à l’idée qu’il ne la considère pas… comme incapable d’être une bonne mère. Elle n’en aurait peut-être jamais la preuve. Mais elle aimait à penser que sa fille aurait été heureuse. Quand elle ressentait le besoin d’imaginer cet autre futur, ce futur où Marley aurait été dans ses bras… oui, elle avait ce besoin égoïste, peut-être surréaliste, de la voir parfaitement heureuse. A défaut de pouvoir s’en souvenir. A défaut même d’avoir eu l’opportunité de le vivre. Cela lui donnait la force à elle-même de sourire. Et de relever la tête vers Donovan, de planter à nouveau ses yeux dans les siens et de ricaner en disant : « Et je m’excuse pas pour te l’avoir renvoyée à la gueule. Ca te va? » - même si le coeur n’y était qu’à moitié à cet instant. Elle faisait des efforts. Pour elle, mais aussi pour lui. Pour ne pas lui infliger toute sa douleur.

Et puis…


« Mon père va mourir. » La phrase résonna dans le silence le plus total. Elle, elle sentit à nouveau quelque chose faire mal en elle. En quatre mots, il venait de la ramener à l’instant où elle avait enfin réussi à pousser les portes de l’hôpital. Elle était entrée dans la chambre et elle avait vu le visage de John Dickens et de Ginger Dickens - leurs yeux fermés, et ç’avait été comme perdre Marley à nouveau. Comme sentir que l’on meurt à nouveau. Que plus rien ne compte. Hendrix était assis dans un coin de la pièce, sa tête entre ses mains, et elle avait ressenti l’absurde cruauté de ces quelques heures de retard. Du destin. Et de la route. « Mon père va mourir. » - elle passa sa main sur ses yeux, comme pour cacher le fait qu’ils brillaient soudain, et comme pour effacer cette image qui la hantait. Avant même toute compassion, avant même tout encouragement, elle laissa s’échapper de ses lèvres une phrase: « Tu dois y aller. ». Elle ne savait pas grand chose du père de Donovan. A vrai dire, elle ne savait pas grand chose de son passé tout court. Elle avait cru comprendre qu’il n’avait pas eu sa chance - que tout avait été loin d’être rose, et que les deux hommes ne s’étaient probablement pas adressés la parole depuis longtemps. Mais il y avait une chose, une seule chose dont elle était certaine - c’est que toute sa vie elle regretterait de n’avoir été capable de rentrer à Huntington Beach à temps, de prendre une dernière fois la main de son père dans la sienne et de lui donner la force de survivre. Les remords la hanteraient probablement jusqu’à son dernier souffle. Alors si lui avait la chance, même s’il n’y avait pas eu l’amour… Elle répéta, en secouant légèrement la tête: « Tu dois y aller. Ne regrette pas tout ce que je peux regretter. S’il te plait. » Elle le lui souhaitait. Réellement. Parce qu’il n’y avait pas pire que de perdre sa famille. « Je peux venir avec toi. Si tu veux. Mais Donovan… C’est ta famille, tu sais? » Elle ancra à nouveau son regard dans le sien, et eut un léger sourire. Peut-être un peu triste. « Et si tu veux pas que je vienne, t’inquiète pas. Tu dois y aller. C’est ton père. Tu t’en voudrais. T’inquiète pas pour moi. » Et tant pis si elle n’était pas prête à se retrouver seule. Tant pis si elle ressentait, en ces moments où le deuil lui brûlait le ventre, le besoin de se réchauffer à sa chaleur pour oublier quelques instants. La mort… était plus importante. Elle avait retenu sa leçon.

Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)

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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyMar 1 Juil 2014 - 0:56

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


"Le féminisme c'est pas réservé aux femmes." bougonna-t-il dans sa barde. Il détestait quand la répartie de Jagger était meilleure que la sienne, pourtant c'était le cas la plupart du temps. Forcément, lorsqu'il arrivait à lui clouer le bec, il ressentait toujours une immense fierté et il n'hésitait pas à en rajouter des couches et des couches histoire de bien la narguer. Pour le coup, oui il avait bien envie de lui affirmer qu'il faisait ce qu'il voulait avec son corps, mais merde, il n'avait aucune idée de qui était cette Dona et ça il ne l'avouerait pas pour des raisons évidentes. Il ne voulait pas passer pour un crétin ignorant, principalement. Alors il se contentait d'afficher un visage d'homme blasé qui n'écoute qu'à moitié (et encore) ce que la fille en face de lui a à dire. Les yeux rivés sur Memphis, les idées se bousculaient dans sa tête. Il avait essayé de lui renvoyer la pareille, une réplique qui tue contre une réplique qui tue, sauf qu'il avait parlé sans réfléchir et après coup il s'aperçut qu'il avait peut-être bien dit quelque chose qu'il n'aurait pas dû. Il s'était enfoncé qui plus est. Donovan aurait très bien pu se contenter du "pauvres bêtes" mais non, il avait été plus loin. Trop loin. Ce n'était pas drôle, pas quand on transposait les choses sous un autre angle. Ces derniers jours, c'était comme si la moindre phrase, le plus petits des détails, un son, un mot, une image, un prénom, tout était susceptible de les ramener à la douleur qu'ils ressentaient. De la raviver aussi. Tout les ramenait au vide qu'elle avait dans le ventre et au trou qu'il avait dans le coeur. Il avait beau faire attention, parfois il se retrouvait pris dans le moment et il en oubliait de tourner sa langue sept fois dans sa bouche. Donovan était impulsif, irréfléchi, il laissait les mots glisser entre ses lèvres sans voir tout le mal qu'il pouvait faire. Mais du mal justement, il n'avait jamais voulu en faire à Jagger. Il se sentait coupable, une fois de plus. La réponse de Jagger n'était pas inhabituelle, agrémentée d'un "connard" elle était même plutôt normale. C'était le ton de sa voix qui était différent. L'envie d'aller se cacher loin d'elle s'empara de lui, mais il restait debout et il l'observa glisser sa main sur son ventre. Il serrait les dents pour ne pas se mettre à hurler, ses poings se refermèrent sur eux-mêmes un instant et il tenta de changer de sujet.

Il n'osait pas lui dire qu'elle lui manquait à lui aussi. C'était un peu étrange et surtout très délicat à aborder. Il n'y avait pas eu d'enfant… Leur enfant. Comment aurait-il pu lui dire que ce qui n'avait jamais existé lui manquait malgré tout? Depuis qu'il savait ce qui était arrivé, Donovan avait pourtant l'impression d'avoir perdu quelqu'un de cher. Jagger avait porté ce bébé dans son ventre, elle avait connu cette sensation de ne plus être toute seule, il y avait eu cette autre présence, mais lui qu'avait-il eu? Rien. Il n'avait même pas su qu'elle était enceinte et que pendant quelques semaines sans doute, ils n'avaient pas été deux sur la route mais trois. Il l'avait appris trop tard, bien trop tard, quand tout était déjà terminé. Pourtant, Donovan y pensait sans cesse, et il ressentait un manque cruel qui lui tordait le ventre et qui le rendait malade. Le soir, il s'appliquait à penser à tout sauf à ça. Il avait toujours peur que leur fille vienne lui rendre visite dans son sommeil alors il bloquait ces idées-là hors de sa tête. La preuve avec cette histoire de tatouage buzz l'éclair, Donovan parle en dormant. Il le savait et il craignait de dire des choses qui feraient du mal à Jagger si elle était encore réveillée pour les entendre. Il avait malgré tout ce besoin de la voir, de l'imaginer, de la faire vivre quelque part dans un coin de sa tête… La journée, il partait parfois tôt pour le boulot mais au lieu de s'y rendre directement, il s'enfermait dans sa voiture et il fermait les yeux. Une petite brune au rire communicatif apparaissait alors sur ses paupières closes et il se laissait aller à imaginer ce qu'il ne pouvait ni vivre dans la réalité, ni apprécier dans ses rêves, seulement dans des moments de solitude extrême.

Il faisait noir au dehors, le silence régnait dans la maison qui n'était jamais aussi paisible que la nuit. Une enfant s'était échappée de son lit pour rejoindre sur la pointe des pieds la chambre de ses parents endormis et enlacés dans les bras l'un de l'autre. Le léger sourire qu'elle observa sur les lèvres de son père la rassura immédiatement. Elle s'approcha de sa mère et lui tapota l'épaule du bout de son index. Elle n'avait pas plus de sept ans, mais elle ressemblait tellement à Jagger que s'en était troublant. "Maman!" Sa petite voix se fit à peine entendre, alors elle s'approcha tout près et murmura encore au creux de l'oreille de l'intéressée qui s'éveilla doucement. En voyant sa fille, Jagger se dégagea des bras de Donovan pour se redresser dans son lit. Elle glissa une main sur la joue de l'enfant qui vint se coller contre elle presque aussitôt. "J'ai fait un cauchemar." souffla-t-elle à la recherche de réconfort auprès de sa mère qui lui caressait déjà les cheveux. "Je peux dormir ici?" elle indiqua l'espace infime qui se trouvait entre ses deux parents avant de sortir son regard de chien battu. Exactement le même que celui de son père à vrai dire. Jagger donna un léger coup de coude à Donovan qui n'avait pas bougé d'un pouce et qui semblait encore profondément endormi. Il n'était pas le genre à se réveiller au moindre bruit, en réalité il avait même le sommeil plutôt lourd. Il pouvait fermer les yeux et se laisser aller à un petit somme à peu près n'importe où, n'importe quand. "Donovan. Voyant qu'il ne réagissait pas, Jagger donna un autre coup de coude à celui qui partageait son lit. Marley affichait un air inquiet. "Papa est mort, maman!" Jagger donna un troisième coup à Donovan et rit en entendant leur fille en venir à une telle conclusion. Il commençait à s'agiter. "Non, papa est une vraie marmotte. C'est différent. " Marley posa sa main sur le bras de son père et le secoua à son tour. Enfin, il ouvrit les yeux et son sourire s'intensifia presque aussitôt alors qu'il aperçut sa fille. Elle était rassurée de le voir en vie. "On a une invitée?" demanda-t-il en se tournant vers Jagger, la voix encore endormie. Marley grimpa sur le lit et passa par dessus sa mère pour venir s'asseoir entre ses deux parents. "Je vois." ajouta-t-il amusé. Donovan roula légèrement vers le bord du lit pour laisser de la place à l'enfant qui se glissa sous les couvertures. Il échangea un regard avec Jagger, même dans le noir il arrivait à la voir rayonnante. Elle n'avait jamais l'air plus heureuse que lorsqu'ils étaient tous les trois et il n'avait jamais l'air plus heureux que lorsqu'il avait les deux parties les plus importantes de son coeur réunies à ses côtés. La femme qu'il aimait et sa fille. Ça faisait mal tellement c'était beau. Marley reposa sa tête contre sa mère tout en plaçant l'une de ses petites mains sur le bras de son père. Elle était en sécurité nichée entre eux. Ils la protégeraient toujours, contre vents et marées. Elle était leur plus précieuse possession, leur plus grande fierté, l'amour de leur vie. Donovan, Marley et Jagger. Et cette nuit-là, alors que l'enfant s'endormait à nouveau, ses parents gardèrent leurs yeux rivés sur elle, incapables de s'en détacher, déchirés par l'amour, ils se retrouvaient en elle.  

C'était comme regarder un film dont ils seraient les acteurs principaux. Un film à la fois drôle, attendrissant et tellement triste pourtant. Peut-être qu'il se faisait du mal pour rien, peut-être que d'imaginer ces choses ne l'aiderait jamais à aller de l'avant, mais malgré tout il avait souvent envie de se saisir d'un bout de papier et d'un crayon pour noter ce qu'il avait vu dans sa tête, de peur de voir ce faux souvenir s'envoler. C'était tout ce qu'il avait de ce bébé qu'il ne connaitrait jamais. Des faux souvenirs. Il n'y aurait pas d'enfant pour venir les réveiller en pleine nuit, pas d'enfant pour se glisser entre eux, pas d'enfant à admirer et à aimer profondément. Alors oui, Donovan s'en voulait d'avoir dit ce qu'il avait dit même si aurait pu sembler anodin aux oreilles de n'importe qui. Il savait ce qu'il ressentait lorsqu'il pensait à Marley, et il savait ce que Jagger allait ressentir à son tour. Faire comme si tout allait bien, comme s'il n'avait rien dit, c'était l'issue qu'il avait choisi. Pas parce qu'il était lâche, mais parce qu'il ne pouvait pas supporter de dire un mot de plus de travers à ce sujet. Il arrivait encore à jongler avec ses émotions, à les camoufler sous un sourire ou sous un air agacé parce qu'un chat lui a piqué sa place. Balancer une souris en peluche au visage de Jagger, ce n'était peut-être pas la chose la plus maligne à faire, mais au moins ils étaient parvenus à passer à autre chose. Il s'était assis loin d'elle et loin de Memphis. La souris lui était revenue en pleine face presque instantanément, et il ne pouvait pas lui en vouloir. Jagger visait bien elle aussi. En réalité, il mourrait d'envie de les rejoindre sur le canapé, mais être jaloux du chat marchait tellement mieux pour lui… ou à peu près. Pourtant, il était envieux du chaton qui recevait une expression d'affection bien plus rapide que ce qu'il avait reçu lui, il était content que son cadeau plaise mais pas trop non plus! Il voulait rester son compagnon de câlin préféré. Se sentait-il réellement menacé par un chat? Non, pas vraiment. Mais il avait bien envie de la serrer dans ses bras lui aussi, il avait bien envie de l'embrasser. Maintenant. Encore. Et puis le silence qui s'était installé le laissa réfléchir quelques instants. Il se comportait souvent comme un enfant, il le savait et quelque part il aimait ça, mais parfois aussi, il arrivait à faire preuve d'intelligence et à corriger son attitude. Cette fois, c'était plus qu'une simple envie de se faire pardonner d'être débile de temps à autres, il avait besoin de dire certaines choses. Des choses qu'il avait précieusement gardé pour lui. La culpabilité à nouveau. Il roula tout de même des yeux lorsque Jagger fit référence en plus aux poubelles, sans doute parce qu'il aimait bien shooter dedans lorsqu'il était énervé, comme le fameux soir au Penthouse. Il ne rétorqua pas cela dit, parce qu'au fond elle avait raison. Il avait un soucis, un gros soucis même. Mais ce n'était rien qu'elle pouvait imaginer. Elle ne savait pas ce qu'il lui cachait encore. Des excuses finirent par être prononcées, et à mesure que les mots résonnaient dans la pièce, Donovan se faisait plus sérieux. Il était désolée d'être con, désolé de ne pas plus réfléchir avant de parler, désolé aussi de lui avoir lancé la bestiole au visage. Et il n'y avait pas pensé, mais il était désolé d'être sur le point de raviver chez elle des souvenirs douloureux. Il hocha simplement la tête lorsqu'elle annonça que de son côté elle ne s'excusait pas. En temps ordinaire il aurait peut-être rigolé, ou alors il lui aurait dit "va chier" et il se serait levé pour la rejoindre sur le canapé et lui aurait sauté dessus comme un animal. Très contradictoire tout ça. Toujours. Mais il l'aimait, et même s'il trouvait amusant de lui lancer des trucs dessus ou de parfois mal lui parler, il ne perdait jamais de vue le fait qu'elle était la personne la plus importante dans sa vie à l'heure actuelle et que quoi qu'il arrive, rien n'était sérieux. Ils se chamaillaient pour mieux s'aimer ensuite. Tout simplement.

Lorsqu'il avoua finalement ce qui le travaillait depuis plusieurs jours, Donovan ne ressentit pas vraiment le soulagement qu'il avait attendu. Il pensait que le dire à Jagger lui permettrait peut-être d'avoir les idées plus claires, mais il était déçu de voir qu'il se sentait exactement pareil que quelques secondes plus tôt. Il avait été un peu naïf de croire que le poids qu'il avait sur la conscience s'en irait aussi facilement. Il avait baissé la tête, incapable de la relever de peur de voir dans les yeux de Jagger ce qu'il craignait. Il se sentait si égoïste, ça le rendait vraiment mal. Terriblement mal. Et d'un coup, d'un seul, l'atmosphère lui sembla lourde, il portait les malheurs du monde sur ses épaules. La voix de Jagger s'éleva alors et Donovan se redressa un peu. Il n'était pas certain d'avoir vraiment entendu. L'impression d'être perdu entre la réalité et un monde imaginaire. Il ne s'avait pas si elle avait vraiment dit ça ou bien s'il avait simplement entendu ce qu'il avait voulu entendre. Mais voulait-il entendre ce qu'il avait entendu? Il ne savait même pas et toutes ces interrogations lui donnaient mal à la tête. Mais Jagger répéta qu'il devait y aller, et il n'y avait plus de doute. Elle était réellement en train de l'encourager. Au fond, il ne s'attendait à rien d'autre venant d'elle. Elle avait été dans une situation quelque peu similaire. Elle aussi avait dû prendre la route pour avoir la chance de dire au revoir à ses parents, mais elle n'avait pas eu le délais que Donovan avait. Elle n'avait pas eu le soulagement de pouvoir arriver à temps. Il savait qu'il avait encore quelques jours, peut-être même quelques semaines devant lui. Le temps pressait, mais pas comme le temps avait pressé Jagger. Il ne souriait pas, incapable de bouger de son fauteuil, il restait immobile. Lorsqu'elle ajouta qu'elle pouvait venir avec lui s'il voulait, il releva la tête. Sa famille? "Non. C'est toi ma famille." affirma-t-il, têtu. Et tant pis s'il n'avait pas le droit de dire ça, tant pis si elle ne voyait pas les choses de la même manière. Elle l'avait appelé son "chez-elle" alors il pouvait bien dire qu'elle était sa famille, son point d'ancrage dans ce monde. Leurs yeux se croisèrent et malgré l'envie de détourner son regard pour ne pas avoir à lui faire face, pour ne pas admettre qu'elle avait raison, il maintenait cet échange. " C'est ton père. Tu t'en voudrais. Il se leva brusquement pour faire quelques pas dans le salon. Son père? Non, ce n'était pas son père. Biologiquement parlant peut-être, mais en dehors de la génétique, cet homme n'avait rien d'un père. Et il avait envie de lui dire à elle aussi que c'était faux, qu'il ne s'en voudrait pas et que tout bonnement il n'irait pas. Mais il n'arrivait pas à s'y résoudre. "Je… Je veux pas y aller." Il secoua la tête. "C'est pas un type bien. Il a fait des choses que je ne pourrais jamais lui pardonner. Et quand je me suis barré et que j'ai juré d'en avoir fini avec lui, j'étais sincère. Il a jamais cherché à reprendre contact avec moi. Jamais. Pas même quand… " Pas même quand Donovan a failli mourir. Pas même quand il s'est retrouvé dans un lit d'hôpital après avoir échappé à la mort de justesse. Pas même quand il aurait eu besoin d'avoir quelqu'un à ses côtés. "Peu importe… Il s'est toujours foutu de moi et de ce qu'il m'arrivait." Pourquoi Donovan aurait-il à faire ce que son père n'avait pas fait? Être là pour lui. "C'est pas juste." lâcha-t-il finalement. Le regard sombre, il fit à nouveau quelques pas. "C'est pas juste, putain!" Et puis il se tourna vers Jagger et sur le ton d'une supplication, il l'interrogea. "Alors, pourquoi j'ai quand même envie d'y aller?" Merde. Oui, il avait envie d'y aller, il avait envie de savoir ce que son père voulait lui dire, il était curieux et il savait que Jagger avait raison. Il aurait des regrets s'il n'y allait pas. "Je n'ai pas envie d'avoir envie d'y aller, mais j'ai envie d'y aller quand même… Si c'est pas putain de tordu ça, je sais pas ce que c'est. Traite de moi de psychopathe, t'aurais raison. " Il se trouvait con. Particulièrement con. Donovan jeta un coup d'oeil au chaton. "J'ai passé ma vie à courir pour échapper à cet homme et maintenant… il veut que je vienne le voir. Mais bordel, pourquoi maintenant? Parce qu'il va mourir? Et alors?" Il baissa la tête. Encore une fois, il disait des choses sans y réfléchir auparavant. En reposant son regard sur Jagger, il s'en voulait une énième fois parce que niveau délicatesse, on a déjà vu mieux. Il avait des mots durs envers son père, il n'arrivait pas à s'en empêcher, mais il imaginait à quel point cette histoire pouvait aussi raviver la douleur de Jagger quant à la perte de ses propres parents. "Je veux pas finir comme lui." avoua-t-il finalement. Ressembler à son père, c'était sa plus grande peur. Il craignait de devenir aigrie et méchant comme cet homme qui n'avait jamais eu pour son fils une once de compassion. Donovan avait toujours tout fait pour s'éloigner de la seule figure paternel qu'il avait eu en grandissant, il savait que ce type-là n'était pas un modèle. Mais il avait si peur de doucement devenir une copie de son père, malgré lui. Il se sentait vaciller, il fallait qu'il respire, qu'il se calme et qu'il revienne dans l'instant. "Je sais pourtant que c'est la bonne chose à faire, et je crois que j'avais besoin de l'entendre de la bouche de quelqu'un d'autre…" Il s'approcha d'elle inconsciemment, comme un réflexe primaire qu'il aurait eu et qui l'obligeait à se tenir près d'elle, à chercher le contact surtout. Toujours assise sur le canapé, elle le regardait. " Mais tu envisagerais vraiment de venir avec moi?" Elle l'avait surpris en disant ça, parce qu'il n'aurait jamais cru qu'elle puisse véritablement vouloir se joindre à lui dans un moment qui s'annonçait pénible. "Je…" Comment dire? "Si j'y vais, je ne veux pas y aller tout seul." C'était sa façon de lui dire qu'il voulait d'elle à ses côtés, et de toute façon il était hors de question de laisser Jagger pour répondre au désir de ce connard. Mourant ou pas mourant, il n'avait très certainement pas la priorité. Ce qui intéressait Donovan c'était le bien-être de Jagger, le reste il en avait absolument rien à foutre. "Tu serais prête à reprendre la route? À recommencer?" Ils pourraient reprendre le van et conduire. Bien sûr jusqu'à Chicago le voyage ne serait pas très reposant, et ça leur prendrait des jours et des jours, mais au fond, peut-être que revenir là où tout avait commencé pourrait leur faire du bien à tous les deux. Jagger et Donovan sur la route à nouveau. Elle arriverait peut-être même à lui faire oublier le réel but de ce voyage… Et d'ailleurs, ils pourraient tout à fait changer le but du voyage, à eux d'eux ils pourraient en faire ce qu'ils voudraient. Et si une fois arrivé à Chicago, Donovan changeait d'avis, s'il ne voulait plus revoir son père, il pourrait toujours l'emmener voir le terrain de basket sur lequel il avait passé ses après midis une fois l'école terminée, l'épicerie où il volait des bonbons  aussi, et peut-être arriverait-il à lui montrer la caserne où il avait travaillé. Les trois endroits qu'il aimait le plus à Chi-town. "Et lui aussi il viendrait, tu crois?" demanda-t-il en pointant Memphis du doigt. "On peut pas le laisser." Faire des bornes et des bornes avec un chat, était-ce bien raisonnable? Non, pas vraiment. Peu importe. Ni Jagger ni Donovan n'étaient des gens très raisonnables de toute façon.

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyVen 4 Juil 2014 - 1:01

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Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



   
Jagger avait essayé, une fois.
Essayé de reprendre la route.
C’était peut-être deux ou trois jours après qu’elle ait revu Donovan - au Hometown, quand ils avaient fini sur le comptoir du bar comme les animaux qu’ils étaient. Elle s’était réveillée, un beau matin, avec au ventre cette douleur sourde, la sensation d’être prise au piège, et le souvenir de sa fille qui lui déchirait le coeur. Elle dormait encore dans son van à l’époque - les vieilles habitudes avaient la vie dure, et les multiples propositions de véritable hospitalité de son frère jumeau n’avaient pas encore abouti. Elle avait quitté son lit. Ouvert les fenêtres en grand. Sa main s’était posée sur le volant et elle s’était dit: « pourquoi pas? ». Après tout, à une époque, tout avait été si simple. Chaque contrainte avait la même réponse: la route. Chaque angoisse, aussi. Elle avait pris l’habitude de changer de paysage pour étouffer la douleur - une fois de plus, une fois de moins, qui pourrait bien lui en tenir rigueur? Elle trouverait bien un endroit, loin, où Donovan ne saurait la rejoindre et où ils n’avaient aucun souvenir ensemble. Elle trouverait bien un endroit, loin, où la mémoire de Marley ne viendrait pas la dévorer. A Huntington Beach, elle avait vécu l’enfer. Et voilà que le seul homme qui avait réussi à la toucher revenait lui rappeler l’horreur du secret qu’elle gardait. Elle aurait raison de fuir, et de recommencer encore à zéro. 
Elle en avait été incapable. Bien sûr qu’elle utilisait parfois son van - pour aller d’un bout de la ville à l’autre, surtout. Mais elle avait été incapable de soutenir l’idée de s’en aller. Elle avait fermé les yeux, l’espace d’une seconde, et elle avait à nouveau ressenti le coup de poignard dans son ventre, la fatigue, la brûlure des larmes, le désespoir brut. Ses mains s’étaient mises à trembler - et tout à coup elle avait eu l’impression de ne plus pouvoir respirer, comme si les souvenirs étaient venus la prendre à la gorge, et l’étouffaient. Quelques minutes plus tard, elle avait compris qu’il s’agissait là d’une crise d’angoisse. L’angoisse du sang sur le bitume. L’angoisse du trop loin. Du trop vite. Du trop tard. Elle avait poussé la porte de la maison, et sans dire un mot s’était glissée aux côtés de son frère encore endormi. Les yeux rivés vers le plafond, elle avait réalisé que la route avait été toute sa vie - et qu’elle ne pouvait plus la prendre. Et elle avait pleuré - en silence, pour ne pas réveiller Hendrix. 
 
Et pourtant elle avait dit ces mots. Sans même y réfléchir, fuyant obstinément le regard de Donovan comme à cette époque elle n’avait osé réveiller son frère, elle lui avait dit qu’elle pourrait venir. Elle le pensait réellement. Peut-être qu’elle serait morte de peur - mais elle se serait haïe farouchement de priver cet homme de la chance que le destin lui avait arraché. C’était peut-être un peu égoïste aussi. Elle savait que Donovan était le dernier rempart qui l’empêchait de sombrer depuis qu’elle avait avoué la mort de Marley - l’idée de se retrouver seule la pétrifiait. Elle ne l’avouerait peut-être jamais - soigneusement, elle entretenait ce vernis d’indifférence qu’elle avait mis une vie entière à construire, cette barrière pour protéger son coeur. Mais le voir s’éloigner pour des semaines entières lui semblait insurmontable. Et puis s’il y avait un être au monde capable de lui rendre cette part d’elle, de lui rendre la route, c’était bien lui… non? Probablement. Et tant pis s’il s’agissait de vivre une nouvelle fois la mort dans la chambre d’hôpital. Tant pis si ses propres souvenirs la hanteraient probablement en avançant dans les longs couloirs blancs - tant pis s’il y aurait certainement cette douleur fantôme, au plus profond de son ventre. Cette douleur était toujours là, de toutes façons, dès l’instant où elle se retrouvait seule dans cette maison.
La partie moins dramatique, aussi appelée « rencontrons le père irascible et mourant de mon plus ou moins petit ami »? Ca, elle pouvait gérer à peu près sereinement. Même si elle n’avait jamais été le genre de fille que l’on songe à un moment ou à un autre à présenter à ses parents. Même si elle était probablement à des millions d’années lumières de l’image classique de la belle-fille idéale. D’ailleurs, même elle ne se considérait pas comme une potentielle belle-fille. Yeurk. Mais ce n’était sûrement pas cette chose qui l’angoissait. Depuis son plus jeune âge, elle avait appris à s’imposer aux gens - et à ne jamais se laisser démonter par ceux qui pourraient éventuellement ne pas l’apprécier. Elle les regardait en face, droit dans les yeux, avec cette espèce de fierté et d’indépendance dans le regard qui leur assurait directement qu’elle se moquait bien de leur jugement. Elle survivrait à une mauvaise opinion du père de Donovan. Il n’y avait aucune, aucune angoisse à avoir de ce côté là. Gamine, enroulée dans les chemises de ses pères, elle croisait les bras devant les gros durs de la cour de récréation et, du haut de son mètre vingt, leur crachait: « Ouais, je m’appelle Jagger Dickens gros connard. Et crois moi c’est une putain de mauvaise idée de me faire chier. ». Et quand l’intimidation verbale (qui ne manquait pas de faire lever les yeux au ciel à son institutrice qui répétait d’une manière quasi-incantatoire « Jagger Monroe Dickens, surveille ton langage ou j’appelle tes (nombreux) parents! ») ne suffisait pas, elle brandissait un petit poing furieusement efficace et se battait sans féminité aucune jusqu’à ce que Hendrix (Voix de la Raison de son deuxième prénom) ne vienne l’arracher de force au conflit et compter les bleus. Elle pouvait gérer l’affaire contre un morveux plus large que haut quand elle-même menaçait à l’époque de s’envoler au moindre coup de vent? Nope, pas de soucis avec l'hostilité potentielle du géniteur dans son fief de l’Illinois. Bon, après, si c’était Al Capone, elle garantissait rien. Quand même. Mais aux dernières nouvelles, il était mort - sauf s’il se planquait quelque part avec Marilyn Monroe, James Dean, Michael Jackson sur l’île secrète des illuminatis.
C’était étrange, cette manière dont la vie l’avait forgée. Comment les épreuves passées, le souvenir du bonheur puis le souvenir de la mort, avaient fait des angoisses ordinaires les derniers de ses soucis. Seule subsistait la peur, pétrifiante, de mettre à nouveau sa main sur le volant et le pied dans le couloir d’un hôpital. Un jour, il y a longtemps, elle avait entouré son ventre de ses bras et avait pleinement accepté la petite vie qui y naissait, là où d’autres auraient entr’aperçu la fin de leur existence. Et voilà qu’elle disait à Donovan qu’elle le suivrait, qu’elle ferait cela pour lui… Alors qu’elle était, au plus profond, dévorée par la terreur, à la simple idée de faire ce qu’elle avait passé une putain de vie à faire. Parfois, elle réalisait sa propre anormalité. Et le constat était comme un vide dans son coeur.
Mais Donovan.
Pour lui, elle pouvait faire des efforts.
Non, elle n’était toujours pas devenue mielleuse - non, elle n’était toujours pas devenue stupide. Mais ce n’était pas parce qu’elle était bornée qu’elle était aveugle. Sous l’apparente insensibilité se cachait bel et bien la lucidité nécessaire pour savoir ce qu’elle devait aux gens. Donovan l’avait soutenue quand elle pleurait. Donovan ne s’était pas enfui, quand elle avait tenté de le faire. Quand elle s’était écroulée sous le souvenir de Marley, il l’avait serrée contre lui, l’avait enroulée dans une couverture, et lui avait dit qu’il l’aimait. Pour cet homme qui, quand il avouait sa douleur, lui disait tout de même « Non. C’est toi ma famille » avec cette obstination farouche, elle pouvait tenter la terreur de la route et du couloir blanc.
Avec un peu de chance, ils surmonteraient la peine. Ils redeviendraient les enfants terribles - Donovan et Jagger sur la route. Ils retrouveraient le van, son atmosphère surchargée par l’odeur du tabac, la ville qui s’endort quand ils avancent deux par deux, un coin de ciel qui s’embrase au petit matin, et toujours tout droit vers l’horizon. Les corps qui s’alanguissent après s’être battus. Les moments où l’on sait que personne ne nous attend - sauf celui qui vous enlace déjà, celui qui est déjà là, et c’est pas plus mal. Il y avait longtemps, bien longtemps qu’elle n’avait pas vu Chicago. Mais comment oublier l’enjeu?
Elle le regardait, en silence, marcher lentement dans la pièce. Dans un autre contexte, elle aurait peut-être pu lui dire de ne pas casser un autre vase, ça risquait de commencer à faire désordre - mais ce n’était pas le moment, et pour tout avouer, le vase elle s’en tapait un peu. Elle savait qu’elle avait eu de la chance. Elle avait toujours eu de la chance, avec sa famille, avant la fin. Ils l’avaient aimée - à la folie, acceptée, pleinement. Elle n’en ressentait que plus cruellement encore cette cassure dans la voix de Donovan alors qu’il avouait ce qui ressemblait tellement à de la rage. Elle avait beau se moquer de lui en ces termes, constamment, il n’était pas un psychopathe - il n’avait simplement jamais eu ce que Jagger avait toujours considéré comme naturel. L’amour d’un parent. Un regard qui croise le sien et qui lui dit - vas-y, tu peux, quoi que tu fasses je serai fier de toi. Le regard que dans ses rêves il posait sur Marley. Jamais, ô grand jamais Donovan n’aurait abandonné leur fille. Quand les paupières de John et de Ginger Dickens s’étaient fermés pour toujours, ils avaient emporté avec eux une profonde tendresse - Donovan ne savait probablement pas à quoi cette chose pouvait bien ressembler. Mais il ne se pardonnerait jamais d’être absent à ces derniers instants. Il venait de l’avouer. Elle le savait au plus profond d’elle-même, pour ce deuil qui n’en finissait pas de la dévorer. Elle baissa les yeux. « Tu seras jamais comme lui. ». Et tant pis si elle ne pouvait pas savoir. Elle en avait pourtant la certitude. « Tu seras jamais comme lui, ok? » Elle eut un très léger, léger sourire. « L’autre nuit, t’aurais pu me haïr, t’aurais pu me laisser toute seule comme une merde parce que ouais, j’aurais pu te dire tout ça avant. T’aurais pu ne pas comprendre que j’étais pas prête. Mais t’es resté. » Doucement, elle releva les yeux vers lui. « T’es resté. Alors je pense que tu seras jamais comme lui. » Il n’aurait jamais, ô grand jamais abandonné Marley. Elle le savait - même sans preuve aucune, même si on ne lui avait pas laissé la chance de vivre cette vie-là. Un homme qui aime Jagger Dickens alors qu’elle vient de faire s’écrouler son monde… ne devient jamais un monstre. Si? « Tu dois y aller - parce que au moins, t’auras rien à regretter, et t’auras prouvé que tu seras jamais ce type là ». Les regrets. Toute sa vie, quand Jagger regarderait au plus profond de sa mémoire, elle se verrait comme celle qui est partie trop loin - et revenue trop tard.
 
Elle faisait ce rêve, parfois.
Elle poussait les portes battantes de l’hôpital. La course l’avait laissée à bout de souffle, et puis la douleur aussi. Elle avait changé de jean à la va-vite pour ne pas que l’on voie le sang - pour ne pas que l’on voie la honte, pour sauver ce qu’il restait à sauver. Le couloir n’en finissait pas. Il était très blanc, mais dans son champ de vision il y avait toujours ce rouge âcre. Les numéros défilait et elle savait que tout, tout au bout de la route il y avait la mort - mais il fallait ouvrir cette porte tout de même, voir de ses yeux l’image qui fait mal, l’image qui déchire. Même dans ses cauchemars, la mémoire du jour lui restait intacte: Les corps endormis - qui ne dorment pourtant pas. Hendrix dans un coin de la chambre qui la regarde comme on verrait un fantôme - et sa propre voix qui transperce le silence, qui hurle « Dis-le moi! Dis-le moi putain! Je t’en supplie Hendrix dis-le moi! » parce qu’elle a cet espoir un peu fou que la douleur suprême lui suffira pour se réveiller et se trouver au creux des bras de Donovan, avec son enfant qui sommeille dans son ventre, dans l’autre monde où tout va bien. La voix de son frère, pourtant - cette voix qui ne sera plus jamais tout à fait la même, qui s’élève et qui prononce les mots - « trop tard Jagger, tu es arrivée trop tard. »
Mais dans ce rêve, elle ouvre la porte de la chambre - et elle voit cet autre homme assis sur le lit, qui tient un minuscule enfant dans ses bras. Il lève les yeux vers lui et ce sont les yeux de Donovan qui, sans un son, sans un souffle, lui disent je t’aime. Il n’y a pas de mort, pas de drame. Simplement un regard pour lui souhaiter la bienvenue, et la respiration paisible d’un bébé. Dans ce rêve, la peur et la douleur aboutissent sur la paix. Elle n’est pas arrivée trop tard. Et si elle l’a fait un jour… elle se l’est pardonnée. Elle n’est pas allée trop loin. Et si elle l’a fait un jour… quelqu’un est là pour la rattraper, pour lui dire que tout va bien. 
Elle faisait ce rêve, parfois. Et quand elle ouvrait les yeux sur la réalité, sur ce présent un peu trop cruel, elle avait l’impression… qu’il lui restait un espoir. Tout un espoir dans une personne qui n’est pas de celles qui abandonnent. Quelqu’un qui a la chance de ne pas faire la même erreur qu’elle. Et qui va s’en saisir.
 
« Je suis pas prête. » lui dit-elle, sincèrement, pourtant. Il méritait au moins la vérité. « Mais ça mérite un effort. Non? » A nouveau, ce léger sourire. « Je compte pas rester comme ça toute ma vie, tu sais. Cette espèce de… putain de larve casanière que je suis devenue. La dernière fois que j’ai pris la route, tu sais tout ce que j’ai perdu. Mais au moins, ça sera plus la dernière fois. » Et au moins, elle aurait une chance de savoir que l’ancienne Jagger était restée à portée de main. Toujours solaire. Nichée dans un coin de son coeur. Pour la forme, elle eut une légère grimace pourtant. « Bon je dois avouer que ça me fait un peu chier d’aller là-bas direct, parce que que merde, les Chicago Bears arrêtent pas de foutre la misère aux San Francisco 49ers » Chauvinisme bonsoir, et tant pis si elle ne vivait plus techniquement à San Francisco depuis des millénaires. Ca ne l’empêcherait pas de dire que les ours sont des animaux à la con. Alors que 49, c’est un chiffre cool. Tout, tout pour se rattraper, tout pour faire diversion. « Et que ça me fait encore plus chier d’être plus ou moins obligée de te laisser conduire. Putain. Tu conduis comme un porc. » Elle pencha légèrement la tête. Ca, c’était un problème plus sensible, qu’elle développa en quittant pour quelques instants le ton de la plaisanterie. « Je panique. Quand je touche le volant. Quand j’essaye de quitter la ville. Je panique. » Elle ferma les yeux, avant de reprendre: « Mais j’te laisserai pas y aller tout seul. Tu risquerais de rechoper trop l’accent. Putain. Je pourrais pas vivre avec ça. » Et tant pis si c’était taper à côté de la vérité. Tant pis si ce qu’elle aurait dû dire, c’était: je pourrais pas vivre seule ici, sans toi, et je pourrais pas être tranquille en sachant que je t’ai laissé aller tout seul à l’autre bout du pays pour un moment qui sera tout, tout sauf facile - je veux être là pour te soutenir, pour te rendre un tant soit peu ce que tu as fait pour moi. Il comprendrait. Elle savait qu’il comprendrait. Il la connaissait suffisamment pour savoir que chaque diversion était un moyen de cacher une faille - qu’elle était fière, beaucoup trop fière pour se laisser aller à chaque seconde de chaque jour. « J’te laisse pas tout seul dans cette merde. », dit-elle simplement. C’était déjà assez. Et en attendant… « Au pire, si je me fais trop chier en huis clos avec toi, j’aurais toujours Memphis, ouais. » Non, définitivement pas des gens raisonnables. Même pas dans l’invention de prétextes pour se trimballer un chaton sur des bornes et des bornes. « Je viens. Au moins, je serais certaine que t’iras jusque là-bas. Que t’auras rien à regretter. Parce que franchement, je te botterai le cul sinon. Et au moins, je pourrai te répéter autant de fois qu’il le faudra pour que ça rentre dans ton crâne… tu seras jamais comme ce type. » Elle sourit, une fois encore, et tant pis si elle se forçait toujours. « Ca ira pour moi. T’inquiète pas. » C’était le tour de Jagger de se sacrifier pour Donovan. Enfin. 

Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
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I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger Empty
MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyDim 6 Juil 2014 - 5:57

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


Avant Jagger, il n'y avait que le silence. Durant les quelques mois qui s'étaient écoulés entre sa décision de quitter Chicago et le moment où il l'avait rencontré, Donovan avait fait la connaissance de quelques personnes. Il avait eu des filles dans son lit, mais aucune n'avait vraiment compté. Elles lui demandaient son prénom et il le soufflait à peine entre ses dents. L'envie de partager quoique ce soit en dehors d'une nuit avec ces fille n'avait jamais été très présente. Le moins elles en savaient, le mieux il se portait. Et même avant d'avoir pris la route, même à l'époque où il était heureux et bien entouré, il ne parlait pas vraiment des choses qui lui faisait encore mal. Ses souvenirs d'enfance, son père et sa soeur, sa mère aussi, et le reste, c'était son jardin secret. Même ses deux meilleurs amis n'avaient jamais eu droit à un récit détaillé. Il n'aimait pas particulièrement l'idée de passer pour le pauvre petit malheureux aux yeux de tous et il craignait toujours que le regard de ses amis change s'il leur avouait tout. Eux aussi, comme Jagger, avait une famille aimante derrière eux, des gens sur qui compter. Donovan n'avait jamais eu envie de les culpabiliser, et jouer la victime ce n'était pas son genre en général. Alors, il gardait tout pour lui, et quand la discussion en venait à partager des souvenirs amusants d'une enfance heureuse, il trouvait toujours une excuse pour s'éclipser. Lâcher un truc du genre "Vous voyez le cran que j'ai sur le crâne, juste là? Ouais, bah c'est mon père qui me l'a fait en jetant un peu trop fort sur mon lit. Ha ha ha. C'est hilarant, n'est-ce pas?" ça aurait cassé l'ambiance, vous imaginez bien au milieu des récits adorables que les autres pouvaient faire. Une fois il avait bien tenté de se souvenir d'une anecdote drôle, mais même en se creusant bien la tête il n'avait pas réussi à se rappeler quoi que ce soit. Il avait pourtant fait de belles conneries lorsqu'il était enfant et plus tard à l'adolescence, mais elles revenaient toutes à la source du problème. Son père. Tout ce qu'il avait fait c'était soit pour se faire remarquer, soit pour provoquer. Ce n'était pas de la simple stupidité, du moins pas toujours. Il avait toujours eu un truc derrière la tête quand il faisait ses bêtises. Il préférait éviter les conversations un peu trop profondes, il y voyait un danger et ça provoquait chez lui un certain malaise. Mais avec Jagger c'était différent et ça il l'avait su dès le début. Il y avait un truc en elle qui lui donnait envie de parler plus. Les premiers mois qu'ils avaient passé ensemble sur la route avaient été exceptionnels pour lui. Là encore, ni lui ni elle ne s'était réellement ouvert à l'autre, mais il y avait une connexion qu'ils ne pouvaient surtout pas nier. Ils avaient peut-être mis du temps à se l'avouer, en particulier Jagger, mais aujourd'hui ils savaient tous les deux ce qu'il s'était passé entre eux durant ces mois-là. C'était leurs souvenirs, leurs sentiments, leurs vies. Ça leur appartenait entièrement et ils n'avaient pas besoin de le dire à qui que ce soit d'autre. Durant tout ce temps, il n'avait pourtant jamais parlé de son père, et bien que les rares allusions qu'il aurait pu faire à son enfance renvoyaient sans doute l'image d'une époque peu glorieuse, il n'avait jamais dit avec précision qu'il avait vécu l'enfer auprès de cet homme que la nature l'obligeait à appeler "papa".  Il lui avait dit que sa mère était morte lorsqu'il était petit et qu'il avait dû très vite apprendre à se débrouiller tout seul avec sa soeur. C'était déjà plus que ce qu'il osait dire à bien du monde. Et puis Jagger était partie, il avait eu le sentiment d'être trahi par la vie. Il savait qu'il aurait pu s'ouvrir à elle si elle était restée, qu'il aurait su y parvenir éventuellement. S'en était à nouveau suivi des mois à vagabonder sur les routes des Etats-Unis, à enchainer des filles inintéressantes. Il n'y avait vraiment plus rien à dire, y compris avec lui-même. Il n'osait plus se laisser aller à penser à ces choses-là. Donovan avait cru pouvoir se débarrasser de ses vieux démons en les enterrant simplement plus profondément mais ça n'avait pas suffit. Ça ne suffirait jamais. Et à présent il avait peur de vivre avec pour toujours. Mais il avait retrouvé Jagger et elle l'avait laissé entrer dans sa vie et il lui avait dit "je t'aime", alors avec elle il n'avait plus envie de se taire. Petit à petit il se mettait à parler, parce qu'il fallait que ça sorte enfin. Il fallait qu'il le raconte et tant pis s'il passait pour le pire des cons de ne pas savoir passer outre toutes ces choses qui lui étaient arrivées il y a des années de ça maintenant. Tant pis si elle se foutait de sa gueule parce qu'il était incapable d'oublier l'enfant en lui. Un enfant qu'on avait trop souvent traité comme un moins que rien, avec lequel on préférait jouer au punching ball plutôt qu'aux petites voitures ou au gendarme et au voleur. Un enfant qui avait cruellement voulu être aimé mais qui s'était vu refusé toute forme d'attention en dehors des fois où il se faisait attraper pour avoir fait quelque chose de mal. Mais il avait confiance en Jagger et Donovan ne croyait pas vraiment qu'elle pourrait lui rire au nez sur un sujet comme ça. Elle n'était peut-être pas la fille la plus expressive, mais il aimait bien le fait qu'elle ne vienne pas pleurer sur son sort dès qu'il avait quelque chose qui ne va pas. Il savait qu'elle cachait quand même une certaine sensibilité quelque part en elle, et de la compassion aussi sans doute. Elle pouvait faire comme si de rien n'était, mais il savait qu'elle ne serait jamais indifférente à son histoire parce que même si elle ne l'avait jamais dit vraiment, elle aussi était attachée à lui. Et les gens qui vous aiment ne vous rient pas au nez quand vous leur parlez d'une de vos plus grande blessure de vie. Ou alors, vous choisissez mal les gens que vous aimez et qui vous aiment en retour. Mais Donovan avait pleinement conscience de ses sentiments pour Jagger et s'il avait une certitude c'était qu'elle était loin d'être une erreur de parcours. Elle était partie c'est vrai, et elle ne lui avait pas dit pour sa grossesse non plus, mais elle avait eu ses raisons et ces dernières n'avaient jamais été de faire du mal à cet homme auquel elle s'accrochait maintenant. Alors oui, il acceptait d'enfin s'ouvrir à quelqu'un au sujet de son père, et il la laissait pénétrer un peu du côté obscur de sa vie.

Lui avouer qu'il avait peur de devenir comme son père, c'était lui dire tellement de choses et ne rien lui dire à la fois. Il aurait fallu expliquer pourquoi. Par où aurait-il dû commencer? Il craignait surtout d'être maladroit, de ne pas être assez clair, de s'embêter avec des détails sans importance. Il aurait voulu simplement se poser et dire les choses telles qu'elles avaient été mais ça lui semblait bien compliqué. C'était ça que de vouloir parler après avoir gardé le silence pendant toute une vie. Il ne savait pas comment aborder les choses mais tant pis s'il se mettait à cafouiller, tant pis si les mots ne sortaient pas facilement et qu'il avait à les chercher à tout bout de champ. Tant pis. Il lui avait enfin parlé du fait que son père allait mourir et il ne pouvait plus reculer. Jagger avait presque aussitôt dit qu'il devait s'y rendre. Elle avait raison. Il s'en voudrait s'il n'y allait pas. Ça ne ferait que lui ajouter du poids sur la conscience, et il n'avait pas besoin de ça. C'était aussi sa dernière chance de trouver la paix peut-être, de fermer ce chapitre-là de sa vie. On ne peut pas être en guerre contre un mort. Il avait une opportunité en or de voir son père une dernière fois et de lui dire tout ce qu'il n'avait jamais eu le courage de lui dire avant, tout ce qu'il n'avait jamais eu la force de lui dire. La dernière fois où les deux hommes s'étaient tenus dans la même pièce, Donovan n'était encore qu'un gamin, dix huit ou dix neuf ans à peine. Crier était leur seul moyen d'expression. C'était toujours violent et rempli de haine l'un pour l'autre. Mais si son père était mourant, il ne pourrait sans doute plus crier et pour une fois ce serait lui qui aurait le dessus sur cet enfoiré. Il avait beau chercher au fond de lui, même cette pensée-là ne le réjouissait pas. La mort de son père ne lui faisait pas plaisir. Il aurait voulu pouvoir être heureux de cette nouvelle, un monstre de moins sur Terre, mais même avec tout ce qu'il avait encore en lui il en était incapable. Et alors qu'il marchait à travers la pièce en balançant une série de questions qu'il posait aussi bien à Jagger qu'à lui-même, il essayait tant bien que mal d'éclaircir ses idées. Les dire à voix haute c'était rendre les choses plus concrètes. Elle semblait calme à côté de lui qui était mêlé entre confusion, colère, et angoisse. Il espérait qu'elle trouverait les mots pour l'apaiser. Il espérait trouver en elle quelque chose qui lui permettrait de s'accrocher un peu plus, quelque chose qui lui donnerait de la force. Pour une fois c'était lui qui avait besoin de se reposer un peu sur elle. Donovan ne le disait peut-être pas clairement non plus, mais il avait besoin de son soutient. Il n'aurait voulu partager ça avec personne d'autre et si elle n'avait pas été là sans doute aurait-il simplement gardé toute cette histoire pour lui. Evidement qu'il l'aurait gardé pour lui.

Et puis sa voix s'éleva à nouveau dans la pièce. Il sentait son coeur battre plus vite qu'il n'aurait dû. La colère. Elle l'emplissait et le rendait fou. Mais il y avait Jagger. Elle l'apaisait toujours, par sa présence bien sûr, mais par le son de sa voix aussi, par son parfum et le contact de sa peau. C'était elle toute entière qui l'apaisait et qui l'empêchait de vraiment perdre pied. À chaque instant, il n'avait qu'à la regarder pour aller mieux. L'écouter pour retrouver la raison. La serrer pour ne plus avoir peur. L'aimer pour être heureux. Elle était tout. Non, il ne serait jamais comme son père, elle l'affirmait pleinement, sans même savoir qui le père de Donovan était réellement. Il la fixait avec attention, parce qu'il avait tellement envie qu'elle ait raison. Il avait besoin qu'elle ait raison. Elle arrivait même à expliquer pourquoi ça n'arriverait, pourquoi il n'était pas la dernière des raclures et pourquoi il ne le deviendrait sans doute jamais. Il est resté. C'est vrai. Mais était-ce vraiment suffisant? Il ne savait pas mais il avait envie de s'accrocher à ça et de la croire. Tellement. Et puis elle répéta qu'il devait y aller et qu'à travers ce voyage et cet adieu qu'il acceptait de faire à son père, c'était aussi un moyen de prouver à sa famille qu'il était devenu un type bien. Elle savait se montrer convaincante, elle avait toujours su c'est vrai mais il ne savait pas si pour ces choses-là aussi elle arriverait à se montrer persuasive. Il regrettait maintenant d'en avoir douté parce qu'en quelques phrases elle arrivait à l'orienter dans une direction qu'il avait tant de mal à accepter pourtant. Ça faisait des jours qu'il se torturait l'esprit avec cette histoire, chaque coups de fils provenant de sa soeur un vrai supplice, et chaque nuit l'angoisse de ne pas trouver dans son sommeil des réponses à ses questions. La nuit porte conseil mon cul! Elle n'avait rien porté du tout dans son cas et elle ne l'avait jamais fait. Tout ce qu'il était bon à faire en dormant c'était parler et donner des coups parfois. Ronfler aussi, mais ça il le niera toujours. En réalité, Jagger ne lui laissait plus le choix. Il devait y aller. S'il n'y allait pas, peut-être même qu'elle lui en voudrait, non? Parce qu'encore une fois, ça devait forcément raviver le souvenir de sa propre expérience avec ses parents, et le fait qu'elle était arrivée trop tard. Encore une injustice de la vie. Elle aurait mérité bien plus que lui de pouvoir serrer sa mère et son père une dernière fois dans ses bras, de leur dire qu'elle les aimait plus fort que tout et que ce serait toujours le cas. Pourquoi, alors qu'elle avait eu des parents aimants et présents, n'avait-elle pas eu le droit à un adieu digne de soi? Et pourquoi, lui qui n'en voulait presque pas de cette chance, y avait-il le droit? S'il avait pu échanger sa place et donner ces jours supplémentaires à Jagger et ses parents, il l'aurait fait. Mais puisqu'il leur était impossible de remonter le temps, la moindre de chose c'était de ne pas gâcher l'opportunité qu'il avait et de faire ce qu'il y avait à faire. Pour elle, mais aussi pour lui. Parce qu'il en avait envie mais que c'était dur à avouer. Il lui avait dit pourtant, très furtivement en espérant peut-être que ça tomberait dans l'oreille d'une sourde, mais il lui avait dit quand même. Il en avait envie et tout ce qui lui manquait c'était quelqu'un pour l'encourager et pour lui dire que ce n'était pas grave de vouloir y aller, que c'était même la chose à faire. Jagger remplissait donc son rôle à ravir, sans le savoir, elle avait les mots étonnement justes.

Repartir ensemble, il ne l'avait pas envisagé. Ou peut-être, n'avait-il pas osé y penser. Elle l'avait pourtant proposé si spontanément, ça l'avait surpris et en même temps soulagé. Il était soulagé, oui, de ne pas avoir à faire ça tout seul. Il n'aurait sans doute jamais pu lui demander de venir si elle n'en avait pas parlé la première, de peur de lui en demander de trop. Il savait ce que ça représentait pour elle, pour eux deux à vrai dire. Mais pour elle surtout. La dernière fois qu'elle avait pris la route… Inutile de rappeler ce qu'il s'était passé. Ils le savaient tous les deux. Il se tenait proche du canapé où elle était encore assise, l'envie de se rapprocher pour chercher un contact qu'il n'avait plus depuis quelques minutes, évidement. Il lui avait alors demandé si elle était prête à y retourner et tout recommencer. Comme avant? Il ne savait même pas si c'était encore possible. Non, sans doute pas comme avant. Ce serait sans doute très triste de se retrouver à nouveau tous les deux dans le van, mais malgré tout Donovan en avait envie. Lorsqu'elle répondit honnêtement qu'elle n'était pas prête il releva la tête vers elle parce qu'il se sentait soudainement très égoïste. Il avait vraiment envie qu'elle vienne, et il avait vraiment envie de retrouver le van. Passer devant tous les jours et ne même pas oser l'approcher, c'était devenu insoutenable. Il croyait que c'était pourtant peine perdue mais elle enchaina en disant que ça méritait un effort. Il hocha la tête. "Je ne veux pas que tu te sentes forcée…" Elle n'était obligée de rien. Ce n'était pas vraiment le truc de Donovan de forcer les gens à faire des choses qu'ils n'avaient pas envie de faire, surtout pas les filles. Et surtout pas Jagger. Un mince sourire triste se glissa sur ses lèvres lorsqu'elle se qualifia elle-même de larve casanière. Et puis la référence à "la dernière fois". Il ne savait plus trop quoi dire alors il restait silencieux. Dieu merci pour Jagger. Elle était capable de détourner la conversation comme personne. Il laissa échapper un rire amusé suite à sa remarque sur les Chicago Bears avant de secouer la tête. "Heureusement, on aura des tas de kilomètres pour que je t'enseigne les choses à dire et à ne pas dire à Chicago si tu ne veux pas te faire flinguer en pleine rue." Il haussa un sourcil et ajouta: "Sérieusement. Evite de parler de tes préférences sportives là-bas. C'est pas une bonne idée." Ils en parlaient comme si la décision était prise mais de son côté Donovan avait toujours un doute. Était-ce une bonne idée?  Il en crevait d'envie mais et elle? Elle était trop douée pour cacher le fond de sa pensée sous des couches de blabla destinés uniquement à cacher avec soin ce qu'elle avait vraiment sur le coeur. Il se demandait parfois si elle disait les choses pour rire ou si c'était un moyen de repousser un autre problème et le contourner ni vu ni connu. Un autre commentaire sur sa conduite vint s'ajouter au tableau et le doute en lui s'installait un peu plus. Il n'arrivait pas à rire pour le coup, trop concentré à la regarder. Il essayait de déceler quelque chose sur son visage qui lui indiquerait que tout ça c'était des conneries. Qu'elle était en train de mentir. Il hocha simplement la tête. Oui, il conduisait comme un porc, si ça lui faisait plaisir. Il était ailleurs. Mais Donovan n'avait pas besoin de chercher beaucoup plus loin car déjà Jagger se livrait à lui. C'était un mélange d'aveu qui lui déchirait le coeur et d'une plaisanterie sur son accent qui l'aurait sans doute fait râler en temps ordinaire. Que pouvait-il dire? Il n'arrivait pas à faire semblant aussi bien qu'elle. Les choses s'étaient beaucoup trop accumulées dernièrement et il était épuisé à l'idée de refouler tout ça une fois de plus. Ça devenait de plus en plus dur de jouer au jeu du prétendre. Pourtant, il ne lui en voulait pas d'être comme ça. Tant mieux même. S'ils étaient tous les deux comme lui, ce serait peut-être plus dur à vivre encore. Même si sous ses tentatives humoristiques se cachait un malêtre, un mal de vivre, c'était une forme de lutte quelque part. Elle luttait encore contre ses propres sentiments pour rire. Parce qu'il vaut mieux ça que pleurer. C'est vrai. Même si c'est pour de faux? Pas sûr. Mais peut-être après tout.

Après quelques instants de silence, elle recommençait à parler alors qu'il se faisait étonnamment silencieux. Il avait envie de dire merci. Merci d'essayer. Merci d'être là. Merci de ne pas partir et de ne pas vouloir le laisser seul. Merci de comprendre. Merci pour tout en somme. Mais il n'y arrivait pas. Il ouvrait la bouche pourtant, et il avait envie d'ajouter quelque chose. Il la regardait et elle parlait encore. Elle parlait toujours. Et finalement elle lui disait que ça irait pour elle. Qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Et alors sans réfléchir, répondant simplement à un besoin qui lui semblait primaire, il s'approcha encore du canapé et se pencha vers Jagger pour l'embrasser. Il s'était emparé de ses lèvres avec vigueur et ses doigts glissaient déjà sur son visage puisqu'il s'en était aussi saisi. Memphis n'était plus dans les bras de Jagger, alors il l'attira vers lui pour qu'elle se lève et sans cesser de l'embrasser, il fermait les yeux. Finalement, quand ils eurent tout de besoin de respirer à nouveau, éventuellement, il la serra encore contre lui quelques instants qu'il aurait voulu être éternels. "Pardon." Il s'excusait pour ça, c'était bien une première. "Je…" Ouais, c'était vraiment une putain de première pour lui de demander pardon pour l'avoir embrassé. "J'en avais besoin." Pas "j'en avais envie". Non. "J'en avais besoin". La nuance était plutôt claire. Ils restaient proches l'un de l'autre, il pouvait presque sentir son souffle sur lui. Il passa une main sur sa joue. Contact, contact, contact. "Je peux pas ne pas m'inquiéter… J'aimerais bien être comme …" comme toi et arriver à faire comme si j'en avais rien à foutre? Ouais, c'était à peu près l'idée, sauf que lui dire ça ce n'était peut-être pas très malin. Oh! Mais pour une fois qu'il réfléchissait avant de parler, on pourrait au moins applaudir l'exploit! "J'aimerais bien ne pas m'inquiéter et te croire quand tu me dis que ça ira mais on sait tous les deux que ça ne sera pas facile si tu viens." Maintenant ça sonnait presque comme s'il ne voulait pas qu'elle vienne. Décidément, Donovan Halvey n'était pas un type très doué avec les mots "Je veux que tu viennes Jagger. Très égoïstement, je veux que tu viennes. " affirma-t-il avec conviction. "Mais je veux pas que tu viennes si c'est trop douloureux pour toi… Je vais voir mon père mourant." Et c'était suffisant pour qu'ils sachent tous les deux à quel point ça serait difficile pour elle parce qu'il allait faire ce qu'elle n'avait pas pu faire. Dire au revoir. "Mais j'ai besoin de toi. J'ai pas peur de le dire. J'ai plus peur." Il attrapa sa main, parce qu'il avait l'impression que tout ce qui sortait de sa bouche était les pires choses qu'il aurait pu trouver à dire, mais il n'arrivait pas à trouver les bonnes formulations et malgré tout il fallait bien qu'il lui dise ces choses-là. C'était maladroit. C'était Donovan. "Il y a une part de moi qui veut croire qu'on peut y arriver. Et je pourrais même faire un effort de conduite pour ne pas… être un porc ou peu importe. J'aime pas l'image du porc. Je conduis comme un pied si tu veux… Putain si tu savais comme ça me tue de voir ton van dans l'allée et de passer devant à chaque fois sans oser ne serait-ce que poser un doigt sur la carrosserie. J'ai envie de remonter dedans, et j'ai envie de rouler et de partir ailleurs. Avec toi. Et en même temps je sais que malgré tout ce que tu peux dire, ça risque d'être horrible pour toi." S'il n'avait jamais demandé à Jagger quand est-ce qu'ils pourraient repartir, c'était parce qu'il savait qu'elle était à Huntington chez elle et qu'elle avait besoin d'un chez elle plus que tout au monde. Et depuis qu'il y avait la fausse couche qui était rentrée dans l'équation, il se disait que la route ne devait plus le rappeler de très bon souvenirs. Il imaginait ce à quoi elle pouvait l'associer et rien d'y penser ça le rendait malade. "Et si je suis pas suffisant? Si j'arrive pas à te faire oublier? On ferra comment?" Il se posait sans doute trop de questions et il ne savait même plus ce qu'il devait dire ou pas. Il laissait son coeur parler pourtant. Pas de mensonge, pas de blague non plus pour rendre les choses plus légères. Et il s'en voulait d'être aussi grave alors qu'elle se donnait du mal pour les tirer tous les deux vers le haut. Il s'en voulait vraiment. C'était juste plus fort que lui.

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger Empty
MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyLun 18 Aoû 2014 - 12:48

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



Reprendre la route?
Peut-être que la peur n’était qu’un moindre mal - et tant pis si cette peur ressemblait à s'y méprendre à de la panique. Quand elle fermait les yeux et se concentrait assez, ce n’était pas la dernière route qu’elle voyait, mais ces jours avant, le bonheur brut. Ce rythme parfait, comme celui d’un rêve, les levers au petit matin, et les allers simples sur les autoroutes où rien ni personne ne vous retient. Bien cachée derrière la mémoire de cette Jagger qui lutte pour arriver à temps, il y avait toujours cette autre image de cette femme aux accents d’innocence qui avait filé tout droit vers l’inconnu. C’était il y a presque une décennie. Le jour où sa vie avait commencé.
Avant? Avant il y avait eu une enfant. Cette gamine dans les fringues de son (de ses) pères, qui riait très fort, parlait mal, parlait trop. Celle qui était belle, mais qui à défaut de le savoir déjà vraiment ne faisait que le deviner. Elle jouait beaucoup. Avec les autres. Elle les regardait droit dans les yeux et leur touchait doucement la main, l’épaule. Elle se battait beaucoup, même à l’âge ou en théorie on devrait pouvoir régler ses conflits sans de telles extrémités - et débarquait le soir chez ses parents avec les genoux et les coudes écorchés, mais tant pis, elle souriait triomphalement parce qu’elle gagnait. Une mioche. Hyperactive. Qui voulait simplement se libérer, voir le monde et prendre le grand air - respirer, respirer, tellement. Prendre la route avait fait d’elle une adulte. Et tant pis si elle n’était toujours pas la plus conventionnelle d’entre eux. Elle savait au moins que si cet enfant était venu au monde… elle aurait été capable de la rendre heureuse, heureuse à la folie, et de la faire rire aux éclats tous les jours d’une très longue vie.
Aujourd’hui? Aujourd’hui elle était brisée. Elle était peut-être très forte à prétendre le contraire quand il pouvait bien y avoir des témoins, mais il fallait être lucide. Le trou béant dans son ventre, là où aurait dû être nichée sa fille, était devenu un trou béant dans son coeur. Et elle avait beau parler trop, rire très fort, elle ne le faisait plus comme avant - c’était comme si elle forçait sur sa voix, jouait le rôle de la Jagger d’avant. Reprendre la route. Passée la première peur, serait-ce le moyen rêvé de retrouver l’équilibre? De redevenir entière? Belle? Glorieuse? Il y avait des jours, c’était vrai, où elle voulait fermer les yeux et sentir son visage baigné par la lumière et par la liberté. Inspirer profondément cet air qui n’appartenait qu’à la route et qu’à l’ailleurs.
Tenir dans sa main la main de Donovan et se dire - tout va bien.
Il y avait cette peur, quelque part. Une toute petite peur sournoise, qui ne payait pas de mine mais prenait de plus en plus de place. Centimètre après centimètre, elle rongeait son cerveau. Donovan l’avait connue à son heure de gloire. Alors qu’elle ne se souciait de rien, alors qu’elle se foutait de tout - il l’avait connue sauvage. Et s’il en venait à se lasser de celle qu’elle était devenue? Personne n’aime les gens ternes. Personne. Quand elle se regardait dans le miroir, elle se voyait ainsi. Eteinte. Elle, elle ne s’aimerait pas. Ou moins. Tellement moins. Alors il fallait franchir le pas.
C’était étrange, tout ce temps passé à fuir cet homme, pour aujourd’hui voir naître cette angoisse de le perdre. Ironique, aussi, beaucoup. Parfois, elle se demandait: et s’ils s’étaient rencontrés plus tôt, beaucoup plus tôt? Quand elle était plus encore cette gamine hystérique, également hors de son équilibre mais penchant de l’autre côté de la balance. Se seraient-ils supportés? L’aurait-il aimée?
Généralement, elle chassait ce genre de pensées avec une conclusion à la con, du genre « j’lui aurais probablement foutu mon poing dans la gueule à la première remarque déplacée sur mon cul ». C’était un peu la philosophie de toute son existence: il est toujours plus facile de penser vulgairement que de penser trop. Que d’envisager l’éventualité selon laquelle ils auraient été destinés à se rencontrer à ce moment précis de leur vie. L’éventualité selon laquelle il était la seule personne capable de lui rendre cette étincelle qui, à une époque, avait fait Jagger Dickens.

Elle ne se sentait pas obligée. C’était la vérité - elle ne se sentait en rien obligée. Tout juste lui fournissait-il une raison (et une bonne!) de tenter à nouveau l’aventure de la route, une raison pour se dépasser elle-même. Elle n’était pas du genre à se laisser contraindre - et puis Donovan n’avait jamais, ô grand jamais formulé directement de requête pour qu’elle l’accompagne. Rien ne la forçait dans cette histoire. Elle aurait tout à fait pu rester vautrée dans son canapé avec Memphis, alibi rêvé. Bon, certes, ç’aurait peut-être été la porte ouverte à des heures et des heures de jalousie au retour de Donovan quand il aurait constaté que pendant ces jours le chat aurait pris sa place dans le lit - mais voilà, elle aurait pu! Et ça lui aurait permis de ne pas se faire chier à fermer sa gueule quand il s’agissait de parler football américain. A priori, la peine requise à Chicago pour désaccord sportif et soutien de l’équipe de San Francisco était… la mort. Arf. Quelle enfance de merde il avait dû avoir, le petit Donono, dans ce lieu maudit où l’on préfère aller à l’école tout nu ou regarder un porno devant sa mère que de porter une casquette des Yankees. « Hé, mec, j’t’ai dit que je venais avec toi, j’t’ai pas dit que j’allais trahir Baghdad by the Bay. Ok, je porterai pas mon pull des 49ers si t’insistes. Mais si le sujet se présente, t’as intérêt à détourner la conversation vite fait, parce que je dirai pas un mot sympa sur les Chicago Bears. Tu savais que le nom de ta ville venait du mot indien pour ognon sauvage, d’ailleurs? » Non mais. C’est pas parce qu’elle aime la nature qu’il faut pousser mémé dans les orties. Ou tout du moins elle l’affirmait sur le moment, elle n’en mènerait peut-être pas aussi large une fois sur le terrain - mais chut, mieux valait se la jouer tant que c’était encore possible. Avant qu’elle ne soit en train de se geler les miches dans les rues de Chicago. Ou avant qu’elle ne soit sur un brancard. Ou morte. (quoi qu’elle avait entendu aux infos la veille que la criminalité baissait à Chi-town de près de 30% tellement même les gangsters se les gèlent - hé ouais, le crâne rasé, ça tient pas chaud les gens). Oui, elle était bourrée de clichés. Mais oui, les rivalités intestines au football américain donnaient naissance à ce genre d’animosités. Pour tout dire, elle faisait parfois des rêves franchement louches où elle rencontrait Donovan non pas à Memphis mais à Chicago, et il n’avait jamais quitté la ville, et il avait un tatouage ignoble dans le cou en forme de dollar (comme ceux dans les chewing-gum, mais en encore un peu plus raté), des tresses à la Sean Paul, des dents en argent, et il « rapait » (mal) en ajoutant des espèces de « Y’all! » douteux à la fin de chaque phrase. Non, Donovan n’était pas le seul à faire des rêves à la con - par contre il était le seul à parler dans son sommeil et donc à se trahir. Oui, elle était pour le coup franchement heureuse qu’il aie toujours son apparence normale et ses bouclettes quand elle se réveillait le matin.

En tous cas, cette espèce de double diabolique de Donovan, elle ne l’aurait jamais, ô grand jamais laissé faire quand il se pencha vers elle pour lui voler un baiser, puis l’approfondir, puis directement l’inciter à se lever. Mais cet homme était toujours le même, et toujours beau, alors elle s’exécuta, et quand il la prit dans ses bras, elle glissa les siens dans son dos pour l’enserrer doucement. Elle les préférait ainsi. Ils étaient toujours sincères l’un envers l’autres - mais là où la sincérité des mots était un effort de chaque seconde, la sincérité du corps leur avait toujours été une évidence. Elle connaissait par coeur et reconnaissait la puissance des bras, la chaleur de la peau, cette odeur distincte qui n’était que Donovan. Il se tenait tout contre elle, elle se nichait en lui, et alors il n’y avait plus le moindre doute et la moindre pensée - seulement l’instinct. Elle se laissa aller à fermer les yeux. Posa doucement son front contre le sien. Quand tout à coup il fit la dernière chose à laquelle elle s’attendait - il s’excusa. Avec une légère touche d’ironie, elle glissa: « Tu commenceras à t’excuser pour des trucs comme ça quand t’auras des problèmes d’érection, ok? ». C’était à la fois extrêmement déplacé, et riche de sens. Non, il n’avait besoin de s’excuser de rien avec elle, parce que dans cette histoire il y avait des choses évidentes - comme le fait qu’elle était là pour lui, là pour l’aider, malgré tout. C’était aussi, même à demi mot, envisager un avenir. Parler au futur. Simplement. Sans se poser trop de questions, sans se laisser aller à la panique, aussi.
Lentement, mais sûrement, elle se rapprochait de ce moment où elle serait capable de dire qu’elle n’avait plus peur, qu’elle était prête, qu’elle avait confiance, qu’ils pourraient construire quelque chose. Ensemble.
« Ca sera pas facile », répondit-elle doucement à ses angoisses. « Bien sûr que ça sera pas facile. » Elle eut un sourire, légèrement triste. Il n’avait pas prononcé la fin de sa première phrase - mais elle avait cru comprendre le « comme toi » en suspens. Mais ça allait. Elle ne s’en offusquait pas. Elle savait qu’il n’y avait pas grand monde dans cette ville, hors Donovan, Hendrix, ou Ally, qui aurait été capable de déceler le changement dans son attitude après la mort de ses parents. Et personne à part Donovan n’aurait pu deviner combien la perte de sa fille, la perte de Marley, avait pu mettre à mal son équilibre et la sincérité de son rire. Rien n’est facile quand il s’agit d’une vie qui s’en va, même quand on fait tout le nécessaire pour que les choses en aient au moins l’air. « Mais j’étais toute seule. C’est pas un reproche, honnêtement je peux m’en vouloir qu’à moi-même, je me suis braquée et je t’ai laissé tomber à cause de ma fierté à la con, mais j’étais toute seule. Et je crois sincèrement que les choses seront beaucoup plus faciles pour toi si quelqu’un est là. Avec toi. Sauf si je me fais buter à Windy City, mais bon, ça c’est mon problème et au moins j’aurais été là sur le trajet aller. Mission à demi-accomplie. » Il y eut un temps. Elle savait qu’elle n’avait répondu qu’à la moitié de la déclaration de Donovan - celle qui le concernait lui, son bien être à lui, l’épreuve qu’il allait devoir affronter lui. Et puis il y avait l’autre part. Celle qui la concernait, elle, et qui étrangement semblait dans ses paroles plus importantes encore. Elle ressentit tout à coup le douloureux pincement de la culpabilité - en étant sincère avec lui, elle n’avait pas voulu lui ajouter des soucis supplémentaires. Mais il était probablement un peu trop tard pour lui taper dans l’épaule et lancer un grand « j’déconne mon gros, ça va peinard de mon côté! Va acheter de la bière, j’m’occupe du plein, et en avant pour ta ville nordique de merde! ». Beaucoup trop tard, même. Le peu qu’elle pouvait faire, c’était parler à nouveau avec une certaine légèreté pour dédramatiser les choses, lui rappeler qu’elle était assez forte pour encaisser. Ou tout du moins elle l’espérait. « Et moi, je peux pas rester là. Personne sait. Pour Marley. J’ai rien dit à Hendrix, j’ai rien dit à Ally. Et bien sûr que je vais pas te prendre la tête tous les jours avec ça, franchement t’as d’autres trucs à penser, mais… rester la seule ici à savoir? » Il y eut un temps. Elle pourrait le dire. Mais voir le visage de Donovan quand elle avait prononcé ces mots, la nuit où le Corbeau avait tout changé, lui avait déjà brisé le coeur. Recommencer avec son frère jumeau? Recommencer avec sa meilleure amie, celle qui aurait été la marraine de cette enfant disparue? Elle n’était pas prête. Tellement pas prête. Simplement pas prête. « Et même hors de ça, j’ai l’impression que… » Elle ferma une seconde les yeux, fronça les sourcils, comme mécontente d’elle-même et des mots qu’elle allait prononcer: « … que ça sera beaucoup plus difficile pour moi aussi si t’es pas là. ». C’était un « j’ai besoin de toi », prononcé avec toute l’hésitation d’une femme qui ne sait pas dire les sentiments, qui ne sait pas dire la tendresse, qui ne sait pas dire l’affection. « Alors autant recommencer à se marcher dessus dans le van, à se battre pour la couverture, et à se peler les miches à Chicago parce que ton putain de pays est froid et que l’isolation de mon foutu van est toute pourrie. » Finit-elle par conclure, en retrouvant par la même occasion un certain sourire - il fallait dire que le ton lui convenait mieux, aussi.

Et ouais, ça allait demander des compromis. Comme laisser Donovan conduire alors que Jagger n’était habituée qu’à une seule façon de gérer l’autre gros tas de ferraille, la sienne. Comme faire des efforts pour ne pas penser à la peur, pour ne pas penser à la mort, pour fermer les yeux sur la dernière Route et retrouver le bonheur intense de tous les jours qu’il y avait eu avant. Elle aussi, elle avait envie de redevenir cette femme et de retrouver la liberté. Et étrangement, quand Donovan disait les mots « J'ai envie de remonter dedans, et j'ai envie de rouler et de partir ailleurs. Avec toi. », elle avait l’impression qu’une part d’elle hurlait « moi aussi ». Ca ne serait pas exactement comme avant. Ils avaient une destination - il y a quelques mois, ils n’avaient que des envies. Ils ne faisaient pas ce trajet pour eux-mêmes, ou parce qu’ils n’avaient rien d’autre à faire - ils le faisaient pour une raison précise. Peut-être que ça serait plus simple. Voyager au lieu d’errer. Sinon… « Je sais que je paye pas de mine comme ça, mais j’peux tenir le coup. Ca dépend. Si je pète un plomb, je peux te mordre? » Quoi? Donovan tiendrait probablement mieux le choc que Memphis lors d’une crise de panique… non? Puis moins de poils. Meilleure digestion. « Et si vraiment ça tourne à la grosse merde et que je sens que je peux plus tenir… et bah je prendrai le bus. » elle ouvrit les yeux en grand, comme réalisant soudain ce qu’elle venait de dire. « Non pas le bus, j’suis sure que je ferais une allergie dans les transports en commun. Puis c’est pas comme si j’allais te laisser mon van. Haha. Va crever pour que je te confie mon bébé. » Hé! Elle l’avait retapé, intégralement, de ses mains. Elle l’avait repeint. Elle avait vécu presque une décennie dedans, suffisamment pour dire qu’il s’agissait de son logement légal. Elle avait traversé le pays de long, en large, en travers, en diagonale, dans ce van. Alors personne d’autre qu’elle ne pouvait voyager seule à l’intérieur - elle trouvait qu’elle faisait déjà pas mal d’effort en permettant à Donovan de tenir le volant de temps en temps. En plus il choisissait mal la musique. Tsss. Elle eut un air consterné à cette pensée, qui se changea cependant en vague angoisse quand elle reprit la parole sur un ton plus sérieux: « Ca va aller. Franchement, Donovan, ça va aller. On va pas commencer à prévoir des plans de secours, ça pourrait nous porter la poisse. Alors ça va aller, d’accord? Ca va bien se passer, tu seras là pour prendre le volant si je me sens mal, pour me calmer si je me sens mal, et moi je serai là pour te soutenir dès que le cap sera passé. Ok? Et si on se retrouve tous les deux comme des merdes, bah Memphis gèrera le truc comme un pro, je suis sure. Il a de qui tenir. Même si on vient tout juste de l’avoir. » Elle eut un instant à l’esprit la vision assez absurde du tout petit chat roux grimpant sur le fauteuil et posant ses pattes sur le volant… Héhé. Elle était à peu près sûre qu’elle pouvait le dresser à faire des choses stupides comme ça. Et elle était à peu près sûre que Donovan la soutiendrait sur un projet à la con comme ça. Mais ce n’était pas le sujet. Elle se força à sourire, un peu, aidée par l’absurdité qui venait de lui traverser l’esprit. « Et puis tu veux que j’te dise un truc que mon honneur devrait m’interdire de dire? » Tu parles qu’il voulait, il était toujours opé pour ce genre d’histoires. Il n’exigeait jamais directement d’elle qu’elle lui ouvre son coeur, dieu merci, mais elle savait qu’il était beaucoup plus facilement sincère et sentimental qu’elle. Et que, peut-être, il lui arrivait d’en souffrir. Mais elle faisait des efforts - chacun de ces instants en était une preuve, même infime, elle faisait des efforts pour s’habituer à tout cela. « J’pense qu’il y a qu’avec toi que je serai capable de dépasser ça. Et d’arrêter d’avoir peur. » Ca n’avait rien à voir avec le fait que Hendrix conduisait comme une bille. C’était simplement que… Donovan, parfois, rendait les choses extrêmement compliquées (notamment quand il s’agissait pour Jagger de démêler un peu tout ce qu’elle pouvait bien ressentir). Mais la plupart du temps, il rendait les choses simplement évidentes. Il la regardait. Il souriait. Et elle avait l’impression qu’une part du poids s’envolait de ses épaules. Le monde ne devenait pas évident - mais il devenait plus accessible.
« Ca ira. Pour nous deux, ça ira. » finit-elle par dire.
Elle souriait.

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I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger Empty
MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptyVen 22 Aoû 2014 - 19:30

“I hurt myself today to see if I still feel. I focus on the pain, the only thing that's real. What have I become,
my sweetest friend? Everyone I know goes away in the end. And you could have it all, my empire of dirt. I will let you down. I will make you hurt. ”


Donovan n'avait qu'à regarder Jagger pour l'imaginer à ses côtés sur la route. Lui au volant du van et elle qui regarde le paysage défiler avec une moue boudeuse parce que le laisser conduire la tue carrément à l'intérieur. La vitre baissée, les cheveux au vent, elle est splendide et il a mal au ventre tellement l'image le rend heureux et tellement il l'aime aussi. Retourner sur la route, il en crevait d'envie depuis quelques temps, en réalité cette envie ne l'avait jamais quitté. S'installer à Huntington ce n'était pas prévu. Au départ il s'agissait simplement de se refaire un peu. Il avait besoin d'argent et bien que l'endroit lui ait semblé plutôt étranger à son propre style, il savait qu'il pourrait toujours trouver pire ailleurs. Les plein aux as d'Orange County ce n'était pas vraiment son truc. Pour être honnête Donovan les avait même en horreur. Tout ces petits surfeurs à mèche qui se la joue homme à femmes, il leur aurait bien rigolé au nez, mais ça n'aurait pas été crédible… Il était tombé assez bas pour lui-même prendre des leçons afin de savoir tenir sur une planche, ce qui s'avérait d'ailleurs bien plus difficile qu'il ne l'aurait cru. Quoiqu'il en soit, se retrouver dans un décor de carte postal comme celui-ci, ce n'était pas ce qu'il recherchait en partant sur les routes. Il préférait largement les coins paumés où il pouvait oublier que le reste du monde continuait de vivre et de tourner. Il s'y sentait beaucoup mieux, beaucoup plus libre et ça lui allait parfaitement. Mais il avait retrouvé Jagger ici et ça avait tout changé. Pour elle, il avait complètement oublié ses a priori, parce que peu importe qui il y avait autour, le principal c'était qu'ils étaient à nouveau ensemble. Il l'avait parfois titillé en insultant ouvertement cette ville qu'elle considérait apparemment comme son chez-elle, de la provocation pure et simple. Et peut-être qu'avec le temps il avait appris à apprécier les lieux, peut-être qu'il commençait à s'y sentir bien lui aussi… Allez savoir! Quoi qu'il en soit, même s'il ne se plaignait pas de cette nouvelle vie qu'il imaginait encore temporaire, sans vraiment penser trop loin, l'envie de prendre le volant et de partir le traversait encore très souvent. Trop souvent. Ce qu'il commençait à vivre mal c'était la routine qui s'installait dans son quotidien, pas avec Jagger mais il avait ce job au café Hometown depuis un peu trop longtemps à son goût et l'envie de tout envoyer valser le titillait de plus en plus. Voir les mêmes clients tous les jours et devoir leur servir exactement la même commande matin après matin, ça le rendait dingue. Aller au travail avait été un plaisir. Il était une fois il y a longtemps, dans une autre vie semblait-il… Donovan avait aimé être pompier et chaque jour et chaque nuit, lorsqu'il devait travailler il n'éprouvait rien d'autre que du plaisir. Ça le rendait heureux parce que ça avait un sens, mais servir des cafés et nettoyer des tables c'était un job de merde. Il n'y avait aucun sens, aucune utilité au fait de bosser dans ce café. S'il avait accepté cet emploi c'était juste pour gagner assez d'argent pour pouvoir voyager encore quelques mois sans avoir à s'arrêter trop longtemps à nouveau. Maintenant, il se retrouvait avec des économies comme jamais il n'en avait eu. Il avait assez de thune pour partir en vadrouille à nouveau, et peut-être même assez pour se payer une nouvelle voiture. Sauf que sa voiture il s'en foutait royalement, ce qu'il voulait c'était le van de Jagger. Il ne lui en parlait pas, mais oui, ce van hantait ses pensées et il en rêvait constamment. Putain. Ils avaient été tellement heureux dans cette espèce de maison sur quatre roues. Ce n'était pas le grand luxe, mais c'était parfait pour eux. Rouler jusqu'à n'en plus finir, dormir dans une ville différente chaque soir, fumer clope sur clope, l'embrasser dans le cou, en fait l'embrasser partout, s'allonger sur le matelas à l'arrière et garder les yeux ouverts en observant le plafond ou le ciel noir. À l'époque, il se demandait parfois si tout ça était bien réel, il avait même peur de s'endormir et de se réveiller seul sur la banquette arrière de son vieux tas de ferraille, comme si elle n'avait été que le fruit de son imagination. Et les soirs où ils ne dormaient pas ensemble parce qu'ils n'étaient pas vraiment un couple de toute façon, il angoissait souvent de ne pas la retrouver à l'endroit où il l'avait laissé. Et si elle avait décidé de changer de compagnon de route? Et si elle avait demandé à un autre homme de l'accompagner tout comme elle l'avait demandé à Donovan? Il n'aurait pas supporté. Mais aujourd'hui, il n'avait plus vraiment peur de la perdre pour un autre. Après tout ce qu'il lui avait dit et tout ce qu'elle lui avait dit aussi, il savait que Jagger n'avait pas non plus envie de le voir s'évaporer dans la nature. Sans forcément avoir été dites, les choses étaient plus ou moins claires. Il ne la considérait pas pour autant acquise, il se refusait à le faire. Il préférait la voir comme cette fille qu'il avait toujours envie d'impressionner et de conquérir, c'était surtout histoire de ne pas laisser place à l'ennui. Alors il continuerait à jouer au mec jaloux, même si au fond de son coeur il savait qu'elle trouvait parfaitement sa place dans ses bras à lui et que ses draps à elle lui étaient entièrement réservés. S'il retournait sur la route à présent, ce serait peut-être encore mieux qu'avant parce que maintenant ils avaient toutes ces histoires, tout ce vécu derrière eux. En quelques mois c'était comme si Donovan avait gagné dix ans de vie. Ce n'était pas forcément agréable, et ça n'avait pas été facile du tout, mais il se sentait prêt à vivre cette aventure-là avec elle à nouveau. Alors, quand elle annonça vouloir venir avec lui jusqu'à Chicago, il aurait dû saisir l'occasion et simplement dire oui. Il aurait dû…. Si ça n'avait pas été son père dont il était question, sans doute n'aurait-il rien questionné du tout, mais la situation était compliquée et même si elle l'encourageait à aller dire au revoir à cet homme qui lui avait donné la vie, il n'avait pas encore pris une décision ferme et définitive. Certes, Jagger l'influençait grandement et dans la bonne direction qui plus est, mais il avait encore besoin de quelques jours. Il le sentait au fond de lui-même. Juste quelques jours. 

Ce n'était pas tant Jagger le problème que la décision qu'il avait à prendre. En soi, il s'agissait de décider s'il avait envie de donner une dernière chance à son père. C'était aussi peut-être une chance à saisir pour lui d'obtenir des réponses aux questions qui le torturaient encore aujourd'hui alors qu'il affichait déjà trente ans et quelque au compteur. Il n'était plus un enfant et peut-être qu'en finir une bonne fois pour toute avec ces histoires lui permettrait de trouver une forme de paix intérieure. D'un autre côté, Donovan ne pouvait s'empêcher de se demander s'il ne plaçait pas un peu trop d'espoirs dans ces retrouvailles… Il ne voulait pas s'imaginer des choses et en espérer d'autres pour finalement ne rien obtenir. Il avait surtout besoin de se protéger, parce que même s'il avait du mal à l'admettre, revoir son père le tétanisait. La simple idée de se retrouver face à lui, d'entendre sa voix à nouveau, de sentir sa présence… Ses réticences principales ne concernaient donc pas Jagger mais elle entrait également dans l'équation malgré tout. Il avait peur de raviver chez elle des souvenirs douloureux, il avait peur que le voyage les renvoie tous les deux à ce présent cruel et qu'il fasse naitre des regrets. Bien sûr qu'ils avaient déjà vécu de belles choses, des moins belles aussi, mais ce que Donovan voulait désormais c'était construire de nouveaux souvenirs avec Jagger. Des beaux souvenirs. Des choses qui les feraient encore sourire dans vingt ans, dans cent ans. Retourner à Chicago n'allait pas être facile pour lui, il savait qu'il tiendrait le coup malgré tout, parce qu'il n'aurait pas le choix, mais il avait peur que reprendre la route avec elle soit une longue agonie plutôt qu'un moment de soulagement. Et si ce n'était pas un nouveau souffle mais un retour de feu? Il réfléchissait trop, il le savait, mais il s'était aperçu qu'il était de plus en plus cet homme-là qui ne prend pas des décisions à la légère. Ça aussi ça l'effrayait. Grandissait-il enfin? Peut-être. Quoi qu'il arrive, il resterait toujours une part de lui incapable de grandir. Malgré tout ce qu'il pouvait craindre, il y aurait à jamais l'ombre de cet enfant en lui et il continuerait à être le même. Évoluer et mûrir, ça faisait simplement parti de la vie après tout, et tôt ou tard il devait passer par-là, ça ne signifiait en rien que Donovan ne pouvait plus être Donovan. 

Elle le faisait rire malgré tout, parce qu'il l'imaginait se balader à Chicago et se prendre la blinde de regards de travers à la vue d'un stupide t-shirt qu'elle pourrait porter en l'honneur de son équipe fétiche. Ça le ferait sans doute rire de la voir devoir se démerder avec une bande de gros bras à la sortie d'un match par exemple. Elle ferait sans doute beaucoup moins la maligne que devant Donovan, mais il trouverait ça irrésistible et de toute façon il ne laisserait jamais qui que ce soit s'approcher un peu trop près d'elle, surtout pas quelqu'un avec un air menaçant. Le premier qui tenterait de toucher ne serait-ce qu'un seul de ses cheveux se verrait offrir un nouveau portrait par Donovan Halvey lui-même. N'empêche qu'elle était elle-même pleine de ressources et lorsqu'elle lui demanda s'il connaissait l'origine du nom de sa ville il secoua la tête doucement. "C'est wikipédia qui te l'a dit?". S'il l'emmenait avec lui à Chicago, ça pourrait être marrant. Et quelque part, il devait bien en avoir envie. Elle partageait Huntington Beach avec lui après tout. Bon, au début elle avait eu un peu de mal à partager, mais maintenant elle ne semblait plus se plaindre de sa présence. Il pourrait en faire de même en lui montrant sa ville. Il y avait bien des gens qu'il pourrait lui présenter aussi. Sa famille, la vraie, celle qu'il avait choisi tout seul et qu'il avait construit au fil des années commençait à lui manquer sérieusement. Il avait gardé contact en envoyant de l'argent régulièrement à la femme de Jake et à celle de Ryan, il écrivait même des lettres et joignait des cartes postales pour les enfants. Jess lui avait envoyé une photo de ses deux bambins devant un mur rempli de cartes. Elle lui avait aussi raconté que Lucy parlait sans cesse de son parrain Donovan qui voyageait à travers le pays et qui était un peu comme un super-héros parce qu'il rencontrait des gens tout le temps et qu'il voyait des choses incroyables. Sur le coup il s'était senti tellement égoïste d'être parti et d'avoir laissé ces gens-là derrière lui alors qu'il les aimait tant mais on l'avait presque aussitôt rassuré en entendant le silence s'installer au bout du fil. Jess lui avait dit mot pour mot qu'elle comprenait et qu'elle voulait simplement le voir heureux. Il était tellement chanceux d'avoir des personnes comme ça dans sa vie. Il serait fier de présenter la fille qu'il aimait à cette famille-là. Jagger pourrait faire la connaissance de sa filleule adorée, et elle verrait à quel point Donovan pouvait être un véritable bisounours avec les enfants. Il y avait Lucy évidement, mais il y avait aussi le dernier né. Ryan et Jess avait en effet eu un fils peu de temps avant l'accident…. Lorsque Donovan avait pris la route le petit n'avait encore que quelques mois. Il devait avoir bien grandi à présent et ça lui ferait plaisir de le voir. Rien que pour eux, il aurait été prêt à reprendre le volant sur le champ! 

Pour l'instant, ils étaient toujours dans le salon d'Hendrix Dickens. Ce con qu'il n'avait pas le droit de traiter de con pourtant. Il se mordait la langue à chaque fois que Jagger mentionnait son frère, pour leur bien à tous les deux. Il savait que s'il allait trop loin ça ne passerait pas. Son frère c'était le type le plus intouchable du monde sans doute et ça faisait bien chier Donovan, évidement, parce que les deux types ne pouvaient pas (encore) se voir en peinture. Pour Jagger, il faisait tout de même un effort qui consistait à ne pas l'ouvrir à ce sujet. Il se contentait de grimacer à la mention du prénom d'Hendrix, peut-être qu'il soufflait un peu aussi mais c'était tout. Quoi qu'il en soit, il avait ressenti ce besoin terrible de la prendre dans ses bras et de l'embrasser. N'étant pas du genre à se retenir, il l'avait même forcée à se lever du sofa et à laisser Memphis se débrouiller comme un grand dans cette nouvelle maison. Au diable le chaton, Donovan n'avait q'une seule envie c'était de l'aimer elle. Comme une pulsion. Parce qu'il n'aimait pas la voir triste, pas même une seconde, et parce qu'il savait qu'il y avait des choses qu'ils prenaient tous les deux grand soin de cacher à l'autre, en vain. Les sourires ne trompent pas les regards. Elle pouvait peut-être plaisanter sur tout mais il n'arrivait pas à ignorer ce qu'il voyait dans ses yeux. L'embrasser c'était une manière de la ramener à lui, de se retrouver, de se rassurer. C'était autant pour elle que pour lui-même qu'il l'avait fait. Peut-être plus encore pour lui-même. Et puis, comme un con, il s'excusa. La réplique ne se fit pas attendre, et c'était du Jagger tout craché. "Dans ce cas, je ne m'excuserai jamais!" déclara-t-il presque automatiquement en l'entendant parler de problèmes d'érection. Il préférait qu'elle n'aborde pas ce sujet-là, question de superstition! "Parle pas de malheur." Ça pour être un malheur, ça en aurait été un! 

Et malgré les efforts qu'elle faisait pour garder une certaine dynamique dans cette conversation qui sonnait encore pas trop mal comme du Jagger et Donovan, il n'avait pas pu s'empêcher de lui faire part de ses inquiétudes. Il voulait avant tout être honnête avec elle et au cas où, il ne voulait pas qu'elle pense qu'il ne voulait pas d'elle sur la route. Il se sentait bête de ne pas pouvoir se montrer insouciant comme toujours, mais c'était trop grave et ça lui tenait trop à coeur pour que Donovan puisse crier haut et fort qu'il s'en bat l'avoine (oui, et autre chose aussi mais restons courtois). Les rôles se retournaient peu à peu et ce n'était plus à Donovan de rassurer Jagger mais à Jagger de rassurer Donovan. Il s'en fichait, il avait juste besoin d'entendre le son de sa voix, il avait besoin de savoir que ça irait vraiment pour elle. Il avait du mal à maintenir son regard, mais lorsqu'elle évoqua sa propre expérience il releva la tête et se redressa un peu. Elle avait été courageuse, alors il devait l'être aussi. Si elle avait pu, il pouvait. Il pourrait. Mais elle avait raison, avec elle à ses côtés se serait forcément plus facile. Un léger sourire s'immisça sur ses lèvres alors qu'elle continuait de plaisanter. Comment arrivait-elle à jongler ainsi avec ses émotions? Il enviait ce côté-là de sa personnalité, il avait l'impression de s'être trompé sur toute la ligne. Elle était peut-être bien plus forte que lui! Mon Dieu, Jagger. Il avait à nouveau envie de l'embrasser et de la serrer contre lui parce qu'elle était géniale. Parfaitement géniale. S'il n'était pas doué avec les mots, elle arrivait toujours à trouver quoi dire. Ce n'était pas toujours ce qu'il voulait entendre, mais d'une manière ou d'une autre, c'était tout juste ce qu'il fallait dire quand même. "Je ne laisserais jamais personne te buter, tu sais bien." (tmtc fraté) En gros, ça voulait dire "Je suis ton chien de garde et je sors les crocs avant même d'avoir aperçu la menace, tu me connais". Une fois de plus, il était reconnaissant du fait qu'elle ne veuille pas le laisser seul dans cette épreuve mais plutôt que de dire merci, il préférait se contenter de cette réponse à sa petite boutade pas si drôle que ça d'ailleurs parce que penser à Jagger morte ça ne le faisait toujours qu'à moitié rire. Des morts, ils s'en avaient déjà assez chacun de leur côté. 

Il s'apprêtait à baisser à nouveau la tête lorsqu'elle reprit la parole. C'est vrai qu'il n'y avait qu'eux deux qui connaissaient le secret qu'elle avait caché pendant des mois et qu'elle cachait encore à ses proches. Il était le seul sur qui elle pouvait vraiment se reposer un peu. Et même si c'était encore terriblement douloureux pour Donovan, il voulait qu'elle se sente à l'aise de lui en parler quand elle en avait envie, quand elle en avait besoin surtout. Ils avaient un peu discuté de tout ça, mais le plus gros du deuil, si on pouvait vraiment parler ainsi, ils le faisaient individuellement. Ils savaient l'un et l'autre qu'ils se soutiendrait toujours à travers cette épreuve-là, mais ce n'était pas forcément facile d'aller vers l'autre avec toute sa peine et demander un coup de main pour s'en relever. Il n'aurait jamais osé faire ça pour être honnête. Trop peur de lui faire du mal, encore. Il pouvait gérer lui-même, ce n'était pas trop lui en demander. Il clignait des yeux comme un petit chiot en détresse, mais il l'écoutait surtout avec toute l'attention du monde. Pour une fois, il ne ratait pas un mot de la conversation! Les sourcils froncés alors qu'elle hésitait à finir une phrase, il se détendit un peu. Elle avait besoin de lui. Il le savait déjà en fait, mais l'entendre c'était toujours autre chose. Il s'était emparé de sa main comme pour y puiser de la force et pour se rassurer aussi. Il souriait, ce con. C'était encore léger mais c'était là. Elle avait besoin de lui. Besoin de lui. Elle continuait à raconter n'importe quoi, enfin pas tout à fait mais c'était à son tour d'insulter la ville d'origine de Donovan. Il s'en foutait franchement, parce que cette ville il l'avait fui comme on fuit la peste et même si évidement elle tenait une certaine place dans son coeur, ce n'était pas là-bas qu'il se sentait le mieux. Il n'éprouvait pas spécialement le besoin de retrouver cet endroit. Ici ou ailleurs, peu importe. Il irait là où il devait mais ce n'était rien d'autre qu'une obligation morale au fond. Ce n'était pas un rappel à la maison de l'enfant du pays. "S'il fait vraiment trop froid… on pourra toujours se réchauffer." C'est que malgré tout, il ne perd jamais le Nord le petit! Caressant le haut de la main de Jagger avec son pouce, il ajouta: "Je suis sûr qu'on saurait se montrer très créatifs de ce côté-là, toi et moi." Au fond, tant mieux si l'isolation du van était à chier! Ça ferait au moins un heureux! "Mais tu sais… Peut-être qu'on…" Il n'était pas très sûr de savoir formuler ça, parce qu'en général lorsqu'il voyageait avec Jagger ils dormaient ensemble dans le van et franchement ils n'avaient pas de fric à gaspiller dans des chambres d'hôtel, mais pour le coup il se voyait mal dormir dans les rues de Chicago. "… on pourrait dormir chez des amis à moi." Des amis dont elle n'avait encore jamais entendu parler. Il était peut-être enfin prêt à aborder de nouveaux sujets avec elle. Petit à petit l'oignon perdait de ses couches et même si ça prenait du temps elle finirait bien par le connaitre de long en large et en travers un jour ou l'autre. "J'adore le van tu sais… c'est juste que certaines personnes ne comprendraient pas que je dorme dans la rue quand il y a déjà une chambre d'amis prête à m'accueillir depuis des mois chez eux…" Il avait l'impression de passer aux aveux après avoir fait une énorme connerie, parce qu'il n'avait presque jamais mentionné aucune connaissance de son passé à Jagger et que peut-être même elle s'imaginait qu'il n'avait vraiment plus personne à qui tenir en dehors d'elle. C'était presque vrai, mais pas tout à fait. Il s'arrêterait là pour le moment. Petit bout par petit bout. Always. "On fera comme tu voudras." avait-il fini par dire. Il savait de toute façon que quoi qu'il arrive, elle aurait le dernier mot. Il ferait ce qu'elle voudrait, mais une chose était sûre, il resterait avec elle. Le plus embêtant serait encore que Lucy trouve l'idée du van tellement géniale qu'elle se mette à supplier sa mère de la laisser dormir dans la voiture. M'enfin, dans le pire des cas elle finirait bien par oublier tout ça et à passer à une autre idée loufoque. C'est ainsi que fonctionnent les enfants, non? 


Elle parvenait peu à peu à lui rendre le sourire, à lui donner un peu de légèreté dont il manquait cruellement à cet instant. Elle avait cette manière de s'exprimer qui lui était propre et qui le faisait toujours rire. Elle était la fille parfaite à ses yeux, parfaite pour lui en tous cas et il n'aurait pas pu rêver mieux que Jagger pour vivre tout ça. Pour vivre tout court. "Si on pouvait éviter les morsures, ça serait plutôt cool. Enfin… ça dépend où tu veux me mordre en fait." Il avait pris un air pensif, comme si tout ça était vraiment sérieux. Elle n'avait plutôt pas intérêt à le mordre en fait, il réagissait plutôt mal à la douleur physique. (C'est un autre sujet que nous n'approfondirons pas aujourd'hui, merci bien.) Il rit alors qu'il l'imaginait prendre le bus. L'image était franchement hilarante, parce que Jagger dans un bus, putain… Elle ne ferait pas long feu! Elle se référa à son van en disant "mon bébé", et encore une fois Donovan ressentit ce pincement au coeur. Ça ne durait jamais plus de cinq ou six secondes, mais c'était tellement profondément ancré en lui qu'il avait l'impression que c'était beaucoup plus long. Il était fatigué d'avoir mal à la simple prononciation de mots inoffensifs. C'était dans sa tête tout ça… Sauf que l'entendre de la bouche de Jagger c'était deux fois plus douloureux. Mon bébé. Notre bébé. La limite était encore tellement fine. Notre Marley. Voilà. Il secoua la tête légèrement avant de forcer un sourire plus large cette fois. Il n'avait pas encore la force de rire, mais sourire c'était déjà bien. Et peut-être qu'il s'inquiétait trop, c'était même certain mais il n'y pouvait rien. Mais tout ce que Jagger disait, ça a avait du sens. "D'accord." Son pouce avait cessait de caresser le dos de la main de Jagger. Il l'avait même relâché, mais il s'approcha d'un tout petit pas vers elle. "Ça va aller." répéta-t-il. Il prit une profonde inspiration et se tourna vers le chat lorsqu'elle le mentionna. Memphis les regardait tous les deux avec son petit air tout mignon et Donovan ne put s'empêcher de se laisser attendrir. "Tu m'étonnes qu'il gérera! Regarde-moi cette bouille! Je l'ai tellement bien choisi franchement!" Il se reconcentra sur Jagger lorsqu'elle reprit la parole, hocha la tête à sa question et sourit en entendant la réponse. "Oui, ça ira." Elle avait raison sur toute la ligne et en deux temps trois mouvements elle venait de l'aider à dépasser ses angoisses. Il n'était pas encore complètement serein, mais il s'en approchait et c'était un grand pas. Alors qu'il vit un sourire se dessiner sur ses lèvres à elle aussi, il s'approcha encore un peu pour sentir son corps contre le sien. Il passa une main derrière sa nuque tout en relevant un peu ses cheveux, l'autre main glissant sur sa hanche et le creux de son dos, il l'embrassait à nouveau. Il n'y avait personne sur Terre capable de le faire se sentir aussi bien alors qu'il se sentait en même temps très mal. Elle était son roc, son pilier. Elle était tout ce qu'il avait de plus précieux au monde et il était tout simplement fou de Jagger Dickens. L'amour qu'il éprouvait pour elle lui donnait l'impression d'être infini. Ça ne cessait de grandir et de grossir en lui et de se répandre dans son être tout entier. Il l'aimait. Il l'aimait encore. Il l'aimait toujours. Il l'aimait plus fort. Elle arrivait à le faire rire quand il avait envie de pleurer, elle parvenait à lui arracher un sourire quand même la plus grande des peines l'avait envahi, elle lui redonnait espoir et force. Il avait besoin d'elle au moins autant qu'elle avait besoin de lui. C'était sans doute malsain d'avoir autant besoin de quelqu'un, d'en dépendre à ce point mais Jagger n'était autre que l'oxygène de Donovan. Elle le maintenait en vie, envers et contre tout. Telle la lumière au bout du tunnel, elle le guidait à travers ce tourbillon de sentiments dans lequel il semblait se perdre parfois. Souvent. Et c'était grâce à elle s'il était encore capable de rester debout aujourd'hui. Malgré l'envie parfois de se laisser abattre, elle lui fournissait une raison valable de continuer à se battre contre la vie. À la recherche du bonheur. 

Alors qu'il laissait leurs lèvres se séparer, il déposa un autre baiser sur sa joue. Digne d'un enfant de dix ans, certes, mais rempli d'amour et d'une délicatesse surprenante pour ce barbu/frisé/pseudo-malabar. Au final, Donovan n'était rien d'autre qu'au gros tas d'amour, surtout avec elle. Il fit un pas ou deux sur le côté et attrapa Memphis qui était resté sur le canapé. Le chaton prit la peine de se débattre quelques secondes mais rapidement, il se laissa faire. Se tournant vers Jagger, Donovan reprit la parole. "J'ai juste besoin d'encore quelques jours pour me décider… Si t'es d'accord." Il ne voulait pas lui donner l'impression que toute cette conversation n'avait servi à rien et que ce n'était que du vent. Ce n'était pas le cas. "Juste un ou deux jours." Il en avait encore besoin. Pour ne pas avoir à faire face à ces deux grands yeux, il resta bloqué sur Memphis. Donnant une caresse sur le haut de la tête du chaton, il laissa le silence s'installer quelques instants avant de reprendre. "Tu te rends compte à quel point on arrive à être honnête l'un avec l'autre maintenant?" À nouveau, il partageait spontanément son ressenti. Ça en devenait presque normal à force. "J'aime bien l'idée de garder une part de mystère, et je sais que je ne sais toujours pas tout sur toi… Je l'ai compris. Et tu ne sais pas tout sur moi non plus mais pourtant…" Un temps. "… J'ai l'impression qu'on a plus de secret l'un pour l'autre." Memphis eut le droit à deux ou trois autres caresses pour empêcher Donovan de se mettre à rougir comme un gros crétin. "C'est juste que… J'ai jamais été aussi proche de quelqu'un de toute ma vie. J'ai jamais été aussi honnête non plus." Il aurait bien caressé le visage de Jagger aussi s'il n'avait pas eu le matou dans les bras. Il se contentait de lever les yeux vers elle, avec ce regard de gamin qui lui était propre et qui avait tendance à créer un décalage avec son allure d'homme. "J'aime bien ça." S'il y avait des évolutions qui lui faisaient peur, celle-là le rendait heureux au contraire. Avec Jagger, il savait qu'il avait trouvé quelqu'un sur qui compter. Et même si elle se foutait de sa gueule parfois, il savait qu'elle ne rigolerait jamais vraiment de ce qu'il lui disait quand il en venait de se confier sur des choses plus sérieuses. Lui aussi riait d'elle de temps en temps. Leur relation était largement basée sur la fameuse expression "Qui aime bien châtie bien" et heureusement, parce qu'autrement il y a longtemps qu'ils se détesteraient l'un et l'autre. Mais leurs intentions n'étaient pas vraiment de se faire du mal, en tous cas Donovan ne pensait jamais de la sorte. Il était simplement très maladroit et c'est ce qui posait problème, quand problème il y avait. 


Ses yeux passant de Jagger à Memphis, puis de Memphis à Jagger à nouveau, il souriait paisiblement. Il y avait des choses vraiment tristes qui se baladaient encore dans sa tête et il y avait tout ce qui le faisait souffrir, ses angoisses évidement, les souvenirs, et tout le reste. Il n'était pas tout à coup soulagé de tout mais au moins ce petit moment de panique qu'il avait eu s'était évaporé et peu à peu il avait la sensation d'être capable de retrouver sa position d'homme fort. Il avait le droit de craquer lui aussi, mais il se devait de se relever et d'arriver à surmonter ces vagues d'émotions qui le submergeaient encore de temps à autre. Tant que Jagger était à ses côtés, tout allait bien. Tout irait bien. Et puis il y avait Memphis maintenant. Il serait peut-être jaloux de voir le chaton partager des moments tout mignons avec Jagger mais il serait surtout content de la voir retrouver le sourire. Cette boule de poils ne pourrait que leur faire du bien à tous les deux. Alors qu'il grattait légèrement le derrière des oreilles de Memphis, ce dernier se mit à ronronner légèrement et Donovan, surpris, laissa un moment s'écouler avant d'articuler la patte du chaton vers Jagger et de lâcher un "Meowww" furtif. Le silence à nouveau et puis son rire qui résonna dans le salon. Et voilà le Donovan qu'elle avait toujours connu. Le même qui rigole d'un jouet qui fait "pouet-pouet". Le même qui lui balance ledit jouet à la figure. "Quand j'avais huit ans, j'ai joué dans une pièce à l'école… C'était les aristochats." Il releva le nez vers elle tout en berçant gentiment Memphis dans ses bras. "Je dis ça au cas où tu te demanderais où j'ai appris à miauler aussi bien!". Et son rire à nouveau. Ah! Donovan.

“I wear this crown of thorns upon my liar's chair full of broken thoughts I cannot repair. Beneath the stains of time, the feelings disappear. You are someone else. I am still right here.”
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I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger Empty
MessageSujet: Re: I focus on the pain, the only thing that's real ∆ donogger   I focus on the pain, the only thing that's real  ∆ donogger EmptySam 23 Aoû 2014 - 21:30

- NEVER WAS, NEVER WILL BE -
Where do we go. question mark. What have we become. question mark. Whither went what was. question mark. Shall there ever be dawn. question mark. Did we ever change? It never was and never will be. It hurts so bad to think about her. (Donogger, Part. 3)



Chicago.
Il y a quelques mois encore, cette destination lui aurait semblé être la porte à côté. Pas de quoi appeler la police - juste quelques heures, voire quelques jours, passés sur la route (ça dépendait du point de départ et de l’étape dans son voyage), et puis en avant pour l’aventure. Il y a quelques mois encore, elle n’aurait vu là que du plaisir, du plaisir brut, celui de la découverte. Bien sûr qu’elle était déjà allée là bas. Elle n’était pas de ces purs gens de San Francisco qui préfèreraient se faire arracher un rein plutôt que de foutre un pied dans la ville ennemie, même si elle aimait bien prétendre le contraire. Mais elle avait longtemps pensé que chaque destination, même déjà connue, valait bien un voyage - histoire de voir ce qui avait bien pu y être manqué, ou mieux encore! de réaliser que l’on pouvait être chez soi aux quatre coins du pays. Une part d’elle le pensait encore. Parce que… bah parce que c’était plus ou moins la réalité. Mais pour ce voyage là, que pour une fois ils planifiaient en avance, il y avait des enjeux et un passé qui, mine de rien, les pétrifiaient. Elle voyait bien cette espèce d’inquiétude dans le regard de Donovan. Elle avait une conscience aigüe que c’était un hôpital, un de plus, toujours aussi ignoble, qui les attendait au bout du chemin. Penser aux longs couloirs blancs, penser à cette odeur étrange dans l’air, penser au silence, c’était toujours se rappeler la course effrénée pour voir une dernière fois de la vie dans le regard de ses parents, c’était toujours se rappeler qu’elle n’avait eu aucune main à tenir dans la sienne alors que s’en allaient jusqu’aux dernières traces de l’existence de Marley. Alors oui. Elle avait peur. Parce qu’elle avait perdu sa fille, parce qu’elle avait perdu ses parents, elle avait terriblement peur de faire un voyage qui, une fois de plus, la ramènerait à la mort.


« Ecoute ma chérie. Si à Chicago des gens traitent maman de sale hippie de merde parce qu'elle vient de San Francisco, souviens-toi que ça peut être cool d'être une sale hippie de merde et que à la base t’es même pas supposée savoir ce que veut dire « merde » ». Marley, huit ans, leva de grands yeux dubitatifs vers sa mère. Assise sur les genoux de son père, elle était jusque là littéralement hystérique à l’idée de voyager comme avaient bien pu le faire ses parents à leur rencontre, et maintenant elle se posait des questions quant au pourquoi du comment de l’air sérieux de la jeune femme. Heureusement, un grand éclat de rire de Donovan vint rompre l’incompréhension. Comme toujours quand elle entendait ce son caractéristique, son visage se fendit d’un grand sourire et elle en oublia toutes les questions qu’elle pouvait se poser. Si Papa riait, c’était que tout allait bien, après tout, non? Il dit un truc à propos de ces gens ayant techniquement raison, de ses Papis Dickens et de Mamie Dickens s’étant rencontrés à un festival, de sa maman ayant vécu dix ans dans un van et de leur première soirée s’étant finie au bord de l’eau avec de l’herbe et de la bière. Sans quitter une seconde la route des yeux, Jagger asséna une claque à l’arrière du crâne de Donovan qui poussa un « Aieuuuuuh! » sonore. Marley, elle, en étant encore à se demander ce qu’il y avait de hippie dans l’herbe - ou alors, tous les parcs du monde étaient hippies, non?
Puisque apparemment il n’y avait aucun drame majeur en vue - Maman venait de taper Papa, mais bon, il n’y avait pas grand chose de vraiment inhabituel là dedans, après tout, comme le disait souvent Maman, « Papa est bête » -, Marley retourna coller son visage contre la fenêtre du van. Ok, elle n’était pas supposée se trouver ici, en équilibre sur les genoux de son père (même s’il la tenait fermement), parce que « Fais gaffe Donovan, on va encore se faire choper par les flics », mais après tout c’était sa place préférée. Parce qu’elle était avec ses parents. Et parce qu’elle éprouvait déjà une fascination certaine pour ces paysages qui défilaient devant elle et la sensation d’aller à toute vitesse au travers du pays. Même si elle avait hâte d’arriver à destination. Elle n’était encore jamais allée à Chicago, la ville de son papa. Et puis ils allaient dormir tous les trois chez Tatie Jessica et sa cousine Lucy. Tout allait bien. Tout allait fabuleusement bien. Elle le voyait, malgré leurs fausses disputes, ses parents étaient heureux. Sa Maman avait un grand sourire aux lèvres, alors qu’elle tenait le volant entre les mains, et que Papa, parfois, déposait sa main sur sa cuisse. Un vieux cd des Rolling Stones tournait en boucle. Les rayons du soleil filtraient au travers des fenêtres, éclairaient la scène d’une lumière parfaite. Tout allait bien.


Dans ces images idylliques qui parfois traversaient son esprit, ces images presque hallucinatoires qui la laissaient toujours avec le ventre noué, le coeur lourd, une seule chose était réelle. Une seule chose avait survécu aux hôpitaux, et à cette espèce de jour cruel. Donovan. Pour une raison étrange, l’amour, peut-être, il était là, il existait. Il était une part d’idéal qui ne tenait pas lieu du mirage. Bien sûr, elle ne l’avouerait jamais à haute voix. D’abord parce qu’il se foutrait un peu de sa gueule, ensuite parce qu’elle pourrait s’enterrer de honte, aussi parce que ça lui écorcherait la bouche, et enfin parce qu’il serait putain de trop fier de lui. Ils étaient là, sur ce canapé, elle avait un minuscule chaton à ses côtés qu’il lui avait offert, ils vivaient une vie étrange, quasi domestique, où aucune chamaillerie n’avait de réelle conséquence (« … ouais je l’ai lu sur Wikipédia. Putain mais ça serait vraiment si improbable que j’aie trouvé ça dans un bouquin?! Fais chier à la fin! »). Ca se passait… plutôt bien. Elle avait passé un cap, depuis cette nuit où il avait appris pour la mort de sa fille. Le lever de ce tabou lui avait permis de croire, au moins en partie, à cette histoire, à défaut de l’admettre. Elle avait été témoin directement de cet amour sans borne qu’il lui portait, et qui lui avait permis de rester à ses côtés malgré le deuil, malgré ces mois de silence. Elle avait gagné une certaine foi en lui. Et puis il n’avait aucun problème d’érection, pour ne rien gâcher. Ally serait fière d’elle. Elle devenait une grande fille. Petit à petit. La seule vraie raison qu’elle avait de maintenir une distance entre eux, son secret, s’était envolée - ne restaient que ses préjugés et sa farouche indépendance. Néanmoins, ces derniers temps, elle avait vu, première stupéfaite, germer une idée dans son cerveau. Quitter cette maison. Ne plus vivre avec Hendrix, maintenant qu’elle avait pu se reconstruire. Elle marchait presque droit. Elle avait de l’argent, quelque part, fruit de ses multiples payes et de sa tonne de boulots improbables. Suffisamment pour prendre un appartement sur Pacific Lane. Et même si elle savait que ne plus vivre avec son frère jumeau serait pour Donovan l’occasion parfaite de passer les trois quarts de son temps chez elle… elle n’en avait pas peur. Peut-être même qu’elle en avait envie. Mais putain, dieu seul savait combien ils étaient tous les deux incapables de tenir une maison - sans Hendrix pour lui asséner à longueur de journée qu’il fallait « Manger cinq fruits et légumes par jour », qu’il fallait « éviter de manger trop gras, trop sucré, trop salé », que « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé » et toute une série de conneries à base de « Parlez-en à votre médecin », tout en lui achetant de quoi se sustenter quand elle commençait à chouiner qu’elle « crevait la dalle, putain! », elle allait probablement mourir. Overdose de caféine. Parce qu’il n’y avait guère que le café (et des clopes, beaucoup de clopes) qu’elle pensait à acheter de son propre chef. Et les milky way! Putain, elle était même sûre qu’elle allait réussir à zapper d’acheter des milky way.
Même sans aller aussi loin, elle était devenue ce genre de femme qui acceptait de suivre un homme pour le soutenir. Et ce même quand il se dirigeait vers l’endroit qui la terrifiait le plus au monde. Pas Chicago, hein - comme elle se plut à lui rappeler « J’ai pas besoin de tes gros bras pour me protéger dans ta ville de merde, je déconnais, j’ai pris des cours de tir quand j’étais gamine. Mais bon. Paye ma caution après, hein. ». Mais l’hôpital. Elle préférait se concentrer sur le trajet, sur le van, sur une chose qui au moins avait été synonyme de bonheur intense pour elle pendant des années. Elle eut un rire quand il lui parla de manières plus « artisanales »  de se réchauffer - « Ecoute, ça peut le faire, mais seulement si t’arrêtes de parler Buzz l’Eclair pendant que tu pionces - j’te jure que sur le coup j’avais aucune envie de te réveiller pour abuser de ton corps. Juste de t’amener à Toys’R’us et de t’oublier dans la piscine à boules. » Et puis il parla d’amis à lui. De chambre d’amis, même. Elle eut un temps d’arrêt. Une seconde de réflexion. Donovan et elle parlaient peu de leurs passés. Celui de Jagger revenait un petit peu plus souvent sur la table pour la simple et bonne raison qu’ils se trouvaient dans la ville où elle avait passé la majeure partie de son enfance et qu’elle avait encore de nombreuses connaissances ici - mais celui de Donovan restait dans un flou incroyable. Un peu moins peut-être depuis qu’il lui avait avoué avoir été pompier et avoir perdu deux de ses amis. C’était étrange, quand même. Ils se connaissaient depuis près d’un an, et il aurait très bien pu être un serial-killer qu’elle n’en aurait rien su. Bon, il n’avait pas franchement la gueule de l’emploi hein - s’il avait eu des dents en argent et des tresses chelous encore ça aurait pu le faire, mais là tout de suite le meutre de sang froid ne semblait pas dans ses aptitudes. Mais ils étaient loin de ces personnes qui savent tout l’une de l’autre, qui vivent sans mystère, sans surprise aussi. Enfin là, une surprise à Chicago… elle eut une légère moue. « On verra. », finit-elle par répondre simplement. Elle pouvait se montrer un peu sauvage, parfois, quand elle était vulnérable - alors elle ne souhaitait pas s’aventurer plus loin pour le moment. Si la route se passait mal, si elle se retrouvait à nouveau bouffée par la terreur, elle n’aurait certainement aucune envie d’aller à la rencontre de personnes qui pourraient la juger. Parce que ces personnes la jugeraient certainement, oui. Elle n’admettait peut-être pas qu’elle était en couple avec Donovan. Mais elle savait que pour le monde entier elle était la personne qui comptait le plus à ses yeux. Et qu’elle serait regardée en tant que telle.
Paye ta pression, putain.

Amis ou pas amis, hôpital ou pas hôpital, ça seraient Jagger et Donovan, on the road again. La pensée lui tournait un petit peu le vertige. Non, mieux que Jagger et Donovan - Jagger, Donovan et Memphis on the road again! Pendant un instant, elle se demanda s’il ne valait pas mieux laisser le chaton ici, à la garde de Hendrix ou de Ally, mais aussitôt son regard tomba sur les tout petits yeux fatigués de l’animal confortablement installé et elle réalisa que non, elle ne pouvait pas déjà le laisser seul. Il lui avait fallu seulement quelques dizaines de minutes pour s’attacher irraisonnablement à l’animal, paye ta fille indépendante hein. Pourtant, sa meilleure amie aurait probablement été ravie qu’on lui confie la petite boule de poils - enfin « ravie » était un faible mot, elle aurait probablement été hystérique, voire même se serait mise en tête de lui apprendre à aimer les sushis. L’option Hendrix était un poil moins envisageable, Donovan n’aurait probablement jamais accepté de laisser Memphis à son jumeau - putain, il n’accepterait même pas de lui laisser une de ses chaussettes, et ce n’était pas faute de tentatives de la jeune femme pour convaincre l’un et l’autre qu’ils étaient aussi fréquentables l’un que l’autre. Un chat. Bon sang, ils avaient un chat. Ca aussi, c’était absurde, quand on y pensait. Les deux grands gamins qui s’étaient tapés dans l’oeil mutuellement il y a un an à Memphis, Tennessee qui se retrouvaient aujourd’hui un tout petit moins adultes mais presque équilibrés. Et avec un chat. Avec une bouille adorable. Elle eut un sourire attendrit, quand Donovan se vanta de l’avoir bien choisi. « Il est parfait », dit-elle une nouvelle fois. Elle le pensait vraiment. Elle ne cherchait pas particulièrement à lui envoyer des fleurs, hein, les trois quarts du temps il n’avait pas franchement besoin qu’on en rajoute à ses fanfaronnades et à son amour propre, mais Memphis était vraiment… l’un des plus beaux cadeaux qu’on lui ait fait. Et une véritable surprise, en plus de cela. Bon. Hendrix allait probablement être un poil surpris en voyant qu’un matou vivait maintenant dans la maison, mais c’était le genre de trucs auxquels il fallait s’attendre quand on laissait Jagger Dickens maîtresse des lieux. Et puis merde hein, qu’il s’estime heureux. Elle aurait vraiment pu transformer la maison en club échangiste! Enfin ça, ça aurait vraiment été la merde à évacuer pour prendre la route pour Chicago, cela dit. Un club échangiste, ça se loge moins facilement dans un van qu’un chaton. En attendant, Donovan avait continué de parler. Demandé un ou deux jours. Elle hocha lentement la tête, murmura un « D’accord » - même si elle savait au fond que ces un ou deux jours ne changeraient pas grand chose. Sa décision était prise. Il avait du mal à l’accepter, mais sa décision était prise. Et elle savait qu’elle avait eu son rôle à jouer dans cette histoire, quand elle lui avait répondu sans hésiter qu’il se devait de faire la route et d’aller voir son père malgré tout. Un frisson, cependant, parcourut son échine. Il ne parlait jamais beaucoup de cet homme - de ce qu’il avait bien pu vivre avec lui. La mention d’un père mettait toujours une espèce d’ombre dans son regard, comme une rage brute. Elle ne savait pas à quoi s’attendre. Elle savait qu’elle serait probablement là, dans cette pièce, avec eux, pendant un moment - et si ce moment était celui où les squelettes allaient enfin sortir du placard, et où ils allaient se dire tout ce qu’ils avaient sur le coeur? Elle avait peur de ce que Donovan avait bien pu vivre. De tout ce qui avait bien pu donner naissance à cette personne étrange, qui jouait les durs mais qui était foncièrement vulnérable, à fleur de peau, constamment. Elle sourit, se raccrocha à la première branche qui passait: « Parle pas trop vite, je t’ai pas encore raconté la sombre époque où j’étais une prostituée ukrainienne et où j’ai épousé un américain pour émigrer en des lieux plus cléments et toucher son héritage. » Un temps. Elle pencha très légèrement la tête, le regardant droit dans les yeux: « Je l’ai tué. Au moment où je te parle, ses restes sont quelque part sous nos pieds. Tu t’es jamais demandé pourquoi j’avais passé une décennie en cavale dans tout le pays? ». Comment ça, elle allait un poil trop loin? Ca va, en théorie il devait savoir qu’elle était en train de se foutre royalement de sa gueule. Elle se sentit obligée d’ajouter néanmoins, avec cette espèce de sourire attendri de merde qu’elle ne pouvait retenir quand il lui faisait ce regard d’enfant: « J’aime bien ça aussi. Mais s’il te plait, arrête de me faire dire que j’aime bien des trucs, franchement ça devient un petit peu angoissant pour moi de dire ce genre de mots tout le temps. Ok? » Qu’il lui réponde également « ok » ou pas, elle avait néanmoins une certitude - ces choses se prolongeraient tout de même. C’était peut-être cela. Evoluer. Prendre l’habitude de ce qui auparavant vous terrifiait. Elle allait faire un truc bien neuneu et bien con, genre s’approcher de Donovan pour se nicher contre lui ET caresser aussi Memphis au passage, mais elle fut cependant coupée par un truc encore plus con. Donovan articulant le bras du chaton vers elle en lançant un long « meoooooow ». Pulsion de « chose qui ressemblait à s’y méprendre à de la tendresse et à du romantisme » stoppée net - elle releva les yeux vers lui, haussa un sourcil franchement circonspect. « Je me le demandais pas. » Un temps. « Même, j’aurais préféré pas savoir. » Un temps. « Tu faisais quoi là dedans, O’Malley le chat de gouttière? » Quoi? Il passerait super bien en chat de gouttière! Et puis c’était le héros! Donc c’était à demi un compliment! Même si elle flippait un peu sa race en l’imaginant dans un costume de chat, façon costumes de mascottes aux matches de foot, ou dans les parcs à thème Disney. Ouais. Vraiment chelou comme vision.
Mais il avait vraiment l’air fier de lui. Et un peu penaud. Et puis il eut ce rire - ce rire qui lui était caractéristique. Celui qui métamorphosait son visage, parce qu’il ne riait pas simplement, il exhalait une espèce de joie brute, une insouciance des plus pures. Alors elle laissa passer la légère consternation, et le fait qu’il était quand même un peu ridicule parfois. Il s’était rassit, Memphis toujours entre ses bras. Elle s’installa à ses côtés, passa doucement ses jambes en travers des siennes, et devant son regard d’imbécile heureux ajouta sobrement: « Memphis. Je veux faire un câlin à Memphis. », et déposa sa main sur la toute, toute petite tête de l’animal, qui ronronna. Et tant pis pour ses scrupules. Ils avaient l’air d’un vieux couple comme ça, quand elle était tout contre lui, vêtue en tout et pour tout de sa chemise, le chat qu’ils venaient d’adopter dans le bras du jeune homme. Ils allaient repartir tous les deux. Affronter cela ensemble. Et il avait besoin de son aide. Besoin qu’elle le soutienne. Qu’elle le rassure. Pour cela, elle pouvait faire des efforts. Elle déposa son front contre celui de Donovan, doucement l’embrassa. Et puis elle eut un sourire étrange. « Memphis a sommeil. Et moi, non. Tu vois ce que je veux dire? » A la légère lueur qui s’alluma dans son regard, il voyait, oui.


THE END


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