Sujet: Say something, I'm giving up on you ∞ noah&leah Ven 6 Juin 2014 - 4:20
“Before you take off running away, I've got something to say… Why don't you stay? Why don't you stay and watch my heart break?”
Elle n'avait pas bougé de la pièce. Ça devait bien faire quatre ou cinq heures. Leah s'était assise sur un tabouret près du comptoir de la cuisine, elle avait fait les cent pas devant le canapé, derrière aussi, puis dans le couloir. Elle s'était rassise, puis relevée. Ça ne s'était pas arrêté depuis qu'ils étaient rentrés. Debout, le dos plaqué contre la porte du frigo américain dans lequel elle aurait pu tenir deux ou trois fois, Leah fixait l'horloge digitale du four à micro-ondes. Il était sept heures et demi à peine. Elle balaya la pièce du regard, et finalement posa ses yeux sur le sofa dans lequel était étendu un homme. Ce n'était pas Gavin, ni Teddy, et elle n'avait pas non plus rapporté un inconnu chez elle. Pourtant, cet homme qui avait eu jusque là le sommeil plutôt lourd depuis qu'il avait fermé les yeux, ne lui rappelait personne qu'elle avait connu auparavant. Hormis son apparence, et encore même elle avait changé, elle ne reconnaissait pas vraiment Noah. Il était profondément endormi dans son salon, à quelques mètres d'elle seulement et si elle retenait assez la sienne, elle pouvait entendre sa respiration rythmer le silence pesant qu'elle avait laissé s'installer et l'envelopper toute la nuit. Parfois, il cessait de respirer aussi fort et à plusieurs reprises elle avait pris peur. Et s'il ne respirait plus du tout? Vers cinq heures, après s'être approchée tout près de lui pour la sixième fois depuis qu'elle l'avait ramené ici, l'oreille toute proche de son coeur, elle avait fini de s'inquiéter à propos de ce détail. Il respirait encore. À un moment, elle avait même cru percevoir un espèce de sourire sur ses lèvres et elle s'était surprise à avoir envie de lui renverser un seau d'eau froide à la gueule pour lui faire bouffer son fichu sourire. Ce même sourire qui lui avait coupé le souffle et l'avait transporté ailleurs à plus d'une reprise, quand tout était encore beau, quand tout allait encore bien. Maintenant, il était sept heures et demi, et elle ne pouvait plus tenir. Elle ne pouvait vraiment plus tenir. Leah avait passé la nuit à regarder Noah dormir, à s'inquiéter de sa respiration, à contrôler sa propre colère et surtout, oui surtout, à réfléchir aux choses qu'elle aurait envie de dire lorsqu'il rouvrirait enfin les yeux. Au final, elle avait surtout réussi à définir ce qu'elle ne voulait pas dire. Elle ne voulait pas lui dire qu'il lui avait manqué, ni qu'elle avait cru mourir les premiers jours où elle avait compris qu'il avait simplement pris la fuite, ni qu'elle en avait souffert terriblement. Elle ne voulait pas lui dire qu'il avait compté et qu'il comptait encore. Non, elle ne voulait pas lui dire qu'elle l'aimait et qu'il l'avait brisé comme jamais elle n'avait été brisée. Elle n'avait pas envie de lui parler de tout ça, il ne méritait pas d'entendre ces mots sortir de sa bouche. Il n'avait eu ni compassion, ni remords, ni quoi que ce soit d'autre à son égard, alors pourquoi aurait-elle dû se montrer compréhensive et attentionnée? Pourquoi aurait-elle dû se mettre à genoux et pleurer? Au milieu de la nuit, elle avait prié de toutes ses forces, il fallait qu'elle tienne bon, qu'elle lui montre qu'elle n'avait pas besoin de lui. Et si elle n'y croyait pas elle-même, elle avait eu assez d'heures d'insomnie pour devenir une bonne comédienne. Cette nuit, elle avait appris à faire semblant. Mais maintenant que la lumière du jour commençait à pénétrer l'appartement et que le visage de Noah se dégageait de plus en plus de l'obscurité, elle se sentait faiblir. Comment pourrait-elle le regarder droit dans les yeux et lui dire qu'il n'avait pas compté et qu'il ne compterait jamais alors que son coeur avait passé la nuit à s'emballer en lui criant le contraire?
Assise dans le noir, elle l'avait entendu parler dans son sommeil. C'était tantôt des phrases bien formées, tantôt des balbutiements incompréhensibles. Même sa voix, elle ne la reconnaissait plus. Noah empestait l'alcool et d'autres odeurs qu'elle ne préférait pas identifier exactement. Peut-être parce qu'au milieu de tout ça elle avait reconnu le parfum d'une femme et qu'elle avait senti une pointe de jalousie s'emparer d'elle. Autrefois, elle trouvait la chaleur de ses bras et l'odeur de son cou réconfortantes. Hier soir, c'était sur ses bras à elle qu'il s'était appuyé pour sortir du bar dans lequel elle était venue le chercher. Le téléphone avait sonné à deux heures et quelques. Les coups de fil au milieu de la nuit avaient toujours eu don d'angoisser Leah. Ce n'était jamais bon signe. Jamais. Elle s'était attendue à tout sauf à se voir prier par un gérant de bar de venir chercher un Noah dans un état d'ébriété tel qu'il n'arrivait même plus à se rappeler son adresse. Leah Stewart, enceinte de six mois, avait donc dû jouer au taxi pour l'homme qui lui avait brisé le coeur quelques mois plus tôt et qui était possiblement le père de l'enfant qu'elle portait. Tout un programme! En le voyant avachi sur le bar, des verres vides devant lui, elle avait senti son coeur se resserrer et son estomac se tordre. Elle ne l'avait pas vu depuis longtemps, et elle aurait voulu ne jamais avoir à le voir dans cet état-là. Elle avait ressenti un mélange de grande colère et d'immense peine. Comment en était-il arrivé là? Comment en étaient-ils arrivés là? Hier encore, ils étaient sur cette plage, le monde autour d'eux n'existait pas. C'était juste Noah et Leah et un bain de minuit dans le Pacific. C'était juste eux deux, dans les bras l'un de l'autre, presque insouciants comme deux gosses qui vivent leur premier amour. Il lui avait fait l'amour sur cette fichue plage. Et ce soir-là, elle l'avait aimé. Elle l'avait aimé, vraiment. C'était hier.
Leah avait saisi Noah par le bras. Il avait levé les yeux vers elle, tandis qu'elle avait cessé de respirer le temps de quelques secondes, terrifiée à l'idée qu'il ne la reconnaisse pas. Leurs yeux s'étaient croisés et elle avait vu dans son regard qu'il n'était plus le même homme qu'elle avait connu. Pourtant, si elle l'avait empoigné avec une certaine fermeté, c'était avec une grande douceur qu'elle avait glissé à son oreille "Viens Noah, on rentre." Comme s'ils rentraient chez eux. Comme s'ils avaient un chez eux. Elle avait dit ça parce qu'il fallait qu'ils partent. Elle n'avait pas la force de le regarder et d'être dans ce bar pourri une seconde de plus. Le suppliant du regard, elle espérait ne pas devoir faire face à une quelconque résistance. C'était mal le connaitre. Il n'avait pas envie d'aller où que ce soit. Elle avait dû batailler quelques minutes pour le faire se lever. Il tenait à peine sur ses jambes. Un autre type, voyant qu'elle était enceinte, était venu l'aider à mettre Noah dans sa voiture. Franchement, elle l'aurait bien mis dans le coffre si ça avait été sa seule décision. Mais l'autre homme avait ouvert la portière arrière et avait poussé Noah sur la banquette tandis que Leah avait pris place derrière le volant. Sans attendre, elle avait roulé dans la nuit pour le ramener chez lui. Le silence régnait dans le véhicule, jusqu'à ce que Noah se mette à marmonner et que Leah se stoppe sur le bas côté.
Elle avait ouvert la portière à nouveau, et il s'était redressé. Il faisait noir, et elle voyait à peine le fond de son regard vitreux. Sans prévenir, Noah s'était emparé de sa main et elle avait ressenti un immense frisson lui parcourir le corps alors qu'il prononça son prénom dans un souffle mais sans la tendresse qu'il avait eu auparavant. Elle ferma les yeux un instant, posa sa main sur le torse de cet homme qu'elle n'arrivait plus à reconnaitre, à la fois pour s'y rattacher et le repousser légèrement. "Oh Noah… Qu'est-ce qu'on va faire de toi?" C'était tout ce qu'elle était parvenue à articuler avant de le repousser pour de bon cette fois. Il avait lâché sa main lui aussi, et elle avait simplement refermé la portière pour retourner s'asseoir à sa place. Sauf que voilà, au lieu de repartir tout de suite, elle avait pleuré. Il s'était à nouveau allongé sur la banquette arrière, trop bourré pour réagir. Elle avait juste pleuré en silence. Leah avait ensuite décidé que le ramener chez lui était une mauvaise idée. Que dirait Eleanor? Et Jamie? Il ne méritait pas de voir son père comme ça. Aucun enfant ne devrait à voir son père dans un état aussi pitoyable. Gavin était chez ses parents pour le weekend et Teddy faisait un voyage avec sa classe on ne sait trop où. L'appartement était vide. Elle pourrait le laisser dormir dans le lit de Teddy. La jeune femme n'y avait pas réfléchi plus longtemps. Rallumant le contact après avoir séché ses larmes, Leah avait repris la route jusqu'à chez elle, une main posée sur son ventre et chaque arrêt à un feu rouge ponctué d'un regard dans le rétroviseur intérieur pour s'assurer que Noah était bel et bien là.
Non, la nuit n'avait pas été douce. Elle avait été une vraie chienne. Terriblement longue. Elle avait retourné en Leah des choses qu'elle avait tenté tant bien que mal d'enterrer au plus profond. En arrivant à son appartement, Noah n'avait même pas pu se trainer jusque dans la chambre de Teddy et elle n'avait pas eu la force de l'y trainer elle-même. Il s'était échoué sur le canapé, ivre mort. Sans même y penser, elle avait agi naturellement en lui retirant sa chemise qui empestait l'alcool, en le recouvrant d'une bonne couverture et en laissant une bassine devant lui, au cas où. Elle ne tenait pas particulièrement à ce qu'il dégueulasse son appartement tout entier, autant être prévenante. Leah avait bien essayé de se glisser à nouveau dans son lit mais comment aurait-elle pu dormir en sachant Noah dans la pièce juste à côté? Comment aurait-elle pu dormir alors qu'elle venait de le retrouver et qu'il était chez elle dans un état misérable qui l'énervait autant qu'il lui brisait le coeur. Cette nuit-là était perdue pour elle. Elle n'allait pas s'endormir après le passage du marchand de sable, ni faire de beaux rêves. La future maman s'était donc relevée, la boule au ventre, et elle avait simplement observé Noah dans le noir. Les minutes avaient semblé durer des heures. Perdue dans ses doutes et ses angoisses, dans sa colère et sa haine mais aussi tout son amour pour cet homme, elle n'avait pas su quoi faire d'autre que rester là et attendre.
Il était sept heure et demi. Le soleil était levé. Elle affichait une mine fatiguée qui semblait la rajeunir. Avec son air de gamine effrayée, elle faisait facilement deux ans de moins que son véritable âge. Mais peu soucieuse de son apparence, elle n'avait pas quitté Noah du regard. C'est là qu'elle le vit… Il souriait à nouveau. C'était tellement léger, mais elle le voyait. Alors, dans un élan de colère, elle se précipita dans la cuisine, attrapa toutes les bouteilles d'alcool qu'elle pouvait trouver chez elle et les déposa toutes sur la table basse du salon. Il y avait de tout: du champagne, du vin, du rhum, du bourbon, de la tequila et de la vodka, même une boisson artisanale que son père lui avait ramené de Puerto Rico un jour et qui, elle le savait par expérience, décapait pas mal. Elle s'était promis de se contrôler, de ne pas craquer… Pourtant, dans la précipitation, elle avait l'air d'une véritable cinglée à chercher la moindre trace d'alcool chez elle. Mais tant pis. Tremblante, elle ne sentit presque pas la dernière bouteille lui échapper des mains mais quand celle-ci se fracassa sur le sol, Leah poussa un léger cri de surprise et se baissa immédiatement pour ramasser le verre brisé. Et puis, comme prise d'une crise de panique, elle n'arrivait plus à calmer sa respiration qui s'était accélérée. Elle porta une main sur sa bouche pour étouffer son souffle bruyant. Derrière elle, Noah était en train de s'éveiller. Elle ne pourrait plus reculer. Elle allait se retourner, lui faire face, et … Elle ne pourrait plus reculer.
Doucement, la benjamine des Stewart se redressa, laissant le verre de la bouteille cassée et l'alcool répandu sur le sol. Elle relâcha ses bras le long de son corps et se tourna, tout aussi doucement. Noah la regardait. Le silence à nouveau. Tellement de choses à dire et en même temps si peu. Tout à coup, Leah pointa la table basse du doigt et sans quitter Noah des yeux, lui dit: "J'ai pour habitude de préparer le petit déjeuner à mes invités, alors voilà. Je crois que c'est à ton goût, non?" Elle avait dit ça sur un ton qui ne la satisfaisait pas pleinement. Elle avait l'air faible, pas forte. Et elle avait beau essayer de faire bonne figure, elle savait pertinemment qu'il avait encore dans ses mains de quoi lui faire du mal. Même au plus bas, il y arriverait encore s'il le voulait. Elle redressa le menton, resta plantée au milieu de son salon quelques instants supplémentaires et attrapa finalement la chemise de Noah pour la lui balancer. "Je l'ai lavé pendant que tu dormais. Vu la forte odeur d'alcool et les traces de rouge à lèvres sur le col, j'ai hésité à la brûler mais… j'avais peur qu'elle te tienne trop à coeur." À présent, elle fuyait son regard. Elle n'arrivait pas à parler et à le regarder, tout en gardant un ton crédible. Il était sa faiblesse. Il était sa faiblesse à elle et aujourd'hui, elle n'était en aucun cas assez forte pour l'affronter et lui dire merde.