another night, another story

Alors que je me prépare dans la salle de bain, je regarde brièvement dans le miroir pour voir la réflexion de ma fille qui joue tranquillement avec ses jouets devant la télévision comme gardienne temporaire. Je reconnais très bien la musique d’entrée de My Little Pony, et je fais une légère grimace. Je ne supporte pas les séries pour enfants. Sienna se met à rire doucement en regardant les images, et je ne peux pas m’empêcher de sourire en l’observant, puis la culpabilité m’envahit peu à peu alors que je me dis que je vais encore disparaître pour la nuit et l’abandonner ici. Je me sens mal pour elle, surtout. Je suis le pire modèle qu’elle aurait pu avoir, et elle est coincée avec moi. Bien sûr, elle n’en a aucune idée pour le moment. Ce n’est qu’un bébé, mais elle va bien finir par grandir un jour, et elle finira probablement par me détester. J’essaie de ne pas trop penser à ce jour fatidique où elle viendra me voir pour me demander pourquoi elle a autant de fois changé de babysitter. Je me concentre plutôt sur les moments comme celui-ci, où elle ne se rend compte de rien et tout va pour le mieux.
Je sors de la pièce en prenant soin d’éteindre la lumière derrière moi et marche vers le salon pour rejoindre ma fille qui se met à crier ‘papa’ à répétition en me voyant arriver. Je la prends dans mes bras, et m’assois avec elle sur le canapé. Son regard est rivé sur l’écran, et pendant une fraction de seconde, j’ai envie de laisser tomber ma soirée, mais la sonnerie du téléphone retentit et me fait oublier cette idée qui serait tellement sage. Je dépose la petite sur le canapé et me précipite pour répondre. Je soupire, c’est la nouvelle babysitter qui me demande de lui répéter l’heure où elle doit passer. Je lui répète de passer dès qu’elle peut, car je suis pressé, même si c’est complètement faux. Je m’en vais tout simplement boire comme un trou pour oublier que dans quelques jours, ça fera deux ans qu’elle est née, et que ma femme est décédée. Une vie pour une vie, qu’ils disent. Je trouve ce concept vraiment pourri. J’entends le bébé qui pleure, elle est probablement tombée ou un truc du genre. Je vais voir, comme de fait elle a tenté de descendre du sofa.

Après un moment à consoler Sienna qui n’a pas fait une chute si terrible que ça, elle m’entraîne dans un jeu avec ses peluches éparpillées au salon. Je me retrouve donc malgré moi à jouer à la poupée, me répétant que la gardienne sera là dans quelques minutes seulement, et qu’elle prendra la relève. Il ne faut pas se méprendre, j’adore ma fille. Seulement voilà, j’ai jamais signé pour jouer à la Barbie ou à la princesse avec elle, et je n’aime pas exactement l’univers des poupées. Je tente de déchiffrer quelques mots de ses babillages et bientôt on sonne à la porte. Je m’élance littéralement vers le hall pour accueillir la jeune fille qui me sauve la vie ce soir. La fille du troisième voisin, elle doit avoir seize ans je crois, un peu trop jeune pour moi. C’est parfait comme ça de toute façon.
Je lui fais visiter la grande maison, passant en revue tout ce qu’elle doit savoir comme l’heure pour l’endormir, des conseils dont elle n’a pas besoin, et je lui répète pas loin de quinze fois de m’appeler au moindre problème. Je suis légèrement paranoïaque, quand il s’agit de laisser Sienna à une inconnue. Et ce soir n’est pas une exception. Après m’avoir assuré qu’elle allait s’occuper d’elle et faire attention à ce que tout se passe bien, je la laisse avec la petite, et appelle un taxi. Je sais déjà que je ne pourrai pas conduire pour le retour, de toute façon.

Le trajet est silencieux jusqu’à la boîte de nuit. Le chauffeur de taxi me regarde d’un air suspicieux, mais reste silencieux. La radio est éteinte, et tout ce que l’on entend, c’est les messages de la centrale qui défilent en boucle dans la voiture. Bientôt, il se met à siffler un air qui ne me dit absolument rien, et rapidement son manège me tape sur les nerfs. Je commence à avoir hâte d’arriver à destination, légèrement mal à l’aise, et dès qu’il s’arrête, je lui donne en vitesse l’argent pour la course avant de m’éclipser. Je me retrouve donc face au Diamond’s, et pendant quelques instants j’hésite à y entrer. Il n’y a pas l’air d’y avoir trop de monde, il faut dire que l’on est jeudi et non vendredi. C’est parfait comme ça, je suppose. Avant d’entrer, je regarde l’heure. Il est vingt-et-une heure. Ce n’est pas si mal pour débuter une soirée.
Aussitôt entré, je constate qu’il y a finalement beaucoup plus de monde que je croyais. Tant pis, on fera avec. Je regarde autour de moi, histoire de voir si je ne connaitrais pas quelqu’un, mais à première vue il n’y a personne. Je me fraie un chemin en direction du bar où miraculeusement, il reste encore quelques bancs de libre. Je m’assois et commande rapidement une bière, histoire de rester sage encore un moment. Tant pis pour la danse, ça peut très bien attendre de toute façon.

Je vois bientôt apparaître une jeune femme près de moi qui vient s’asseoir au bar. Je commence tranquillement à boire ma bière, jetant de temps à autre un coup d’œil discret à la brunette. Elle est seule apparemment, alors je sors mon porte-feuilles. Je pose ma main sur son bras, pour attirer son attention, et je lui souris poliment. Le coup du gentleman marche toujours, de toute façon. Je me lance donc, le sourire toujours accroché aux lèvres. « Est-ce que je peux me permettre de vous payer un verre? » La balle est dans son camps, à présent. Je prends ma bière et la porte à mes lèvres en observant la réaction de la belle inconnue. Peu à peu, je mets de côté l’identité du père de famille pour redevenir simplement un autre type dans un bar qui cherche de la compagnie pour la soirée. Et ça me convient parfaitement comme ça.