Maéva Harris n’a rien de prévu ce soir, Richard passait la soirée avec sa petite amie et elle avait dit au vieil homme qu’elle s’occupait de fermer le cimetière après tout elle n’avait rien de mieux à faire.  Et puis après tout Richard était tellement gentil avec elle qu’elle pouvait bien l’aider un peu dans son travail… Elle avait fait le tour du cimetière pour ramasser les arrosoirs pour arroser les fleurs, les quelques autres trucs que les gens laissaient trainer ici et là. Puis elle avait fermé le portail du cimetière. Maintenant elle pouvait aller bouquiner dans un coin tranquillement.

On ne sait pas vraiment ce que William Clarkson faisait ici mais le fait est que quand il avait voulu quitter le cimetière il avait trouvé porte close. Il était sans doute passé inaperçu pendant la ronde de Maéva. Il n’eut donc pas d’autre choix que d’aller sonner à la porte du gardien et c’est bien sur Méava qui ouvrit la porte. La fille de Jack et William le sait bien parce que Snow lui en a touché deux mots la dernière fois qu’ils se sont vus. Et il se rappelle que Shawn lui en a vaguement parlé également. Est-ce que William va pouvoir s’empêcher d’être un peu curieux ?

Bon. J'connais pas encore toute la ville de Huntington Beach après quelques mois quand même. Et j'pense que l'idée de prendre le cimetière COMME raccourci n'est pas très bonne. Pas à cette heure-là, mais j'y peux rien si j'ai des horaires de merde à cause de l'accord que j'ai passé avec Seb pour libérer Shawn. Je pensais me retrouver devant la tombe de David mais j'ai changé d'avis en voyant toutes les pierres tombales, je ne me rappelle plus vraiment où il est situé. Parce qu'aussi c'est idiot ce que je suis en train de faire, ces derniers temps je fais des trucs complètement con et ça change pas vous voyez. 'Fin j'vais rentrer.
Sauf que voilà quoi... Quand j'me suis retrouvé devant la porte de la sortie, elle est fermée. J'espère que la personne ne l'a pas fermée à l'extérieur. Je cherche du regard s'il y a pas une présence et j'vois une maison, probablement celui du gardien et j'ai pas attendu pour m'y diriger. J'ai sonné et j'ai regardé autour de moi. La porte s'ouvre et je regarde la personne: une femme. J'ai été surpris de voir une jeune femme, j'pensais faire face à un vieux. 'Fin bref, " _ Avant que vous vous imaginez un scénario. Je suis pas entré dans le cimetière après la fermeture, vous m'y avez enfermé." Je fais un sourire gêné et je laisse le silence planer quelques secondes. Je fronce les sourcils et observe la jeune femme. " _ Tu es Maéva c'est ça ?" Ouais, c'est bien elle normalement selon les descriptions de Shawn. Je connais à peu près son histoire, puisque Snow m'a parlé d'elle. C'est marrant le monde est petit.

Tu devrais sortir Maéva. J'entends encore la voix de Richard dans ma tête. Mais non, je préfère le cimetière et il le sait bien. Je crois que tout le monde le sait. Ce soir il a d'ailleurs un rendez-vous, ce que je trouve adorable. A son âge, c'est tout simplement très romantique de ne pas perdre espoir. Cela faisait longtemps qu'il tournait autour de la boulangère, alors je suis plutôt heureuse pour lui. Du coup j'en ai profité pour fermer le cimetière à sa place soir et j'avais préparé ma soirée. Je voulais cuisiner, du moins essayer, parce que pour une fois je voulais manger quelque chose de plus équilibré et de moins gras. Je me fiche un peu de mon physique, mais ça ne peut pas me faire du mal de manger une salade une fois de temps en temps, si ?

Je crois surtout que depuis le départ de Matthew, j'ai besoin de me prouver que je suis capable de survivre, seule. J'ai besoin de savoir que je ne lui ressemble pas. C'est stupide peut-être, parce que Matthew est clairement une partie de moi et que sans lui j'ai l'impression de n'être qu'à moitié en vie. Cependant, je ne peux pas me contenter de pleurer sur mon sort et Richard me l'a clairement expliqué. J'étais en âge de prendre ma vie en main. A la fin du lycée, j'aurais des choix à faire et il était de mon devoir de faire les bons. Un jour, je ferais face à Matthew. Comme je ferais face à Jack. Et je n'aurais pas peur de montrer une femme indépendante et bien dans sa vie.

J'essayais de faire cuire des champignons quand j'entends la sonnerie de l'entrée. Je trouve ça un peu bizarre alors je prends la batte de baseball que je cache légèrement tout en ouvrant la porte. J'ai appris à toujours me méfier de ceux qui rodaient dans le cimetière. Surtout depuis cette nuit avec Dustin.

« - Pardon ? » Visiblement, je l'aurais enfermé. Oups. Je suis un peu confuse et puis un peu mal à l'aise vu la façon dont il me regarde. « - Comment vous le savez ? On se connait ? » C'est là que l'odeur de bruler me met en alerte et que je jure comme une idiote tout en posant ma batte et en courant dans la cuisine.

Je fronce les sourcils quand je sens l’odeur, elle doit être en train de cuisiner. Mais le plus important, c’est que moi, je suis coincé dans ce cimetière dans l’impossibilité de sortir et je dépend que de cette jeune fille. Donc voilà. Elle a dû mal comprendre et à analyser la situation, je crois que je l’ai coupé de son monde quoi. Ce qui ne fait qu’accentuer un peu ma gêne. J’aime pas vraiment déranger les gens juste pour une porte à ouvrir. Vraiment, une action de cinq minutes, mais je ne me vois pas grimper le mur et de sauter pour l’autre côté. « _ Ouais » aaah. ‘Tain, j’aurai pas dû insister comme ça, surtout quand y a rien qui m’attend en dehors si c’est qu’une maison vide avec un repas que j’ai cuisiné la veille. Mais j’aime pas rester dans un cimetière…
Je lui ai demandé si elle est bien Maéva, elle confirme bien qu’elle me balance des questions. J’ai essayé de répondre mais elle m’a laissé comme ça. La porte ouverte, quelque chose brûle dans sa cuisine. J’ne sais pas si j’peux entrer, oh et puis merde. Ça caille déjà dehors ! J’entre et ferme la porte derrière, en entendant les jurons. « _ Je suis un ami de Snow, elle m’a parlé de vous. C’est des champignons, cette odeur ? » Curieux je me dirige vers la cuisine et observe la bataille. Je fais une grimace en voyant les pauvres champignons mais surtout comment Maéva s’y prend. Elle me regarde et moi comme un con je montre la porte juste pour dire « _ heu.. Vous aviez laissé la porte ouverte sous le coup de la précipitation. J’me suis permis d’entrer… Et juste… » Une pause, je désigne les champignons qu’elle a massacré « _ Tu.. Heu vous savez cuisiner ? » bah quoi ? Je laisse tomber le vouvoiement d'un coup, j'oublie les manières quand il s'agit de cuisine...Mais bon me suis rattrapé

Ce n'est pas ma faute. Quand les gens débarquent sans dire « bonsoir » ou sans introduction, moi j'ai du mal à suivre. Et puis je crois que je me suis un peu habitué à ma solitude et à mon monde. J'ai tendance à avoir peur des gens qui essayent de s'introduire dans mes habitudes. C'est stupide, je sais, mais ça fait longtemps que j'ai renoncé à l'amitié et à tout autre lien dans le genre. Je sais que c'est triste quelque part, que ce n'est pas une bonne idée d'affronter un monde comme le nôtre, surtout à mon âge et surtout seule, mais tout le monde partait un jour. Et je ne supportais pas la douleur qu'on pouvait ressentir quand on perdait quelqu'un. Mieux que les autres, je comprenais ça, puisque je l'avais trop souvent vécu.

C'était peut-être ma faute, qui sait ? C'était peut-être moi, le problème. En tout cas, là tout de suite, il y avait quelqu'un devant moi et cet inconnu me perturbe un peu. Je l'aurais enfermé, c'est une erreur de débutante et ça me correspond bien. Avant de rajouter quoi que ce soit, je retourne dans la cuisine en courant. Mes champignons !

« - C'était des champignons... » J'hausse les épaules, avant de me rendre compte de ce qu'il a dit plus tôt. « - Un ami de Snow ? Vous avez connu Jack ? » Ouais, j'ai pas peur du tout d'enfoncer le couteau que j'ai dans le coeur encore plus profondément. Je me posais beaucoup de questions à son sujet. Beaucoup de questions sur ce qu'il était vraiment. Qui il était vraiment. Je réalise soudain que l'homme est dans ma cuisine. Et ma batte de Baseball très loin. Je finis tout de même par me détendre, c'est un ami de Snow...

« - Non, je ne sais pas. Je voulais essayer quelque chose de nouveau. » Je souris timidement, avant de passer la casserole sous l'eau. Les champignons cramés n'avaient aucune chance de survie. Je n'avais plus qu'à recommencer. « - Tu peux me tutoyer, si tu veux. Et si tu es un psychopathe, sache que j'ai déjà vu pire dans le cimetière. » J'essaye de tout prendre à la rigolade, parce que je n'en peux plus de pleurer et d'avoir peur. Je n'en peux plus du tout. Je lui montre le livre de recette et la page sur laquelle je m'étais arrêté. « - Tu sais cuisiner, toi ? Euh... tu t'appelles comment ? »

C’était des champignons, paix à leur âme.
De toute façon, les champignons sont déjà mort après avoir été arrachés du sol. Je hausse aussi les épaules, elle me pose à nouveau des questions, ce qui est bien normal. Je souris et je baisse mon regard, faut pas que je la brusque… C’est ce que je fais déjà là en m’introduisant comme ça. Donc c’est déjà mort. Ah. Bordel. « _ Ces derniers temps, je venais plus souvent pour mon filleul, que vous devez connaître sûrement: Shawn. » une pause, quand je vois qu’elle confirme, je reprends et répond à la question en haussant les épaules. Avec un air pas convaincu « _ J’ai pas cherché à le connaître des masses. Désolé. » Ce qui est bien dommage, j’aurai bien aimé me faire moi-même une opinion à son sujet, parce que Shawn ne l’appréciait pas vraiment. Mais d’après tout ce que j’entends de lui, c’est pas vraiment glorieux en général.
« _ C’est réussi. » réponds-je avec ironie. Je souris aussi, je la regarde mettre l’eau dans la casserole. Je cuisine les champignons à la poêle d’habitude mais je me retiens de dire quoi ce que ce soit. « _ J’veux pas imaginer ce que tu as pu voir dans le cimetière. » Je réprime mon rire et la désigne du menton. « _ Pourquoi tu travailles ici ? » On ne m’a pas vraiment tout dit, puis j’suis bien curieux et on va pas pouvoir m’empêcher ça. Elle me montre le livre de recette que je prends dans les mains et lit la page qu’elle m’a montré. Maéva me pose encore des questions, comment je m’appelle ? Je fronce les sourcils et me rends compte que j’ai vraiment oublié les manières. « _ Oh merde. J’ai oublié les manières. Désolé. Je m’appelle William, William Clarkson. » Je regarde la recette et fais un petit sourire en regardant la page voisine, celle-ci est meilleure. « _ Pour répondre à l’autre question, oui. Je suis cuisinier. Tu as de la chance de tomber sur moi. » Je fronce les sourcils et lui demande. « _ Il te reste encore des champignons ? Les tomates, du jambon blanc ? » Je dépose le bouquin sur la table à côté. « _ On va faire plus simple. Tu aimes les champignons farcis au jambon et à la tomate ? »

Les amis de mes amis sont mes amis, non ? Snow n'était pas vraiment une amie ceci-dit. C'était plus une connaissance pour être exacte. Quelque part j'étais une fille curieuse et rencontrer de nouvelles personnes ne pouvait pas me faire du mal. C'était rare, puisque je n'allais pas vers les gens. Ils venaient à moi, un peu comme lui. Le hasard quand même. C'était un truc de fou quand même, non ?

« - Oh. Oui, je le connais. On a aussi certains cours en commun. » Shawn. Au début, je ne l'aimais pas du tout. Je ne sais pas pourquoi, mais en me remarquant au lycée, il venait souvent me parler. Ce qui me dérangeait en fait, parce que Shawn... c'est Shawn et au tout début, c'était un peu mon « demi-frère ». Mais depuis que Jack est partie, j'ai eu l'occasion de voir un tout autre Shawn et c'était agréable. Je restais pourtant sur mes gardes, on ne sait jamais. « - Ce n'est pas grave. Je ne suis pas certaine que c'était quelqu'un de bien de toute façon. » Il m'avait abandonné après-tout, après des promesses. Briseur de promesse, en voilà une réputation horrible.

« - Des choses absolument insolite. » Je me mets à penser à la dernière fois où j'étais tombé sur cet hamster perdu qui essayait de creuser un trou... sur une tombe. N'importe quoi. Je me retourne alors vers l'inconnu qui me demande pourquoi je travaille ici avant de répondre avec simplicité : « - J'aide mon oncle, c'est tout. » Richard n'était pas mon oncle et j'avais fui ma maison. Mais ça, je ne le dirais pas. Jamais.

J'essaye de retenir son prénom, histoire de ne pas me tromper la prochaine, s'il y a une prochaine fois d'ailleurs. A ma grande surprise, William est cuisinier et je peux pas m'empêcher d'écarquiller les yeux comme si c'était un espèce de miracle de noël. « - Je vois ça, oui. » Je me retourne ensuite, regardant si j'ai ce qu'il me demande avant de sortir du jambon blanc du frigo. « - Je crois que j'ai tout. » Je le regarde, il y a truc dans ses yeux. Une passion dévorante, j'adore ça. « -Je pense. Tu connais Snow depuis longtemps ? » Je crois qu'il est un peu vieux pour moi, mais je n'arrête pas de me dire qu'il est incroyablement séduisant.

Je hoche silencieusement la tête quand Maéva dit de connaître Shawn, ils allaient à des cours ensemble. J’vois. Ils se connaissaient bien avant. Je me demande si elle sait à propos de Shawn, ça veut pas dire que je vais cracher le morceau à une personne que je ne connais pas vraiment quoi. Puis je reste un petit peu silencieux, quand je me remets à repenser à Jack. Je me pince les lèvres et hoche la tête.  N’empêche que j’suis sur le cul qu’il ait abandonné Maéva derrière lui. À moi et à Snow, ça nous avait fait pensé à quelqu’un que nous avions connu quand on était dans le même lycée. Qui venait de retrouver son père et la nouvelle famille, que ce dernier est parti sans laisser de trace, en abandonnant sa nouvelle famille. Je la regarde quand elle dit qu’elle aidait son oncle. Je hoche la tête. « _ Ah ouais. C’est de famille alors garder un cimetière. » Ok. Ça se transmet de génération en génération tout ça. Mais n’empêche que répondre tout simplement comme ça, aider son oncle ? « _ C’est le frère de ta mère du coup. Ta mère vit ici ? » Bah quoi ? Peut-être qu’elle vient de San Francisco. Puis on m'a presque rien dit !
Drôle de hasard, elle est nulle en cuisine et si je n’avais pas été là. Maéva aurait quand même eu des problèmes avec les champignons et n’aurait rien mangé de la soirée. C’est pas vraiment un bon plan. Je n’ai pas pu m’empêcher de rire de cette drôle de situation. « _ Cool ! C'est bien ça ! » m’exclame-je, je m’éloigne pour enlever mon blouson et le déposer sur une chaise pas loin d’ici. Je retrousse mes manches. Je tends les mains pour qu’elle me passe tout les ingrédients. Je regarde à côté de moi les tiroirs et ouvre quelques unes pour trouver des couteaux. J’en prends deux puis vais à l’évier pour me laver les mains. « _ T’es peut-être pas douée en cuisine mais tu dois savoir éplucher les tomates ? » une pause, je prends un torchon pour faire sécher les mains. Je hausse les épaules. Oui, Maéva ne va pas rester là à me regarder, elle va se faire chier sinon. Je lui tends le couteau et les deux tomates alors que je prends les champignons. « _ Tu les couperas en petit dés les tomates après avoir épluché » Je prends les quatre champignons pour les laver à l’évier. « _ Pour répondre à ta question » que j’ai failli oublier. « _ Ouais. Je la connais depuis … Attend je compte. » une pause. Attendez là j’peux pas penser. Je compte. « _ .. Bon je sais pas compter. Mais je la connais depuis le lycée. » Je pouffe de rire en repensant à ces années là. La bonne époque.

C'est quand même incroyable comme comportement, non ? Le type apprend que ma mère est morte et qu'elle lui a jamais dit qu'elle était enceinte. Je débarque, un peu mal à l'aise et il me raconte qu'il veut essayer de faire partie de ma vie et de prendre la place qu'il aurait dû avoir toutes ses années. Si j'avais écouté mon frère, sans doute que j'aurais eu moins mal que maintenant. Le problème c'était que ce qui était fait, était fait. Je ne pouvais changer les choses et je le savais. Je vivais ici et c'était tout ce qui me restait. Richard était vraiment la seule personne à ne pas me mentir et à être complètement honnête avec moi. C'était un homme droit et juste et je l'admirais énormément. « - On peut dire ça, oui. » J'offre un sourire timide. Je ne compte pas finir mes jours ici, j'ai de l'ambition. Un minimum. Je suis intelligente, après-tout. J'hésite à faire médecine, bien que c'était mon premier rêve. On va dire que ceux qui étaient mes modèles avant, étaient désormais les pires parents du monde. J'étais perdue, un peu et j'avais peur de la suite. De ce que l'avenir me réservait. « - Non, ma mère est morte quand j'avais huit ans. »

Voilà de quoi l'empêcher de poser davantage de question. Je n'aime pas parler de moi, c'est un fait. Encore moins de ma famille, de mon histoire. Un frisson me parcours, alors que je pense à mon petit-frère... à l'accident.

Je dois dire que c'est étrange comme situation. Un homme cuisine avec moi le soir de la saint valentin. C'est un peu cliché quand même, mais bon, ce n'est pas désagréable. Sauf qu'il n'a pas du tout mon âge et que je ne suis pas du genre à draguer des hommes plus âgés que moi. Si c'est un ami de Snow, j'imagine qu'il a bien dix ans de plus que moi ! « - Je sais éplucher des tomates. » Souriante, je me prépare à remettre la main à la pâte. J'attache mes cheveux, avant de me laver les mains à mon tour, prête à m'attaquer aux tomates. « - D'accord. » J'adore ! J'ai l'impression d'être dans un cours de cuisine pour nulle et c'est... comme si j'avais de nouveau une vie normale. « - C'est énorme, de réussir à garder contact avec ses amis de lycée après tout ce temps. » Je me demande ça ressemble à quoi le lycée à leur époque. « - Tu coups, tu as vu Shawn grandir ? Je peux avoir le droit à quelques anecdotes juteux ? »

Sa mère est morte à huit ans ? Aie aie. J’essaye de me rattraper maladroitement, un peu gêné d’avoir touché le point sensible « _ Ah merde. Désolé. » William ou l’art de taper dans le mille sur les sujets sensibles. Ok. Je ne tâterai pas à nouveau ce terrain là, c’est trop risqué et j’peux pas vraiment me permettre de continuer à en parler comme si rien n’était. J’vais plutôt changer de sujet ce serait mieux et puis, j’ai bien reçu le message. Je comprends facilement quand les gens ne veulent pas en parler, des fois j’insiste pas.
J’pensais pas en arriver à là. J’essaye de me faire un récapitulatif mais ça n’aide pas grandement et puis, c’est pas la peine de chercher à réfléchir quand on est en pleine action. Par là, j’entends découpage de pied de champignons. Mais ouais, j’suis en train d’apprendre à cuisiner à Maéva une recette simple et bonne à manger, rapide à faire et ça met de bonne humeur aussi tout ça. Des champignons farcis au jambon. Ça devait faire des années que j’en ai pas mangé, j’ai vraiment pas pensé à cette recette tellement elle est facile quoi…! « _ Ouais ! Mais j’cache pas qu’on a eu … des hauts et des bas. Ça arrive à tout le monde ça. » Les meilleures amies ne peuvent pas tout le temps bien s’entendre, il arrive à tout le monde d’avoir des périodes où on faisait la gueule. « _ Je cache pas non plus qu’étrangement, on garde aussi contact avec des ennemis du lycée » fais-je dans un petit rire. J’finis la tâche pour les champignons et je me mets à fouiller les placard pour trouver le robot de cuisine, aie. J’en trouve pas, je regarde Maéva et fronce les sourcils. J’prends un air soucieux et soupire. « _ Nan pas vraiment… Comme je le disais, ça nous arrive d’avoir eu des hauts et des bas. Avec Snow, ça a été une histoire compliquée, elle a déménagé pour Huntington Beach, pendant que moi j’suis resté à San Francisco. Je voyais pas beaucoup Shawn mais on a toujours gardé contact et on a toujours réussi à se voir à des occasions importantes. J'ai pu le voir grandir un peu à distance mais ça n'empêche pas que j'ai des anecdotes. Pas sûr que ça lui plairait que je raconte. » Mais pas de la façon comme Owen et Snow avions eu, avant qu’ils ne se séparent. Je ne reste pas sérieux longtemps que je pouffe de rire. J’ai eu un souvenir de Shawn qui avait peur de marcher sur du sable quand il était gosse. Encore, l’autre fois, où il avait essayé de monter lui même un meuble mais qu’il était comme son père en fin de compte.
Ouais…
Des bons souvenirs…

Il s'excuse, c'est ce que font les gens normaux quand ils entendent que ma mère est morte. Avec le temps j'ai pris l'habitude de juger les réactions. Une seule phrase pouvait générer des centaines de réponses différentes. Sur une échelle de 1 à 10, William était plutôt dans la catégorie des gens normaux, ce qui était rassurant. Il comprend donc que c'est un sujet sensible et ne rajoute rien. J'apprécie. Il y a quelques minutes, j'essayais seule de faire de la cuisine tout en suivant une recette dans un livre chois au pif. Et maintenant un inconnu m'aide alors que je suis censée être celle qui aurait dû l'aider à sortir du cimetière. C'est fou, non ? La vie est parfois très drôle je trouve, mais pour une fois, c'était agréable. Pour une fois j'avais la sensation d'être tranquille. En paix quelque part. D'avoir une vie assez identique aux autres.

Alors que je m'occupais des tomates, je jouais les curieuses. En même temps, c'était plus fort que moi. Je trouvais ça incroyable de trainer encore avec des gens qu'on rencontrait dès l'enfances. Je me retourne pour prendre un couteau de cuisine plus gros pour couper les tomates alors que William me réponds qu'il y a eu des hauts et de bas. « - Avec des ennemis ? » Je disais ça un peu amusé. En même temps, c'était drôle comme réflexion. Je me rends compte qu'il cherche quelque chose et je pense savoir quoi. Je pose mon couteau, me nettoie les mains sur mon petit tablier et que monte sur une chaise pour chercher le robot de cuisine qui était cachée en hauteur.

« - L'importance c'est que vous ayez gardé contact, malgré la distance et les vies différentes. Peu de personnes sont capables de faire ce genre de choses. » Je pose l'engin devant William, un beau sourire sur le visage. « - Et si je promets de tout garder pour moi et de ne jamais lui en parler ? » J'offre ce visage d'ange qui m'a longtemps caractérisé. Je me rends compte que c'est la première fois depuis des mois que je souris et que je retrouve une certaine joie de vivre que j'avais perdu. J'en perds un instant mon sourire, retournant sur mes tomates que je découpais précisément.

« - Si ce n'est pas trop indiscret, tu faisais quoi dans le cimetière ce soir ? »

Je suis en train d’enlever les pieds des champignons dans la cuisine d’une fille que je ne connais pas vraiment. J’sais juste son prénom et son histoire, son lien avec Jack qui l’avait abandonnée. Rien de plus quoi…! Elle me pose la question, amusée par ce que j’viens de dire alors que j’ai eu un petit rire. Je hoche la tête après m’être pincé les lèvres légèrement gêné. « _ Ouais. Ces dernières années, ma femme a fréquenté la pire crapule que j’ai connu au lycée. On s’entendait pas du tout. Je l’ai beaucoup vu, même après mon divorce. » Le pire, c’est que je suis pas vraiment affecté, ça me fait rien du tout quand je parle de divorce maintenant. Avant j’avais du mal à le faire mais faut croire que j’arrive à le faire aisément. Je continue mine de rien. « _ Les ennemis du lycée continuent toujours leur rôle jusqu’au bout. J’veux dire, ils continuent à l’être après la scolarité. » Ouais, j’ai cette pensée chaleureuse pour le journaliste auquel j’ai frappé le nez sans prendre conscience des conséquences qui m’ont coûté bien cher par la suite.
Je cherche ce satané robot qui est introuvable. Maéva n’a pas la même façon de ranger que moi, j’allais lui demander mais elle a dû deviner ce que je cherche qu’elle est en train de monter sur une chaise pour l’attraper. Ce petit robot qui se trouve en haut, bien caché. Je fais une moue. « _ Ouais… Quand même bien j’ai cru que j’allais vraiment perdre contact avec mon meilleur ami du lycée, on s’est pas parlé pendant des années. » Mais je reste toutefois d’accord avec Maéva, c’est rare les gens qui réussissent à garder contact avec les amis du lycée. Je fais un petit sourire. « _ Merci. » À propos de la machine qu’elle vient de déposer. Elle insiste un peu pour connaître les détails sur Shawn. Je souris et fais mine que je cherche une anecdote. « _ Alors… Si c’est comme ça, ça me va. Quand il avait … Douze… Treize ans. Il a voulu goûter au café pour faire comme les grands, il en a commandé un quand je l’ai emmené boire un coup. Et bien sûr, il a détesté le goût. » On a dû échangé de boissons sur le coup. Je la regarde couper les tomates et elle se débrouille bien pour le coup. Je prends le jambon blanc pour le mettre dans le bol du robot. Elle me demande ce que je faisais au cimetière. « _ En tout cas, pas pour déterrer une tombe. » Je souris et je reprends un petit peu mon sérieux « _ C’est pour voir la tombe d’un ami mais je l’ai pas trouvé et j’ai changé d’avis entre temps. Je n'avais plus envie.» Pour pas dire, plus la force.

C'est un peu le genre de situation improbable que toutes les filles veulent raconter un jour. Malheureusement mon sauveur culinaire était tombé sur un cas un peu particulier. Je n'avais rien d'une adolescente comme les autres et je le savais bien. Je ne voulais pas faire partie du même monde qu'avant. J'avais appris que les liens sociaux n'avaient pas d'importance, parce que tout le monde finissaient par me blesser d'une façon ou d'une autre. Je n'accordais plus ma confiance et depuis le départ de Jack et Matthew, c'était pire encore. J'avais beau montrer un tout autre visage à William, ce soir serait sans doute la seule fois où nous nous verrons.

« - Je vois. Alors c'est toujours ton ennemi. C'est drôle. Comme quoi, certaines choses ne changent pas. » Je faisais attention à mes tomates tout en me rendant compte que je parlais comme une vieille de 86 ans. En même temps, je parlais toujours de cette façon. C'était devenue une habitude pour moi, sans doute était-ce à cause de mon travail ici, au cimetière. A force de trainer avec des personnes plus âgés, avec plus d'expériences.

En remarquant qu'il avait besoin du robot, je me dépêche de lui chercher ça tout en l'écoutant. J'aime la perspective que certaines personnes réussissent à garder un lien proche malgré les années, parce que ça prouve que tout n'est peut-être pas perdu. William me répond qu'il y a quand même eut à moment difficile. Un moment où il ne parlait plus à son meilleur ami pendant longtemps. Je me demande pourquoi et surtout comment ils se sont retrouvés par la suite, mais je crois que je lui pose déjà bien assez de questions comme ça. Je lui tends l'objet de ses désirs avant de retourner sur mes tomates, comme une bonne apprentie. Je sais que j'insiste un peu pour en savoir plus sur Shawn, mais au fond, il m'intrigue. Il pouvait bien être irritant, j'éprouve toujours une certaine fascination à en savoir plus sur les autres. Shawn en particulier, vu nos liens étranges.

« - Du café. » Je ricane légèrement tout en travaillant mes tomates. Cela ne m'étonne pas. Shawn avait l'air d'être le type qui cherche à faire tout avant tout le monde. Une fois fini, je pose le couteau et m'essuie de nouveau les mains, me retournant vers William. « - Encore heureux. » Il n'était pas là pour déterre une tombe, voilà un miracle. Un de moins. « - Tu veux que je t'accompagnes ? J'ai une carte si jamais tu veux y aller, pour retrouver sa tombe. » C'était pratique. Mais à force d'entretenir l'endroit et d'y passer mes heures libres, j'étais habitué. J'haussais les épaules. Il m'aidait, alors c'était la moindre des choses de l'aider en retour, non ?

Au cimetière. C’est normal. Tout est parfaitement normal ! Je cuisine chez une inconnue qui vit au cimetière, le jour de la Saint Valentin. C’est tout à fait normal ! On se fait la causette normal, on cuisine normal, on fait comme si on est normaux. Faut croire quand même qu’on est dingue de devoir faire comme si ça nous dérangeait pas. « _ Ouais voilà… Les liens restent quand même pareil à la base quand on se retrouve après tant d’années. » Le journaliste de merde qui a couché avec ma femme, on avait toujours ce même lien. Bien que ça s’est dégradé juste après, pour pas dire que ça a tourné en une parfaite catastrophe. Transformant ma vie ainsi en cauchemar. Je fronce les sourcils attelé à ma tâche. Je me retiens de dire que c’est quand même étrange, que j’ai plus l’impression d’entendre une adulte parler, qu’une jeune. Je hausse tranquillement les épaules et finit ce que j’ai à faire, je dépose le couteau et part à la quête du robot introuvable.
Après l’avoir retrouvé et mit le jambon dedans, ainsi que les pieds des champignons, la chapelure. Je raconte l’histoire de Shawn et du café, en attendant qu’elle ait fini avec les tomates. Je la regarde faire et quand Maéva a terminé. Je fais un petit sourire, je hoche la tête. « _ Ouais du café… C’est mieux que l’alcool qu’il boit alors qu’il n’avait pas l’âge. » Je regarde les tomates qu’elle a fini de couper. « _ Bien joué. » fais-je en guise de compliment. Je prends les tomates pour le mettre dans le bol du robot, et je laisse tel quel alors que je me lave les mains. Je rigole à son commentaire, je ne suis pas un fou du cimetière, j’aime pas trop ça non plus hein… Puis elle me propose son aide pour retrouver la tombe de mon ami, mon sourire disparait un peu. C’est normal aussi. « _ Si je dis une autre fois parce que je ne me sens pas courageux pour y aller, ça voudra probablement dire que je reviendrais pas ici à nouveau. » Je suis assez lâche pour ça. Je retourne sur le plan de cuisine, je mets les têtes de champignons à côté du robot. Je cherche du sel que je n’ai pas de mal à trouver, ainsi que tout le reste qui va avec. « _ Ça veut pas dire que j’veux pas y aller. Au contraire, ça m’arrangerait d’aller devant sa tombe une bonne fois pour toute. » Parce que ça fait combien de temps, déjà un an depuis l’enterrement que j’essaye de repousser tout ça. « _ Bon, tu sais ce qu’il faut faire après ? » Oui je parle de cuisine maintenant. Signe qu’on en reparlera après avoir mangé ou juste avant de mettre les champignons dans le four.

Je sais que certaine personnes peuvent trouver ça étrange de vivre dans un cimetière. Je sais que ce n'est pas facile à croire, surtout quand on est en face d'une lycéenne qui essaye encore de se battre pour survivre dans ce monde. Mais c'était la réalité, aussi surprenante soit-elle, et il fallait l'accepter. Si William n'était pas intervenu dans ce désastre culinaire qu'était ma cuisine, je pense que j'aurais fini par abandonner. Comme à chaque fois en réalité. J'étais du genre à fuir et à baisser les bras, par l'inverse. Je dois admettre que je trouve le parrain de Shawn assez captivant. Cela me fait du bien d'être avec quelqu'un qui ne s'attarde pas sur mon âge ou sur ma maladresse. Il était quand même coincé dans le cimetière à cause de moi, mais au lieu de paniquer et de m'hurler dessus, il m'aidait... C'était quelqu'un de bien. Je crois. Je sais mieux que personne qu'il n'est pas bon de se filler aux apparences, mais là, je dois avouer que je suis plutôt sous le charme. On a tous nos histoires, nos souvenirs.

Et j'aime en savoir plus sur les gens qui m'entourent. Sur Shawn aussi. J'aime avoir l'impression d'avoir été là, quelque part. Comme si par la discussion, cela m'ouvrait une porte vers un souvenir qui n'est pas le mien et qui le devient alors. Quelque chose de drôle et d'apaisant, loin du chaos qu'était mon passé. J'offre mon plus beau sourire quand il me complimente sur les tomates. Ce n'est que des tomates et moi je suis heureuse de savoir que j'avais bien fait... ridicule, non ?

Il n'avait pas envie de retrouver son ami, du moins pas tout de suite. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne préfère pas trop en rajouter. Je sais que chacun prend le temps qu'il lui faut pour faire ce genre de choses.

« - Tu peux compter sur moi. » Une prochaine fois c'était donc. Je m'accoude à la table, regardant William faire, tout en l'écoutant se rassurer lui-même. Ce n'était pas le courage qui lui manquait, mais c'était la peur qui le submergait. J'offre un léger sourire avant qu'il ne me reparle de cuisine, ni vu, ni connu. Et je panique.

« - Euh... » J'essaye de jeter un coup d'oeil aux livres avant de bêtement dire : « - On fourre les champignons ? »

Je souris doucement à Maéva, un sourire qui disparait très vite après. David Kane. C’est un ami à moi, que j’ai connu et que j’ai vraiment apprécié. Il n’égale pas Owen bien sûr. J’ai été à son enterrement, sans Adèle. C’était dur d’accepter ce fait. Juste après, j’ai découvert que ma femme me trompait. Alors… Je n’ai pas vraiment envie de me retrouver devant cette tombe, devant tout ces souvenirs là. Retrouver mes démons.
Heureusement que la cuisine est là pour m’aider à penser à autre chose. Elle est juste là, à portée de main. Parce que je ne sais pas ce que j’aurai pu dire, pour changer le sujet de conversation. En même temps, je pense que Maéva me comprendrait si je fais ça. ‘Fin, je ne suis sûrement pas le premier qui réagit comme ça. Je lui pose la question, pour savoir si elle sait ce qui nous restait à faire. Elle me dit qu’il faut fourrer les champignons. Je souris amusé, je secoue la tête. « _ Presque, mais avant faut mixer. » Je montre le robot du doigt. Je fronce les sourcils et désigne du menton le livre de recette. « _ C’est pas écrit dessus ? » Je hausse un peu les épaules, en faite je m’en fiche un peu. J’ai déjà une recette dans ma tête et non, c’est pas une de mes expériences douteuses de cuisine ! J’ai déjà pas mal de recette en tête et je ne me suis jamais trompé dans les dosages. C’est ça être chef cuisinier. C’est savoir toutes les recettes, comment se démerder dans des situations d’urgence, ajouter une part de sa création dans les recettes. Et puis, ce que j’suis en train de faire pour nous deux - ouais j’ai faim là - c’est pas la première fois. Donc j’sais ce que j’fais.
« _ Faut mixer, jusqu’à ce que le mélange soit complètement homogène. Je te laisse faire. » Quoi ? C’est pas parce que j’ai la flemme de le faire moi-même. On apprend mieux la recette quand on fait les choses soi-même. ‘Fin bon, j’ai quand même fait l’autre partie, mais j’pense que Maéva saurait le refaire. Je la regarde faire et hoche la tête, signe d’encouragement. Mon téléphone sonne, il signale un sms que je viens de recevoir « _ Oups. Désolé. » Je le sors par réflexe de la poche et regarde le sms. Je fronce les sourcils et soupire. Je ne réponds pas et range le téléphone. Dès que je vois que Maéva ait finit, je souris et lui tend la cuillère. J’acquiesce devant ce qu’elle a fait « _ Tu te débrouilles bien ouais. Et après. On fourre les champignons. » Une pause. Je la regarde faire et lui dit. « _ Ça va être marrant de devoir raconter à Snow comment on s’est rencontrés. » je souris et réprime un petit rire. Je ne sais pas pourquoi je me mets à parler de ça. Encore un autre sujet de conversation.