Ses mains tenant fermement l'album photo, le petit Louis ne cessait de contempler photos après photos ce visage si souriant, si apaisé, si heureux. De son doigt, il contournait chaque trait de ce minois harmonieux, essayant de le graver à tout jamais dans sa mémoire. Parce que c'était bien ça le problème ; il était obligé d'ouvrir cet album pour se souvenir de ce qu'était sa vie quand il était gamin. S'il se rappelait sa vie de jeune enfant, il ne se souvenait que d'avoir été heureux. Il était incapable de visionner le visage de sa mère : elle avait tout simplement disparu. Les seuls souvenirs qu'il avait d'elle étaient là, dans le creux de cet album, dessinés à tout jamais sur ces photos. Elle était belle sa mère. Ses cheveux devenaient de plus en plus rares au fur et à mesure qu'il tournait les pages, mais son sourire était constamment là ; surtout quand elle le tenait dans ses bras, lui, le petit Louis de quatre ans. Sur cette photo par exemple, ils étaient ravissants tous les trois : sa mère couchée sur le lit, fatiguée, qui entourait Louis de son amour avec ses bras pendant que son père les regardait avec tendresse. Il lui ressemblait. Plus il regardait les photos, plus il trouvait qu'ils avaient le même nez, et même le même sourire. « Louis, on passe à table. » Ses mots le coupèrent dans sa réflexion. Son père venait de l'appeler. Il posa son regard sur lui justement. Il avait beau savoir qu'il n'était pas son père, il avait beau savoir qu'il n'avait rien en commun, il avait beau savoir qu'il n'était qu'une « pièce » rapportée dans la famille qu'il formait avec sa mère, il ne pouvait s'empêcher de chercher un signe de ressemblance entre lui et Pacey. Parce que justement, quoique le sang puisse dire, Pacey était son père ! « J'arrive ! » lâcha-t-il alors, en fermant l'album. Il sauta hors de son lit, et alla le cacher directement sous le matelas ; là où il avait l'impression que c'était sa place. « T'as fait quoi à manger? » cria-t-il depuis sa chambre, avant d'ouvrir la porte à la volée, et de filer en courant vers la cuisine.

Je voudrais tellement lui ressembler. Je rêve de devenir aussi grand, aussi fort que papa. Quand je parle de papa, je parle de Pacey évidemment. Je l'appelle papa, même si je sais bien que ce n'est pas mon vrai papa, et même si officiellement je lui ai déjà dit que si je l'appelle papa, c'est parce que c'est le surnom de Pacey. Mais officieusement, je le prends vraiment pour mon papa. Il m'a adopté. Il s'est toujours occupé de moi depuis que Maman nous a quitté. Au début, je croyais qu'elle avait rejoint les étoiles : je levais les yeux au ciel tous les soirs, et chaque nuit avant d'aller me coucher j'allais lui dire au revoir. Maintenant, je sais que ce n'est pas le cas. Je sais qu'être mort, ça veut dire qu'on est prisonnier d'un corps inerte. Mais instinctivement, je vais quand même tous les soirs lui dire au revoir, depuis ma fenêtre, sans que Papa le sache. Je ne veux pas qu'il le découvre. Je veux que ce soit mon petit secret, à Maman et à moi. Ce n'est pas contre Papa évidemment. C'est juste que j'en ai besoin.

« Louis Stark ! » La voix sifflait d'un ton sec. Le gamin sursauta d'un coup. Sa tête se releva vers la prof devant lui. Elle le regardait d'un air sévère, un air pour lequel en général, on ne répond pas. Elle s'avança vers lui. « Qu'est-ce que tu viens de faire? Tu crois que je ne t'ai pas vu? » Le petit haussa les épaules, et secoua la tête ; comme si il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. D'ailleurs, il ne comprenait pas. Il avait juste tourné la tête vers son ami, et la voilà qu'elle l'agressait. « Tu trichais!! » lâcha-t-elle comme si elle venait de résoudre le plus grand mystère de l'univers ! « Non.. Je n'ai pas triché. » répondit Louis, avec un aplomb bien connu. Elle souffla, soupira. Elle était énervée, ça se voyait, mais énervée pourquoi? Parce qu'un de ses élèves avait triché? Juste pour ça? « Donne moi ton carnet » Son ton était aussi sec qu'avant. Sa voix était toujours aussi désagréable. Il la détestait. Vraiment. « Je ne l'ai pas. » C'était tout. Il n'avait rien à ajouter. Il n'allait pas redire encore une fois qu'il ne trichait pas. Il connaissait sa maitresse; elle était aussi têtue  que lui. « Pas grave, je vais appeler ton père. J'ai gardé son numéro depuis la dernière fois. » L'appeler? Pour ça? Encore? C'était n'importe quoi ! Aussitôt, Louis se mit à parler. Il ne pouvait pas se taire plus longtemps, il ne pouvait pas la laisser l'accuser sans se défendre. « Ne l'appelez pas. Ca ne sert à rien. Il travaille, il a des choses beaucoup plus importantes à faire que de s'occuper de ça. Laisser le s'occuper tranquillement de ses patients. Eux, ils ont besoin de lui. N'allez pas l'ennuyer avec cette histoire. En plus, je n'ai vraiment rien fait. Vous n'avez pas de preuves ! Et vous savez comme moi qu'il faut des preuves pour accuser.» Il fallait des preuves. Louis adorait jouer au détective. Il avait bien compris qu'il fallait des preuves pour accuser quelqu'un, hors là, elle n'en avait pas. Son esprit lui jouait peut-être des tours. Sûrement même : parce qu'il n'avait pas triché !

C'est toujours la même chose. Ils veulent appeler Papa. Comme si eux n'avaient jamais fait ça quand ils étaient gamins, comme si eux n'avaient été que des petits anges. Je sais bien que ce n'est pas vrai. Monsieur Tompkins, du haut de ses -au moins- 80 ans, m'a dit un jour que lui aussi avait fait des conneries et que les adultes qui prétendent ne jamais en avoir fait n'étaient que des menteurs.. ou alors ils ont Alzheimer m'a-t-il dit en rigolant. Je ne sais pas trop qui est Alzheimer, mais je crois que quand on l'a, c'est qu'on perd un peu la tête.. Je pense que cette maitresse perd vraiment la boule. Elle ne se souvient pas de quand elle était petite, et elle essaye de me faire culpabiliser. Elle m'énerve. Elle fait toujours ça. Elle croit toujours tout savoir, mais elle ne sait strictement rien. Je n'ai pas triché. J'ai juste jeté un coup d'oeil sur Jamie pour voir si il avait obtenu la même réponse que moi, c'est pas triché ça ! J'ai juste vérifié..

Le regard rivé vers ce qu'il venait de voir, un peu choqué, le gamin se cacha un peu plus derrière l'arbuste. De sa main, il poussa quelques feuilles, et observa la scène. Ses voisins étaient là, devant lui. La dame était furieuse. Elle râlait, criait, hurlait. Le monsieur semblait un peu plus calme. Il s'approchait d'elle, et elle, elle le repoussa d'une claque gigantesque. Louis eut mal, pour le monsieur. Il prit l'appareil photo piqué à son père entre ses mains, vérifia que le flash n'était pas activé, et commença à appuyer. Une photo. Deux photos. Trois photos. Nickel ! Quelques secondes plus tard, le couple -la dame râlant toujours- fila vers leur maison. Ils y entrèrent, laissant Louis, caché dans les arbustes. Il en sortit aussitôt, et s'agenouilla par terre. Il jeta un coup d'oeil rapide aux photos; elles étaient parfaites. Il glissa l'appareil photo dans son sac. Puis, les mains à l'intérieur, Louis fouillait dedans. Il sentit le contact froid de l'appareil photo et la douceur de son carnet du bout des doigts. Il attrapa ce dernier, et le sortit du sac. Il fallait qu'il note. Louis était organisé. Il trouva rapidement la feuille concernant les McCawley. Puis, il attrapa son talkie-walkie, et demanda dedans. « Jamie, tu es par là? » Les yeux rivés sur l'appareil, il attendit une réponse. En vain. Jamie ne devait pas être dans le rayon. Il soupira alors, prit son stylo et commença à noter l'heure de la dispute, et ce qui s'était passé. Il tentait de se souvenir de chaque mot, et il les notait, un par un, de son écriture pas très belle. On lui disait souvent qu'il écrivait mal, mais il s'en fichait; au moins, ce carnet resterait secret si personne ne le lisait !
Une fois que ce fut fait, le gamin reprit sont talkie-walkie. « Jamie, dépêche-toi, je crois que j'ai un gros coup! » Cette fois, il entendit un petit bruit, suivi d'une voix. « Bien reçu, j'arrive! » Le visage de Louis s'éclaira; Jamie était vraiment un vrai ami ! Et en plus, ils avaient maintenant de quoi jouer. La dispute avait eu lieu, sous ses yeux. Mais maintenant une chose lui tournait en tête : Pourquoi s'engueulaient-ils?

J'aime bien jouer au détective. Je découvre de nombreuses choses comme ça. Je sais que Mr Smith voit une autre dame que Mme Smith. Je sais aussi que Dakota fume. J'ai appris que Miss Johnson nourrissait le gros chien du voisin avec des légumes verts soit disant pour le faire maigrir. J'ai vu aussi que Tommy pleurait souvent dans le coin du jardin et appelait sa petite soeur. Je sais pleins de choses sur pleins de monde ! Il y a juste Papa que je n'espionne pas. Mais ses copines, elles y passent ! Je faisais la même chose avec Neela, son ex. Je ne la supportais pas. Elle venait à la maison, je n'aimais pas ça. Elle passait du temps avec Papa dans sa chambre, ça m'énervait ! Alors, je l'ai suivi elle aussi. J'ai fouillé dans sa vie, je l'ai suivi jusqu'à son hopital un jour. Je suis même arrivée en retard à l'école à cause d'elle, et vous savez quoi? Je n'ai rien trouvé ! RIEN ! Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir essayé. Je voulait vraiment découvrir quelque chose sur elle, pour l'empêcher de continuer avec Papa. Bon, ceci dit, même si je n'avais rien de compromettant, j'ai fini par avoir gain de cause. Je lui ai dis un jour que je ne l'accepterai pas, qu'elle ne prendra jamais la place de Maman, et que je ne voulais vraiment pas d'elle. Je ne l'ai pas dis devant Papa évidemment.. Je ne sais pas si c'est ça, mais ils ne sont plus ensemble. Comme quoi être franc et direct, ça a du bon !

Dans la voiture les ramenant chez eux, Louis tenait fermement les pizzas bien chaudes sur lui. Son estomac gargouillait, son ventre entier réclamait à manger. Son père avait eu une idée du tonnerre ce soir, en voulant manger une pizza. Louis ne demandait pas mieux. Il était tranquillement en train d'essayer un nouveau tour de magie quand son père l'avait appelé, pour lui demander ce qu'il voulait comme pizza. Ni une, ni deux, il avait courut vers son père, ravi d'en manger. Il adorait ce plat. Il vendrait même McGonagall pour en avoir, pour dire ! Le père et le fils étaient alors partis en chercher. C'est ainsi qu'ils s'étaient retrouvés dans la voiture, tout les deux, sentant cette délicieuse odeur dans l'air. « Je te jure Papa, je pourrai les avaler les deux ! » Il posa son regard sur son père. Il était à deux doigts de répondre lorsque son visage s'était d'un coup crispé. Surpris de cette non réaction, le gamin avait suivi son regard et avait vu ce qui chagrinait son père : des pompiers. « Oh, y'a des pompiers! Tu crois que quelqu'un a voulu faire un barbecue géant? » Comme tout gamin, les pompiers l'amusaient. Il les admirait pour leur courage, leur détermination et leur lutte sans faille. Mais à la fin de sa phrase, il comprit que quelque chose clochait. Les pompiers étaient devant chez eux. Pire encore, des flammes sortaient des fenêtres, et de la fumée noire épaisse s'élevait de leur maison. LEUR MAISON !! Il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit que la voiture s'était arrêtée d'un coup, et que son père était sorti en trombe. Il le suivit, beaucoup plus doucement, partagé entre l'excitation de voir des pompiers en action et la douleur de voir cette maison partie en fumée. Il s'arrêta sur le bord, stoppé justement par un pompier qui lui demanda de rester là. Contraint, il jeta un coup d'oeil au monsieur et lâcha un « J'aime bien votre uniforme. » qui fit rire le pompier. Son regard se reposa alors sur la maison, et c'est là qu'il eut le flash, qu'il comprit : quand son père lui avait parlé de pizzas, il avait quitté le bureau en trombe, laissant brancher l'appareil de son tour de magie. Ils l'avaient dit pourtant sur la notice : ne pas le laisser brancher.. au risque de provoquer un incendie..

Papa est au courant. Je n'ai pas eu besoin de le dire; un des pompiers a annoncé d'où venait le « sinistre » - nom barbare qui impliquait que notre maison n'était plus. Moi, j'étais partagé, désolé d'avoir causer cet incendie, et en même temps heureux de voir les pompiers, en vrai, venir sauver ma maison ! Ils étaient gentils d'ailleurs, ils m'ont donné un petit jouet : un petit camion de pompier. Le gros inconvénient c'est que j'avais troqué ma maison avec ce petit jeu ; on avait perdu au change. Heureusement, Neela nous a tout de suite proposé de venir chez elle ! J'étais heureux ! Parce qu'avant, je ne l'aimais pas, mais que depuis qu'elle a eu un bébé avec un autre monsieur, et que là elle sort avec encore un autre monsieur -elle les cumule-, elle ne risque plus de mettre le grapin sur papa! Je ne risque plus rien ! Elle ne me le pique plus ! Et en vrai, Neela, elle est vachement adorable. Elle a des pots de glace complets dans son congélateur, elle me laisse regarder ce que je veux à la télé, et elle me laisse même m'occuper de Maya -sous son regard avisé-. Je l'aime bien maintenant.. Et dans un sens, tant mieux, car on n'est pas prêt de retourner à la maison..

Noël était arrivé. Louis était plus qu'excité depuis quelques semaines. Noël, ça voulait tout dire. C'était une fête de famille, qu'il allait passer avec son papa. Ils allaient, comme à chaque Noël, regarder des tas de films sur Noël. Certains étaient même très beaux -celui par exemple où un gamin solitaire récupérait un chien comme cadeau-, d'autres étaient horribles -comme celui par exemple où pour Noël un orphelin de mère recevait de son père une nouvelle Maman-. Mais même si les films n'étaient pas toujours bien, Louis restait près de son père, sans jamais râler, bien heureux de partager ce moment avec lui. En plus, ils mangeaient pop-corn sur pop-corn. Bref, Noël était une fête que Louis aimait. Surtout qu'en prime, il recevait toujours des cadeaux.
Mais ce Noel-là était particulier. Louis l'avait vite compris. Ce soir, ils devaient recevoir Hazel, une copine de son père. Il n'y avait évidement vu aucun inconvénient -dans les films, ne dit-on pas que Noël est une fête où il faut partager?-, mais son père semblait stressé. Il s'était bien habillé, et bougeait tout le temps, comme si il était pressé. Le regard rivé sur la télé, Louis essayait d'y faire abstraction. Après tout, peut-être était-il inquiet juste parce qu'il avait peur de rater le diner? Il regardait une pub pour les jeux videos, quand cette fois, la sonnette retentit, stressant d'un coup son père. Inquiet à son tour, le gamin releva les yeux vers lui. Qu'est-ce qu'il avait? « Bon, écoute Louis, tu sais, je t'ai parlé d'une amie à moi, Hazel. Bon, c'est vrai, j'ai un peu fait que te dire qu'elle était génial, mais en fait, c'est beaucoup plus qu'une amie pour moi. Et ce soir, je l'ai invité à la maison... Enfin techniquement c'est pas notre maison, mais tu vois où je veux en venir. » Il s'interrompit, laissant Louis encore plus perplexe.  « Je veux que tu la rencontre, parce qu'elle est importante pour moi. » Importante?? Cette Hazel?« Je l'aime beaucoup et je suis certain que tu l'apprécieras toi-aussi. » Sur ces mots, son père se releva et fila vers la porte, laissant Louis soucieux. Ainsi, Hazel n'était pas qu'une copine? Qu'est-ce qu'il avait bien pu vouloir lui dire? Stressé, Louis se leva, fit quelques pas, et observa de loin son père et cette Hazel. Elle était blonde, grande, très belle.. Et était potentiellement sa petite amie? Il n'y croyait pas. Et pourtant, cette question lui trottait en tête. Son regard était soucieux, son visage inquiet.

Voilà, tout recommence. Je m'étais débarrassée de Neela, et voilà que Papa rencontre une autre femme. Je dois le dire, il les choisit bien. Cette Hazel est belle. Elle sourit tout le temps, j'aime bien quand les gens sourient. Mais le regard qu'elle lance à Papa ne me plait pas. Elle veut me le piquer, c'est certain. Elle veut rester près de lui. Elle veut s'occuper de lui. Elle veut passer tout son temps près de lui. Peut-être même qu'elle veut un bébé de lui. Mais moi, je ne veux pas tout ça ! Je veux être le seul que Papa regarde en se levant le matin. Je veux être le seul à qui Papa sourit. Je veux être le seul dans sa vie, tout comme je veux être son seul fils ! Et elle, elle veut me le prendre. Je fais bonne figure devant elle, j'essaie d'être bien, mais au fond de moi, je bouillonne. C'est sûr, je vais devoir enquêter sur elle. Je vais vérifier si elle aime autant le chocolat qu'elle le dit. Je vais vérifier si son métier c'est bien de s'occuper d'une bijouterie. Et puis surtout, je vais voir comment elle est vraiment. Je vais essayer de trouver ce qu'elle cache. Et si, comme Neela, je ne trouve rien, hop, je lui dis, comme je l'ai déjà fait, ses quatre vérités en face. Et bye bye Hazel !