« Mason, je t’en supplie, arrête de pleurer… » elle avait murmuré ces quelques mots à l’oreille de l’enfant qu’elle tenait dans ses bras, le berçant tant bien que mal tandis qu’il poussait des cris comme il ne l’avait encore jamais fait. Il n’était âgé que de quelques mois, pas même la moitié d’une année, et jusqu’à présent Leah avait eut la chance d’avoir un bébé calme. Il ne pleurait jamais à outrance, seulement lorsqu’il avait faim ou qu’elle le laissait seul un peu trop longtemps à son goût. Il était même souriant. Elle se souvenait de la première fois qu’elle avait vu un sourire se dessiner sur sa toute petite bouche. Elle avait failli pleurer tant cette vision lui avait retourné le coeur. Mason ne pleurait pas, pas comme il pleurait ce soir. Depuis le début de la semaine, il semblait ne pas aller très bien, quelque chose clochait et Leah l’avait senti dès le départ. Elle avait appelé sa mère et ses soeurs pour se rassurer, elle était même allée voir le pédiatre qui avait décrété que tout allait bien chez son fils. Mais voilà trois jours qu’elle n’avait pratiquement pas fermé l’oeil. Trois jours que chaque soir, à la même heure, se répétait la même scène. Incapable de mettre son fils au lit, incapable de le faire dormir plus de deux heures d’affilées, ils étaient aussi épuisés l’un que l’autre. « Mason. » murmura-t-elle à nouveau à l’oreille du nourrisson. « Arrête de pleurer, mon amour. Maman est là. » On lui avait dit de ne pas s’inquiéter, que c’était normal pour un bébé de pleurer, qu’elle ne devait pas se faire de film et s’imaginer quoi que ce soit, ça ne servait à rien. Elle avait l’impression de devenir folle. Et à mesure que ses heures de sommeil diminuaient et qu’elle restait éveillée à tenter de consoler un enfant visiblement inconsolable, Leah sentait sa patience faiblir. Elle serra les dents, ferma les yeux, et continua de bercer son fils dans ses bras tout en marchant à travers le salon. Ça n’allait pas. Elle pouvait le voir dans ses yeux. Son fils n’était pas bien, et elle luttait contre l’envie de le mettre dans la voiture et de l’emmener à l’hôpital. On allait la prendre pour une folle… Ou pire, pour une mauvaise mère. Pourtant, elle n’avait rien fait d’inhabituel, tout était resté exactement pareil, seul Mason semblait avoir changé. Ce n’était pas normal, elle le sentait au plus profond d’elle-même. Peut-être que ce n’était pas grave, elle l’espérait en tout cas, mais il y avait forcément quelque chose à creuser. Elle déposa Mason qui continuait de s’égosiller et alla chercher son téléphone pour composer le numéro de téléphone de sa soeur, Marissa. Cette dernière ne décrocha pas, elle devait être de garde ce soir et sans doute avait-elle une opération d’urgence ou quelque chose du genre. Les pleurs du bébé se faisaient de plus en plus imposants dans la pièce, oppressants et graduellement étouffants. Leah sentait une sensation étrange monter en elle. Elle composa le numéro de chez ses parents et atterrit directement sur le répondeur. Elle observa l’horloge de la cuisine qui indiquait déjà presque minuit. Elle fixa à nouveau le téléphone. Que faire? Appeler les urgences? Appeler son pédiatre habituel? Celui-là même qui lui avait recommandé de simplement faire preuve de patience et de ne surtout pas regarder les conseils qu’on trouve sur internet pour diagnostiquer elle-même son bébé. Il allait la détester si elle osait composer son numéro privé en plein milieu de la nuit. Mason hurlait à présent. Ses pleurs ne ressemblaient même plus à des pleurs. Au même moment, Sparrow se mit à aboyer et à tourner en rond. Leah reposa alors violemment le téléphone sur le meuble de l’entrée et se tourna brusquement. « Sparrow! » cria-t-elle. Elle attrapa le chien par le collier et sans aucune délicatesse le conduisit jusqu’à la baie vitrée qui coulisse pour l’inviter à prendre la porte. « Dehors! » Elle n’avait jamais crié sur son chien, pas même lorsqu’il était encore un chiot et qu’il enchainait les conneries. Elle ne l’avait jamais mis à la porte de cette façon-là non plus. Elle referma la baie vitrée et observa le salon. Mason n’avait pas cessé de pleurer. Elle se boucha les oreilles quelque secondes. Il fallait qu’elle se calme, qu’elle respire. Ce n’était rien. Elle manquait simplement de sommeil et Mason aussi. Il pleurait parce qu’il n’était qu’un bébé. Ce n’était rien qu’une mauvaise passe, un mauvais moment à passer. Elle ne devait pas craquer pour si peu, elle était une bonne mère. Elle ferma les yeux, fit quelques pas dans la pièce en gardant ses mains sur ses oreilles. Elle sentait que ses nerfs étaient à deux doigts de lâcher. Elle aussi avait envie d’hurler. Soudain, elle ré-ouvrit les yeux et aperçu son fils qui gesticulait dans tous les sens sur le canapé où elle l’avait déposé. Elle s’approcha de lui pour tenter de le reprendre dans ses bras, il était si rouge qu’elle avait l’impression qu’il était sur le point d’exploser. « Shhhhhh. Ça va aller. Shhhhhh. » Elle lui tapota gentiment le dos dans l’espoir que cela change quelque chose, mais Mason persistait. Elle avait comme l’impression quelque part qu’il la rejetait et elle n’arrivait pas à le supporter. Qu’est-ce qu’une mère qui est incapable de calmer son enfant? Elle sentit l’angoisse s’emparer d’elle, la peur d’être un échec dans le seul rôle qui avait de l’importance à ses yeux. Leah marcha jusqu’à la cuisine, attrapa un biberon et tenta de le glisser dans la bouche de l’enfant, en vain. Il n’avait pas faim. Elle le changea de position dans ses bras, le passant de son épaule droite à son épaule gauche. Les pleurs semblèrent tout à coup moins forts. Elle voulut donc allonger son fils dans ses bras, le bercer à nouveau, mais quand elle observa son visage Mason était passé du rouge au violet. Son coeur à elle faillit lâcher en pensant qu’il avait cessé de respirer. Paniquée, Leah le redressa à nouveau et il se mit à pleurer de plus belle. Il respirait, mais ses pleurs étaient si intenses et si peu espacés qu’il avait sans doute du mal à reprendre sa respiration. Sans réfléchir, elle se précipita vers la porte d’entrée. Elle avait attrapé ses clés de voiture, se disant que tant pis pour ce qu’on penserait d’elle, elle ne pouvait pas laisser Mason continuer de s’égosiller ainsi sans rien faire. À peine avait-elle mis un pied dehors que son regard alla se poser sur la maison de Neela. En emménageant dans le quartier, elle ne savait pas que cette dernière habitait dans la même rue. Elles ne s’étaient encore jamais croisés, mais Leah avait appris qu’elle vivait ici aussi et qu’elle était même une voisine proche. Elle n’y pensa pas tout de suite, mais alors qu’elle avait ouvert la portière arrière de sa voiture et commencé à installer Mason dans son siège auto, elle se rappela brutalement que Neela était médecin. Leah cessa toute activité pendant quelques secondes, puis voyant que son fils luttait pratiquement pour reprendre son souffle, manquant à nouveau de tourner au violet, elle le reprit dans ses bras et traversa la rue. Lorsqu’elle se retrouva devant la porte de chez Neela, elle ne réfléchit pas d’avantage et sonna trois fois de suite. « C’est un médecin. » articula-t-elle en silence, comme pour se convaincre elle-même qu’elle ne venait pas de faire une connerie. Mason hurlait à la mort, impossible de ne pas réveiller tout le quartier. La porte s’ouvrit, et sans oser regarder la personne en face, elle fixa son fils dont le petit corps s’agitait dans ses bras. « J’ai besoin d’aide. » lâcha-t-elle avec une pointe de désespoir dans la voix. Elle releva la tête et planta son regard dans celui de Neela.

Elle fit un pas dans la maison de Neela pour la toute première fois, serrant Mason dans ses bras tandis qu’il s’égosillait toujours. Leah ne songea pas tout de suite à l’étrangeté de la situation, au fond elle savait bien que son hôte devait être surprise, mais ni l’une ni l’autre ne fit une remarque à ce sujet et Neela comprit rapidement que l’objet de sa visite concernait Mason. Elle se laissa diriger jusqu’au salon où la jeune femme lui fit signe d’installer son fils sur le canapé. Elle s’exécuta sans un mot, le regard inquiet ne décrochant pas un seul instant du bébé qui semblait souffrir, ça lui était insupportable. Neela prit les choses en main, adressant à Leah une première question à laquelle cette dernière secoua vivement la tête en réponse et ajouta un petit « Non » lorsqu’elle réalisa que Neela ne la regardait pas et ne pouvait donc pas la voir remuer la tête. Elle l’observa avec attention positionner Mason de façon à ce qu’il respire mieux, ses pleurs continuaient de se faire entendre dans toute la maison, mais ils semblèrent s’espacer doucement. Leah elle-même respirait un peu mieux de le voir s’apaiser. Elle n’avait pas pensé à un truc aussi bête qu’un coussin pour le soulager… Elle avait passé des heures à le bercer dans ses bras, à enchainer les petits mouvements pour l’aider à se calmer et s’endormir, en vain. Si elle avait su qu’il suffisait de faire ça pour qu’il aille un peu mieux… Finalement, Neela lui demanda depuis combien de temps ça durait et leurs regards se croisèrent enfin. La petite dernière de la famille Stewart haussa les épaules, sentant peu à peu la gène qui s’installait, mais elle décida de l’ignorer. « Il pleure depuis au moins deux heures, quasiment non stop… Je crois qu’il a commencé à fatiguer parce qu’il a semblé chercher de l’air … Ça m’a fait peur. » Bien sûr que ça lui avait fait peur! Elle avait cru, pendant quelques secondes, que son fils avait cessé de respirer. Elle se doutait que sa présence dans cette maison n’était pas vraiment ce que Neela devait souhaiter, mais Leah s’était sentie si désemparée face à son enfant mal en point, sur le coup elle n’avait pas réfléchi. Poussée par le besoin d’être rassurée et par le bien-être de son fils, elle avait simplement traversé la rue pour y trouver le seul médecin qu’elle connaissait dans le coin. « Désolée du dérangement. » finit-elle par dire. « J’ai appelé mes soeurs, personne n’a répondu, je suppose qu’elles sont de garde… J’étais sur le point de l’emmener aux urgences, mais il est devenu si pâle, presque violet… J’ai paniqué…» Et s’il avait cessé de respirer dans son siège auto? Et s’il avait eu un problème dans la voiture et qu’elle n’était pas arrivée à l’hôpital à temps? En un rien de temps, elle s’était imaginée les pires scénario dans la tête, c’était assez pour lui donner le courage d’aller sonner chez Neela, la femme qui la détestait sans doute le plus dans cette ville. C’était dans les moments comme celui-ci que Leah regrettait de n’avoir pas suivit les traces de ses soeurs et de s’être engagée dans des études de journalisme. Elle n’était pas faite pour la médecine, mais ç’aurait été bien utile pour gérer en cas de problème. Sans doute aurait-elle su quoi faire ce soir, sans avoir à déranger qui que ce soit! Mais elle n’était pas médecin, et ses connaissances en premiers secours étaient limitées. Elle avait bien suivit une formation un été alors qu’elle bossait à la piscine du quartier en tant que maitre nageuse, mais ça remontait à une dizaine d’années. Autant dire qu’elle avait tout oublié, quoi qu’elle s’imaginait très douée pour le bouche-à-bouche. « Je suppose que j’ai pensé au médecin le plus proche. J’ai vu ta maison et je n’ai pas réfléchi… J’ai cru qu’il avait arrêté de respirer pendant quelques secondes. » Elle était pratiquement sûre que Mason avait manqué une respiration. Ce n’était quand même pas normal. Elle détourna le regard pour se concentrer à nouveau sur son fils. Elle n’osait pas s’approcher trop près de lui, Neela s’y trouvant encore. Il pleurait beaucoup plus calmement à présent, comme s’il était sur le point d’arrêter d’un instant à l’autre, mais pas tout à fait.

Leah se retrouva finalement à contempler la pièce dans laquelle elle se tenait. Elle se surprit à penser que Noah y était sans doute déjà venu et elle ressentit un petit pincement au coeur. Combien de temps avait-il passé ici? Combien de moment lui et Neela avaient-ils partagés dans cette maison? Étaient-ce des souvenirs heureux? Etaient-ce des souvenirs tristes? Elle aurait voulu pouvoir lire le passé de ses murs, voir ce dont eux-seuls avaient été les témoins… Elle savait pourtant que c’était le genre de choses qui lui feraient du mal, et qui la rendraient jalouse. C’était tout de même une jolie maison, avec une décoration d’assez bon goût, même si ce n’était pas vraiment son style. Elle jeta un oeil aux escaliers menant sans doute à l’étage où la fille de Neela devait dormir. Mason n’avait jamais été aussi proche de sa demi-soeur. C’était tellement étrange de se dire que leurs enfants étaient liés par le sang… Entre elle, il ne semblait y avoir aucune sympathie. Pas d’animosité non plus cela dit, pas pour l’instant en tout cas. Leah, de toute façon, n’était pas venue pour se battre. Elle avait simplement eu peur pour son enfant et avait frappé à la première porte qui s’était présentée pour trouver de l’aide. Son regard se balada à nouveau dans la pièce, mais elle finit par regarder Neela, elle ne savait pas quoi dire, ni quoi faire. Mason émit un petit cri, et instinctivement elle se rapprocha de lui, du canapé où elle l’avait déposé, et elle s’assit juste à côté pour lui attraper la main et caresser ses tout petits doigts. « Il s’appelle Mason. » articula-t-elle, sans le quitter des yeux, ne sachant pas si Neela savait ou pas. Intérieurement, elle se demanda s’il ressemblait ou non à Maya… Si ça se trouve, ils avaient le même nez, ou les mêmes yeux bleus hérités tout droit de leur père!