Tenue de KayleighIl y a rien de mieux que le week-end. Et surtout quand on vient de débarquer dans une nouvelle ville. C’est l’occasion parfaite pour faire un tour et découvrir tout ce que Huntington Beach a à m’offrir. Hors de question de rester cloitrée chez moi, ou de donner l’occasion à mon père de me refourguer une autre môme pour faire du baby-sitting. D’après Clara, la fille de ma classe qui me sert d’amie, le centre commercial est le must en terme de boutiques de fringues, et le Diamond’s, la boite de nuit par excellence. Et même si cette fille est une vraie nunuche qui en a pas beaucoup dans le ciboulot, je savais que je pouvais au moins lui faire confiance là-dessus. Faire du shopping et aller faire la trainée en boite ne requiert pas l’usage de ses neurones. Heureusement pour elle. Mais en tout cas, grâce à elle, j’avais mon programme pour aujourd’hui, samedi.
«
- Kay ! Tom ! Je sors, je ne rentre que demain soir. Je compte sur toi pour garder ton frère.
- Bien sur, papa ! Bon week-end, bisous ! »
Petit ton mielleux, celui qui veut dire « oui, t’inquiètes, je gère ! », une dernière bise et le voilà parti. L’heure des négociations avait sonné. Nous avons l’habitude, Tom et moi, que notre père s’absente aussi souvent, et à chaque fois je suis celle qui doit veiller sur lui, mais quatre-vingt-dix-neuf pourcent du temps, j’ai autre chose à foutre. Lui, en soi ça ne le dérange pas que je sorte, ça l’arrange même, mais c’est une vraie teigne, qui menace à coup de « si tu fais pas ça, j’le dis à papa ». C’est inévitable, et surtout incontestable. Ca m’horripile à un point inimaginable, mais à force, on a appris à se mettre d’accord. Face à ce genre de situations récurrentes, compromis sont faits, pour nous profiter à tous les deux. Et le moment était venu de décider du deal du jour.
Penché au-dessus de la balustrade de l’escalier, celui-ci m’épie. Ce con, il devine vite.
«
- Bon, tu veux quoi ? »
Son sourire s’élargit. C’est bien mon frère tiens. Et c’est pour ça que malgré toutes ces choses désagréables, je m’exécute tout de même. Je l’aime, ce petit imbécile.
«
- J’ai un devoir à faire en anglais et je comprends rien…
- C’est nouveau ça tiens. C’est sur quoi ?
- Les romans de Conan Doyle. Un commentaire à rendre. »
Faisant des études de langue, tout ce qui est littérature c’est mon domaine, et il le sait ce profiteur. Je fais mine de réfléchir.
«
- C’est pour quand ?
- Lundi.
- Tu l’auras demain soir.
- Marché conclu. »
Je venais de décrocher ma soirée, peinard. Parfait. D’autant plus que je savais qu’à partir de maintenant, il allait me foutre la paix, et rester enfermé dans sa chambre jusqu’au retour de notre père. J’en profitais donc pour sortir, et aller faire du shopping. Histoire d’avoir quelque chose à me mettre ce soir, aussi.
Et comme l’autre cruche l’avait dit, il y avait une tonne de fringues à se mettre sous la dent. Et je sortais de deux heures de shopping, comblée. La carte bleue avait chauffée et j’étais chargée de sachets. Sachets que je déballais et étalais dans toute ma chambre, qui ressemblait dès lors à un véritable souk. Parmi mes trouvailles, je laissais de côté la tenue que je m’étais prévue et pris le reste de la soirée pour ranger et me préparer.
Une fois l’heure arrivée, je faisais un dernier selfie dans ma chambre, que je postais sur mon compte Insta. Go to #Party, en légende, et me voilà fin prête. Au passage, je déposais devant la chambre de mon frère une petite bricole que je lui avais trouvé, et montais dans ma voiture. Il ne me faudra que cinq minutes pour arriver à destination, tout en remarquant le monde qui afflue de partout, la musique qui résonne. La bonne ambiance, quoi. De plus, je n’attends pas plus de cinq minutes à l’entrée, et me rends compte que l’endroit respire la classe. La musique est bonne, je me plais d’emblée. Je traverse la piste de danse, sans pour autant m’y arrêter, et me dirige vers le bar qui est déjà peuplé de poupées Barbie. Repérant un des rares sièges de libre, je m’y installe et interpelle le barman.
«
- Un mojito, s’il vous plait ! »
J’hausse bien le ton pour qu’il m’entende, et y mets même un s’il vous plait, mais voilà, les minutes passent et j’ai l’impression d’avoir pissé dans un violon. Il ne vient pas, et je remarque très vite qu’il a en revanche bien entendu la greluche qui vient d’arriver. Et ça a le don de très vite m’énerver. Je ne suis pas invisible, mais visiblement à côté d’elle, oui.
«
- Euh s’teuplait, je peux avoir mon mojito ? »
Je réitère ma demande, de l’impatience et de l’agacement dans la voix, mais je tente de rester polie et de ne pas m’emporter tout de suite, mais je vois bien que mon attitude l’emmerde. Dis tout de suite que j’te dérange, guignol. S’il y a une chose à retenir sur moi, c’est que je suis une putain d’impatiente. J’ai horreur d’attendre, et encore plus qu’on m’ignore totalement. Du coup, je prends le taureau par les cornes, et décide de l’ouvrir une bonne fois pour toute.
«
- J’sais que j’suis une minette de vingt-et-un ans et que c’est pas ton délire, mais si tu pouvais me servir plutôt que de faire du gringue à cette meuf, juste parce qu’elle a deux pastèques dans le soutif, ce serait sympa. Et je te rassure, elle risque pas de s’envoler. »
Je me fiche éperdument que la dite cliente m’entende, et par ailleurs, je l’emmerde. Elle me toise, et je lui rends la pareille. Qu’elle est moche. Elle et ses ballons de baudruche. Décidément, je ne vois pas ce que les mecs peuvent aimer chez ce genre de fille. Mais au fond, je m’en fiche. Je veux juste mon mojito.