Encore une belle journée à rester enfermée dans un bureau à trier des documents et à essayer de résoudre les problèmes des gens. C’était comment Alvira résumait sa journée quand on lui demandait comment ça allait, ou ce qu’il y avait de nouveau. Enfin, ses journées. Les universités étant fermées, elle a passé tout son été au cabinet à travailler comme une acharnée sur des cas qui ne l’intéressaient pas pour la plupart du temps. Le droit américain était très différent du droit indien, ce qui était normal, mais elle sentait cette différence à mesure qu’elle avançait dans ses ‘études’. Alvira ne ressentait pas la même passion qu’elle avait eue 10 ans plus tôt lorsqu’elle s’accrochait et ne vivait plus que pour ses études, elle travaillait ici parce qu’elle s’accrochait à ça pour donner un sens à sa vie, mais d’elle-même, elle serait restée chez elle en pyjama en mangeant de la glace sur la bande originale de Kabhi Kushi Kabhi Gham. Mais elle se montrait cependant forte et se levait tous les matins pour accomplir les mêmes tâches que lui donnaient Noah au cabinet. Jusqu’à présent, la jeune indienne n’avait jamais eu à regretter les choix qu’elle avait pris dans la vie ; la Raichand avait été élevée pour prendre des décisions importantes vite et bien, et pour elle, lorsque l’on porte ce nom, on n’avait pas droit à l’erreur. C’était avec cette pression que la jeune femme vivait depuis des années, depuis que son père lui avait dit qu’elle serait la prochaine à reprendre l’entreprise famillliale, elle faisait tout ce qui était de son pouvoir pour renvoyer une bonne image d’elle. Contrairement à certaines jeunes femmes de son âge, son but à elle n’était pas de se marier ou de trouver le grand amour, non, elle, elle voulait seulement que son père soit fier d’elle et qu’à aucun moment il ne regrette son choix de lui avoir fait aveuglément confiance jusqu’ici.

Mais la jeune femme était bien loin de ces préoccupations pour le moment, le seul problème qu’elle devait affronter pour le moment c’était de retrouver le dossier que Noah lui avait demandé d’étudier pendant qu’il serait parti en réunion. Elle aimait lorsqu’il lui confiait de telles consignes, ça montrait qu’il avait suffisamment confiance en son potentiel pour lui confier des choses un peu plus importantes que le rangement de papier, mais encore fallait-il qu’elle mette la main sur ledit dossier. S’absentant un moment de son bureau, elle parti à l’arrière du cabinet dans la salle des archives et commença à chercher ce pour quoi elle était là. Mais à mesure qu’elle cherchait, elle commençait à s’attarder sur certains cas qu’elle trouvait intéressant et que Noah avait résolu avant même qu’elle ne songe à venir travailler en Californie. Comme quoi, en tant qu’individu il était sur la liste noire de la jolie brune, mais en tant qu’avocat elle ne pouvait que l’admirer. Elle l’avait d’ailleurs déjà vu plaider et adorait sa façon de faire, toujours très confiant et sûr de lui-même lorsque la situation lui échappait. Lorsqu’elle était encore à Mumbai, elle aussi adaptait cette technique, le mieux lorsque l’on fait ce métier est de ne rien laisser paraître et de faire comme si tout était son contrôle. Tant que l’extérieur était maîtrisé, on pouvait paniquer intérieurement autant qu’on le voulait. Lire ces dossiers et ces résumés lui rappelait pourquoi est-ce qu’elle s’était lancée dans cette voix en premier lieux : accomplir de grandes choses et faire bouger le monde. Dans ces quelques papiers qu’elle tenait entre les mains se trouvaient tout ce qu’il lui fallait pour se souvenir de pourquoi elle était là et pourquoi elle faisait tout ça.

Enfermée dans la bulle, elle ne vit pas le temps passé et sortie de ses pensées lorsqu’elle entendit du bruit venant de l’extérieur. Fronçant un instant les sourcils en entendant une voix s’élever au loin, elle dû prendre un moment pour se demander si elle ne devenait pas folle au point d’entendre des voix.  Au bout de quelques secondes, elle attrapa le dossier qu’elle avait trouvé entretemps et sortie de la pièce qu’elle prit soin de refermer derrière elle. Avec un certain calme, elle prit le chemin de son bureau et fut surprise de voir un jeune homme de dos, en train de tapoter d’agacement. « Bonjour, je peux vous aider ? » Fit la jeune femme en ne bougeant pas de là où elle était.

La jeune assistante attendait que le jeune se retourne, toujours avec le plus grand calme possible. Après tout à quoi est-ce que cela pouvait bien servir de s’énerver à son tour ? Lorsqu’il prit enfin la parole, et se retourna par la même occasion, Alvira eu un petit mouvement de recul. Ce n’était pas tant les paroles qu’il venait de dire avec un ton violent, mais plutôt, ce visage. Elle ne savait pas pourquoi mais elle avait cette impression de déjà vu, et ces yeux… D’un réflexe naturel, la jeune indienne agrippa ses mains autour du dossier qu’elle tenait entre les mains tandis que l’avocat s’avançait. Son visage était fermé et ses traits tirés par l’impatience et l’agacement, pourtant la jeune indienne trouvait une certaine douceur qu’elle devait sûrement être la seule à voir. Sans savoir pourquoi, toutes les fibres de son corps lui criait de se réveillait et d’ouvrir les yeux sur la personne qui se tenait devant elle, mais elle n’arrivait pas à se remettre de son visage. De ce qu’elle pouvait voir, il était lui aussi indien. A son accent qui était légèrement effacé mais pas assez pour qu’elle ne discerne pas d’où est-ce qu’il venait, elle pouvait le dire. Elle ne saurait dire où est-ce qu’ils se sont connus, ou même s’ils se connaissaient vraiment. Mais il avait ce je ne sais quoi qui laissait la jeune brune perplexe, au point d’être sur ses gardes. « Oui bien sûr, pardon. Le dossier Sacks. » Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits et d’un pas décidé, se précipita vers son bureau pour récupérer le dossier et le lui remettre. Son cerveau qui ne voulait pourtant rien lâché continua à s’exciter en essayant de chercher dans sa mémoire de qui il pouvait bien s’agir. En général elle n’était pas du genre à oublier les visages si facilement, ça l’étonnait de ne pas reconnaître celui-là, surtout qu’elle n’avait pas pour habitude d’oublier les si beaux garçons. Oui, celui qui se tenait devant elle était d’une beauté à vous en couper le souffle. A croire que tous les hommes qu’elle était destinée à rencontrer ces derniers temps étaient beaux, mais avaient un problème de tempérament. Lui n’était pas à exclure, vu comment lui depuis qu’elle était entrée dans la pièce, elle pouvait deviner qu’il avait le sang chaud. A moins que ce ne soit une spécialité indienne d’être tant à fleur de peau et de s’emporter pour un rien. Enfin, là ce n’était pas vraiment pour un rien, mais disons qu’il n’était pas nécessaire d’être aussi grossier. A cette seule pensée, un petit sourire s’afficha sur son visage. Sourire qu’elle masqua bien vite en se mordant la lèvre inférieur pour ne pas qu’il pense qu’elle se moque de lui, il était déjà assez de mauvaise humeur comme ça pour qu’elle en rajoute.

Elle essaya de se concentrer pour remettre la main sur ledit document qu’elle avait pourtant dans les mains il n’y avait même pas une heure. Mais elle se souvint qu’elle avait emmenée une pile de documents avec elle lorsqu’elle est allée aux archives, ça ne l’étonnerait même pas de savoir qu’elle l’avait oublié là-bas. Après avoir mis son bureau sens dessus-dessous, elle se passa une main sur le front avant de reporter son regard sur le jeune maître, bien embêtée. « Je suis désolée, je vais devoir aller derrière pour récupérer votre dossier. Mais je reviens vite, promis. En attendant vous pouvez prendre une tasse de café. Ou un verre de whiskey. » Elle pointa le plateau où étaient rangés toutes les bouteilles d’alcool que Noah approvisionnait régulièrement. Il aimait bien avoir de l’alcool à portée de main lorsqu’il signait de nouveaux contrats, qu’il gagnait une affaire ou encore, lorsque les journées passées au boulot étaient beaucoup trop longues. Pour tenir le coup et fuir cette réalité déplaisante, il se servait un verre de temps en temps en proposant à la jeune indienne qui refusait toujours. Elle n’était pas friande d’alcool sauf quand elle était à des diners ou qu’elle sortait, mais au boulot, hors de question de boire. Sans même attendre une réponse de la part du bel homme qui allait de toute façon râler quoi qu’elle fasse, elle parti en direction des archives en fermant la porte derrière elle avant de pousser un soupire. « Bravo Alvira, t’avais vraiment besoin de ça. » Dit la jeune femme en hindi en espérant que l’avocat ne l’entende pas dans l’autre pièce.

Elle commença à chercher sans plus attendre en refaisant le même schéma qu’elle avait fait lorsqu’elle était entrée, en essayant de garder son calme pour ne passer à côté de rien. « Bingo ! » Lâcha l’Indienne en signe de victoire au bout de quelques minutes.  Elle prit le dossier entre ses mains pour s’assurer que ce soit bien le bon et vit qu’il était écrit en grosses lettres noires « dossier Sacks. » Elle laissa vagabonder ses yeux un peu plus loin pour voir au moins à quel maître elle avait affaire et pouvoir le maître sur sa liste des avocats à éviter. Parce que oui, la jeune femme tenait ce genre de liste, tout comme elle tenait une liste des personnes à frapper s’ils s’aventuraient un peu trop près d’elle ou de sa famille. Elle ouvrit le dossier et le parcourut en diagonal pour chercher un nom autre que ceux dans le cas. « Alors, Sacks… affaire… litige… Ah, voilà ! Maître… » Elle s’arrêta sur le nom de la personne en question, sentant sa gorge se serrer et son cœur s’emballer. Saxena. Non, ça ne pouvait pas être possible. Elle se retourna de façon à faire face à la porte qu’elle pouvait voir de loin, et se remémora des traits du jeune homme qui se tenait dans la pièce d’à côté. Ca ne pouvait pas être lui, il devait y avoir une erreur. Ou alors, ce n’était qu’un stagiaire qui était venu chercher le document. Sans qu’elle ne s’en rende compte, des larmes commencèrent à perler sur son visage, glissant le long de sa joue. Ce ne fut que lorsqu’elle sentit une goutte tomber sur le dos de sa main qu’elle se rendit compte de ce qui était en train de se passer. Le visage qu’elle avait vu et le pressentiment qu’elle avait qu’il ne lui était pas étranger… Tout ça… Tout était lié. Ne voulant en aucun cas se laisser abattre, elle passa une main sur son visage pour sécher ses larmes et dans le plus grand silence, se dirigea vers la porte. Elle devait se montrer forte et surtout, ne pas craquer devant lui. De toute façon il n’allait sûrement pas tarder à partir, il prendrait juste le dossier et s’en irait, et à ce moment là elle aurait tout le loisir de fondre en larmes comme elle avait envie de le faire dés le moment où elle avait lu le nom sur le dossier. Sauf qu’elle ne se sentait pas la force de le regarder en face une fois de plus sans qu’elle n’explose… Une fois sortie, dossier en main, elle s’arrêta devant la porte pour le dévisager. Elle ne disait rien, ne bougeait pas non plus. Comme si tous ses muscles avaient décidés de l’empêcher de faire un pas de plus, la clouant littéralement au sol.  

Elle ne savait pas comment réagir ni même si elle devait dire quelque chose. La seule chose qu’elle savait, c’était que son instinct ne l’avait pas trompé encore une fois, ni même son cœur. A la seconde où elle avait posé les yeux sur lui, elle savait qu’elle le connaissait ; le petit garçon avec qui elle avait partagé son enfance et ses pensées les plus intimes pendant toutes ces années était là, devant elle. Un sourire s’afficha sur son visage tandis qu’il avait le dos tourné face à son bureau, mais il s’effaça en se disant qu’elle ne pouvait pas lui dire qui elle était. L’avait-il même reconnu ? Ou bien était-il passé à autre chose depuis le temps ? Rien que cette pensée lui arracha un pincement au cœur et fit couler une nouvelle larme sur son visage, qu’elle remballa rapidement d’un revers de manche. « Non Alvira, tu dois te montrer forte. » Se disait-elle intérieurement pour se donner du courage. Qu’elle lui donne le dossier et voilà, ce serait une chose de faite. Mais elle n’en avait pas la force physique, tous les muscles s’étaient bloqués une fois qu’elle arriva à la porte et que ses yeux se posèrent sur la silhouette du jeune homme. Il était beau. Il était tout ce qu’elle avait toujours imaginé qu’il serait. Un grand jeune homme fort et beau, et intelligent par-dessus le marché. En voyant son visage lorsqu’il se retourna vers elle, elle eut l’impression pendant l’espace d’un instant qu’il l’avait reconnu et qu’il s’approchait d’elle la dévisager et confirmer que c’était bien elle. Qu’il la serrerait dans ses bras en lui disant qu’il avait lu ses lettres pendant toutes ces années mais qu’il n’avait jamais eu la force de lui répondre parce qu’il n’avait jamais su quoi lui dire, ni même comment revenir vers elle. Sa bouche mi-ouverte, elle le regardait s’approcher sans rien dire, bloquant même sa respiration pendant quelques secondes. Plus la distance entre eux se réduisaient et plus elle se souvenait pourquoi est-ce qu’il avait été son premier  coup de cœur lorsqu’ils étaient déjà bien jeunes. Il n’y avait qu’à le regarder pour comprendre. Des images du passé lui revinrent en tête et Alvira les revoyait tous les deux en train de jouer ensemble lorsqu’ils étaient petits; lorsqu’ils étaient tous les deux, elle s’amusait déjà à le dévisager pour marquer dans son esprit les traits exacts de son visage et même les petites mimiques qu’il avait l’habitude d’avoir. C’était une façon pour elle d’être encore plus proche de lui, c’était bête mais c’était sa façon à elle de montrer qu’elle tenait à lui.

Elle redescendit brutalement sur terre en voyant qu’il n’en était rien. Non seulement il ne l’avait pas reconnu mais en plus, il n’était venu ici que pour récupérer son fichu dossier qu’elle aimerait lui enfoncer au fond de la gorge pour le faire réagir, et même ça, il n’était même pas sûre qu’il comprenne quoi que ce soit. Dans ses souvenirs, Sameer n’avait jamais été très fort pour déchiffrer ce que voulait vraiment Alvira. A croire que certaines choses ne changeaient jamais. Elle sursauta lorsqu’il claqua ses doigts devant son visage comme pour la réveiller, réprimant une fois de plus son envie de s’effondrer en larmes. Sans aucune raison valable, elle se sentait profondément blessée et vexée de son comportement. A quel point s’étaient-ils éloignés pour qu’il ne la reconnaisse même pas alors qu’elle se tenait devant lui ? Etait-il aveugle à ce point ? Ou alors leur amitié avait si peu compté à ses yeux, qu’il ne se souvenait même pas de son existence ? Sa tristesse laissa place très rapidement à de la colère qu’elle eut du mal à camoufler. « Tenez. » Lâcha la brunette en hindi, la gorge serrée et les yeux embués de larmes qui menaçaient de couler à tout moment. Elle ne cherchait même plus à faire d’efforts, professionnelle ou pas. Lui tendant le dossier violemment, elle le plaqua presque contre sa poitrine, avant de le contourner pour aller s’asseoir à son bureau. Elle fit semblant de s’occuper pendant qu’il était encore dans la pièce, prenant soin de cacher la petite plaque où était marqué son nom dessus, en le rangeant sous le bureau. Il valait peut-être mieux pour tout le monde qu’il ne sache pas qui elle était, de toute façon il avait passé toute sa vie à faire comme si elle n’existait pas, pourquoi changer ça maintenant ? « Je dirai à maître Harper que vous êtes passé récupérer votre dossier. » Poursuivit l’Indienne, toujours en hindi sur un ton sec et peu convivial. Il avait réussi à lui changer son humeur en un rien de temps, à croire que toutes les craintes qu’elle avait en vu de potentiels retrouvailles venaient de se concrétiser. Pendant toutes ces années elle s’était imaginé cette scène comme étant émouvante avec une jolie fin, mais au lieu de ça, elle venait d’avoir droit à la pire claque de sa vie en se rendant compte que la personne à qui elle n’avait pas cessé de penser toute sa vie, était enfin là devant elle, mais ne se rappelait même pas d’elle.  

L’humeur de la jeune femme avait changé en un espace de temps très court, elle ne se souvenait d’ailleurs pas quand était la dernière fois qu’elle avait été aussi en rogne. Comment pouvait-il être bête à ce point ? Fallait-il qu’elle lui tape la tête contre le bureau pour qu’il se souvienne ? Une petite voix au fond d’elle essayait de la raisonner en se disant que ce n’était pas de sa faute, il venait de s’écouler plus ou moins une quinzaine d’années sans qu’ils ne se soient revus, il est donc normal qu’il ne capte pas tout de suite. Mais s’il ne le faisait pas là, quand est-ce qu’il allait comprendre qu’Alvira se tenait devant elle ? Elle donna un grand coup dans son tiroir pour le refermer et repris son rangement en extériorisant toute sa rage au travers de ses gestes. Les dossiers qu’elle prenait en général soin de ranger étaient en train de prendre cher, et à vrai dire, le bureau en lui-même était en train de payer les pots cassés. Elle ne serait même pas étonnée de voir qu’il ne tiendrait plus en place une fois qu’elle en aurait fini. L’Indienne passa une main furtive sur ses yeux pour essuyer les quelques larmes qui venaient de s’échapper, tout en gardant la tête froide. Elle devait absolument se contrôler jusqu’à ce qu’il sorte du bureau ou même de la pièce, une fois qu’elle serait seule, elle aurait tout le plaisir d’évacuer toute cette frustration qu’elle était en train d’accumuler. La jeune femme n’écoutait même plus ce qu’il disait, essayant de faire abstraction du son de sa voix en se concentrant sur son rangement imaginaire. Une fois qu’elle n’eut plus rien à ranger, elle prit un dossier qui traînait devant elle, et en appuyant son dos contre le dossier de sa chaise, commença à le parcourir. La vérité était qu’elle n’était pas du tout en état de faire quoi que ce soit et essayait simplement de se donner une certaine contenance face à Sameer.

A un moment, elle fit semblant d’approcher son visage d’un papier pour se donner un air. Alors qu’en réalité, elle essayait seulement de regarder discrètement s’il était parti ou pas. Pourquoi restait-il planté là ? Il avait obtenu ce qu’il voulait alors pourquoi était-il encore là ? Il n’allait pas prétexter que quelque chose n’allait pas dans le dossier, elle l’avait elle-même vérifié avant de le lui donner. Lorsqu’elle entendit des pas se rapprocher d’elle, elle fit mine d’être intéressée par une ligne de son document en le posant sur son bureau, et en le surlignant. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait mais juste pour se tenir occupée, elle était même prête à traduire le code civil américain en hindi. Le son de sa voix provoquait une forte envie de meurtre chez la Raichand, qu’elle réprima en un soupire. Tournant la tête sur le côté d’agacement, elle savait très bien ce qu’il était en train de faire. Elle le connaissait, Sameer. Elle savait qu’à partir du moment où quelque chose lui trottait dans la tête, il ne lâchait pas aussi facilement. Mais Alvira n’était pas bête à ce point, elle savait bien qu’il n’était pas nécessaire qu’il ait son nom pour ce dossier, à vrai dire, il pourrait même dire qu’il avait prit le dossier sans que personne ne le lui donne qu’on ne lui dirait rien.

Il sortit son stylo dans la poche intérieure de sa veste tandis que, toujours appuyée contre le dossier de sa chaise, elle referma le dossier de façon brutale. Elle leva sa tête en sa direction sans dire un mot, le voyant prêt à écrire tout ce qu’elle lui dicterait à la seconde où elle ouvrirait la bouche. La jeune brune attendant quelques secondes avant d’ouvrir la bouche, plongeant son regard dans le sien sans détourner la tête cette fois. « Tu ne te souviens vraiment pas ? Pas même un petit peu ? » Sa voix qui se voulait forte se mise à trembler sans qu’elle ne puisse le contrôler et les larmes qu’elle retenait depuis bien trop longtemps se mirent à couler le long de son visage. Elle avait l’impression que son cœur venait littéralement de se briser et qu’elle avait perdue son temps pendant toutes ces années à nourrir un espoir qui n’aurait même pas dû exister. Il était de toute façon trop tard pour faire marche arrière et faire comme si elle s’était trompée de personne, toute crédibilité était de toute façon morte. Elle se leva d’un bond et passa ses deux mains dans son cou pour enlever le collier qu’elle portait et qu’elle ne quittait jamais, avant de le balancer au visage de Sameer. « Et maintenant, tu te souviens ? » Il s’agissait d’un collier qu’il lui avait lui-même offert le jour où ils s’étaient revus après qu’il ait quitté Mumbai, sans intention d’y retourner. Il y avait un pendentif enfilé autour dudit collier sur lequel était gravé les coordonnées géographiques qui les séparaient tous les deux. Depuis l’instant où il le lui avait donné elle ne l’avait plus enlevé, pensant que c’était une certaine façon de réduire la distance, et même lorsque les coordonnées n’étaient plus exactes parce qu’il avait déménagés, elle ne l’avait pas enlevé. Elle resta un instant debout pour soutenir le regard du jeune homme, mais ne pouvant plus supporter d’avantage la situation, elle quitta la pièce pour aller s’enfermer dans le bureau de Noah où elle laissa tout exploser.   

L’Indienne pleurait à chaudes larmes en n’essayant même plus de se cacher, il l’avait déjà vu pleurer alors à quoi bon se forcer à garder la tête froide ? Elle rentra dans le bureau de Noah en claquant la porte de façon assez violente, traduction de toute la colère qui était en train de monter en elle. Pourquoi faisait-il ça ? Pourquoi devait-il agir comme s’il n’en avait presque rien à faire et se conduisait de façon si détachée ? Alvira savait parfaitement qu’il n’avait jamais été le genre de personne à exprimer ce qu’il ressentait de façon directe, même pas avec elle, et ce n’était pas ce qu’elle demandait… Mais elle n’attendait pas non plus tant de dédain de sa part. Pendant un moment elle cru même qu’il la prenait pour une abrutie de réagir de façon si humaine. Elle avait emmagasiné cette colère et cette tristesse au fond d’elle pendant plusieurs années, continuant malgré tout de croire en cette amitié qui avait sûrement pris fin à la minute où il avait posé les pieds dans ce pensionnat. Pas une seule fois la brunette avait remis en doute l’attachement qu’il pouvait exister entre eux deux, même lorsque ses proches essayaient de lui faire comprendre qu’elle perdait son temps, qu’il était sûrement en train de vivre sa nouvelle vie et qu’elle devrait en faire de même. Pas une seule fois elle n’a imaginé une vie sans son Sameer à ses côtés, même lorsque le temps se faisait de plus en plus long, lui rappelant son absence un petit plus chaque jour. Pas une seule fois.

Lorsqu’il prononça son prénom avant qu’elle ne quitte la pièce, ses larmes avaient doublés d’intensité tellement elle n’espérait plus ce moment. Si pendant près de 15 ans elle ne s’était pas résignée à ce qu’il se souvienne d’elle, les dernières minutes qui venaient de s’écouler avaient bien signé la résignation. Fermant la porte derrière elle lorsqu’elle entra dans le bureau de Noah, elle plaqua son dos tout d’abord contre la porte, se laissant aller complètement. La Raichand qui sentait son cœur battre de plus en plus fort et rapidement au point de lui faire mal à la poitrine. Elle savait cependant que ce n’était pas tant la douleur physique qui lui faisait plus de mal, mais la perte d’un ami qu’elle avait longtemps considéré comme son âme-sœur même lorsque la vie avait fait en sorte de les séparer. Elle qui n’avait jamais connu de rupture douloureuse de sa vie, avait l’impression qu’on avait prit son cœur et qu’on l’avait piétiné en mille morceaux, et qu’on s’amusait en plus à y mettre le feu. Posant une main sur son cœur, elle essayait de se calmer en soufflant très fort et en se faisant en sorte de se concentrer un maximum sur les pulsations qu’elle émettait. L’avocate se leva au bout de quelques secondes en prenant appuie contre la porte. C’est en titubant et avec les yeux rouges à cause de sa crise de larmes qu’elle pu marcher jusque le plateau où était posée l’eau et les verres. D’une main tremblante, elle prit un verre qu’elle remplie en mettant de l’eau un peu partout autour d’elle, puis elle alla s’asseoir dans le fauteuil de Noah. Elle bu à peine une gorgée de son verre qu’elle le reposa immédiatement tellement elle savait que ça ne passerait pas à cause de cette énorme boule qu’elle avait dans la gorge. Elle croisa ses bras sur le bureau et posa sa tête quelques minutes en fermant les yeux, s’obligeant à empêcher ses larmes de couler. Elle devait se montrer forte et aller de l’avant elle aussi, elle avait assez perdue de temps dans cette relation et il fallait dés à présent que cela change. Mais elle avait toujours cette colère qui bouillonnait en elle et qui ne demandait qu’à éclater, et surtout, qu’elle ne pouvait pas évacuer. N’étant pas chez elle, elle ne pouvait malheureusement pas se laisser aller comme elle le voulait, se qui voulait dire, casser tout ce qui se trouvait sur son passage.

Elle leva la tête d’un sec lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir, et prise de panique, commença à se lever avant de s’apercevoir qu’il ne s’agissait que de Sameer. L’espace d’un instant elle eut peur que ce ne soit Noah qui était de retour trop tôt ou un client qui avait décidé de prendre ses aises. Elle passa une main sous ses yeux pour essuyer les quelques larmes sur son visage, et fronça ensuite les sourcils d’un air de lui demander ce qu’il lui voulait. Encore. N’avait-il pas fait assez de mal comme ça ? Lorsqu’elle le vit s’avancer vers elle, comme par réflexe elle recula pour installer encore plus de distance physique entre eux. Son cœur rata un battement lorsqu’il l’entendit prononcer son prénom, ou du moins son surnom. Après toutes ces années, elle avait perdu espoir qu’elle entende encore sa douce voix prononcer son prénom, et même dans ses rêves les plus fous, quand il le faisait c’était dans des circonstances beaucoup plus heureuses.  Il était désolé. C’était tout ? Désolé ? En temps normal l’Indienne aurait acceptée ses excuses en se disant que c’était déjà beaucoup venant de sa part. Elle aurait même fondu en le voyant passer une main dans ses cheveux, comme il le faisait déjà quand ils étaient petits ; elle a toujours pensé que ça lui donnait un charme. Et elle le pense toujours d’ailleurs. Mais non, pas cette fois. Il ne pouvait pas revenir en lui sortant un simple « désolé » en espérant que cela allait rattraper les 16 dernières années. « Désolé ? Tu es désolé ? » D’un ton sec et tranchant, elle cru bien qu’elle était au bord de l’implosion. Elle sorti d’un pas décidé du bureau de Noah et alla jusque son bureau où elle récupéra son sac qui se trouvait à côté de sa chaise. Elle revint ensuite sur ses pas avant de se poster à quelques mètres de Sameer. Alvira sorti alors une petite pile de lettre tous biens rangés avec un ruban bleu autour. Comme pour le collier, elle le lui balança mais cette fois de façon plus violente, comme si elle voulait le blesser physiquement. « Moi je suis désolée d’avoir perdu mon temps à écrire ces lettres ! Et je ne te parle pas seulement de ces lettres là, mais surtout celles de ces seize dernières années ! » Elle fit quelques pas pour s’éloigner de lui avant de se prendre la tête entre les mains et de la secouer comme si elle essayait de se réveiller d’un cauchemar, avant de fixer Sameer droit dans les yeux et de reprendre. « Comment est-ce que j’ai pu penser une minute que tu te souciais de ce qui pouvait m’arriver ? Tu as toujours été égoïste qui ne pense qu’à toi et qui se fiche des gens qui t’aiment et qui tiennent à toi. Seigneur, comment j’ai pu être aussi bête en pensant que tu aurais pu changer un jour ? Tu as toujours été et restera l’enfant pourri gâté qui prend les gens pour acquis en se fichant bien de ce qu’ils peuvent ressentir, ça ne m’étonne même pas que tes parents ne veulent plus entendre parler de toi. » Elle avait dit ces mots dictés par la colère, en élevant la voix et en laissant ses larmes couler sans qu’elle ne les empêche. Inconsciemment, elle essayait tout simplement de lui faire mal, comme lui l’avait fait. Et ce n’était même pas le fait qu’il ne la reconnaisse pas aux premiers abords, mais c’était le tout combiné à la colère qui faisaient que ses mots avaient sûrement dépassés sa pensée.

La jeune femme qui était pourtant connue pour garder son sang froid et gérer toutes les situations qui se présentaient à elle, avait l’impression de perdre totalement le contrôle. Il arrivait à avoir cet effet sur elle, et elle pouvait mettre sa main au feu qu’il en était parfaitement conscient. Sameer était le seul qui pouvait avoir cet effet là sur Alvira, c’était le seul qui pouvait la pousser tellement à bout qu’elle finissait par se mettre dans de tels états au point d’en être blessante. Elle ne pensait pas un seul mot de ce qu’elle disait et au contraire, si elle pouvait retourner en arrière et retirer tout ce qu’elle venait de dire, elle l’aurait fait. Mais c’était trop tard, et lorsqu’elle vit la réaction du jeune homme, son impression ne fit que se confirmer. L’Indienne vit son visage se décomposer et qu’il était sur le point de perdre son calme et au moment où il se mit dos à elle, elle savait qu’il était sûrement trop tard pour s’excuser. Elle se rapprocha de quelques pas et leva une main tremblante qu’elle voulu poser sur l’épaule de l’avocat, mais se ravisa aussitôt sentant que ce n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. Elle sursauta en ramenant une main sur sa bouche, étouffant un cri de terreur lorsque le poing de son ‘ami’ alla rencontrer la porte. Elle ne l’avait jamais vu dans un tel état de colère auparavant. En même temps avec tout le temps qui était passé, était-elle encore sûre de savoir quoi que ce soit de lui ? La jeune femme n’était plus sûre de rien, et ce qui suivit ne fit que confirmer ce qu’elle pensait. En temps normal elle aurait fait impasse sur tout ce qui venait de se passer pour soigner la main de Sameer, mais elle était complètement tétanisée, clouée sur place ne pouvant plus bouger un seul muscle, même pas un doigt.

Elle ouvrit la bouche pour essayer de sortir quelque chose, un mot, une phrase ou même un son, mais rien n’y faisait. Elle avait réussi. Elle qui voulait absolument le blesser comme lui l’avait fait en ne la reconnaissant pas, avait obtenu ce qu’elle voulait, mais à quel prix ? Si il y avait encore un espoir de retrouver son Sameer malgré qu’il ne la reconnu pas, elle venait sûrement de le perdre pour toujours. Les larmes qui longeaient le long de ses joues ne s’étaient pas arrêtées et ne firent que doubler d’intensité lorsqu’elle entendit tout ce qu’il lui dit. « Je suis désolée… » Souffla l’avocate qui réussit enfin à sortir quelque chose parmi les sanglots. Elle savait que ça ne changerait rien et ne pensait même pas qu’il l’ait entendu, sûrement qu’elle aurait dû mettre un peu plus de voix dans ses excuses, mais après ce qu’elle venait de faire, elle n’espérait même pas qu’il lui pardonne les propos qu’elle avait tenue.

La Raichand essayait d’imprimer toutes les informations qui lui parvenaient au cerveau, mais ce n’était pas possible. A quel moment avait-il pensé que de la laisser sans nouvelles toutes ces années aurait pu lui faire du bien ? Ne comprenait-il pas qu’il lui avait fait plus de mal en coupant les ponts comme il l’avait fait ? Ce qu’elle voulait pendant toutes ces années c’était de l’avoir à ses côtés quitte à ce qu’il l’étouffe de sa présence. Vu la forte connexion qu’ils partageaient entre eux depuis des années, à quel moment avait-il pensé que c’était une bonne idée de faire ce qu’il avait fait ? Elle avait envie de le gifler pour qu’il comprenne qu’il n’avait pas eu à faire ça, et surtout, qu’il n’avait pas à décider pour elle de qui elle voulait avoir dans sa vie ou pas. Alvira sans Sameer, ce n’était plus Alvira, et même si elle essayait de se montrer forte pendant toutes ces années, elle n’a plus jamais été la même depuis le jour où elle avait compris qu’il ne répondrait sûrement jamais à ses lettres. « Sameer… » Dit-elle d’une voix tremblante, essayant de rassembler ses idées. Quand son regard croisa le sien au moment où il se retourna, elle ne détourna pas la tête, bien au contraire. Mais elle pouvait voir toute la tristesse et la colère qui y résidait et rien que cette image, brisait le cœur de la jeune indienne. Ce devait être la première fois depuis qu’ils se connaissaient qu’il se livrait de la sorte, qu’il laissait exprimer sa colère de façon aussi violente sans se soucier du regard des autres.

« Non, non… » Elle souffla ces simples mots, ne pouvant donner plus de voix pour qu’il puisse l’entendre. Si elle le pouvait, elle aurait arrêté le temps pour qu’il ne prononce pas ses derniers mots, mettant fin à l’amitié qui était déjà fragile. Elle esquissa un sourire lorsqu’il parla de l’enveloppe et des dessins, et même si son expression faciale devait plus ressembler à une grimace qu’autre chose, elle s’en fichait. Avec ce qu’il avait dit plus tôt, elle n’avait plus aucun doute sur le fait qu’il avait bien reçu ses lettres. Elle prit une profonde respiration et sans même réfléchir plus longtemps, fonça dans les bras de Sameer qui se tenait devant lui. Elle se fichait qu’il lui rende son étreinte, la seule chose qu’elle voulait c’était de le sentir près d’elle et surtout, ne pas le laisser partir encore une fois.  

Son cœur avait raté un battement lorsqu’il leva la main en l’air comme pour lui interdire de prononce son prénom, craignant le pire. Comment en étaient-ils arrivés là ? Ils venaient à peine de se retrouver, allaient-ils se perdre de nouveau ? Non, elle ne le laisserait pas s’en aller encore une fois, et l’abandonner sans même se battre. Lorsqu’ils étaient enfants, la Raichand n’avait pas pu réagir de peur des représailles de ses aînés, mais cette époque était révolue. Aujourd’hui Alvira était une jeune femme beaucoup plus forte qui était prête à se battre pour ce qu’elle croyait et ça, quitte à se mettre des gens à dos. Ses études et surtout des épreuves l’avaient aidés à forger ce caractère déjà bien caractériel au fil des années. Concernant Sameer, elle l’avait déjà laissé filé une fois et il était hors de question que cela se reproduise.

Dés le moment où elle brisa ce mur qui s’était dressé entre eux deux pour aller se blottir dans ses bras, elle avait l’impression de revivre. Comme si après toutes ces années passées loin de lui, elle avait fini par trouver la partie manquante d’elle-même. Il n’y avait plus rien. Le monde autour d’eux n’existait plus, le temps s’était arrêté, il n’y avait plus que Sameer et Alvira, dans le monde à eux. Plus de disputes, plus de pleurs, et ces années passées loin l’un de l’autre n’avaient jamais existés. Elle enfonça sa tête dans son cou en faisant passer ses bras autour de sa taille pour le sentir près de lui, et même si elle avait senti qu’il était plutôt réticent au début, elle poussa un soupire de soulagement en renforçant son étreinte, lorsque le jeune homme la serra dans ses bras en retour. Alvira avait rêvé de ce moment depuis tant d’années, et maintenant qu’il avait eu lieu, elle ne saurait décrire tout ce qui se passait entre eux. Joie, peur, et encore un peu de colère étaient au rendez-vous et malgré tout ça, elle laissait la joie l’envahir de retrouver son Sameer l’espace d’un instant. Ils ne dirent rien l’espace d’un moment – sûrement pour profiter pleinement de ces retrouvailles – Alvira préférant garder le silence de son côté. Elle en avait déjà trop dit et elle avait bien vu les conséquences. Elle huma discrètement son parfum qui lui avait tant manqué et sentit le jeune homme en faire de même, ce qui provoqua un petit sourire chez l’Indienne. Ils étaient tous les deux dans un état tellement vulnérable que ce devait être la première fois qu’ils étaient aussi tactiles entre eux ; en temps normal la jeune femme préférait garder une distance de sécurité et qu’on n’envahisse pas son espace, mais avec lui c’était différent. Elle voulait qu’il envahisse son espace vital, elle voulait qu’il prenne tellement de place dans sa vie qu’elle finirait par en avoir marre de lui. Elle voulait tout simplement le retrouver. Son cœur qui avait déjà tant vécu en matière d’émotions fortes pour la journée, trouva la paix nécessaire lorsque les bras protecteurs de Sameer l’encerclèrent. La brunette ferma les yeux pendant un petit moment, savourant ce silence qui n’était ni gênant, ni glacial, ni rien, mais les rouvrit lorsqu’elle entendit la voix du jeune brun.

Ce fut le jeune avocat qui brisa le silence en premier en soufflant son prénom. Dans le ton de sa voix, on pouvait y discerner une grande différence, quelques minutes plus tôt il n’aurait pas soufflé son prénom, mais l’aurait plutôt craché de toutes ses forces en déversant toute sa colère en de simples mots. Mais pas là. Elle fronça les sourcils en entendant la suite de ce qu’il avait à dire, voulant se révolter et repartir en troisième guerre mondiale, mais elle se calma directement en sentant l’Indien la serrer un peu plus fort dans ses bras l’air de lui faire comprendre qu’il ne voulait pas la laisser partir pour autant. Elle était fatiguée des gens qui essayaient de prendre des décisions à sa place en pensant que c’était « pour son bien », et ce qu’elle voulait elle, tout le monde semblait s’en ficher. Elle garda le silence pendant qu’il continuait de parler, craignant le pire lorsqu’il s’écarta d’elle pour plonger son regard dans le sien. Son cœur qui s’était remis à tambouriner dans sa poitrine n’était pas sûr de survire à une autre émotion forte. Poussant un soupir, elle baissa la tête, honteuse des propos qu’elle avait bien pu tenir sous les coups de la colère. Elle enlaça ses doigts autour des siens pour ne pas perdre ce contact physique qu’ils venaient de retrouver, avant de replonger ses yeux dans les siens. « Je suis désolée de ce que j’ai pu dire. Je ne pensais pas un mot de ce que j’ai dit mais… » Elle fit une pause baissant de nouveau la tête, et sans s’en rendre compte, son pouce qui s’était mis à caresser le dos de la main de son ‘ami’. Elle ne voulait pas le dire, qu’elle l’avait fait juste pour le blesser intentionnellement, elle grimaça pendant quelques secondes avant de relever la tête pour lui faire face. « Mais tu m’as cherché aussi ! » Elle avait ce petit ton enfantin dans la voix, qui dédramatisait la chose. Après tout, l’essentiel c’était qu’elle ne pensait pas un mot de ce qu’elle avait dit, non ? « Et toi, tu comptais vraiment partir et m’abandonner encore une fois ? » S’enquit la jeune femme d’une voix tremblante. Elle stoppa tout geste en resserrant ses doigts autour de ceux de Sameer, comme pour se rassurer elle-même que tout ça était bien en train de se passer et qu’il était bien là avec elle.  

Debout devant lui, elle lui tenait toujours la main pour ne pas le laisser partir, une fois de plus. La jeune Indienne ne pouvait s’empêcher de le dévisager comme pour essayer de voir qu’est-ce qui avait changé physiquement depuis toutes ces années ; si l’avocate ne l’avait pas reconnu au moment où il franchit la porte du cabinet, elle se rendait de plus en plus compte que ses traits n’avaient pas changés tant que ça. Dans sa tête se dessinait le visage du jeune maître lorsqu’ils étaient encore gamins et qu’ils trainaient ensemble dans les rues de Mumbai, il avait la même frimousse et les mêmes expressions faciales. Pourtant dans son regard, elle sentait bien quelque chose n’était plus comme avant, il n’avait plus la même étincelle dans les yeux qu’elle pouvait discerner autrefois. En même temps, tellement de temps s’était écoulé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vu, qui sait ce qui avait bien pu se passer entretemps ? Elle réalisa le temps d’un instant qu’elle ne connaissait plus rien de lui, elle avait certes suivit son parcours de loin grâce à la mère de ce dernier qui lui fournissait ses adresses, mais rien de plus, alors que lui… Au travers des lettres qu’elle avait envoyées elle s’était livrée comme elle l’aurait fait s’il avait été là, quitte à lui envoyer des lettres de plusieurs pages, elle s’en fichait. Elle tenait à partager tous les moments – ou presque – qu’elle vivait avec lui, comme si il était là. Comme si leur amitié était toujours d’actualité et que rien n’avait changé.

Elle gardait sa main au creux de la sienne, jouant parfois avec ses doigts comme une enfant qui tenait la main de son petit ami pour la première fois. Entre les deux, ils n’en étaient rien, du moins pas selon Alvira. En grandissant, l’Indienne avait appris à mettre les sentiments qu’elle avait pour lui de côté, et la vie qui avait fait en sorte de les séparer l’aida grandement à passer à autre chose. De toute façon ce n’était pas grand-chose, juste son tout premier coup de cœur, et quand bien même il ne s’était jamais rien passé entre eux, elle avait aussi connu sa première peine de cœur grâce ou à cause de lui. Elle coupa court à ses pensées lorsqu’elle entendit le son de sa voix, faisant s’afficher un petit sourire sur ses lèvres. Alvira ne pouvait de toute façon que sourire même en de pareilles circonstances. Elle soupira légèrement lorsqu’il dit que c’était sûrement de sa faute, ne voulant à la fois pas le contredire mais aussi lui montrer qu’elle ne voulait pas le blâmer absolument. Certes il était coupable dans tout ce qui venait de se passer, mais c’était surtout une histoire à tort partagée. Elle n’aurait pas dû dire tout ce qu’elle lui avait dit tout le coup de la colère, et ça, même si elle ne le pensait pas. « Je suis désolée aussi… » Souffla-t-elle sans vouloir le couper pour autant dans ce qu’il disait, lui posant tout de même la question dont elle voulait absolument connaître la réponse. La jeune femme se retint de respirer en attendant la réponse de Sameer, craignant le pire. Même lorsqu’ils étaient jeunes, le jeune homme n’était pas connu pour être tendre et même s’il pouvait parfois fondre devant le sourire de son amie, elle savait également qu’il avait une énorme fierté et qu’il la ravalait rarement. Elle aurait été blessée de le voir s’en aller sans se retourner une nouvelle fois, mais aurait également compris qu’il ne restait plus rien à sauver entre eux. Même si ses paroles la rassuraient un peu plus, elle n’était pas aussi sûre que lui lorsqu’il disait qu’il n’aurait jamais pu partir comme ça. Il l’avait bien fait une fois, pourquoi ne pourrait-il pas le refaire ? Lorsqu’il la ramena un peu plus vers elle, elle ne put s’empêcher d’aller se blottir dans ses bras une fois de plus, juste pour bien réaliser qu’il était bien là avec elle.

Malgré la joie qui pouvait se lire chez la jeune Indienne, elle n’était pas sûre de savoir quoi penser, ni à quoi s’attendre. Bien sûr qu’elle voulait le croire lorsqu’il disait qu’il ne l’abandonnerait plus jamais, mais ce genre de discours il l’avait déjà tenu avant, et ça ne l’avait pas empêché de briser sa promesse. De plus, après tout ce temps, était-il encore possible de retrouver ce qu’ils avaient ? Allait-il pouvoir se fondre dans le monde de l’avocate qui avait changé depuis tout ce temps, en particulier ces derniers mois ? Et elle, serait-elle capable de s’accommoder au sien ? Après tout, qu’est-ce qu’elle savait de lui réellement ? « Je veux juste ne plus jamais te perdre. » Elle lâcha sa main pour passer ses bras autour du cou du jeune homme pour renforcer son étreinte. Alvira avait décidé de parler avec son cœur et au lieu de lui dire qu’elle lui pardonnait, préférait lui dire tout simplement qu’elle ne voulait pas le perdre. Ca n’allait pas être facile et il allait devoir regagner sa confiance, mais elle ne perdait pas espoir en cette amitié, comme elle ne l’avait pas perdu pendant toutes ces années. « Mais dis moi, tu n’avais pas un client à aller sauver de la prison toi ? » Elle s’écarta de lui légèrement tout en laissant ses bras enlacés autour de son cou, un petit sourire aux lèvres. « Sans vouloir t’effrayer, à l’heure qu’il est ils doivent être en train de lui passer les menottes, si ce n’est pire. » Lança la Raichand d’un air taquin.  

Dire que tout allait pouvoir être de nouveau serait s’avancer un peu trop vite. Alvira ne voulait pas tirer des plans sur la comète ni même se montrer trop optimiste face à ses retrouvailles, se contenant du mieux qu’elle pouvait pour ne pas laisser sa joie exploser, elle se contenta du minimum tout en étant sincère. Au creux de ses bras, elle se sentait en sécurité comme elle ne l’avait plus jamais été depuis leur séparation, pourtant elle avait comme l’impression qu’elle pouvait le perdre à tout moment. Elle avait beau être dans la même pièce que lui avec ses bras qui entouraient sa taille, l’Indienne avait l’impression que tout ça n’était qu’un rêve dont le réveil allait être brutal. Elle le serra un peu plus contre elle lorsque cette simple pensée effleura son esprit, tâchant de chasser ça de son esprit. La Raichand allait devoir avoir besoin d’un petit moment avant de réaliser que tout ça était bien réel, qu’il était bien présent et que selon ses dires, qu’il ne partirait plus jamais. Une boule se forma dans son ventre en se posant toutes sortes de questions sur l’avenir de cette relation, mais elle préféra les étouffer en se concentrant de nouveau sur le moment présent.

Elle s’écarta légèrement de lui pour revenir à la réalité et avec une petite pointe de légèreté, ramena Sameer avec elle. Il ne fallait pas oublier qu’il était venu ici pour récupérer un dossier, qu’il avait récupéré d’ailleurs. Mais qu’il avait aussitôt oublié avec tout ce qui s’était passé. Elle partit d’un petit rire lorsqu’elle vit son visage se décomposer en se souvenant du but premier de sa visite ; ses mimiques n’avaient donc pas changés tant que ça. Il affichait déjà la même mine lorsqu’ils étaient enfants et qu’il sentait qu’il allait avoir des ennuies, mais il arrivait toujours à se sortir des situations même les plus périlleuses. Encore quelque chose à rajouter à la liste de ce qui faisait craquer la jolie brune lorsqu’elle était en sa compagnie ; son sens de l’aventure et sa capacité à se sortir de n’importe quelle situation. « J’espère que t’as amélioré tes compétences physique depuis la dernière fois qu’on s’est vu, parce que va falloir que tu gazes. » Un sourire taquin collé au visage, elle savait qu’au moment où il quitterait les lieux, elle allait passer quelques coups de fils pour savoir s’il avait pu arriver à temps pour sauver son client ou pas. « On verra ça plus tard, pour l’instant file mais je te promets qu’on se reverra très bientôt. » Elle prit la carte qu’il lui tendit, le regardant s’activer dans tous les sens pour récupérer ses affaires, y compris les lettres qu’elle lui avait envoyé au visage quelques minutes plus tôt. Elle hésita un moment à les récupérer se sentant mal à l’aise qu’il les ait, surtout de savoir qu’il allait sûrement les lire et lui donner un retour, mais elle se ravisa. Après tout elle ne disait rien de plus que ce qu’elle ne lui avait dit ces dernières années, à savoir qu’il lui manquait et qu’elle avait besoin de lui à certains moments, dans ses peines comme dans ses moments de joie. Ils avaient devant eux près de 16 ans à rattraper, et si ces lettres pouvaient les aider à faire une moitié du chemin alors soit. Au moment où il ramassa le collier de la brunette, elle se passa instinctivement une main autour du cou pour se rendre compte qu’elle ne l’avait plus, toutes ces émotions fortes lui étaient sûrement montés à la tête. « Tu me le passes ? » sans attendre de réponse de sa part, elle se tourna en relevant ses cheveux à l’aide d’une main pour dégager son cou, et laissa le jeune Indien faire le reste. Ce contact physique aussi furtif qu’il soit provoqua quelques frissons chez Alvira, ainsi qu’un petit sourire lorsqu’elle se retourna pour faire face à Sameer.

L’heure des aux revoir étant officiellement arrivée, l’avocate prit un moment avant de savoir comment le faire. Devait-elle lui serrer la main ? Non, trop glacial. Un signe de la main ? Non, encore trop glacial. Peut-être qu’elle devait encore le prendre dans ses bras, mais est-ce que ça ne ferait pas trop d’embrassades d’un coup ? Sentant qu’elle allait passer toute la journée si elle continuait comme ça, elle passa un bras autour de celui de l’avocat pour sortir du  bureau de Noah, puis du cabinet tout court, et une fois à la porte, lui déposa un bisou sur la joue en le serrant encore une fois dans ses bras. Elle serra contre elle le pendentif qu’elle avait autour du cou, tout en regardant le jeune maître partir encore une fois. A la différence que cette fois-ci, elle savait qu’ils se reverraient très bientôt.