- Elle en a dans le capot, celle-là, disait Ellias son sourire parfait sur son doux visage.
- Prouve-le, lança Constance sur le ton du défi alors qu’elle lâchait ses cheveux pour laisser le vent y pénétrer.

Le cabriolet flambant neuf roulait à vive allure, Constance se sentait légère et vivante avec toute la puissance du vent qui venait s’écraser sur son frère et elle. Si elle avait été une pétasse des bas quartiers, elle aurait sûrement levé les bras au ciel et hurlait sa plénitude de toutes ses forces. Mais elle avait l’habitude d’intérioriser un minimum ses pulsions, sourire et rire étaient des choses faciles. Se mettre en spectacle comme une pouilleuse, ça lui ressemblait moins. Elle avait beaucoup de retenue. Son petit plaisir ce fut de fermer les yeux et de profiter de ce moment simple avec ce frère, la voiture poursuivant sa course sur le flanc des falaises qui menait à la plage. Puis la seule chose dont elle se rappela de ce moment, l’ultime, était son cœur battant à tout rompre lorsqu’elle avait vu ce camion leur coupait la route et le visage inquiet de son frère qui ne maitrisait plus le véhicule de luxe. Plus rien, juste des hurlements et des larmes coincée dans la voiture. Les siens seulement, son frère était étrangement silencieux, une bonne partie de la taule enfoncée dans ses jambes et le bas de sa chemise inonder de sang. Ce fut sa dernière image de son frère. Elle aurait presque eu en tête que ce n’était qu’un cauchemar quand elle s’était réveillée seule, la gorge nouée, incapable de prononcer le moindre mot, dans sa chambre d’hôpital quelques semaines plus tard après avoir été plongée dans un coma artificiel.

Quelques mois après, Constance devait faire face au visage froid, mais néanmoins sublime, de sa génitrice. Dans sa robe d’hôpital, elle était assise sur le lit, regardant vaguement par la fenêtre. Cherchant un endroit où ses yeux pourraient se poser sans croiser le regard de sa mère et moins encore les nombreuses fleurs que les lèches bottes et les faibles faisaient livrer en quête de reconnaissance auprès des Hamilton.

- Enfin mange, disait Sara qui commençait à s’agacer et perdre patience devant l’inactivité de sa fille. J’ai déjà perdu un fils, si tu étais moins égoïste tu me ferais le plaisir de mettre les chances de ton côté pour te remettre sur pied.

Constance leva les yeux au ciel. On aurait presque pu croire que sa mère avait de l’affection pour elle pensait-elle, mais tout ce qu’elle avait l’impression d’avoir dans sa chambre, c’était une Black Card ambulante qui ne finançait que le train de vie de ses enfants avant de retourner à des occupations plus valorisante. Puis comment découvrir la véracité de ses sentiments derrière tout ce botox.

- Heureuse que tu daignes te soucier de ma santé, mère, répondit-elle d’un air blasé, insistant bien sur le dernier mot et sans toujours prendre la peine de regarder dans la direction de Sara.

Elle eut juste le temps d’entendre claquer la porte de la chambre pour se rendre compte que sa mère avait cédé et s’était sauvée  de la chambre de convalescence énervée au possible. Cette dernière n’avait jamais été là pour elle, trop occupée à organiser des soirées mondaines où elle se mettait en avant que de s’occuper de ses propres enfants. Donner des pièces aux premiers prolos des quartiers malfamés devant les caméras était plus gratifiant. Ca servait à la cause des Hamilton et de leur empire. Constance concrètement n’en avait jamais trop voulu à ses parents pour ça puisqu’elle n’avait connu aucun autre modèle familiale, mais elle était agacée des faux semblants en famille. Comme si Sara Hamilton avait le temps de rester au chevet de sa fille, enfermée depuis des mois dans une chambre d’hôpital après le terrible accident de voiture qui avait emporté le frère et dont tous les torchons de la presse à scandale avait dû parler. A présent, Constance était enfin seule avec elle-même, elle ne demandait rien d’autre. Ses pensées allaient vers son frère adoré qui n’était plus là par sa faute et ses délires puérils de fille à papa, ses envies de vitesse et de montée d’adrénaline. Elle savait que quelque chose s’était brisé en elle, pas seulement ses jambes qui guérissaient à présent, mais au plus profond d’elle. Son âme ou une connerie du genre, ce qui était sûre : elle n’avait plus le goût, ni pour la nourriture infecte de la clinique privé où elle était hospitalisée et encore moins pour la vie tout aussi infecte qui l’y avait conduit.

- Marco, soufflait Constance d’une voix niaise à l’oreille d’un beau blond en costume. Viens, on va dans ta voiture. Je sais que tu as envie de moi.

- Regarde toi Constance, t’es complètement défoncée. Qui pourrait avoir envie de toi dans un état pareil.

- C’est bon, j’ai tapé un petit peu… Rien de mal, se justifiait-elle avec un sourire mièvre au visage, avant de passer sa main autour du cou de son interlocuteur, titubant beaucoup trop.

- Un peu, t’as le nez tout blanc et tu pues la vodka à des kilomètres. T’es rachitique, arrête tout et va te faire soigner. Dans un an, t’es morte et encore t’es déjà cadavérique.

- Va chier connard, lui cria Constance le visage durcie et se frottant le nez après que Marco lui ait révélé qu’il était tout blanc.

Elle se précipita hors du carré vip, baissant un peu le bas de sa robe bustier qui avait légèrement remonté sur ses cuisses quand elle s’était levée de la banquette,  pochette en main et fonça vers les toilettes. Elle se sentait mal aussi bien physiquement que mentalement. Tout semblait flou et fou, c’est comme si elle était au fin fond de l’enfer et que les diables dansaient autour d’elle. Peut-être qu’elle avait effectivement un peu trop abusé ce soir-là, orgie de drogue et d’alcool, les mélanges. Elle arriva dans les toilettes, une fille attendait devant un cabinet occupé. Quand son occupant en sortit, Constance se redressa du mur sur lequel elle se tenait difficilement, poussa la fille qui s’apprêtait à rentrer à son tour après avoir attendue un moment et s’enferma dedans. Pendant que celle à qui elle avait ravi la place taper dans la porte en l’insultant de malade, Constance se passait de l’eau sur le visage pour laver toute son impureté. Elle se sentait sale et abusée, honteuse de la manière dont Marco lui avait parlé et à qui les paroles lui avaient fait l’effet d’une douche froide. Son khôl lui coulait sous les yeux, ce fut pire quand elle commença à sangloter. Une vraie drama queen, la pauvre petite fille riche enfermée dans les toilettes en train de pleurer parce que trop défoncée, habillée de la tête au pied en Miu Miu, et elle n’en était pas fière. Marco avait raison, elle était maigre, du moins c’est ce qu’elle constatait en pinçant ses joues inexistantes et regardant dans le miroir. Après tout, elle mangeait plus rien depuis l’accident, ça pouvait durer des jours, jusqu’à ce qu’elle craque, qu’elle s’empiffre et qu’elle vomisse. Il avait raison, elle avait l’air déjà morte. Elle ne manquerait à personne, la pimpante Constante toujours fraiche et rayonnante était déjà enterrée. Elle prit le miroir de  poche qui lui servait habituellement de support pour sniffer,  le brisa contre le robinet et fit le geste fatidique, commençant à se donner la mort.

- Mademoiselle Hamilton, vous pouvez venir un instant, s’il vous plaît ?

Constance était en pleine discussion avec une jeune fille blonde, cette dernière avait des perfusions aux bras. Elles riaient ensemble, Constance elle semblait mieux que jamais auparavant. Son teint était sain, elle avait retrouvé un poids normal et ses vilains cernes disparus.  Dans un sourire rayonnant, elle se leva de son fauteuil pour suivre le médecin qui l’avait appelé. Tous deux longèrent un long couloir aux couleurs pastels, garnit de tableau censés avoir une bonne vibration niveau Feng shui, avant d’arriver devant une porte où une plaque doré énoncé le nom du médecin qui occupait le bureau se trouvant derrière. Le dit médecin ouvrit la porte et pria Constance d’entrer la première, elle s’exécuta.  Tous deux s’assirent sur les fauteuils, ils étaient placés côte à côte dans un soucis d’inspirer confiance aux patients qui y passaient.

- Vous êtes prête à sortir, aujourd’hui votre frère doit venir vous chercher, Samuel je crois, poursuivit le médecin. Vos parents ont un empêchement.

Constance gloussa légèrement amusée par ce que disait le médecin. C’était une façon bien polie de dire que ses parents avaient un empêchement alors qu’aussi bien le médecin, qu’elle, savait pertinemment qu’ils ne voulaient pas s’encombrer avec leur scandaleuse progéniture. Le médecin eut la délicatesse de ne pas relever ce petit rire qui s’était échappé, ni de persister à lui assurer que ses parents aient vraiment eu un contretemps.  

- Vous avez fait d’énorme progrès, je vous trouve changée depuis votre arrivée ici, dit-il dans un sourire qui imposait le respect tant il était charismatique. Je suis vraiment fier de vous.

Constance se sentit un peu rougir suite à ce compliment, ce médecin ne la laissait pas de marbre. Il était vraiment très charmant, malgré les plusieurs années qui les séparaient et sa présence allait fortement lui manquer. Suite à sa tentative de suicide, elle avait été transportée à l’hôpital. Par chance, la fille qu’elle avait rendue furieuse en lui volant sa place était allée chercher les videurs de la boite de nuit, ces derniers inquiets de l’absence de réponse avaient alors déverrouillé la porte et trouvé Constance inerte sur le sol. Ils avaient prévenu rapidement les autorités compétentes et évacuaient son corps sans que cela ne fasse trop de bruit. Constance prit la parole pour la première fois depuis qu’il était venu la chercher.

- Merci Docteur, mais vous y êtes pour beaucoup et je vous en suis très reconnaissante, dit-elle sur un ton soutenu et sans faille, comme la Constance d’avant ce serait exprimée.

Ce séjour dans cet asile, appelons-le comme on doit l’appeler, lui avait fait le plus grand bien. Elle se sentait toute neuve, elle avait retrouvé l’appétit, s’était éveillée à l’art, au yoga et voyait les choses différemment.

Elle se retrouvait dans cette église, enterrant son père qui s’était donné la mort. L’avait-elle inspiré ? Assis aux premiers rangs, elle essayait de ne pas prêter attention aux pleureuses dans l’église. Elles lui donnaient envie de pleurer aussi, mais de rire surtout. Jusqu’à quel point les gens pouvaient-ils porter atteinte à leur dignité pour quelques billets ? Comme si Nathaniel allait sortir de son cercueil et faire profiter tous ces parvenus d’un énième contrat juteux sous prétexte qu’ils avaient assez pleuré à ses funérailles. Elle regardait son frère qui était près de leur mère, c’était lui le boss maintenant. Elle n’était pas la seule à s’en rendre compte, beaucoup de personne dans l’assemblée chuchotait en sa direction et devait se préparer à l’assaillir de poignée de main à sa sortie de l’église. Ridicule. Un dernier scandale en l’honneur de son père, Constance s’éclipsa discrètement. Elle passa par une porte latérale, elle avait envie de fumer une cigarette.

- Toutes mes condoléances mademoiselle, dit un homme en costume qui faisait partie du service funéraire et qui attendait la sortie du cercueil.

Constance mis un certain temps à réaliser de quoi il parlait, elle était perdue dans ses pensées avant de se rappeler qu’elle enterrait son père aujourd’hui. Mais elle ne le connaissait à peine en y réfléchissant bien, c’était assez étrange comme situation.

- Oui en effet, il était charmant, répondit-elle à côté de la plaque en s’allumant une cigarette l’air de rien.

Elle n’avait pas fait exprès mais l’homme semblait être déconcerté par son attitude.