Il y avait des périodes comme ça où on pense qu'on a dû faire quelque chose de mal pour que le Destin s'acharne sur nous. Billie était de ces gens qui faisaient le mal, mais elle n'avait jamais eu autant de malchance en si peu de temps - l'assassinat de ses parents étant un sujet hors-concours. Après le vol à l'arrachée dont elle avait été victime l'autre jour avec sa caisse du début de la journée, et dont elle ne préférait pas reparler, la voici qui faisait face à un cambriolage. Dans les deux cas, l'infraction avait été perpétrée par un imbécile. Le premier avait été assez stupide pour dérober son butin avant l'ouverture, là où le contenu est au plus bas puisqu'il n'a aucun profit, servant juste de change à celui ou celle qui n'aurait pas la monnaie. Il n'avait pas fallu longtemps à la jeune femme pour retrouver le coupable et pour lui passer l'envie de recommencer.

Le problème avait été le second. Il était allé trop loin. En plus de se permettre de briser la vitrine du magasin, de se servir sans permission et sans payer, il avait humilié la blondinette. La vidéo aurait pu être mis sur un site internet pour adultes et le pauvre mannequin aurait pu avoir une thérapie pour s'en remettre. Billie en voulait à beaucoup de gens. Elle en voulait à la police, parce qu'ils n'avaient pas été capables d'intervenir rapidement sur les lieux, comme toujours - mais elle ne pouvait pas trop s'en prendre à eux, ils sont tellement imbus d'eux-même que cela aurait pu se retourner contre elle. Mais plus que tout, elle en voulait à ce connard qui avait eu la stupide idée de s'en prendre à ce qu'elle avait construit en si peu de temps. Il allait payer, comme le premier.

Elle avait récupéré les bandes de vidéo surveillance réquisitionnées par la police. Elle les avait longuement étudiées entre deux bêtises de Moloko, son petit chiot. Elle s'était rendue compte qu'elle connaissait ce salaud. Elle l'avait déjà vu traîner dans son quartier, errant comme un sans-abri. Elle avait pris son temps, comme toujours, pour préparer son plan. Elle avait attendu la nuit, question de visibilité, pour agir. Elle n'avait pas pris sa prothèse. Pourquoi faire ? Elle n'allait pas en avoir pour longtemps de toute façon et personne ne la verrait. Lui, par contre, était parfaitement visible avec son tract géant sur le corps - et sa carrure imposante de toute manière. Billie n'avait pas peur. Des comme lui, elle en avait déjà vus, elle leur avait déjà donné une leçon. La rue était vide. Chacun avait pris soin d'éviter de croiser la route de cet étrange bonhomme dont le discours portait à confusion. Elle l'interpela d'un signe de la main.

Hey salut !

Elle attendit qu'il lui fasse face avant d'abattre sur son crâne la batte qu'elle avait pris soin de prendre avec elle. Pas assez de force pour le tuer, juste assez pour l'assommer. Elle s'occupa ensuite de le tirer - non sans peine, il fallait bien l'avouer - à l'abri des regards des passants un peu trop curieux. Dans l'impasse remplie de bennes à ordures, elle s'occupa d'attacher son poignet droit à la barre de fer rouillée fixée au mur en pierre avec un lien de serrage qu'elle ne ménagea pas. Elle s'installa ensuite confortablement sur un cageot qui traînait par là, en face de sa victime, attendant qu'il reprenne connaissance. Pour faire accélérer le processus, elle donnait de temps en temps des petits coups de batte sur son visage, comme on réanimait quelqu'un avec des claques. Un sourire sadique illuminait son visage. On sentait très clairement qu'elle était dans son élément.

Ce petit sursaut que le corps humain fait lorsque la personne reprend ses esprits. Billie esquissa un sourire. Le corps humain et ses réactions l'avaient toujours fascinée, pour une raison obscure. Elle aimait voir les poils se hérisser sur les bras, la goutte de sueur qui perlait le long de la tempe, le sang qui parlait rouler sur l'épiderme jusqu'à entreprendre une chute vertigineuse et s'écraser sur le sol. La blondinette ne broncha pas lorsque sa nouvelle victime exécuta un bond des plus impressionnants – et pourtant, elle en avait vus un certain nombre pour juger de leur qualité à présent. Elle posa le bout de sa batte sur le sol dégueulasse, s'appuyant dessus avec un air narquois.

Ah, enfin Sleeping Beauty nous fait l'honneur d'être parmi nous !

Elle raillait avec son ton ironique. Le sans-abri ne semblait point impressionné par la situation dans laquelle il était. C'en était presque décevant, à vrai dire. Billie adorait lire la peur dans les yeux de ceux qui avaient le luxe de passer entre ses mains. C'était une sorte de moteur dans son travail, la peur. Celle qui révélait les Hommes sous leur vrai jour. Celui de l'inconnu relevait plus du masochiste qu'autre chose, avec son sourire provoquant. La jeune femme laissa échapper un petit rire qui aurait presque pu passer pour angélique si la situation avait été différente.

"Innocents", laisse-moi rire. Tu me sembles aussi innocent qu'un. Mais si ça peut te rassurer, tu ne m'as pas facilité la tâche, j'ai dû frapper plus fort que d'habitude pour t'assommer. Par contre, niveau cachette, sincèrement, se balader avec des pancartes sur le corps, c'était mal joué. Tu faisais presque sapin de Noël.

La blondinette tira la lèvre inférieure vers l'avant dans une moue déçue. Elle préférait quand ils étaient plus difficiles à trouver. Quand ils se terraient dans un trou dans l'espoir qu'elle ne les retrouve jamais et qu'elle oublie. Mais Billie n'oubliait pas. Elle n'oubliait jamais. Bien au contraire, elle forçait le jeu qui n'en devenait que plus excitant. Elle regarda la dent voler avec un petit sourire en coin. Finalement, elle ne s'était pas si mal débrouillée que cela. Elle aurait voulu en voir plus, mais c'était un bon début. Lui se fichait complètement d'elle, comparant son travail à un homerun d'une équipe du Kansas.

Oh, ne t'en fais pas, ce n'est pas gratuit, tu vas payer d'ici peu. Bientôt, tu regretteras finalement la simple chirurgie dentaire. Ou même simplement ta condition de clochard pépère. Ca dépendra de ce que j'aurai décidé. De toute façon, les Royals n'auront qu'à aller se faire foutre, je préfère largement les crânes aux baballes. Beaucoup moins de challenges avec le liège. Avec les têtes, on ne sait jamais quand la mâchoire va craquer ou combien de dents vont sortir. C'est un éternel pari avec le hasard. Des fois, il arrive même qu'on décolle un bout de cervelle. T'as de la chance, c'est pas avec le peu que tu as que ça va t'arriver.

Quand elle parlait, c'était un peu comme si une certaine passion s'exprimait. Oui, elle ne cachait pas son intérêt pour l'examen de ses victimes pendant ses séances. Elle aimait les voir réagir face à ses mots et à ses gestes.

Un de ses fins sourcils se dressa, intriguée. Les Illuminati, Batman. Il se foutait réellement de sa gueule. Ou peut-être était-il trop amoché dans la vie pour penser que ce qu'elle pouvait lui faire serait mieux que la réalité. Il parlait sans aucun sens, dans son monde à lui. Elle en avait connu, des personnages, mais celui-là était assez haut dans le classement des plus atypiques. Des plus énervants également. Billie n'avait que peu de patience et cette dernière commençait à se ronger à un rythme affolant.

Tu commences doucement à les briser, Oliver Twist. Arrête de jouer aux cons, tu sais très bien pourquoi tu en es là. Dans le monde d'aujourd'hui, les caméras de surveillance sont pas faites pour la déco et si tu te croyais drôle avec ton petit numéro, tu te fourres le doigt dans l'oeil.

Il ne manquait plus grand-chose pour la faire exploser. Elle finit par se relever. Enfin. Elle s'approcha de sa victime à pas lents, prenant soin de laisser sa batte traîner sur le sol derrière elle. Si la lumière n'avait pas été optimale depuis le début de l'action, les traits de la blondinette étaient à présent on ne peut plus visibles pour le sans-abri. On aurait pu passer que Billie était folle. Qu'il pourrait la reconnaître à présent et que tout serait plus compliqué. En réalité, elle n'en avait rien à foutre. Rares étaient les personnes qui pouvaient se féliciter d'avoir vu le visage de Billie Monroe et d'être encore en vie pour en parler. Elle n'avait pas spécialement l'envie de voir ce grand blond en faire partie. Elle plongea son regard dans le sien et parlait d'une voix autoritaire.

Donne-moi une raison valable de te laisser la vie sauve.

Elle posa le bout de la batte, chargé de toutes les doux liquides du bitume, contre le front de son vandale. Elle le regardait avec son regard froid qu'elle ne réservait que pour le boulot. En général aussi à vrai dire, quand elle n'était pas chargée du fardeau de son faux ventre et qu'elle ne devait pas jouer les gourdasses candides.