J'ai l'impression d'être le chat d'une maison sans souris. Oh, je vois du vice, je vois des délits. Il y en a partout. Ici, les gens sont simplement plus discrets qu'ailleurs. Ils estiment avoir le contrôle de ce qu'ils sont. Ces grandes maisons, des studios tous si bien espacés les uns des autres comme pour calmer leurs pulsions des bêtes qu'ils sont comme l'homme l'est partout ailleurs. Je vois les larcins. Le type qui ne prend que du liquide et qui interdit les cartes, je vois la jeune étudiante qui attend le bus alors que je sais qu'il n'y en a aucun qui ne passe à cette heure ci, pas avant un moment. Les deux types qui discutent autour de leur camionnette. Je sais ce qu'ils sont, je sais ce qu'ils cachent. Des araignées, des blattes d'appartement. Je n'ai aucun vrai criminel à me mettre sous la dent, aucun qui ne fasse trop d'argent facile de manière visible et dangereuse. Oh, je me doute qu'un agent des finances publiques aurait fort à faire ici, dans un coin comme celui-là. Là où on gagne du pognon, on n'aime pas en général à avoir à s'acquitter d'impôts sauf ceux destinés à la sécurisation de son propre capital. Je dois bien pouvoir trouver quelque chose. Cette connerie d'enquête sur les passeurs... Et l'autre, la vraie. Franchement, je doutais qu'il y avait véritablement quelque chose à trouver. Les flics d'ici n'avaient pas grand chose à se mettre sous la dent, contrairement à d'autres endroits.


A moins qu'ils ne soient suffisamment malins pour bien cacher leurs traces.


Je me promène. Ils croient tous que je suis venu me tourner les pouces. Certains ont sans doute déjà compris que cette affectation est une mise au placard. Ils sont pas si cons, dans le secteur. La rumeur va se répandre, s'enflammer, et j'en serais bientôt réduit au rôle d'auxiliaire. Je m'enfonce dans mes pensées, essayant de faire le tri de toutes les choses lues dans les rapports de la police locale depuis deux jours. Il devait y avoir quelque chose, c'était obligatoire. Je me stoppe.


Que fait cette fillette à cet endroit là ?


Elle mate les bâtiments. Elle note. D'ici, je peux voir son regard. Portes, fenêtres. Elle s'attarde sur tout ce qui ne semble pas fermé, en tous cas pas verrouillé.


On m'avait mis en garde sur les équipes de cambrioleurs, le seul véritable danger pour les zones les plus riches et les plus accessibles en véhicule dans la ville. Est-ce que je suis parano ou est-ce que je pense que toute la crasse, le rebut, contamine toujours tout ? Devinez. Je m'approche par l'arrière. Elle continue son manège. Je m'approche et elle voit mon ombre quand je regarde ce qu'elle écrit, ce qu'elle dessine.


| Je suis pas perdu du tout, fillette. Je suis juste curieux. Qu'est ce que tu fais ici toute seule, exactement?[/color] |

Ou je suis vraiment un sale connard paranoïaque, ou je suis définitivement un génie de la psychologie criminelle. On voyait ça tout le temps, dans les grandes villes de la côte Est. Des gosses qui font du skate et qui en fait, transportent la drogue de leurs aînés. D'autres qui font le guet, ou pire, diversion en foutant le bordel dans une rue en traversant n'importe comment pour bloquer la circulation. La ruse est ancienne et marche à tous les coups, parce qu'on ne prend jamais des gamins pour des suspects. Il n'y a pas pire erreur, j'ai déjà perdu jadis un collègue qui bossait avec la DEA du fait d'un gosse d'Harlem qui trimballait un flingue plus gros que lui pour protéger son grand frère. Allez comprendre la nature humaine, qui repousse sans arrêt les limites de l'avidité, de l'horreur et de la stupidité. Pourtant, celle là a l'air innocente. Une gueule d'ange, mais impossible de savoir ce qu'il peut se passer dans sa tête.


Elle a l'air de pas comprendre du tout ce que je lui veux. Ou elle joue bien le jeu, ou je suis vraiment un sale con. Un peu intimidée, la jeune fille me dit qu'elle prend des notes sur l'architecture de la ville. Elle appuie un peu plus l'idée et me montre ce qu'elle dessine sur son bloc. Apparemment, rien de bien dangereux... Des dessins de lucarnes, de fenêtres, des maisons elles-mêmes. Sans doute qu'un voleur qui voudrait s'attaquer aux fenêtres serait intéressé mais il n'y a pas de mesures précises dans ce carnet, ni de descriptions affinées des matériaux. Un travail d'enfant... A moins qu'il n'y ai un code.


| Euh pas du tout, jeune fille. Je t'avoue que j'avais pas fait trop gaffe à la tronche des bâtiments non plus. Je connais rien du tout à la manière de faire des maisons. C'est ça qui te passionne ? T'es là pour faire des croquis, pour l'école? |

Je n'ai jamais su parler aux enfants. Même pas à Jack. C'est n'importe quoi. Je sais pas pourquoi parce que quand j'étais plus jeune, les gosses m'adoraient et je pouvais avoir envie de passer du temps avec eux, à jouer pour les occuper, sans que cela me dérange plus que ça. Mais me voilà ici, des années plus tard, raide comme un piquet de clôture à ne pas savoir faire quoi que ce soit d'autre que prendre l'orage en pleine gueule. Je savais pas. Je vous raconte même pas les blancs gênants et le bordel quand j'essayais de discuter avec mon propre gosse. Autant dire que j'étais doué comme pour jouer du violon, un vrai virtuose. C'était aussi pour ça que j'avais même pas essayé de contester la garde, et tout le bordel lié au divorce. Un regard du petit et je culpabilisais, et je me doutais qu'il serait infiniment plus heureux avec sa mère qu'avec moi. Drôle de constatation, mais d'un autre côté... Je restais pragmatique. Et voilà que je recommençais, maintenant. Je suspectais cette gamine de faire partie d'un réseau de dangereux criminels. N'importe quoi. Je perdais pied avec la réalité, j'en étais assez persuadé maintenant. Je devenais parano. Peut être trop d'alcool. Trop de mauvais souvenirs. Peut être que ce mal était déjà en moi à la base. Je n'en savais rien. Je ne voulais pas vraiment savoir non plus, d'ailleurs. La petite me sourit malgré tout, peut être aussi bien pour me « désamorcer » que pour ne pas rester trop effrayée elle-même.


Elle me confirme ne pas être passionnée par l'architecture, donc l'hypothèse d'un devoir se confirme. Devoir, exactement. Cinq pages ? C'était beaucoup pour une gamine de son âge, non ? J'en savais rien. J'avais toujours aimé écrire, sans toutefois y arriver très bien. Encore qu'il ne s'agit pas tant que ça d'écrire puisqu'elle dessine. Hum... Elle me sort de mes pensées en me posant une question.


| Hein ? Ah. Euh... |


Dix points pour ton élocution, couillon d'Agent Steiner.


| Eu, à deux gonds je dirais. C'est plutôt rare celles à quatre. En fait, c'est surtout quand on a peur d'être cambriolé. Plus de gonds, plus de résistance. Tu vois? |


Mal à l'aiseeeee!


| Et t'es toute seule là comme ça ? Ca aurait pas été plus sympa avec un camarade? |

Une corniche ou une gargouille ?

« Vous me rendrez 5 pages sur l’architecture de la ville. 5 pages ?!. »

Avec Philipp Steiner, Août.

Bon finalement il n’a pas l’air d’être fâché ou en colère. C’est quand même assez rassurant parce que du coup, il est un peu moins inquiétant s’il n’a pas l’intention de crier. Il a quand même l’air très sérieux. Presque strict. Je me demande ce qu’il fait dans la vie. Plusieurs enfants passent non loin de nous. Je les regarde passer en souriant un peu, ils sont mignons avec leurs trottinettes et ils ont l’air de faire attention à ne pas bousculer les passants. C’est bien, ils ont l’air bien élevé. Alors c’est encore plus mignon de les voir rire. J’aime bien les enfants, surtout lorsqu’ils rient, lorsqu’ils sont heureux. Même si ça me rappelle que ma vie n’est pas toujours toute rose, ça me donne envie de faire mieux que certains. Je relève mon regard sur l’homme qui m’a interrompu et je l’écoute. Je penche un peu la tête en souriant un peu et je lui dis :

« Vous avez l’air de vous y connaître ! Vous êtes serrurier ou un truc du genre ? ». Oui, je suis assez curieuse. J’aime bien connaître les autres, j’aime bien découvrir les autres. Comme j’aime bien en découvrir un peu plus sur ma ville, même si je n’aime pas trop l’architecture, je me rends compte qu’on ne regarde pas toujours très bien tout ce qu’il y a autour de nous, alors que les principales qualités d’un bon scientifique c’est un sens de l’observation pointu. Cela me rappelle que j’ai encore du chemin à faire avant de devenir une bonne savante. Puis je lui souris à nouveau et je remets une mèche derrière mon oreille et je rajoute sur mon croquis l’indication sur les deux gonds et le fait que les portes à 4 gonds sont souvent utilisées pour renforcer la sécurité face aux cambriolages avant de relever le nez et de dire : « J’aime bien les détails et les gens de ma classe ont parfois un peu de mal avec les détails… ». Je fais une légère moue avant de dire : « Et puis, notre prof aime bien qu’on travaille seul alors si elle trouve des similitudes dans nos devoirs ça risque surement de faire mal à la note… ».

Et moi j’adore les bonnes notes, c’est clair. C’est plus que clair. Pour les universités, la question ne se posera pas. Et si je veux espérer étudier, j’ai aussi intérêt à avoir une bourse au mérite alors j’ai intérêt à voir des notes exemplaires, sinon la fac ça va être compliqué pour moi. Parce que je doute réellement que mon cher paternel ait réellement l’intention de dépenser autant d’argent pour ma scolarité. D’autant que je ne compte pas me contenter d’entrer chez les sœurs non. Je ne vise rien de moins que le doctorat même si je n’arrive pas bien à me décider sur les matières que je choisirais de suivre.

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Codage de Violet

Spoiler:

Ouais, ok, je peux pas m'empêcher de m'inquiéter. Il faut dire que c'est dans ma nature, d'être tout le temps sur la brèche, sur le qui-vive. De toujours redouter le pire, d'envisager le drame. Je n'ai jamais trop aimé voir des enfants tout seul, sans adulte, sans accompagnant d'aucune sorte. Huntington Beach n'est pas la Nouvelle Orléans mais il n'empêche que c'est quand même à quelques secondes ou quelques minutes d'inattention que le pire se produit toujours. Ce n'est pas forcément une fatalité, ni même une obligation. Mais c'est ainsi. Le pire dans tout ça, c'est peut être que je n'ai jamais été comme ça avec mon propre fils, jamais si étouffant. Parce que je savais où il était, comment il réagissait, et je savais que quoi qu'il arrive j'étais là pour lui. Mais les autres enfants ont ils bien tous quelqu'un pour veiller sur eux ? Rien n'était moins sûr. La jeune fille me complimente d'ailleurs sur mes connaissances et me demande si je suis serrurier.


| Oh non, non pas du tout. Je suis policier. Donc je connais un peu les trucs de voleurs, pour mieux les combattre. Tu vois? |


Ok, faire plus maladroit était sans aucun doute impossible, mais je n'étais pas très adroit que ce soit avec les étrangers ou avec les enfants plus particulièrement. Je haussais les épaules à ses paroles suivantes, sur les notes qu'elle voulait avoir et sur la vision qu'ils avaient dans sa classe du travail en équipe. Tout change, sans aucun doute.


| Ah oui, je vois. Toujours le même problème de trouver les bons coéquipiers. Tu sais, ce genre de choses te poursuis un peu toute la vie... Alors si tu peux savoir rapidement avec qui tu peux t'en tirer, ça te ferais gagner du temps pour la suite. Et puis les similitudes... La ville n'est pas si diversifiée que cela, si? |

En fait, je n'en savais rien du tout. Moi et l'architecture... Il fallait vraiment que les différences sautent aux yeux ou que j'ai un intérêt particulier à m'en inquiéter, ou bien vous pouvez être certain que je ne bougerais pas d'un poil à propos de ce qui se passait autour de moi. J'avais ainsi découvert parfois des années après que je vivais à côté de restaurants super sympas ou que sais-je encore, de plein de trucs fantastiques que je ne découvrais jamais qu'après coup. Toujours aussi concentré sur mon boulot que je l'étais, j'en perdais totalement le fil. Ne me demandez pas pourquoi, ça avait toujours été ainsi. Je pouvais sauter plusieurs repas, annuler ou même carrément oublier des rendez-vous, sans que mon monde ne s'arrête de tourner. C'était ainsi. Là, j'avais l'impression d'être un peu hors du temps, avec cette jeune fille qui me souriait comme si elle découvrait quelque chose de fantastique, un point de gravité inédit et jusque là inconnu dans l'univers. Allez comprendre, il ne fallait pas que je sois aussi influençable le reste du temps. Si je continuais de flâner comme ça, il ne fallait pas que je m'étonne que des choses me filent entre les doigts, c'était même carrément trop ce qui me pendait au nez, l'inconstance et l'inaction. Je devais y remédier. Plutôt deux fois qu'une. La fillette me demande si mon boulot n'est pas trop effrayant. Je ne peux pas m'empêcher de partir d'un petit rire devant la candeur de la question. Ils sont tellement innocents encore, à cet âge-là. C'est assez incroyable quand on y repense, mais c'est comme ça.


| Ici, non pas du tout. Il n'y a rien de dangereux ni aucun risque. Ma spécialité ? Je vais finir par l'oublier mais c'était d'arrêter des gens, tout simplement. Ceux qui faisaient des trucs suffisamment mauvais pour attirer l'attention du FBI. C'est tout. On dirait que maintenant, mon occupation principale va finir par être à aider les jeunes filles à terminer leurs dessins de cours ou de ramener le petit youki à mamie. |


Je n'osais pas considérer cela comme une perspective d'avenir réjouissante, mais c'était peut être malgré tout le cas, non ? C'était moins dangereux, j'avais le temps de me poser, de prendre le temps de réfléchir. C'était peut être ce qu'il me fallait, vous n'êtes pas d'accord ? Je n'en savais rien. Je me demandais si tout cela en valait la peine, si j'allais vraiment y gagner quelque chose, personnellement. Et n'allez pas vous leurrer en pensant que je parlais d'argent, ce n'était absolument pas le cas. En attendant, je me devais de faire mon boulot, quel qu'il soit aujourd'hui.


| Oui, c'est impératif. Tu n'arriveras rien autrement, jeune fille. Pour le reste, je te crois sur parole. Bon allez. Moi, faut que je retourne bosser. Fais quand même gaffe à toi, fillette, si j'ai pu m'inquiéter de ce que tu faisais,d 'autres habitants pourraient penser que tu prépares un mauvais coup. Salut. |


Mains dans les poches de ma veste, je m'éloigne. Violent comment ça me rappelait le petit, et combien il me manquait. Ouais, je devais bosser. Bosser pour le revoir, c'était ça, qui devait me servir de motivation.