J'errais dans les rues quasi-désertes d'Huntington Beach, cigarette au bord des lèvres, slalomant entre les voitures d'un air profondément las. Cela faisait au moins une bonne demi-heure que je l'avais à la bouche, éteinte, mais cela ne semblait pas me déranger plus que cela. Bien sûr, j'aurais préféré la fumer, mais j'avais essayé plusieurs fois de l'allumer, sans grand succès, avant de décréter que j'avais tout bonnement la flemme, et sans âme charitable à l'horizon pour le faire à ma place, j'avais abandonné. Vu l'heure, approximativement dans les cinq heures du matin, cela n'avait pas grand chose d'étonnant de ne croiser personne... Cependant, une question ne cessait de revenir à mon esprit, par intermittence, tandis que je marchais, ou plutôt, titubais, concentré sur ma progression. Où avais-je bien pu garer ma foutue bagnole ? J'avais fait toute la rue deux fois, rebroussant chemin pour revenir de nouveau sur mes pas, comme on était supposé le faire quand on avait perdu quelque chose... Mais cela n'avait rien donné, et elle restait complètement introuvable. J'étais pourtant sûr de l'avoir laissé ici ! Ou peut être était-ce la rue d'après... J'étais bien venu en voiture, au moins ? L'épaule calée contre un lampadaire, je tenais mon visage de ma main libre, encadrant ma tempe et le coin de ma mâchoire, tandis que la seconde se cramponnait fermement autour du luminaire. Yeux plissés dans une expression de concentration intense, je finis par lâcher un gémissement abattu. De quelle couleur était ma voiture déjà ? ...J'avais bien une voiture, au moins, hein ? ...Merde. Si je n'étais même plus capable de me souvenir de ça, il valait peut être mieux en réalité que je ne la trouve pas. C'est donc résigné et armé d'une grande patience - ce qui, chez moi, était un exploit - que je m'étais finalement rabattu sur un plan B : trouver un endroit où dormir. Peut être qu'après une petite sieste, ma mémoire re-fonctionnerait normalement... Ça valait le coup d'essayer. De toute manière, je ne me voyais vraiment pas rentrer chez moi à pieds maintenant. J'aurais été capable de ne pas trouver non plus mon appartement et lui, pourtant, n'aurait même pas changé de place depuis 5ans, à moins que des jambes lui soient poussées dans la nuit, ce dont je doutais. Haut les coeurs, il me restait donc encore un minimum de lucidité !
Après quelques investigations hasardeuses, je finis par, miraculeusement, m'échouer sur un banc qui, à mes yeux, avait des allures de Saint Graal, et à l'instant même où mes paupières s'abaissèrent, je m'endormis quasi-instantanément... Pour avoir l'impression de me réveiller à peine quelques minutes plus tard, tandis que le sol se mettait à trembler et qu'une voix lointaine et gutturale - sûrement d'un géant que j'avais offensé - ne se mette à m'apostropher violemment. „Bon, la belle au bois dormant, faut se lever maintenant !“ Un géant qui avait de l'humour, c'était toujours ça de pris... Je pourrais le distraire par une blague avant de sortir Excalibur de son fourreau et de l'embrocher sur mon cure-dent magique en hurlant "GERONIMOOOO". (Les enfants, si vous lisez ceci, voilà pourquoi il ne faut pas prendre de drogue. C'est trés mal et en plus, ça vous fait penser/faire/dire n'importe quoi. Ceci était donc un message de prévention de l'association française contre les psychothropes. Amen.) Me redressant donc d'un coup, j'adoptai instinctivement une position de combat - façon Jacky Chan, sisi tmtc - avant de reconnaître mon "agresseur"... Qui n'était autre qu'Ailynn. La gentille, mignonne et douce petite dernière des Miller. En complet contraste avec l'hideuse créature que je m'étais imaginée... Ce qui, en soi, n'était pas pour me déplaire. Clignant des yeux une, deux, trois fois, je tendis lentement la main vers elle pour vérifier qu'elle était bien réelle et, entrant finalement en contact avec son épiderme, j'eus une moue ravie. „...Oh, c'est toi...“ Murmurai-je alors, toujours crispé dans ma position bizarre à mi-chemin entre du hip-hop et du kung-fu, avant de nonchalamment m'étirer puis me masser la nuque, l'air de rien. „Hello, sunshine.“ la saluai-je alors, lui renvoyant un sourire qui se voulait naturel et éblouissant... Mais qui devait plutôt avoir l'air d'une grimace à la Sylvester Stallone, avant de la fixer un moment sans un mot. Je ne me rappelais pas quand était la dernière fois que nous nous étions vus. A vrai dire, je n'étais même pas sûr d'avoir la réelle intention de la revoir un jour. Il fallait dire qu'autant j'adorais cette petite - et il m'avait semblé que c'était réciporque - autant j'ignorais complètement comment me comporter avec elle depuis... Et bien, depuis, vous savez, cette chose, là, qui arrive quand un beau matin, vous vous rendez compte que vous ne pouvez plus continuer comme ça et que, d'un commun accord avec votre compagne, vous décidez de vous séparer. Alors, on vous met un stylo dans la main et on vous dit de signer en bas, pour ainsi renier toutes les promesses que vous vous étiez faîtes en vous passant une bague hors de prix au doigt. Vous avez saisi l'idée, quoi. „Ça me fait plaisir de te voir,“ Finis-je par ajouter au bout d'un moment, sincère bien qu'un peu gêné, ajoutant aussitôt, comme pour minimiser l'impact de ma déclaration : „mais...“ Oui, il y avait un mais. „Qu'est-ce que tu fais là, en fait ?“ C'était pas comme si je me réveillais tous les matins sur un banc avec Ailynn pour me secouer et me dire de me réveill- Minute. Soudain, j'ouvris de grands yeux, percutant un détail qui me semblait à cet instant avoir une importance capitale, encore plus que la raison de sa présence ici. C'est d'un ton blanc que je prononçai : „Mais attend... Tu m'as pas embrassé, au moins ?“ Ben oui, c'était légitime, comme question ! Vous connaissez tous le Conte, non ? La Princesse Aurore qui se pique le bout du doigt et s'endort pendant 100ans jusqu'à ce que le Prince Philippe ne vienne la réveiller d'un doux baiser... SUR LA BOUCHE. Puis ils vécurent heureux, blablabla, petit arc-en-ciel et oiseaux qui chantent, mais bon ça on s'en fout. Bref. Logique, donc. Suivez, un peu. D'ailleurs, les piafs s'en donnaient à coeur joie dans ce foutu parc, fait qui ne me rassurait aucunement compte-tenu des circonstances... Parce qu'embrasser la soeur de son ex-femme, même moi, je savais que c'était pas un truc à faire. Et pourtant, j'étais pas bien net.

Ailynn qui me souriait et qui me regardait de son petit air malicieux, j'aurais pu croire ne pas être réellement réveillé car cela aurait pu être un rêve. Pourtant, c'était bien réel. Elle ne m'avait pas pincé mais, depuis qu'elle avait prononcé ces 5 mots, à savoir, „tu m'as manqué Nolan“, je savais que je ne dormais plus. J'avais ressenti un électrochoc lorsque le message était arrivé à mon cerveau, prenant tout son sens. Je lui avais manqué. Moi. Nolan Jude Buckley, l'abruti qui avait épousé sa soeur pour divorcer l'année suivante, réduisant ainsi à néant ses espoirs de vivre sa vie rêvée. Je lui avais manqué malgré tout... J'en aurais presque eu la larme à l'oeil, tiens, mais on ne le saurait jamais vraiment, puisque je venais d'être ébloui par les rayons du soleil en me réveillant en sursaut ce qui, donc, avait aussi manqué de me faire pleurer les yeux (oui je sais, on pleure pas des fesses, c'est donc un pléonasme, mais bref...).

Un peu gêné par ces révélations inattendues, et le fait que je n'étais pas encore tout à fait au meilleur de mes capacités après ce réveil un peu brutal (même si plutôt plaisant en soi), je ne réalisai cependant pas la situation de suite. J'étais en train de parler à la soeur de mon ex-femme. Qui venait de me trouver endormi sur un banc. Et qui, visiblement, était là pour... rendre un service. Réponse hésitante et louche, mais je n'eus pas le loisir de réellement me préoccuper de cette fugace impression, plutôt intéressé par le fait potentiel qu'elle ait utilisé un moyen répréhensible pour me sortir de mon sommeil de loir - à savoir, un baiser interdit - pour ne serait-ce que répondre à sa question. Je fus cependant soulagé qu'elle me contredise aussitôt. „Non mais ça va pas la tête ou quoi ?! Je ne sais pas où tu vas chercher tes idées, et je crois que je ne veux pas savoir en fait. Je t'ai juste secoué et heureusement pour toi que ça ait suffit.“ „Ouais, carrément. N'aurait plus manquer que tu appelles les pompiers, j'aurais pas eu l'air con à devoir leur expliquer que j'avais dormi là parce que...“ Et meeeeeerde. Moi qui voulait éviter d'aborder les raisons de ma présence ici... Vite, n'importe quoi ! „...j'adore me réveiller couvert de la rosée du matin...“ Okay, c'était nul. J'eus un sourire en biais, pas crédible une minute. Je profitai cependant de cette légère entourloupe pour m'asseoir correctement et m'ébouriffer/coiffer les cheveux, espérant ainsi reprendre une contenance. Vu mon apparence générale, à savoir mes fringues de la veille, mon haleine charriant l'alcool et la clope, mes lèvres sèches et mes cernes, à n'en pas douter, monumentales, ce ne serait cependant pas chose aisée que de paraître lucide et décent aux yeux de la jeune femme. Ne me restait donc qu'une solution. Soudain, je me saisis alors de sa main entre les miennes, plongeant mes iris clairs dans les siens. „T'es sûre que ça va ? T'as l'air un peu ailleurs.“ Détourner la situation sur elle. Oui, c'était basique, mais cela avait l'avantage de marcher dans 75% des cas. Une bonne façon d'échapper à toute question le temps qu'elle prouve que je changeais délibérément le sujet. Chose qui, vu mes grands yeux inquiets et ma posture penchée vers elle, serait difficile à démontrer. „Si je dois casser la gueule de quelqu'un, c'est pas un problème, tu sais que je le ferais avec plaisir... Je tuerais pour les Miller.“ Bon, certes, ce n'était peut être pas quelque chose à dire ainsi et à voix haute, mais c'était l'intention qui compte, pas vrai ? Et puis, après une telle déclaration de loyauté, nul doute qu'elle aurait complètement oublié que j'avais passé la nuit sur ce banc pour d'obscures raisons qui, si elle les avait connues, l'auraient probablement inquiétées si bien qu'elle se serait sûrement sentie obligée de les partager avec sa grande soeur, à savoir la femme de ma vie... Chose qui, assurément, m'arrangerait fortement. Je sais, je sais, je suis diablement fort, hein ?