Donovan donna un coup de tête à gauche, puis à droite, et enfin il fixa la machine qui se trouvait juste devant lui. Il laissa un bâillement lui échapper alors qu'il tentait de faire son choix. Balayant les rangées de canettes et de snacks en tout genre, il hésitait entre un diet coke ou un coke zero. Absolument pas la même chose. Choix cornélien. Un de plus à ajouter à la longue liste des choix impossibles qu'il avait eu à prendre ces dernières semaines. La mine fatiguée, il se pencha légèrement en avant et laissa reposer sa tête sur la vitre du distributeur. Il était tellement épuisé qu'il aurait pu s'endormir dans cette position, il en était à peu près certain. Diet coke ou coke zero? Qu'est-ce que ça pouvait bien foutre de toute façon? Il n'aimait ni l'un, ni l'autre. À nouveau, il regarda à sa droite. Une femme était assise sur une chaise, une petite blonde assise sur ses genoux. En réalité, l'enfant était nichée contre la poitrine de celle que Donovan supposait être sa mère. Endormie paisiblement elle affichait un air en parfaite opposition au regard inquiet de la femme qui la serrait dans ses bras. À cet instant très précis, il enviait l'enfant et son air paisible. Il aurait tué pour paraître et être aussi apaisé et calme qu'elle. Il aurait aussi tué pour une bonne nuit de sommeil. Une vraie. Un second bâillement. Il se frotta les yeux d'un revers de main avant de finalement sortir un vieux porte-feuilles en cuir de la poche arrière de son jean. Il glissa quelques pièces dans la fente de la machine et tapa le numéro 42. Une première canette tomba dans le bac, il la récupéra avant de répéter l'action et de composer cette fois le numéro 43. Un diet coke et un coke zero. Pas de jaloux. Donovan traversa le couloir de l'hôpital d'un pas lent, la tête baissée il ne faisait pas franchement attention aux autres personnes qui s'activaient autour de lui. Pourtant, il pouvait sentir l'agitation des infirmières et des médecins derrière un comptoir couvert de papiers et de dossiers. En fond sonore, un putain de téléphone que personne ne prenait jamais la peine de décrocher et qui commençait à le rendre fou. Depuis qu'il était arrivé, pas une seule personne n'était venue répondre à ce foutu téléphone. Jusqu'à présent, il s'était contenté de serrer les dents et de faire comme si de rien n'était. Après tout, ce n'était qu'un téléphone, rien de bien méchant. Son visage s'illumina pourtant lorsqu'il arriva au bout du couloir. Elle était là. Jagger. Il savait que sans elle, il n'aurait jamais pu rester. Il n'aurait sans doute même pas pu mettre un pied à l'intérieur de l'hôpital. À la seconde où il s'était tenu face au bâtiment, il avait senti toutes ses forces le quitter, il avait surtout eu envie de prendre ses jambes à son cou et de s'enfuir le plus loin possible. Mais Jagger avait pris sa main dans la sienne et il avait puisé en elle ce dont il manquait cruellement. Un peu de courage. En fait, beaucoup de courage. À peine l'avait-il atteint qu'il lui tendait déjà les deux canettes sous le nez. "Désolé, y'avait pas de bière et la machine a café est cassée." Donovan grimaçait. Bien sûr que la machine à café était cassée pile le jour où ils se pointaient! Il s'estimait chanceux de ne pas avoir dû secouer le distributeur parce que celui-ci, après avoir avalé ses pièces, aurait refusé de lui donner ses boissons. C'était déjà ça de pris. Il n'allait donc pas se plaindre. "Diet coke ou coke zero, je te laisse le choix." Les deux bras tendus vers elle, elle n'avait qu'à s'emparer de celle qu'elle voudrait, des deux mêmes, ça ne l'aurait probablement pas dérangé. "Moi je m'en fous." ajouta-t-il complètement détaché. Depuis qu'ils étaient partis d'Huntington, il avait été plutôt bien. Vraiment. Retrouver la route avec Jagger s'était avéré plus facile que ce qu'il avait imaginé. Il y avait des hauts et des bas, c'est vrai, mais ils avaient vite retrouvé certaines de leurs habitudes d'avant et ça lui faisait tellement plaisir. Jusqu'à ce que le panneau de sortie pour Chicago se pointe, il avait mis un point d'honneur à apprécier l'instant présent sans trop penser au but réel de ce voyage. Mais à peine avaient-ils poser un pied en ville que Donovan avait semblé perdre son entrain habituel. Il était pâle, presque fébrile, il tirait surtout une tête de six pieds de long. Franchement, il avait encore du mal à réaliser qu'il était vraiment de retour ici. Chi-town. S'il n'y avait pas eu ces satanées infirmières à l'accent de souche, il aurait encore pu se croire en Californie, minus le teint halé de la population locale. En prenant place sur un siège à côté de Jagger, il essayait de repenser aux jours qui venaient de s'écouler. Ensemble sur la route comme avant. Intérieurement, il souriait. Il riait même en songeant aux disputes débiles qu'ils avaient encore eu à propos du chemin à prendre. Jagger n'avait toujours pas investi dans un GPS pour le van, et tous les deux n'avaient toujours pas appris à lire une carte correctement. Extérieurement, il bâillait encore. Si les journées passées à traverser les Etats-Unis dans le van de Jagger avaient été plutôt agréables, les nuits avaient été plus compliquées pour lui. Lorsque venait l'heure de dormir, après les câlins et les parties de jambes en l'air, Donovan était incapable de fermer l'oeil sans sombrer dans de terribles cauchemars. Il y avait ceux qui le hantaient déjà depuis quelques temps, ceux de l'incendie. Et puis il y avait les nouveaux, ceux dans lesquels il revoyait son père. Dans les deux cas il se réveillait en sursaut, dégoulinant de sueur et complètement désorienté. Son retour à Chicago n'était pas tendre avec lui. Il l'avait su à la minute où il avait pris la décision de faire ce voyage, oui, Donovan savait que les choses ne seraient pas faciles et que cela ranimerait forcément des souvenirs plus ou moins tragiques tout en lui offrant de nouvelles angoisses. Ce n'était pas des vacances qu'il prenait là… À moins que vous considériez une petite visite en enfer comme des vacances. Beaucoup moins sympa que le club med, croyez-moi. Il n'avait même pas la force de penser à quoi que ce soit. Son esprit semblait vide, il se contentait de fixer le mur blanc face à lui et d'attendre. Un énième bâillement. Putain. Il était vraiment claqué. Épuisé comme rarement il l'avait été, physiquement, mentalement, moralement, en tout point. "Ça va?" Il avait fini par relever le visage et fixer Jagger. Elle n'avait pas menti. Elle lui avait dit qu'elle serait là pour le soutenir et elle avait tenu cette promesse. Pourtant, il se doutait que ça ne devait pas être facile pour elle de retrouver l'atmosphère pesante d'un hôpital. Encore heureux qu'ils ne soient pas forcés de patienter dans le service où son père était installé. C'était sans doute l'endroit le plus déprimant au monde. "Tu peux me dire si ça va pas, ok?" Pour Jagger, il se devait d'au moins essayer d'être fort. Reposant sa tête contre le mur derrière lui, sa jambe bougeait nerveusement. L'attente était en train de vraiment lui taper sur le système. Donovan avait envie d'en finir une bonne fois pour toute. Aussi nerveux pouvait-il être de revoir son père, il avait envie que la rencontre se fasse pour enfin pouvoir se casser de cet endroit qui lui donnait la chair de poule et qui rappelait à Jagger de mauvais souvenirs. Il détestait l'odeur, le bruit, les habits du personnel et les putain de murs blancs. Il avait sorti son téléphone pour regarder l'heure, c'était la troisième fois en l'espace de quinze minutes à peine. Il en profitait aussi pour vérifier que sa soeur ne lui ait pas envoyé de sms. "Putain, elle me les brise déjà." lâcha-t-il agacé. "On va attendre encore combien de temps là?Je vais péter un putain de câble d'ici pas longtemps, je le sens." Sa soeur lui avait demandé d'attendre son arrivée à l'hôpital pour pouvoir aller voir leur père. Elle disait qu'elle avait un truc à lui dire avant. D'accord, soit, mais elle n'aurait pas pu être ponctuelle au moins? Donovan se leva brusquement de son siège. "Bon." Il fixa Jagger quelques secondes et puis: "J'ai envie d'une clope." tendant la main vers elle, il tenta de sourire mais le résultat n'était pas terrible. On aurait plutôt dit une sorte de grimace qu'un véritable sourire. Il s'en voulait un peu d'être aussi désagréable, ce n'était pas contre elle évidemment mais il était tellement nerveux pour le coup qu'il avait du mal à canaliser le peu d'énergie qu'il avait encore. Il était incapable de relativiser les choses et de se calmer. En vérité, Donovan était pété de trouille. Vraiment pété de trouille. Jagger était le seul visage encore capable de le rassurer et de l'aider à passer le cap de cette journée qui lui semblait interminable. "Tu viens?" Et qui sait, peut-être qu'elle accepterait même de le suivre s'il décidait de partir en courant, de ne plus jamais rentrer dans cet hôpital à nouveau et d'oublier la dernière volonté de son père.
flashback
"Jagger? Tu viens?" Donovan était déjà à la porte lorsqu'il appela Jagger. S'ils partaient maintenant, ils n'auraient pas plus de trois heures de retard sur l'heure qu'il avait prévu à la base. De toute façon avec eux, ça n'avait jamais servi à rien de se donner une heure de départ. Ni l'un ni l'autre n'était capable de respecter un timing parfait. Ils partaient quand ils partaient, point. C'était sans doute la raison pour laquelle il ne râlait pas. Il s'en foutait d'avoir largement dépassé l'heure ou pas. Mais maintenant que le van était chargé et qu'ils n'avaient plus vraiment de quoi se retarder d'avantage, il voulait prendre la route. Il ouvrit la porte et se retrouva face à face avec le véhicule qui leur servirait de maison pour les quelques jours à venir. Donovan avait une boule dans le ventre. C'était à la fois tellement excitant de se dire que d'ici quelques instants ils allaient s'y retrouver tous les deux comme au bon vieux temps mais c'était aussi très angoissant. La fin de la route était angoissante. Avant il n'y avait pas d'arrivée, juste des étapes. Ils roulaient et s'arrêtaient là où ils voulaient, quand ils voulaient mais cette fois ils partaient bien d'un point A pour se rendre à un point B. Et ce foutu point B donnait déjà des sueurs froides à Donovan. Il baissa les yeux, à ses pieds se trouvait Memphis. "T'as peur qu'on t'oublie mon pote?" Il se pencha pour attraper le chaton qui avait déjà bien grandi de quelques bons centimètres depuis qu'il l'avait offert à Jagger. Bien sûr que la boule de poils venait aussi! Hors de question de laisser Memphis à Hendrix, pas même à Ally! Il était à eux et ils en étaient entièrement responsables. Franchement, ça aurait fait de la peine à Donovan de ne serait-ce qu'envisager ce voyage sans l'adorable matou. Memphis était donc bien du voyage et ce n'était pas discutable. Il lui caressa les oreilles doucement avant de le porter devant lui et de le fixer dans les yeux. "Donovan, Jagger et Memphis on the road again! Oh yeah!" Il lui fit une grimace très rock'n'roll avant de laisser un très léger rire lui échapper. "Bon, de toi à moi, Jagger pense être une pro du volant alors t'amuse pas à nous la vexer en dégueulant partout dans le van parce qu'elle a une conduite brusque, ok? Elle le prendrait vraiment mal." Rapprochant à nouveau le chat de son torse, il lui donna une dernière série de caresses avant de le reposer sur le sol. Il s'enfuit presque aussitôt dans la direction opposée, sans doute pour aller retrouver Jagger qui était on-ne-sait-où en train de faire on-ne-sait-quoi. "Jagger?" Il l'appelait à nouveau. Pas de réponse. On aurait presque pu croire qu'ils s'apprêtaient à partir en vacances. Alors que son regard se posait une fois de plus sur le van, Donovan commençait à s'impatienter un peu. Comme un gosse qui ne tient pas en place lorsqu'il est sur le point d'obtenir quelque chose qu'il veut vraiment mais qu'il doit encore attendre quelques minutes. L'excitation est à son comble et l'impatience devient difficile à contrôler. Il fixa ses mains, elles tremblaient. Il donna alors un coup de pied dans les graviers de l'allée. Peut-être que le point B lui faisait peur, mais là tout de suite il ne voulait penser qu'au voyage qui viendrait avant. Ces villes par lesquelles ils auraient à passer avant d'arriver à Chicago. Les souvenirs qu'ils allaient à nouveau se créer. Il avait hâte de s'asseoir sur le siège passager du van, regarder la route défiler sous ses yeux, et puis s'endormir le soir sur le matelas à l'arrière. C'était ça la vie avec Jagger. La vie avant que la mort ne vienne tout emporter sur son passage. Et si c'était la mort qui avait tenu Jagger éloignée de la route, c'était aussi la mort qui l'y ramenait aujourd'hui. Sauf que cette fois c'était à Donovan de perdre quelqu'un. Lorsqu'il avait annoncé à sa soeur qu'il venait, elle s'était mise à pleurer à l'autre bout du fil et à enchainer les "merci Donovan, merci". Il avait encore du mal à comprendre la relation qui unissait Milena à leur père. Depuis quand ces deux-là s'étaient-ils rapprochés au point qu'elle lui ait semble-t-il pardonné tout ce qu'il leur avait fait vivre à tous les deux durant leur enfance? Qu'était-il arrivée à la Milena qui avait quitté le nid à dix huit ans à peine pour ne plus avoir affaires à un père abusif, violent et alcoolique? C'était sans doute l'une des interrogations qui préoccupaient le plus Donovan à présent. Quelles raisons leur père avait-il trouvé pour que sa soeur lui pardonne? Ou quelles raisons avait-elle trouvé pour lui pardonner? Et puis encore, ces raisons-là seraient-elles suffisantes pour Donovan? Il essayait tant bien que mal de ne pas y penser. Vraiment. Mais ce n'était pas facile. Il donna un nouveau coup de pied dans le gravier, se tourna brusquement, presque en colère, mais Jagger se tenait dans l'embrasure de la porte et la colère disparue aussitôt. Il s'approcha d'elle et puis glissant ses doigts derrière sa nuque, l'autre main redessinant sa chute de reins, il l'embrassa. "T'es prête?" demanda-t-il se détachant d'elle malgré l'envie de rester collés ensemble encore et encore. Il sentait que c'était maintenant ou jamais. S'ils ne prenaient pas la route tout de suite, il allait finir par se ramollir et recommencer à vouloir fuir. Alors ils devaient partir. Sur le champ! "Oui, allons-y." Elle l'embrassa à son tour, glissa une main dans la poche arrière de son jean et recula d'un pas. Elle secoua ensuite les clés sous son nez. "T'as vraiment cru que t'allais conduire?" elle riait alors il riait aussi. Bien sûr qu'elle allait conduire. Il aurait fallu être bien con pour oser espérer le contraire. "Non, je les gardais juste au chaud pour toi." Donovan attrapa Memphis qui s'amusait à se rouler par terre et fit le tour du van pour aller prendre place du côté passager. Jagger s'installa derrière le volant. Ils échangèrent un regard furtif qui voulait tout dire et puis doucement, elle démarra le van.
fin du flashback
D'une main il avait voulu s'emparer de son paquet de cigarettes qui tomba cependant sur le sol. Une infirmière releva le nez du dossier d'un patient lorsqu'elle l'entendit pester. Lançant un regard noir à Donovan, elle articula d'un air sévère: "On ne fume pas dans l'enceinte de l'hôpital monsieur!" Donovan roula des yeux. Franchement, il devait se contrôler pour ne pas lui faire un doigt. Connasse. Comme s'il était débile au point de fumer dans les couloirs d'un putain d'hôpital. "Ça va, je sais." lâcha-t-il sèchement avant de se pencher pour aller récupérer son précieux paquet. Il fallait vraiment qu'il se calme. C'était plus fort que lui, il était à fleur de peau, irrité à la moindre remarque, prêt à bondir sur le premier ou la première qui ferait un mouvement de travers. Rien que le fait d'en voir respirer certains l'agaçait grandement. Ce n'était vraiment pas le bon moment pour le faire chier, ni même essayait de lui parler tout court. L'angoisse qu'il avait toujours au fond de son ventre et qui n'avait cessé de grandir au fil des jours ne faisait décidément pas bon ménage avec la fatigue qu'il avait accumulé. Pourtant, il n'était pas pareil avec Jagger. Elle n'avait pas le droit aux répliques sèches et cassantes, elle n'avait pas le droit non plus aux regards noirs et menaçants. Même s'il avait du mal à sourire et à rire depuis qu'ils avaient passé les portes de l'hôpital, Donovan n'éprouvait rien d'autre que de l'inquiétude et de l'amour à son égard. Il la regardait du coin de l'oeil pour surveiller toutes sortes de réactions. N'importe quelle réaction. Il avait peur de la voir craquer. Ou peut-être qu'il préférait simplement croire qu'elle était sur le point de craquer plutôt que d'assumer le fait qu'en réalité il était lui-même le plus au bord du gouffre des deux. Il s'apprêtait à se relever lorsque son téléphone vibra dans sa poche. Il l'en extirpa à son tour. Un nouveau message. Une fois l'écran de son portable balayé, une sorte de grognement sortit de sa bouche. "Putain, je te le dis qu'elle me les brise! Madame arrive et nous demande de ne pas bouger. Pile quand je dis que je veux fumer." S'il n'avait pas l'air très heureux de retrouver sa soeur, intérieurement il sentait la pression augmenter. Ce n'était toujours pas réel… D'ici quelques minutes son aînée se tiendrait face à lui et ils auraient à se parler à nouveau. Il pourrait même lui présenter Jagger. Un temps encore et il reverrait aussi son père. Il rangea son téléphone là où il venait de le prendre et ajouta à l'attention de celle qui l'accompagnait: "Tu crois que c'est possible de faire un malaise pour un manque de cigarette? Genre comme les couillons qui font des malaises par manque de sucre ou des trucs comme ça…? " Savoir que sa soeur se trouvait dans un périmètre plus ou moins très proche, trop proche de lui, avait le don de le rendre particulièrement nerveux. Pouvait-il tourner encore plus pâle qu'il ne l'était déjà? Hum… Il se devait de penser à autre chose. Un souvenir joyeux. Un truc qui lui permettrait de s'évader de l'instant présent et qui l'apaiserait un peu. S'il avait pu, il aurait parlé à Jagger. Il lui aurait dit à quel point il avait envie de gerber, à quel point il était pété de trouille, ou encore à quel point il avait envie de la serrer contre lui pour se rassurer un peu mais en était parfaitement incapable, comme tétanisé par ce qui était sur le point de se produire. Il n'arrivait pas à lui dire tout ça et même s'il avait pu il ne l'aurait certainement pas fait. D'abord, elle voyait sans doute très bien qu'il n'était pas dans son état normal. Elle mieux que quiconque savait et comprenait ce qu'il était en train de ressentir. Mais par dessus tout, il voulait la préserver. Eviter de lui rappeler des souvenirs trop douloureux. Alors, hors de question de lui transmettre ses propres inquiétudes. Donovan gardait tout en lui, il savait que bientôt tout ceci serait terminé et qu'enfin, ENFFIN, sa vie pourrait reprendre son cours. Loin de cet hôpital et loin de cette ville si possible.
flash back
Immobile, les yeux grands ouverts pourtant, Donovan fixait le plafond du van si intensément qu'on aurait pu croire qu'il tentait en vain d'y percer un trou par la seule force de son regard. Une insomnie de plus à ajouter à la liste. Et s'il respirait calmement et que rien ne semblait témoigner du chaos intérieur qu'il était en train d'expérimenter, la douleur au niveau de son torse se faisait de plus en plus intense. Les premières fois où il avait ressentit cela, il avait un peu paniqué pensant même être en train de faire un infarctus. Mais merde, à son âge c'était étrange quand même. Voyant qu'il était toujours bel et bien en vie le lendemain de ces crises qui se faisaient de plus en plus fréquentes, il avait fini par en déduire qu'il avait simplement mal au coeur. Littéralement. Celui-ci ne s'était pas arrêté de battre, bien au contraire il battait à toute allure et ça lui faisait un mal de chien. Être en vie lui faisait un mal de chien. Pas qu'il aurait eu envie de mourir, n'allez pas commencer à le prendre pour un putain de suicidaire! Il ne s'était jamais senti aussi vivant que ces dernières semaines. Et s'il aurait probablement dû apprécier ce sentiment puisque c'était l'une des choses qu'il avait tant recherché en prenant la route, il l'éprouvait finalement de la manière la plus horrible qu'il soit. Cette douleur n'avait rien d'agréable, elle le tétanisait. À défaut de faire des crises cardiaques, il faisait des crises de panique, c'était beaucoup moins mortel mais il s'en serait bien passé. Pourtant, le voyage lui faisait du bien, il en était persuadé. La journée tout allait toujours parfaitement. La nuit, c'était un autre monde, un autre univers… Portant sa main à sa poitrine, doucement pour ne pas réveiller Jagger qui avait elle-même fini par s'endormir, Donovan déposa sa paume à plat contre l'endroit exact où se situait son coeur. Une inspiration, une expiration. "Ça va aller" se répétait-il en boucle pour tenter de se calmer. "Ça va aller". Il se concentrait surtout sur sa respiration, parfois lorsqu'il sentait que ça allait trop vite il mettait sa main sur sa bouche pour étouffer le souffle bruyant qui en émanait. Il avait l'impression que le monde tout autour de lui allait s'écrouler, qu'il allait être attiré par un immense trou noir ou que tout simplement le ciel allait s'abattre sur sa tête. La peur l'envahissait lentement mais sûrement et il se retrouvait à manquer cruellement d'air. Pourtant, il ne bougeait toujours pas. Jamais. Le plus souvent, comme ce soir, il tournait légèrement la tête vers Jagger pour l'observer dormir. L'oreille tendue, il écoutait le bruit de sa respiration à elle, en général il pouvait aussi la sentir sur sa peau quand elle dormait proche de lui. Elle l'apaisait, comme toujours. Lorsqu'elle commençait à bouger, menaçant de se réveiller, la panique revenait malgré tout au grand galop. Donovan n'avait pas envie qu'elle le voit comme ça. Parce que même s'il n'avait pas l'air très agité, il savait qu'elle saurait voir dans ses yeux que quelque chose n'allait pas. Ses yeux le trahissaient à chaque fois qu'il essayait de mentir. Il ne voulait pas l'inquiéter, elle avait déjà assez de soucis en tête. Et puis elle avait fait l'effort de faire ce voyage avec lui, il n'allait pas en plus lui demander de le réconforter comme un gosse parce qu'il avait… peur? Non. Il avait juste besoin de la regarder dormir, de la sentir près de lui parce que de plus en plus il craignait de la perdre. Le rêve de l'incendie dans lequel il s'était retrouvé pris au piège sans pouvoir sauver cette femme et son bébé revenait le hanter, et cette femme avait maintenant presque systématiquement le visage de Jagger. Il la voyait crier à l'aide, son enfant dans les bras, et il sentait le sol sous son corps, incapable de se relever pour aller la secourir. Dans la réalité, il regardait Jagger dormir et la douleur dans son coeur atteignait un pic. Il l'aimait tellement qu'il pourrait en mourir s'il la perdait. C'était une certitude dont il ne doutait plus. Elle avait cet espèce d'air paisible lorsqu'elle dormait, c'était étrange de la voir si inoffensive. Fragile presque. Il avait envie de s'accrocher à elle, de ne jamais la laisser, de la tenir dans ses bras jusqu'à ce que la mort vienne les chercher tous les deux. Il avait mal de l'aimer, en plus d'avoir mal de vivre. Bientôt, tout ça serait fini. Son père allait mourir et Donovan pourrait rayer Chicago a tout jamais de sa vie. Il savait qu'ensuite ça irait mieux et qu'il cesserait d'être comme ça… Tel un animal blessé. En tous cas, il l'espérait du plus profond de son être. Mais l'amour qu'il avait pour Jagger, lui, ne cesserait pas. Et la peur de la perdre ne le quitterait sans doute pas non plus. Il savait qu'elle était différente de lui. Et peut-être qu'elle l'aurait trouvé ridicule si elle avait su, mais sûrement aussi qu'elle aurait compris. Donovan était brisé. Il l'avait toujours été mais l'annonce de la mort de leur enfant et maintenant l'annonce de la mort de son père, c'était beaucoup à assimiler en un laps de temps plutôt court. Il ferma les yeux un instant, souffla doucement, les rouvrit. Elle était toujours là. Elle n'avait pas bougé. "Ça va aller." Sa main toujours posée sur son thorax, il sentait la crise passer. Le pic avait été atteint et maintenant Donovan était en train de redescendre. Le ciel ne s'était pas effondré, le monde n'avait pas cessé de tourner et Jagger était toujours à côté de lui. Tout allait bien. Tout irait bien.
fin du flash back
"Donovan?" Il laissa ses pensées s'envoler, le souvenirs de ces nuits passées dans le van, de Jagger endormie, des angoisses qu'il avait eu et qu'il avait plus ou moins su dompter au fil des jours. Il regarda Jagger quelques secondes, inspira un coup et se tourna doucement. Sa soeur se trouvait devant lui. Le son de sa voix venait de résonner dans ses oreilles et tout à coup c'était comme s'il n'était jamais parti. Il s'attendait à la voir complètement transformée mais en réalité Milena ressemblait trait pour trait à l'image qu'il avait gardé d'elle. Elle avait simplement pris un léger coup de vieux, son visage semblait marqué, fatigué surtout. Bon, elle était peut-être aussi un peu plus grosse que par le passé mais elle avait eu des enfants alors c'était sans doute normal. Donovan resta planté devant elle, sans un mot. Qu'est-ce qu'il pouvait bien dire? Il n'y avait absolument rien qui lui venait. "Salut, ça va?" lui aurait semblé complètement hypocrite. Il ne se forçait d'ailleurs pas pour sourire ni se montrer charmant. Sa soeur fit un pas vers lui, il recula presque instantanément. "Donovan, je…" Elle avait les larmes aux yeux ou quoi? Putain, évidement qu'elle allait se mettre à pleurer! Comme si la situation n'était pas déjà assez inconfortable comme ça. "Tu as l'air en forme." finit-elle par dire. Un mince sourire apparut sur ses lèvres et puis elle se décala pour observer Jagger. "Bonjour. Vous devez être… hum…" "Jagger. Elle s'appelle Jagger." Donovan l'avait coupé brusquement puisque clairement le prénom qu'il n'avait pas cessé de lui rabâcher au téléphone n'était toujours pas rentré dans sa petite tête. Il lui avait pourtant bien dit qu'il venait avec elle, il n'avait pas préciser la nature de leur relation mais Milena ne devait pas être conne au point de ne pas comprendre. "Désolée… La fatigue… Je… J'ai tendance à oublier les…" "Super Milena. On s'en fout. On est pas là pour t'écouter te plaindre, ok? Donc si on pouvait passer tout de suite au vif du sujet ça serait cool." Sa soeur baissa les yeux, il se montrait si distant et froid à son égard qu'elle ne devait sans doute pas le reconnaitre. Lorsqu'ils étaient plus jeunes, Donovan n'aurait jamais adressé la parole à sa soeur de la sorte, mais les choses avaient bien changé depuis et désormais elle l'exaspérait plus qu'autre chose. La voyant gênée, Donovan détourna les yeux pour regarder ailleurs si bien qu'il ne la vit pas s'asseoir mais lorsque des sanglots parvinrent à ses oreilles il tourna la tête brusquement et observa cette fille qui lui paraissait être une inconnue en train de pleurer à chaudes larmes. Même lui commençait à se demander comment il parvenait à rester aussi indifférent face à la détresse de celle qui l'avait élevée, celle qui lui avait servi de mère lorsqu'il en avait eu le plus besoin. Non, il n'était pas réellement indifférent. Au fond de lui Donovan se sentait mal, très mal, mais en surface il était incapable de montrer quoi que ce soit. La colère et la haine qu'il avait encore pour sa famille était bien trop ancrée en lui pour tout oublier en un claquement de doigts. Il se tourna vers Jagger et leva les yeux au ciel. "J'en ai marre putain." grogna-t-il tout bas. Un instant passa encore, Milena pleurait toujours sous les yeux de Jagger et Donovan. "Bon allez, ça va." On ne dirait pas comme ça, mais il s'était adouci très légèrement. Il prit une nouvelle inspiration profonde, se passa une main dans les cheveux et s'assit à côté d'elle. "Je suis désolé si je te parais un peu trop brusque. Je peux pas dire que ça me fasse vraiment plaisir d'être ici et sans vouloir te faire pleurer d'avantage, je n'avais pas vraiment prévu de te revoir un jour. Ni toi, ni lui d'ailleurs." Une infirmière de l'autre côté du couloir était en train de les fixer. Donovan força un sourire en sa direction comme pour dire "Tout va bien, merci" et il reprit: "Je vais essayer de faire un effort. Mais s'il te plait, arrête de pleurer, dis-moi ce que je dois savoir et conduis-nous à sa chambre. Qu'on en finisse." Il releva à nouveau la tête vers Jagger, comme s'il cherchait son approbation ou un quelconque signe d'encouragement ou de félicitation pour l'effort qu'il venait de faire. "Avant tout…" Il fixait toujours Jagger dans les yeux. "Je te présente Jagger Dickens." Il hésita à ajouter qu'elle était sa copine mais décida plutôt d'aller avec une autre explication. "Elle et moi, on a un chat ensemble." Pour la première fois depuis que Milena était arrivée, Donovan se mit à sourire. Il souriait en direction de Jagger mais lorsque sa soeur releva la tête après s'être essuyée les joues, elle pu voir son petit frère sincèrement heureux le temps d'une seconde. Déjà le sourire s'évanouissait alors qu'il plongeait ses yeux dans les siens. "Jagger, je te présente Milena… Ma soeur."
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Sujet: Re: On the road again •• jagger&donovan Mar 16 Sep 2014 - 21:09
Il faisait étonnamment beau sur Chicago. Ils étaient arrivés avec l’aurore. La ville et ses gratte-ciels se détachaient à l’horizon. Jagger n’avait pas dit un mot. Elle tenait le volant de son vieux tas de ferraille d’une main, l’autre venant se poser par intermittence sur la jambe de Donovan pour en apaiser le battement nerveux. Il faisait froid – un peu. Elle n’en avait pas grand chose à faire, après tout, du froid. Elle avait l’air grave de ceux dont le cœur s’est serré. Parfois, son regard venait chercher celui de l’homme à ses côtés – mais son visage était fermé, tout entier empreint d’un mélange de rage et de douleur. Au fil des dernières heures, le silence s’était fait plus lourd. Plus fréquent, aussi. Petit à petit, elle avait cessé d’oser le briser. Doucement, elle prenait les virages, s’enfonçait plus profondément dans la ville. Les yeux de Donovan, parfois, s’attardaient sur un immeuble, un bâtiment, comme s’il semblait les reconnaître – sans s’y reconnaître. Elle n’avait pas peur. Elle était dans cet état second, un peu étrange, où ses propres angoisses s’étaient effacées pour laisser toute la place à celle de Donovan. Chicago était immense. Bien plus grande que Huntington Beach, plus grande que San Francisco, aussi. Elle s’étendait vers eux avec ses bras interminables – et c’était comme un piège qui se refermait. Mais elle n’avait pas peur. Les rues s’enchaînaient, et son regard restait fixé droit devant. Elle sentait sous sa paume, quand elle effleurait la jambe de Donovan, la chaleur de son corps – et combien il lui échappait, peu à peu. Ils étaient arrivés avec l’aurore, mais c’était comme ces aurores là où, sur la route, elle trouvait Donovan assis en tailleur sur le lit, Memphis sur ses genoux, le regard fixé sur une carte, sur le lac Michigan, où elle se demandait s’il était parvenu à dormir. Et où elle réalisait que ce n’était probablement pas le cas. La radio diffusait une vieille chanson de Johnny Cash. A un moment, il lui avait semblé qu’ils venaient de dépasser une caserne – et la main de Donovan, pendant quelques secondes, s’était déposée sur la sienne. Elle avait compris. Un autre virage. Le lac se dessinait, peu à peu. La vision aurait pu être sublime, mais l’heure n’était pas au sublime. Elle coupa la radio. Le silence retomba, à peine troublé par le bruit de la circulation au travers des vitres. Elle n’eut pas besoin de dire qu’ils seraient bientôt arrivés à destination. Ils le savaient. L’un comme l’autre. Les yeux de l’homme s’étaient fermés, comme pour ne pas voir l’échéance. Certains auraient pu croire qu’il s’était endormi, elle savait qu’il n’en était rien. Le parking de l’hôpital. Elle coupa le moteur. Pendant presque une minute, elle resta immobile. Elle était épuisée. Pourtant, des deux, elle fut la première à ouvrir la porte, et à se glisser à l’air libre. Elle leva les yeux vers le ciel. Oui, il faisait étonnamment beau sur Chicago. A l’intérieur, elle entendit Memphis pousser un miaulement plaintif, et puis se taire, probablement déjà rendormi. Insouciant. Elle fouilla dans la poche de son blouson pour en sortir une cigarette, et puis l’alluma, avant de faire le tour du vieux van. Les sourcils légèrement froncés, elle ouvrit la portière passager – pour trouver Donovan, les traits tirés, les yeux rivés sur le bâtiment. Son visage s’adoucit. Elle tenta un « Donovan ? ». Son regard ne se décrocha pas de l’hôpital. Alors elle se saisit doucement de sa main, et tout à coup il sembla réaliser qu’elle était là, et ses doigts s’entremêlèrent aux siens tandis qu’il sortait à son tour de la voiture. Au quotidien, elle n’était pas forcément pour ce genre de conneries. Mais alors qu’ils avançaient tous les deux vers la grande porte, elle se dit que, pour une fois, elle pouvait bien faire un effort.
« Désolé, y'avait pas de bière et la machine a café est cassée. » Jagger releva les yeux vers Donovan alors qu’il se tenait devant elle, deux canettes d’un truc qui n’avait certainement jamais franchi ses lèvres entre les mains. Elle haussa légèrement les sourcils. Diet coke ou coke zero. Après les heures de silence, elle ne s’attendait pas réellement à ce que leur première discussion soit de cet acabit. Elle eut un bref mouvement des épaules, histoire de signifier qu’elle n’en avait absolument rien à foutre, avant d’ajouter au terme d’une brève réflexion : « Oublie le coke zero. Y’a pas de caféine dedans. ». Et dieu seul savait combien ils pouvaient bien avoir besoin de caféine à cet instant. Tous les deux. Combien de temps avaient-ils passé dans cet hôpital ? Peut-être une heure ? Une heure à attendre. A leur arrivée, pourtant, ils avaient pris connaissance de la localisation de la chambre qui les intéressait. Mais a priori, il fallait attendre. Attendre la sœur de Donovan. Jagger poussa un long soupir. Précautionneusement, étendit l’une de ses jambes, puis l’autre, enfonça ses mains dans les poches de son blouson. Ses yeux, quand ils ne manquaient pas de se fermer sur le coup du sommeil, se posaient sur les autres personnes présentes dans le couloir. Des familles, pour la plupart, dans l’attente. Des familles. Des enfants. A un instant, elle avait croisé le regard d’une gamine, et son souffle s’était coupé. Mais la douleur fantôme au creux de son ventre s’était faite plus floue, ces derniers jours. Ce n’était plus, réellement, qu’un fantôme. Quelque chose de sourd, qui s’atténuait face à la lourdeur du présent. « Ca va ? » - elle sursauta légèrement à la question soudaine. « Ca va. », dit-elle simplement. Ce n’était pas tout à fait le cas, mais ce n’était pas comme si à cet instant la chose pouvait avoir la moindre importance. "Tu peux me dire si ça va pas, ok?". Elle se força à lever les yeux au ciel, à prendre cette attitude détachée qui la caractérisait d’ordinaire. Histoire que Donovan ne voie pas que, comme d’habitude, il lisait en elle comme dans un livre ouvert. « Je te dis que ça va. ». Elle tourna la tête vers le couloir. Les portes battantes closes. La dernière fois qu’elle s’était aventurée dans l’un de ces endroits, elle avait passé des heures, enfermée dans une pièce, à attendre que le médecin lui annonce, officiellement, la mort de sa fille. Non, ça n’allait pas. Quand Donovan mentionna une cigarette, elle eut une seconde l’espoir fou de pouvoir sortir d’ici, de pouvoir respirer librement à nouveau. Et tant pis si, alors qu’il tendait la main vers elle, son sourire sonnait terriblement faux. « J’arrive. »
Flashback
« J’arrive ! ». La voix de Donovan, telle qu’elle la connaissait. Un grand éclat de rire. Comme d’habitude, ils avaient âprement négocié avec un hôtel le droit de prendre une putain de douche hors d’une station d’autoroute. Seule obligation ? Economie d’eau. C’est pas comme si ça leur posait un problème majeur. Ils n’étaient partis que depuis un jour, à peine. Le temps était encore à l’insouciance – à cette espèce d’ivresse parfaite à l’idée de reprendre la route, d’être à nouveau ensemble alors qu’ils sillonnaient le pays. Ils avaient couru comme deux gamins dans les couloirs de l’établissement, se battant pour le droit d’arriver le premier. Jagger avait gagné, probablement que Donovan l’avait laissé faire mais… ouais, tant pis. Probablement aussi qu’elle s’était désapée sur le trajet et qu’il avait eu le minimum de conscience requis pour rattraper les fringues sur son sillage. Elle était nue, et l’eau était brûlante. Elle avait le sourire aux lèvres. Encore. Sans vraiment savoir que, deux jours plus tard à peine, celui-ci se serait effacé. Mais tout allait bien. Les plaisirs simples, ouvrir les yeux sur une ville différente à chaque fois, retrouver la vie qu’elle avait abandonnée en revenant à Huntington Beach, entendre Donovan lui dire « J’arrive ! » dans un grand éclat de rire – tout allait bien. Elle ferma les yeux, étira ses bras, délia les muscles endoloris par la route. Elle avait le sourire aux lèvres, et ce sourire lui semblait invincible. La porte de la salle de bain claqua, et ce sourire s’étendit un peu plus encore. Ils avaient probablement dû faire chier tout le monde, à cavaler entre les étages, à rire aux éclats – mais ce n’était pas comme s’ils en avaient quelque chose à foutre. Elle entendit le bruit du rideau de la douche, puis sentit un grand corps se nicher doucement contre le sien, deux bras entourer sa taille. « Putain, t’as mis le temps. » dit-elle, feignant l’exaspération. Deux lèvres se posèrent doucement sur son épaule. Et puis un rire. Et puis la voix de Donovan qui murmure « Je t’emmerde », comme d’autres disent qu’ils s’aiment. L’étreinte se resserra doucement. Une main se posa à plat contre sa peau. Sa bouche effleura la base de son cou. Elle secoua la tête, pour la forme. « On était pas supposés faire vite ? ». L’eau tombait à flot sur eux, toujours brûlante, mais ils étaient bien. Tellement bien. Petit à petit, elle se laissait aller aux bras qui la soutenaient. A l’insouciance. Donovan fronça légèrement les sourcils, et l’air de rien répondit : « Ha ouais ? ». D’accord. Ca non plus, ils n’en avaient rien à foutre. Le front de l’homme se posa tout contre le sien, et elle se tourna, pour lui faire face. Il la regardait droit dans les yeux, et à cet instant il n’y avait aucune peur, aucune angoisse, aucune conscience de là où la route les menait, dans ce regard. Quand il l’embrassa, elle glissa une main dans ses cheveux – et l’attira un peu plus près encore. Tout allait bien.
Deux jours à peine s’étaient écoulés. Mais ces deux jours, curieusement, lui semblaient une éternité – comme si les deux personnes qui se tenaient dans les couloirs de cet hôpital n’avaient plus rien à voir avec celles qui riaient aux éclats dans ceux de l’hôtel. C’étaient comme des années entières. Le paquet de cigarettes de Donovan tomba au sol dans un bruit sonore. Aussitôt résonna la voix de l’une des infirmières – avec ce putain d’accent que, dans son état de fatigue actuel, Jagger avait parfois un peu de mal à comprendre. Et puis les choses s’enchaînèrent assez vite. Presque aussi vite que l’illusion soigneusement entretenue selon laquelle elle allait peut-être pouvoir se tailler pour fumer un peu. Quand Donovan annonça l’arrivée imminente de sa sœur, elle ne put s’empêcher de ressentir une certaine inquiétude, peut-être un poil superficielle sur les bords : et si sa sœur ne pouvait pas la voir en peinture ? Mais elle l’écarta rapidement. Ce n’était ni l’endroit, ni le moment. Au contraire. Elle entendit une porte s’ouvrir – et elle vit, dans le dos de Donovan, une femme s’approcher. Elle lui ressemblait. Un peu. Quelque chose dans les yeux, surtout. Elle comprit qu’elle se trouvait face à Milena Halvey, qui ne s’appelait d’ailleurs probablement même plus Halvey, avant même qu’elle ne commence à parler, et que Donovan ne se tourne vers elle. Depuis combien de temps ne s’étaient-ils pas vu ? Jagger, à cet instant, se le demanda sincèrement. Longtemps. Sûrement. Parce que Milena regardait son petit frère avec l’émotion d’une femme qui redécouvre une personne plus qu’elle ne la reconnaît. Son cœur se serra. Un peu. Elle, elle avait grandi avec Hendrix, évolué avec Hendrix, même quand ils se trouvaient à des centaines de kilomètres de distance – rien ne saurait tout à fait briser le lien qu’elle avait avec son jumeau, et l’amour farouche qu’elle éprouvait pour lui. Donovan, lui, recula quand sa sœur voulut s’approcher de lui. Aussitôt, Jagger déposa une main dans son dos. Comme pour l’enjoindre au calme. Elle le savait à bout de nerf. Elle le sentait même à bout de nerf. Et ce fut on ne peut plus clair quand le regard de la femme se posa sur elle, et qu’elle hésita sur son prénom – avant même que Jagger n’aie l’opportunité d’ouvrir la bouche, Donovan avait déjà pris la parole et répondu, sèchement, à sa place. Ce n’était pas une belle réunion de famille. Ce n’était pas une rencontre comme on en rêve, ou même semblable aux adieux que Jagger avait rêvé pouvoir partager avec son propre foyer alors qu’elle essayait de rejoindre Huntington Beach avant qu’il ne soit trop tard. Non. Ce n’était pas une belle réunion de famille. Est-ce que c’en était au moins une, de famille ? Si quelques traits ne s’étaient pas retrouvés dans leurs deux visages, elle aurait même pu en douter. Parce que Donovan était froid. Et distant. Plus qu’il ne l’avait jamais été avec Jagger – plus encore que lors des dernières heures de la route, alors que la tension était à son comble et l’angoisse pétrifiante. Quand elle se rendit compte que l’autre femme pleurait et que Donovan se mit à jurer, la main qui se tenait toujours dans son dos lui donna une légère caresse. Elle tourna quelques secondes la tête vers lui, le temps de plonger son regard dans le sien et de lui dire doucement – « S’il te plait Donovan. Calme toi. ». Que ce soit pour cette raison ou pour une autre, il sembla s’apaiser légèrement, et c’est sur un ton moins dur qu’il reprit. Avant de se tourner à nouveau vers elle. Chercher son regard. C’était comme s’il ne pouvait pas soutenir celui de sa sœur trop longtemps – comme s’il ne voulait pas tout à fait accepter sa présence, et accepter ce qui allait suivre. Elle pouvait le comprendre. Elle eut un léger sourire, un signe de tête en direction de Milena quand son nom fut annoncé. « C’est mon vrai prénom. », dit-elle presque par habitude, et avec nonchalance, même si dans ce contexte il était fort peu probable que l’autre femme soit en état d’être surprise à l’annonce de son patronyme. Et puis elle se tourna vers Donovan, haussant légèrement les sourcils quand il annonça leur relation sous le titre « on a un chat ensemble ». Ce n’était techniquement pas faux. Et puis légèrement plus adapté aux circonstances que « on couche ensemble depuis des mois, je squatte le pieu qu’elle a chez son frère jumeau et on a failli avoir un enfant ensemble ». Mais avant même qu’elle ne puisse faire le moindre commentaire sur la chose, ajouter son petit grain de sel comme elle prenait bien soin de le faire à chaque fois, elle remarqua que Donovan souriait. Sincèrement. De ce genre de sourire qu’elle n’avait pas vu dans les dernières vingt-quatre heures. Et son cœur se réchauffa. Un peu. Jusqu’à ce que à nouveau le sourire disparaisse, alors qu’il venait de se retourner vers sa sœur et s’adressait à elle. Et puis le silence s’installa quelques secondes. Pesant. Comme si trop de choses avaient déjà été dites d’un coup, après des années d’absence du jeune homme à Chicago, après des années sans se voir. Le regard de Jagger allait de l’un, à l’autre. Encore. Et encore. Elle avait vaguement envie de demander ce qu’ils attendaient, là, mais elle ne le fit pas. Non, à la place, la main toujours posée dans le dos de Donovan, elle dit : « On a fait tout le trajet depuis Huntington Beach. Pour venir. » Un temps. Une hésitation. « On est tous crevés. Je crois que ça ferait plus chier qu’autre chose d’attendre encore. » Quoi ? C’était techniquement vrai. A l’état de nerf de Donovan, il ne pourrait pas rester planté ici éternellement non plus. A nouveau, elle tourna la tête vers lui, jusqu’à ce que leurs regards se croisent – et c’est avec une sincère inquiétude dans la voix et dans les yeux qu’elle lui demanda : « Tu veux que je vienne ? Ou tu veux que je vous laisse ensemble? ». Pour être tout à fait honnête, elle préférait venir. Elle connaissait Donovan. Elle savait qu’il s’agrippait encore à des restes de froideur et d’impassibilité, mais qu’il ne pourrait pas soutenir cela encore très longtemps seul. Elle savait aussi qu’elle pouvait l’aider. Il aurait fallu être aveugle, manquer le sourire qu’il lui avait adressé, pour ne pas voir que les choses étaient plus simples quand elle était à ses côtés. Et curieusement, cela ne la dérangeait pas plus que cela. Tant pis pour les couloirs de l’hôpital, pour le souvenir de la mort de ses parents, pour le souvenir de la mort de sa fille. Ca aussi, c’était important. Pourtant, quand la voix de Milena s’éleva à nouveau, ce fut pour dire « Je crois qu’il vaudrait mieux que vous restiez ici. » Elle fronça légèrement les sourcils – pour deux raisons, déjà parce que l’on venait de la vouvoyer et que cela la perturbait toujours énormément, mais aussi parce qu’elle n’avait pas tout à fait le souvenir de lui avoir demandé son avis. Un peu plus froidement qu’elle l’aurait voulu, peut-être, mais elle pouvait bien mettre cela sur le compte de la fatigue à ce stade du voyage et de la discussion, elle répondit : « Et moi, je suis désolée (en fait non, elle ne l’était vraiment pas, mais ça elle n’était pas obligée de le savoir), mais je crois que c’est pas à vous que je viens de poser la question. ». Une relation ruinée avec la famille de Donovan, une. Ce n’était pas comme si elle n’avait pas l’habitude. Ses quelques angoisses superficielles quant à celle-ci ne l’appréciant peut-être pas s’étaient envolées – parce que non, ce n’était réellement pas ce qui comptait à cet instant. Et puis elle préférait que la sœur ait mauvaise opinion d’elle plutôt que Donovan soit seul, à l’intérieur de cette chambre, alors qu’il aurait voulu que Jagger soit à ses côtés. Qu’aurait dit Milena, si elle avait appris que son petit frère et elle auraient pu avoir un enfant ensemble ? Qu’aurait dit Milena, si elle avait su qu’ils auraient pu fonder une famille, et que leur fille aurait été fabuleusement heureuse ? Elle s’en moquait. En fait. Il faisait étonnamment beau sur Chicago, mais un temps californien ne suffisait pas à rendre cette ville autre chose qu’étrangère. Au-delà des haines farouches d’adolescente de San Francisco, c’était peut-être de voir Donovan si différent, de voir cette famille qui n’en était pas une, qui créait cette absurde distance. Tant pis. Huntington Beach les attendait, juste à l’autre bout de la route – Huntington Beach les attendait patiemment.
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Sujet: Re: On the road again •• jagger&donovan Dim 28 Sep 2014 - 1:29
Les yeux des Donovan balayèrent le visage de Jagger alors qu'elle levait les siens au ciel. C'était la réaction à laquelle il s'attendait. Bien sûr qu'elle allait bien. Et même si ça n'allait pas, ce n'était pas comme si elle comptait vraiment le dire. Pour ces choses-là, il s'en remettait toujours à son instinct plus qu'aux choses qu'elle s'autorisait à lui confier. Jagger n'était certainement pas le genre de fille à parler de ce qui se passait à l'intérieur de sa tête, et encore moins à l'intérieur de son coeur. Donovan avait compris cela il y a bien longtemps déjà mais ça ne le dérangeait pas vraiment, puisque du même coup il avait appris à lire en elle. Plus ou moins. Il y avait toujours une marge d'erreur. N'empêche qu'il la fixait avec ses yeux grand ouverts, et il sentait l'inquiétude le gagner peu à peu. Elle allait bien. Elle venait de le lui dire, et deux fois même. Mais alors, pourquoi avait-il du mal à la croire? Elle aussi avait l'air fatiguée. La route avait été longue et les dernières heures pesaient lourdement sur leurs épaules à tous les deux. Il avait tenté de faire un effort mais l'angoisse avait pris le dessus. En arrivant à Chicago, Donovan avait été frappé par une envie tellement puissante de vouloir faire demi-tour, qu'il avait été incapable de dire un mot. Il savait que s'il avait parlé, ça n'aurait été que pour lui dire de rentrer à Huntington Beach, qu'ils n'étaient pas obligés d'être ici. Et comment l'aurait-elle pris? Elle avait fait un effort pour lui, et elle était là. Il se devait bien d'aller jusqu'au bout à présent. Il savait qu'il aurait sans doute eu la voix tremblante, avec cette faiblesse terrible dans le regard, celle qui lui faisait peur parfois lorsqu'il la croisait dans son reflet sur le miroir. Pour rester fort, il ne lui restait plus que le silence. Elle comprendrait. Elle comprenait déjà, non? Bien sûr qu'elle n'avait ni voulu du coke zéro, ni du diet coke. Maintenant il ne savait même plus pourquoi il les avait acheté. Peut-être que le simple aller/retour à la machine lui avait offert un bref moment de répit. Même pas. Assis ou debout, peu importe, dans ce couloir d'hôpital Donovan avait l'impression d'être un mort-vivant. Mais aucun docteur n'aurait pu y changer quoique ce soit. Ce mal-là venait de plus loin. Il n'était pas malade, il était juste fatigué. Fatigué de tout, sauf peut-être de la regarder elle. Jagger avait tourné sa tête de l'autre côté mais il avait toujours ses yeux rivés sur elle. Sa nuque, sur laquelle il avait envie de déposer ses lèvres pour la couvrir de baiser, ses cheveux dans lesquels il aurait bien glissé ses doigts, et ce menton qu'il voulait prendre dans ses mains pour la forcer à le regarder. Chaque centimètre de son visage était en train d'y passer. Il la détaillait dans la précision, comme s'il la regardait pour la dernière fois et qu'il craignait d'oublier ce dont elle avait l'air. Et justement, de quoi avait-elle l'air? La tête tournée vers les portes battantes, elle ne laissait rien paraitre. Il se demanda un instant ce qui était en train de se passer dans sa tête. Il hésita à lui demander " A quoi tu penses Jagger?" mais il savait que ces conneries-là n'avait jamais vraiment été leur truc. Il n'allait pas commencer à lui demander des choses comme ça. Pas ici. Pas maintenant. Il n'avait qu'à se démerder avec ce qu'il savait déjà. Il la connaissait mieux que personne après tout et il avait toujours cette foutu inquiétude calée au fond de son ventre qui lui disait que oui, sans doute, elle pensait à la dernière fois où elle avait elle-même passé les portes battantes d'un hôpital. Après tout, il n'avait pas été là pour elle ce jour-là, mais il y pensait lui aussi. Jagger. Les yeux de Donovan descendirent un peu le long de son corps, firent un bref arrêt sur son ventre et puis se stoppèrent net sur sa main. Cette même main qu'elle glissait parfois sur son visage quand elle le sentait lui échapper. Cette main avec laquelle elle s'accrochait à lui aussi. Celle-là même qu'elle utilisait pour lui arracher ses vêtements ou déranger les boucles de ses cheveux. La main qu'il avait lâché, un jour, et qu'il s'était promis de ne plus jamais relâcher depuis.
flashback
Assis par terre, il avait remonté ses genoux pour y poser son front. Donovan pouvait entendre quelques rares voitures passer sur la route devant lui mais il n'avait pas relevé la tête une seule fois depuis qu'il s'était laissé tomber sur le sol. Il se sentait… vide. Terriblement et incontestablement vide. La scène se rejouait dans sa tête, et il cherchait encore un sens à tout ça. Hier, tout allait bien. Aujourd'hui, il était au bord d'une route et elle était partie. Il avait beau chercher et tenter de remettre les pièces en ordre, il n'arrivait pas à comprendre ce qu'il lui était arrivé. Ce qu'il leur était arrivé. Le poing serré, il pouvait encore sentir la chaleur de sa main dans la sienne. Il pouvait sentir à nouveau ses doigts glisser le long de sa paume et puis le vide. Le vide encore. Le vide toujours. Il avait pris la route pour la première fois avec cette même impression d'avoir été abandonné. D'avoir trop donné, trop aimé et d'avoir tout perdu. Peut-être qu'il était destiné à vivre avec ça toute sa vie. Peut-être qu'il était engagé dans un cercle vicieux qui n'allait pas cesser de se répéter jusqu'à la fin de ses jours. Si c'était ça, il préférait rester seul. Il n'avait même pas eu le temps de lui dire vraiment au revoir. Elle s'était juste mise à crier, puis à pleurer et elle avait fini par dire qu'elle devait partir. C'était tout. Il n'avait pas très bien compris mais il n'avait pas réussi à s'accrocher à elle malgré tout. Partir, il avait toujours été très fort pour ça lui aussi. Il savait qu'il ne pouvait pas la retenir si c'était ce qu'elle voulait. Pourtant, jusqu'au dernier moment il avait eu l'espoir de ne pas voir le van démarrer. Peut-être qu'elle n'allait que s'installer derrière le volant, pleurer encore un peu et puis le laisser remonter à bord et repartir ensemble. Il y avait cru. Mais ça devait bien faire quatre heures maintenant qu'il était assis là et qu'il n'avait pas bougé. Comme si le temps s'était figé et qu'il attendait que quelque chose se passe, que son monde tourne rond à nouveau. Comment pourrait-il tourner rond sans Jagger à ses côtés? Elle était partie. Vraiment partie. Il n'entendit pas la voiture s'arrêter devant lui, mais lorsqu'il sentit une silhouette cacher le soleil écrasant, Donovan releva les yeux. Elle était revenue? Une paire de jambes nues se trouvaient juste sous son nez, des boots de cowboy, une mini-jupe, un débardeur et…. un visage qu'il ne reconnaissait pas. "Salut." Une blonde. "T'as besoin d'un chauffeur peut-être?" Immobile, il avait envie d'hurler. Non putain. Il n'avait pas besoin d'un chauffeur. Il n'avait pas besoin de quoi que ce soit. "Elle est où ta copine?" Il se redressa d'un coup. Il n'en avait aucune putain d'idée et d'ailleurs, Jagger n'était pas sa copine. Mais qui était cette fille de toute façon, et pourquoi avait-elle ressenti le besoin irrépressible de s'arrêter sur le bord de la route pour l'assommer de questions toutes plus casse-couilles les unes que les autres? "C'est bien toi le mec qui trainait avec la petite brune hier soir, non?" Donovan haussa les épaules. Il n'avait pas franchement envie de parler. "Je sais pas si tu te souviens de moi, je vous ai servi vos bières toute la soirée…" Et alors putain? Qu'est-ce que ça pouvait bien lui foutre. Elle était serveuse, cool pour elle. Maintenant elle pouvait aussi bien remonter dans sa petite voiture - pas si petite que ça d'ailleurs - et aller faire chier quelqu'un d'autre. Il n'avait rien demandé lui. "T'as pas l'air bavard, hein?" La blonde se mit à rire vaguement, et Donovan la fixa avec son air de mec franchement pas intéressé. Elle ne semblait pas vraiment comprendre le message, si? Alors quoi? Elle avait de la merde dans les yeux ou bien? Elle ne voyait pas qu'il avait juste envie d'être seul et que rien de ce qui pourrait sortir de sa putain de bouche ne l'intéressait vraiment? Elle ne voyait pas qu'il venait de se faire abandonner comme un malpropre sur le bord de la route et qu'il avait le coeur brisé et que la vie était une grosse chienne de merde et que tout n'avait été qu'un enchainement de coups foireux, que toutes les personnes qu'il avait un jour un tant soit peu aimé avait toujours fini par le laisser tomber d'une manière ou d'une autre et que putain il en avait juste marre. Elle ne voyait rien elle. Et il ne la connaissait même pas. Alors pourquoi putain, pourquoi ne pouvait-elle pas simplement bouger son cul de là et le laisser tranquille? "Je peux… t'offrir un verre?" Donovan la fixa encore quelques instants. Il donna un coup d'oeil dans la direction que Jagger avait pris. La fille devant lui allait à l'opposé. Un verre? Putain. Il allait carrément avoir besoin de beaucoup plus. "Tu sais quoi?" Il se releva et attrapa la fille pour la tirer jusqu'à sa voiture. "Je te laisse me payer autant de verres que tu veux ce soir, mais en échange t'arrêtes de me poser des questions. Okay?" Elle hocha vivement la tête. C'est bien. Encore une meuf désespérée. Un dernier regard pour la route sur laquelle avait disparu Jagger et puis il monta dans la voiture de la blonde.
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Donovan attrapa la clé de la chambre d'hôtel que la femme à la réception venait de déposer sur le comptoir et couru presque pour rejoindre l'extérieur où la jeune femme l'attendait. Elle lui avait répété son prénom au moins quatre ou cinq fois au cours de la soirée mais il ne l'avait toujours pas retenu. Peut-être parce qu'il était trop bourré pour se rappeler de quoique ce soit mais sûrement aussi parce qu'il n'en avait rien à foutre. Il s'empara de sa bouche et l'embrassa avec fougue. Ça lui faisait bizarre d'embrasser une fille qui faisait presque sa taille. Elle était sacrément bien foutue, il fallait bien le reconnaitre. Grande. Genre, très grande. Blonde avec une poitrine généreuse et un petit cul bien comme il faut. À moitié en train de se désaper sur le parking du motel, leurs bouches restèrent collées jusqu'à ce qu'ils arrivent à la chambre miteuse dans laquelle ils allaient passer la fin de la nuit. Avec plus de force qu'il ne l'aurait voulu, Donovan la poussa sur le lit. Elle était elle-même trop bourrée, ou trop conne, pour y trouver à redire. Le lit grinçait et ça sentait un peu le moisi. Il n'en avait rien à faire de ça. D'ailleurs il n'en avait toujours rien à faire d'elle. Elle n'était que la première d'une très longue liste de filles que Donovan se taperait pour oublier celle qui occupait vraiment une place importante dans son coeur. Bizarrement, alors qu'il était au dessus d'elle et qu'elle venait de pousser un gémissement de plaisir, elle n'était plus blonde. Elle n'était plus très grande non plus. Serrant les dents, Donovan enfonça son visage dans les cheveux de la fille. Il ne voulait plus la regarder. Elle n'était plus blonde, elle n'était plus très grande, elle était Jagger.
flashback
Les yeux toujours rivés sur la main de Jagger, Donovan souffla un peu. Non, cette main il ne la lâcherai plus jamais. Il avait envie de s'en emparer justement. Jagger était là. Elle était là pour lui. Son coeur se resserra un peu. Il avait besoin de se calmer. Fumer aurait pu être une bonne idée sauf qu'à peine avait-il émis l'idée et à peine avait-elle eu le temps de réagir qu'ils avaient été coupés dans leur élan. Ils n'avaient plus le temps pour une cigarette. Donovan, agacé et nerveux, souffla à nouveau. Il n'était pas prêt à affronter ce qu'il allait devoir affronter. Il n'était pas prêt du tout. Mais il savait qu'avec Jagger à ses côtés tout irait bien. Tous les deux, ils s'en sortaient toujours, même quand la situation avait l'air désespérée. Aussi, lorsque Milena fit son apparition, que sa voix résonna dans les oreilles de Donovan et qu'il sentit presque instantanément ses genoux faiblir, il se raccrocha à l'idée qu'il avait Jagger. Sa soeur était là, devant lui et elle semblait attendre quelque chose. Il ne savait pas quoi mais il savait que si c'était vraiment le cas, il ne serait sans doute pas en mesure de lui apporter quoi que ce soit. Il avait déjà fait un effort énorme en venant ici, et il avait déjà l'impression qu'être à Chicago était en train de lui ôter toute l'énergie encore présente dans son corps. Comme si cette ville, même après des mois et des mois d'éloignement, continuait à avoir sa peau. Elle l'anéantissait. Il avait beau faire du soleil, et le ciel pouvait bien être bleu, pour Donovan ça restait l'endroit le plus triste au monde. Oui, il avait eu un mouvement de recul face à Milena. Comme si la laisser trop approcher revenait à se mettre en danger. Il tenait à la distance qu'il lui imposait. Il y tenait plus encore qu'à tout le reste. Il n'était pas venu ici pour se rabibocher avec sa soeur. Déjà, elle l'insupportait. Pourtant, des années en arrière il lui aurait sauté dessus et se serait accroché à elle comme on s'accroche à une bouée de sauvetage. Elle avait été pendant une éternité, son pilier dans ce monde. Celle en qui il avait une confiance aveugle, celle qu'il aimait plus que tout au monde, celle qui le protégeait et qu'il avait appris à protéger en retour. Milena avait été sa meilleure amie, sa confidente, elle lui avait donné tout l'amour qu'une soeur peut donner à un petit frère, et plus encore elle avait développé un certain instinct maternel pour le petit garçon qu'il était. Elle avait su remplir un vide qu'il y avait dans leur vie à tous les deux. Elle n'avait pas été égoïste. Au contraire, Milena avait toujours fait passer Donovan avant tout le reste, y compris avant elle-même, et pendant des années il s'était reposé sur elle. Sans doute était-ce pour cela qu'aujourd'hui encore, il lui en voulait de la séparation qu'elle lui avait imposé, il lui en voulait d'avoir cessé de s'intéresser à lui. Oui, elle avait le droit à une vie elle aussi mais pourquoi avait-il fallu qu'elle raye son petit frère de cette vie-là? Il aurait compris. Si elle avait pris la peine de lui expliquer, il aurait compris. Il l'aurait même soutenu. Mais non, Milena avait simplement cessé d'être cette grande soeur à laquelle il tenait tant. Et à présent, elle n'était rien d'autre qu'une étrangère à ses yeux. Une étrangère en larme face à sa froideur. À quoi est-ce qu'elle s'attendait au juste? Une accolade chaleureuse? Un grand sourire et un bisou sur la joue? Donovan était en colère. Il était fou de rage. Cette famille, il n'en voulait plus. La voix de Jagger résonna alors. Il avait senti une main se poser sur son dos. Elle était là. Jagger était là. C'était tout ce qui comptait. Absolument tout. Il devait à tout prix se concentrer sur elle. Un regard et tout allait mieux. Un peu du moins. Elle avait toujours cette force sur lui, celle de le calmer. Elle prenait parfois son visage dans ses mains quand il devenait fou, et elle déposait son front sur le sien, les yeux dans les yeux. Tout allait bien. Elle n'allait nulle part.
Quelque part en Jagger, et quelque part en lui-même, il avait trouvé la force de se calmer un peu et de se montrer un poil plus compréhensif avec Milena. Commencer par des présentations dignes de ce noms étaient peut-être le plus simple. C'était encore surréaliste de voir Jagger et sa soeur dans la même pièce. L'une à sa droite et l'autre à sa gauche. L'une qui comptait plus que tout et l'autre qui avait comptait un jour et qui au fond comptait peut-être toujours même s'il refusait de l'admettre. Il avait souri en plongeant ses yeux dans ceux de Jagger. Il était fier de la présenter et de montrer à sa soeur que non, il n'avait pas tout raté. Il serait encore plus fier de le montrer à son père. Il avait essayé pendant des années de prouver à cet homme qu'il valait bien plus que tout ce qu'on pouvait bien dire et penser de lui, mais à présent il s'en foutait royalement. Il était fou amoureux, et incroyablement bien aux côtés de cette fille-là. Il n'avait rien à prouver à personne, surtout pas à son père, mais il allait fièrement lui montrer qu'il était très heureux dans sa vie et qu'après aujourd'hui, plus rien ne l'empêcherait plus jamais de l'être encore plus. Il allait lui foutre à la gueule qu'il était devenu quelqu'un de bien malgré toutes les merdes qu'il avait pu se prendre, malgré tous les bâtons qu'il avait lui-même essayé de lui mettre dans les roues. Donovan comptait bien regarder son père droit dans les yeux, la tête haute, et lui dire clairement que même lui n'était pas parvenu à faire de son fils un raté. En tous cas, il espérait tellement avoir la force de le faire. Mais il savait aussi que la peur et la colère avait parfois tendance à lui faire perdre ses moyens. Il préférait ne pas y penser tout de suite.
Assis sur une chaise à côté de Milena, il l'observait à son tour. Le silence entre eux trois s'était installé brièvement. Une part de Donovan voulait sauter de son siège pour dire à sa soeur qu'il était temps d'en finir et qu'il voulait maintenant aller voir leur père, et l'autre part souhaitait rester ici et ne plus bouger tout court. Ces sentiments confus l'empêchaient de bouger ou de dire quoi que ce soit. Pourtant, lorsque Jagger reprit la parole, Donovan se sentit soulagé. Elle faisait ce que lui même était incapable de faire. Pour une fois, c'était à elle de les prendre en charge tout les deux. Et elle avait raison. Il était épuisé, il n'avait qu'une envie c'était d'en finir une bonne fois pour toute et quitter cet hôpital. L'odeur qui imprégnait les murs et le personnels médical, et même ces chaises sur lesquelles ils étaient assis, peu importe s'il s'agissait de l'odeur d'un médicament ou d'un produit nettoyant ou de quoi que ce soit d'autre, ça commençait à lui donner mal au crâne. Il n'avait pas bougé, mais il avait levé les yeux sur elle et leurs yeux s'étaient croisés. Jagger lui demanda alors s'il voulait qu'elle vienne ou s'il préférait qu'elle les laisse. Donovan pencha la tête, perplexe. La réponse lui semblait évidente et sans doute qu'elle l'était aussi pour Jagger mais vu son état actuel plutôt imprévisible, elle avait demandé malgré tout. Bien sûr qu'il voulait qu'elle vienne avec lui. Il était sur le point de se lever pour attraper Jagger par la main et lui certifier qu'il avait vraiment besoin d'elle et que si ça ne tenait qu'à lui, ils ne se seraient jamais arrêtés à Chicago, ils auraient continué leur route jusqu'à ce que l'envie de rentrer en Californie pointe le bout de son nez. Il n'avait besoin que d'elle. Mais il n'avait pas eu le temps de dire un mot, ni même de se lever que Milena était intervenue. En l'entendant, Donovan s'était tourné vers elle, les yeux plissés, essayant de comprendre ce qu'elle était en train de dire, comme si elle parlait une autre langue. Et puis Jagger répliqua et Donovan resta encore un instant comme un con. Elles allaient déjà trop vite pour lui. Il prit une profonde inspiration, quitta sa chaise pour retrouver de la hauteur. "On va mettre les choses au clair tout de suite." Il passa une main autour de Jagger et fixa sa soeur, distant et froid comme à son arrivée. "Je n'ai pas fait faire autant de kilomètres à Jagger pour qu'elle reste à m'attendre bien sagement dans une putain de salle d'attente dans ce putain d'hôpital. Okay?" Il avait haussé le ton très légèrement, appuyant bien les "putain" qui ponctuaient toujours ses phrases de toute façon. "Ne me pousse pas à bout Milena. Je veux bien faire un effort mais je ne crois pas que ce soit à toi de décider qui je veux ou qui je ne veux pas à mes côtés aujourd'hui." En l'occurrence, s'il avait eu à choisir entre elles deux, Jagger l'emportait haut la main. Sa soeur ne voyait-elle pas qu'il était à bout de force et que tout seul il serait incapable d'ouvrir la porte de cette satané chambre abritant leur père pour lui faire face une dernière fois? Était-elle aveugle à ce point? Pourtant, quand Donovan était petit, elle était la seule à pouvoir lire en lui comme dans un livre ouvert. Il lui lançait un regard, et sans faire appel aux mots elle comprenait ce dont il avait besoin, ce qu'il éprouvait ou ce qui était en train de lui passer par la tête. À présent, elle ne comprenait décidément plus rien. "Elle est venue avec moi, elle reste avec moi." Il se tourna finalement vers Jagger, relâcha un peu l'emprise qu'il avait sur elle avec son bras autour de sa taille avant d'échanger un regard et de lui dire doucement:"Je veux que tu viennes.". Encore un instant et puis il laissa son bras retomber, effleura sa main du bout des doigts et se tourna à nouveau vers Milena. "Maintenant que les choses sont claires, je crois qu'on peut y aller." Affirmer son attachement à Jagger aux yeux de sa soeur lui avait presque donné un regain d'énergie. Il observa sa soeur se lever à son tour et indiquer le chemin à prendre. Donovan jeta un coup d'oeil à Jagger, une énième fois, comme pour s'assurer qu'elle les suivrait bien tous les deux et il lui emboita pas.
Les portes battantes passées, les murs n'étaient plus blancs mais d'un bleu clair éclatant. On aurait même pu penser qu'ils venaient d'être fraichement repeints. Ça avait beau faire penser au ciel, ça n'en rendait pas les lieux plus joyeux. Ils passèrent devant une salle dont la porte était ouverte. Un gamin pleurait à chaudes larmes pendant qu'un médecin était, semble-t-il, en train de le recoudre. Donovan laissa une grimace lui échapper. Il se revoyait au même âge à peu près, assis sur une table d'examen lui aussi et un docteur lui expliquant que l'aiguille ne ferait pas trop mal. Instinctivement, il porta son index à son front pour sentir l'endroit où sa tête avait frappé la table de chevet qui lui avait valu des points de suture. Pas trop mal, mon cul. Il avait eu mal mais il n'avait eu personne pour lui tenir la main et lui dire que tout irait bien. Cette histoire lui avait laissé un petit cran à peine visible puisque caché par ses cheveux. Il fallait vraiment y mettre la main pour le sentir. Regardant à nouveau droit devant, il continuait de marcher et de suivre sa soeur en silence, faisant bien attention à ce que Jagger ne s'éloigne pas trop de lui. Ils se stoppèrent finalement devant un ascenseur. Milena appuya sur le bouton pour l'appeler. À nouveau le silence. Donovan attrapa Jagger par la main et la serra juste un peu. L'instant fatidique approchait à grand pas. Il avait peur et il peinait sans doute à le cacher. Mais par dessus tout, il était tellement reconnaissant qu'elle soit là. Dans ses yeux, elle pouvait lire "merci". Dans cette caresse qu'il s'autorisa sur le revers de sa main, elle pouvait lire "merci". Dans ce léger, très léger, presque invisible sourire, elle pouvait lire "merci". Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, étonnamment il était vide. Ils n'avaient parcouru que quelques mètres et ils n'avaient sans doute pas plus de trois étages à monter, mais le trajet jusqu'à la chambre de son père lui semblait interminable. Lorsque les portes se fermèrent à nouveau après qu'ils soient montés dans la cabine, Donovan se tourna vers Milena. "Je peux savoir ce qu'il t'a dit?" Sa soeur qui avait pris le soin de ne pas dire un mot depuis qu'il lui avait fait comprendre que son avis ne lui importait que très peu, releva les yeux et entre-ouvrit la bouche. Une légère hésitation sembla l'empêcher de dire ce qu'elle avait à dire. "Je crois que ce n'est pas à moi de te dire tout ça…" Les sourcils froncés, il sentait à nouveau la colère monter en lui. "Sérieusement? On va jouer à ça?" Quelque part, elle semblait sincèrement désolée mais ça n'empêchait pas Donovan d'avoir envie d'hurler. "Je comprends pas, putain! Je comprends vraiment pas ce qui a pu changé au point que tu lui pardonnes tout! Tu ne te souviens pas de l'enfer qu'il nous a fait vivre après la mort de maman? Du malin plaisir qu'il a semblé prendre à détruire le moindre petit souvenir qu'on avait d'elle? Tu ne te rappelles pas de ses énormes crises de colère à répétition et de ses menaces et des coups qui partaient parfois tout seul parce qu'il était trop saoul pour se rappeler que frapper son gosse de huit ans était carrément pas la chose à faire? Putain. Ça me tue." Il avait parlé vite, trop vite peut-être mais il sentait que les choses qu'il avait accumulé étaient peu à peu en train de remonter à la surface et toutes les questions sans réponses allaient enfin pouvoir être posées. Il avait tant besoin de savoir. Qu'est-ce qui l'attendait au juste dans cette chambre? Comment était l'homme qu'il allait revoir? Avait-il changé? Avec un comportement comme celui de Milena, Donovan ne savait pas à quoi s'attendre. Ne même pas pouvoir anticiper les choses le rendait d'autant plus nerveux. "Donovan… Il y a des choses que tu ne sais pas, et que tu comprendras mieux tout à l'heure. Il faut juste que tu l'écoutes." Il avait l'impression d'halluciner. Sincèrement. "Tu me rends dingue!" Il se redressa et tourna le dos à sa soeur. Il se concentra sur Jagger pour ne plus voir Milena. Clairement, il y avait un paquet de choses qu'il ignorait parce que ce qui était en train de sortir de la bouche de son aînée était tout sauf ce qu'il avait un jour imaginé l'entendre dire. Sa respiration s'était à nouveau accélérée, alors quand les portes s'ouvrirent, il descendit de l'ascenseur en vitesse, laissa sa soeur passer devant mais au lieu de la suivre, il s'empara une fois de plus de la main de Jagger et dans un souffle il lâcha: "Je peux pas."
flashback
"J'y arrive pas…" Assis sur le lit, Donovan tenait Memphis sur ses genoux. Il affichait un grand sourire tandis que ses mains glissaient à travers les poils roux du chaton. "Sérieusement, regarde-le! Il est trop mignon pour que je puisse lui refuser quoi que ce soit!" Bon, c'est vrai, en rapportant Memphis à la maison il avait ressenti une pointe de jalousie en voyant Jagger lui gratouiller l'arrière des oreilles, s'exclamer qu'il était parfait et lui dire qu'elle l'aimait. Mais cette phase était rapidement passée et maintenant Donovan était tout simplement fou du petit animal. Il n'avait jamais eu ni chat, ni chien auparavant, c'était la première fois de sa vie qu'il était responsable de quelqu'un d'autre que lui-même et jusque là il avait pris son rôle très au sérieux. "Tu vois, je pense sincèrement que je commence à savoir communiquer avec lui par la pensée. Genre je peux lire dans sa tête et lui il lit dans la mienne." Tout en parlant, il mimait des grimaces à l'attention de Memphis qui le fixait en retour avec un air plutôt interloqué. Si Donovan aimait bien penser qu'il était en pleine séance de communication avec son chaton, ce dernier avait lui l'air un peu plus intéressé par une boucle rebelle qui tombait sur le front de Donovan. Un peu comme il aurait été attiré par une ficelle ou une connerie du genre, Memphis suivait du regard la mèche de cheveux, complètement imperturbable, pas du tout impressionné par les grimaces toutes plus ridicules les unes que les autres de Donovan."C'est bon? T'as fini?" Jagger, debout devant le van, le regardait avec l'air de dire "T'as un sérieux problème mon vieux, mais c'est pas comme si c'était nouveau, alors tant pis". Très innocemment, il releva la tête, hésita à demander ce qu'elle voulait dire par-là et finit par lui sortir son sourire le plus crétin. "Qu'est-ce qu'il y a? T'es jalouse?" Donovan déposa Memphis sur le lit tandis que Jagger avait laissé une sorte de rire mi-amusé, mi-moqueur lui échapper. Il couvrit rapidement les oreilles du chat qui donna un coup de patte en direction de ses cheveux "Tu sais bien que tu seras toujours ma préférée, voyons!" Il jouait au plus con. Jagger lâcha un soupir, croisa les bras sur sa poitrine et l'observa avec ses grands yeux. "Tu sais quoi? T'as qu'à rester là et lire dans les pensées de Memphis, moi je sors." Il s'apprêtait à rire, mais il remarqua au même instant la tenue qu'elle portait et il se releva d'un coup, non sans se cogner la tête au plafond du van dont il avait littéralement sauté. "Non, non! Je suis prêt. Moi aussi je sors!" Soudainement plus très intéressé par les pensées de qui que ce soit hormis les siennes et Dieu sait qu'elles n'étaient pas très catholiques à l'instant présent, Donovan se frotta le haut de la tête. C'était franchement pas facile d'être grand et de devoir vivre dans un van mais il ne se plaignait pas, parce qu'en vérité il adorait le véhicule de Jagger et s'y retrouver à nouveau lui faisait vraiment plaisir. "On rentrera pas trop tard par contre." Il passa devant Jagger, un sourire satisfait sur les lèvres. Et sans même la regarder, il ajouta: "J'ai prévu de t'arracher tes vêtements avant minuit." Au moins, elle était prévenue. "Avant que tu ne demandes, non, ça n'a rien à voir avec un quelconque fantasme sur Cendrillon. C'est juste que ta tenue, là… elle ne devrait pas être légale."
flashback
Il sentait l'air lui manquer, Donovan était à deux doigts de suffoquer. Putain. Il était en train de paniquer total. Il n'y avait plus rien de très insouciant, ni amusé, ni quoi que ce soit d'autres en lui. "Je peux pas." répéta-t-il à Jagger. "Je pensais que je pouvais et que ça me ferait rien, ou presque rien, mais c'est faux. Je veux pas le voir. Je peux pas. Je te jure. J'ai l'impression que … Je sais même pas putain. Je panique, okay? Je panique vraiment là. Je panique jamais. Pas comme ça. Je veux pas le voir. Je peux pas faire ça." Il tira sur son t-shirt, comme s'il l'étouffait. "Je men fous, j'ai l'air d'un gros con mais je te jure, putain, je te jure que j'y arriverai pas. Je vais le voir en face de moi et il va se mettre à parler du passé et des erreurs qu'il a commises, j'en suis sûr et je veux pas. Tu comprends pas, il a toujours été doué pour ça, pour nous manipuler l'esprit. Il a volé tous les souvenirs que j'avais de ma mère et maintenant, il va vouloir voler tout les souvenirs de mon enfance. Je te jure." Il jeta un coup d'oeil à Milena qui s'était arrêtée un peu plus loin. Elle les regardait. "Jagger, je te promets, cette fille c'est pas ma soeur putain! Je sais pas ce qu'il lui a dit, ou ce qu'il lui a fait mais elle a subit un sérieux lavage de cerveau! Et oui! Oui! Je suis en train de flipper ma race là, je sais… Je sais mais j'y arrive pas. Je sais pas comment arrêter tout ça. Je veux pas." Franchement, dans un autre contexte la scène aurait pu être drôle mais elle ne l'était pas. Donovan se sentait devenir fou. Il était pété de trouille, submergé par ses émotions, ses angoisses d'adultes comme celles qu'il avait eu enfant, il y avait aussi la fatigue et la colère, tous les ressentiments, toutes les choses refoulées, enfuies en lui. Tout était en train de foutre le camp et il n'arrivait plus à rien contrôler. C'était comme si le sol allait se dérober sous ses pieds pour laisser place à un énorme trou noir. "Je peux pas. C'était une erreur de venir ici." Elle qui partageait son goût pour la fuite comprendrait peut-être le message. Il n'avait pas clairement demandé à rentrer à Huntington Beach mais dans son esprit c'était l'idée qui clignotait en gros. Oui, il voulait rentrer chez elle parce que désormais c'était aussi un peu chez lui. Il avait sa place là-bas et ils étaient heureux. Presque comme avant. Il ne pouvait pas être de retour à Chicago, et encore moins revoir son père. C'était trop lui demander. Sa main toujours accrochée à celle de Jagger, il la suppliait du regard.