Des rires éclataient au loin, le ballon résonnait sur le sol de façon régulier. Les deux frères étaient en pleine partie de basket depuis un bon quart d’heure. Samuel avait laissé son costard cravata de côté, son petit frère avait frappé à la porte de son bureau, ballon sous le bras avec un sourire qui voulait tout dire. Au début Samuel avait refusé, prétextant plusieurs dossiers à travailler, mais Isaac insista lui rappelant qu’il y avait une vie en dehors de ce maudit bureau. Bureau dans lequel leur père n’avait pas trouvé mieux que de mettre fin à ses jours ! Les deux frères s’étaient donc retrouvé devant les deux garages de la villa, un panier de basket y était accroché depuis plusieurs années. Ce n’était pas une idée de leur père qui n’avait jamais fait une seule partie avec ses fils, c’était une idée de leur grand-mère paternelle qui avait eu pitié de ses petits-enfants qui ne semblaient pas profiter comme il se devait de leur enfance. Samuel se souvenait de la première partie, Isaac était tout petit, il marchait depuis seulement quelques mois, l’aîné avait fait attention à ne pas aller trop vite protégeant ses deux petits frères et laissant Elias gagner. Les deux garçons finirent le match, Isaac avait gagné et l’aîné était plutôt mauvais perdant et les moqueries de son frère n’aidaient pas. Samuel monta à sa chambre, prendre une bonne douche, il n’était plus très motivé pour reprendre ses dossiers en cours. Il avait envie de laisser tout ceci de côté au moins pour quelques heures. Cette partie de basket c’était simple mais pourtant si agréable, ça lui rappelait sa légèreté, celle que son père avait toujours voulu lui retirer. Depuis le décès de cet homme Samuel prenait sa place, et parfois il se sentait partir. Il perdait pied, il lui ressemblait et il avait peur, peur de finir comme lui de ne plus avoir une seule once d’amour. Il s’était battu toute sa vie pour ne pas lui ressembler, pour rester proche de ses frères et sœurs, parce que grâce à eux il avait l’impression d’être encore humain. Mais dès qu’il était avec son père, il perdait cette humanité, il devait être froid, distant, sans scrupule. Depuis la mort de Nathaniel il essayait de gérer au mieux, mais il était comme hanté par ce père qui attendait beaucoup de lui. Alors parfois il perdait pied, il renvoyait des employés par simple plaisir, pour passer sa colère, il mettait des gens à la rue sans aucun scrupule se disant qu’il ne pouvait pas se laisser faire par eux.

Samuel était descendu en cuisine, une des employés de la maison lui demanda s’il voulait boire ou manger quelque chose. « Je vais me faire quelque chose, ne vous en faites pas. » Parfois ça faisait du bien de se servir un verre soi même où de se préparer à manger, des choses simples et courantes pour le commun des mortels mais pas pour lui, par pour cette famille. Il ouvrit le frigidaire, ne sachant même pas quoi boire, il y avait tellement de choix qu’il finissait par réfléchir à ce qui lui donnait envie. Il finit par prendre un soda, un coca cola plus précisément. Il se servit donc un verre qu’il posa sur l’îlot central. Il avait envie d’un sandwich, cette partie l’avait affamé. Il ouvrait les placards, ne sachant pas vraiment où tout se trouvait, il aperçut du pain de mie, l’attrapant avant de se tourner vers la porte en entendant des pas. Il sourit en voyant sa petite sœur « Tu tombes bien Constance… as-tu envie d’un sandwich ? » Malheur à celui qui approchait d’un peu trop près sa petite sœur, il aimait toutes ses sœurs mais la petite dernière elle était bien plus protégée que les autres, à cause de sa place de petite dernière mais aussi à cause de l’accident qu’elle avait vécue avec Elias. Samuel se faisait toujours du souci pour sa sœur.« Je commence à m’y perdre dans cette cuisine ! » Il sourit, sans aucun complexe il pouvait admettre qu’il ne trouvait rien et que se faire un sandwich allait devenir une épreuve sportive pour lui.

Connie trouvait souvent le temps long. Clairement, elle se faisait chier et peinait à trouver un réel but dans sa vie. Elle avait besoin de rien, pourtant elle avait parfois l'impression d'avoir besoin de tout. La plupart de ses amis étaient occupés, même ceux dont les familles étaient aussi riches que la sienne trouvaient des passe-temps, le plus souvent ils pouvaient se targuer d'avoir une vie professionnelle passionnante et aussi riche que leurs comptes en banque. Même Samuel qui avait pourtant le même sang qu'elle, n'avait pas autant de paresse et s'activer à faire fructifier la fortune familiale comme leur fantôme de père avant lui. Quand elle ne s'auto-persuadait pas que sa vie avait un sens en actualisant son compte instagram mode commun avec Sophia, la réalité la rattrapait et Connie vaguait dans l'immense villa Hamilton comme une poupée blasée. Ses séances de sport avec la belle Adria lui avait malgré tout un peu changé les idées, Constance parvenait presque à saisir l'importance que les maniques du sport accordaient à une transpiration abondante et des courbatures à n'en plus finir, ce que les gens sains appelaient "la bonne fatigue". Elle ne s'était pas non plus transformée en athlète pour autant, ces séances étaient souvent rythmées par ses bavardages incessant dans le but de distraire Adria le temps de quelques minutes et trouver un peu de repos entres deux séries d'abdos. Mais elle continuait néanmoins à faire appel à ses services trouvant agréable le fait d'avoir quelques heures à respecter dans la semaine, des rendez-vous qui formalisaient un peu son existence fastueuse, matérialiste et anarchique.

Elle était arrivée à pas de loup, lorsqu’après avoir entendue du bruit dans la cuisine, elle comprit qu’il s’agissait de son frère aîné. Dans l’optique de le surprendre, elle était déçue de ne pas avoir été assez discrète pour réussir son coup. Seuls ses frères et sœurs pouvaient la pousser à s’abaisser à ce genre de comportement enfantin qu’elle n’hésiterait pas à qualifier de niais chez les autres. Ils étaient si protecteurs, que leur manière de l’infantiliser avait parfois des vertus reposantes, quand Connie ne les jugeait pas étouffante. Elle se prenait souvent au jeu, incarnant à merveille son personnage de Poor Little Rich Girl qu’elle avait toujours été.

- Régime, dit-elle simplement en guise de réponse à la proposition de son frère.

Elle n’avait pas réellement à se plaindre de sa silhouette, au contraire certaines mauvaises langues l’auraient jugé trop maigre et Adria lui aurait certainement conseillé de manger des protéines pour accompagner leurs séances dans le but de prendre de la masse musculaire.

- Tu m’étonnes, loin de ton bureau tu dois être perdu, surenchérit-elle, piquant gentiment son frère sur son hyperactivité professionnelle. D’ailleurs, comment se portent les affaires ? Je peux t’être utile ?

Il leva les yeux face au mot régime. Inquiet depuis le jour où leur frère avait trouvé la mort dans un accident de voiture. Il avait peur pour elle, peur qu’elle perde à nouveau pied et le mot régime n’était pas quelque chose qu’il aimait entendre. Constance n’avait pas besoin de faire un régime, elle était parfaite et quelques kilos supplémentaires ne lui auraient pas fait de mal. Il secoua la tête négativement face à la réplique piquante de sa sœur. « Mon bureau nous permet de vivre. » Où plutôt d’amasser toujours et encore de l’argent, car depuis plusieurs générations l’argent rentrait très facilement donc autant dire qu’il n’avait pas vraiment besoin de travailler et que quelqu’un d’autre aurait très bien pu gérer leur affaire familiale. Mais Samuel était tombé dans le monde des affaire, dans cette soif sans fin qu’était le pouvoir et l’argent. « Elles se portent à merveille. Les incompétents se retrouvent sans travail et les meilleurs… ne sont même pas récompensés. » Il sourit. « Le pouvoir, quel bonheur. » Parfois il ressemblait à leur père, beaucoup trop, parfois il se perdait, oubliait vite qu’il était comme Constance, comme Ambre, Candice ou Isaac, il oubliait qu’ils étaient une équipe, qu’ils n’avaient pas eu l’amour de leurs parents, qu’ils étaient soudé et qu’eux c’était à la vie à la mort. Parfois l’emprise qu’avait eue son père sur lui, ce bourrage de crâne intensif reprenait le dessus. « Dans les affaires non mais pour me préparer un sandwich pourquoi pas. » Il aborda un large sourire, moqueur quelque peu mais tout en gentillesse parce qu’il s’agissait de sa Constance.

Il prit son verre, buvant quelques gorgées tout en observant sa petite sœur. « Tes séances de sport te font du bien ? » Il observait très souvent sa sœur, parfois même sans qu’elle ne s’en rende compte, il était là plus loin, à l’autre bout de la pièce le regard inquiet sur elle, l’observant se déplacer dans cette villa tel un fantôme qui s’ennuyait à mourir. « Tu sais Connie on peut trouver quelque chose à faire tous les deux, on peut se créer une entreprise si tu le souhaites, si tu as envie de te changer les idées, d’évoluer… » Il l’observa se demandant si quelque chose l’intéressait réellement dans la vie, si il y avait un but à atteindre pour sa sœur. « Nous ne sommes pas obligé de nous lancer dans une grosse affaire, si ça ne t’intéresse pas, mais je veux que tu saches que je suis là si tu as besoin. Je serais toujours là. » Constance pouvait lui demander ce qu’elle voulait il le ferait, enfin presque, parce que si elle lui demandait de tout abandonner, de lâcher l’affaire familiale il ne pourrait pas le faire, il était né là-dedans, pire que cela il était né pour hériter de cette entreprise. Le premier enfant de cette famille, le seul héritier dont leur père s’était occupé, le seul qui avait subi des années à ses côtés pour qu’il finisse comme lui. Nathaniel, froid, sans cœur, méprisant tout même sa propre famille. Il le détestait, il n’était pas son père, pas un vrai père comme d’autres avaient. Samuel haïssait son père pourtant il finissait par lui rassembler de plus en plus et parfois il avait peur.

Connie sourit, se mordant l’intérieur des joues pour ne pas transformer ce sourire amusé en un gloussement grossier. Elle était toujours dans la retenue et la mesure de soi-même, pourtant il y avait de quoi rire à entendre son frère parlait comme une immigrée mexicaine fille-mère se saignant pour donner du pain à ses enfants. En fait, ce n’était plus drôle et presque gênant en y repensant. Ils vivaient dans l’opulence, personne dans cette famille n’avait besoin de travailler. Ils pouvaient très bien vivre avec leurs acquis et continuaient à embrasser un train de vie luxueux et indécent. Souvent elle voyait son père quand elle regardait son frère, ou plutôt quand elle l’écoutait. En ce moment précis l’âme froide et insensible de Nathaniel semblait avoir pris le contrôle de celle de Samuel. Mais Constance savait parfaitement que son grand-frère n’était pas aussi cruel qui le laissait entendre et pour défendre ce genre de moment, elle se persuadait aussi qu’on n’était jamais assez cruel dans les affaires. Si Rome ne s’était pas construit en un jour, la fortune des Hamilton ne s’était pas gagnée par l’altruisme.

- Volontiers, dit-elle vexée par le rôle que semblait lui attribuer son frère. Mais je dois peut-être être idiote, je pensais que le salaire très généreux de ton assistante était viré tous les mois pour ce genre de besogne, poursuivit-elle en lui préparant son sandwich sur un ton légèrement sarcastique.

Tout en coupant une tomate, elle contracta son bras à la manière de Popeye ou d’un quelconque culturiste, pour répondre à son frère silencieusement sans s’arrêter de préparer son encas. Elle était devenue un peu boudeuse, mais elle s’adoucit aussitôt lorsque Samuel lui proposa de monter une affaire pour l’occuper. C’est pour ça qu’elle l’aimait, il la comprenait.

- Je m’ennuie comme tu as pu le remarquer. Enfin, je peux m’occuper en faisant du shopping, des voyages ou plein de choses que des millions de personne envient… mais, moi aussi j’ai envie de goûter au pouvoir, trancha-t-elle en détournant les yeux, avant de revenir les planter dans ceux de son frère comme pour l’implorer de faire bouger les choses. Et pas uniquement sur les domestiques et le personnel des boutiques de luxe du comté.

En effet, Connie avait une réelle envie de challenge dans sa vie. Elle s’était bien lancée dans la création d’une page instagram avec sa copine Sophia. Mais ça ne lui suffisait pas, elle voulait plus. Elle avait envie d’avoir des responsabilités, pouvoir se défouler sur du personnel et coucher avec des stagiaires entre deux rendez-vous d’affaire dans le dos de son petit ami. Avoir une vie active, ne pas seulement parcourir les spas, les enseignes de luxe et les soirées huppées. Bien que ce programme lui plaisait, ne se contenter que de ça devenait lassant et dégradant.

- Dans quel domaine pourrait investir la famille Hamilton ? Il me faudra un assistant avec beaucoup de diplôme, je suis intelligente mais j’ai arrêté l’école assez tôt comme tu le sais, dit-elle en détournant à nouveau le regard, toujours mal à l’aise d’évoquer cette partie de sa vie et surtout la cause dramatique. J’aurai besoin d’aide, mais je veux commander… et que tu me laisses carte blanche, ajouta-t-elle.

Gênée, elle avait fini sa phrase avec un peu moins d’emballement que lorsqu’elle l’avait commencé. Elle ne voulait pas vexer son frère, mais elle avait vraiment besoin d’exister sans le chaperonnage de personne.

« Constance » souffla-t-il, ne voulant pas qu’elle se sente vexée. En effet il lui avait demandé de lui préparer son sandwich, non pas parce qu’il la prenait pour sa domestique mais parce qu’il était incapable d’en faire un. Son assistante était en effet la personne idéale pour lui préparer un petit quelque chose, il n’était pas rare qu’elle reçoive un appel pour livrer à sa majesté quelque chose. Judy était l’assistante idéale pour lui, autant dire qu’en trouver une prête à supporter ses humeurs et répondre présente à chaque minute ce n’était pas évident. Samuel était un homme d’affaire débordé, il était aussi le riche typique qui avait besoin d’une assistante pour gérer tout ce qui était moins important que les affaires de l’entreprise. Sam devait obligatoirement avoir confiance en Judy, sinon ça ne pouvait pas marcher, et son choix n’était pas anodin, il savait qu’elle était la bonne. Son ancienne assistante était restée à ses côtés durant de nombreuses années, elle savait tout de Samuel, que ce soit sa couleur préférée, son dentifrice à ne jamais oublier dans le sac de voyage ou bien encore son boxer favoris… oui une assistante c’était plus qu’une meilleure amie et une mère réunie.

Qui mieux que Samuel pouvait comprendre Constance ? Personne, selon lui. Connie était sa petite sœur, sa petite protégée, celle à qui il ne fallait surtout jamais faire de mal, ni même poser un regard désobligeant. Il n’était pas aveugle il voyait bien combien elle s’ennuyait dans ce rôle d’héritière. Lui était occupé, il n’avait jamais le temps de s’ennuyer et il était important, il sentait le pouvoir chaque jour, chaque minute même. Il aimait cela, il n’en avait pas honte, il prenait tellement de plaisir à voir tout ce que l’argent et le pouvoir entrainaient. « C’est pour cela que tu es ma préférée Connie. » Il sourit, fier, oui il l’était de savoir que le pouvoir l’appelait également. Il aimait également cela parce qu’il savait que sa petite sœur ne lui ferait pas d’ombre, elle n’était pas comme Candice qui aurait bien aimé avoir sa part de gâteau dans les affaires de leur paternel. Il aimait sa sœur mais il n’aimait pas cette concurrence familiale. Etait-il capable d’écraser l’une de ses sœurs ou son frère pour cette soif sans fin qu’était le pouvoir ? Bonne question.

« Nous sommes déjà dans pas mal de domaine mais notre nom pourrait investir dans d’autres domaines… » Il prit place sur l’un des tabourets qui entourait l’îlot centrale de la cuisine. Il y avait bien plusieurs choses qui lui venaient à l’esprit mais il devait trouver quelque chose qui intéresse sa sœur un minimum pour qu’elle ne se lasse pas. « Est-ce que la mode pourrait être un domaine intéressant à tes yeux ? A moins que tu aies déjà une idée ? » Un assistant ? Moche de préférence pour éviter qu’elle n’en fasse son goûter. Il arqua un sourcil, devant une petite sœur qui affirmait vouloir avoir carte blanche. « Bien. » Il marqua une pause, laissant volontairement le silence s’installer, de quoi donner un petit coup de stress à sa sœur. Puis il sourit. « Je comprends, c’est normal et je suis fier de savoir que tu veux le faire, que tu veux t’investir. » Samuel voulait bien lui laisser carte blanche mais il restait un Hamilton, et franchement il aurait toujours un œil curieux surveillant de loin ce qui se passerait. « Tu auras ta société, tu pourras commander et gouter à ce pouvoir ! »