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 Teachers and lessons (avec Délia)

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MessageSujet: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyDim 19 Juil 2015 - 5:42

"Allez, jab, jab, crochet, front kick. Quinze autres répétitions. Go, Délia, go. On enchaîne. "

Alors qu'il réceptionnait chacun des coups de sa nouvelle élève dans ses grosses mitaines rembourées, il ne pouvait s'empêcher de sourire du caractère inattendu de la situation. Il était loin de se douter, lorsqu'il était parti afficher ses services sur ces minables feuilles d'impression maison à déchirer, qu'il convaincrait une nouvelle cliente on the spot. En fait, tout succès provenant de cette entreprise le prenait par surprise. Trop fauché pour profiter des services d'un véritable gym, il s'était bidouillé un petit ring maison en retournant des caisses de bois abandonnée dans un coin du bâtiment qu'il louait, pour garder la forme. Il avait rapidement ajouté quelques sacs de boxe d'occasion au tout, complétant par l'occasion un petit rêve de gamin.

L'idée de vendre son expertise ne lui était venue par la suite, lorsqu'il constata qu'il n'avait plus qu'à peine de quoi s'acheter à bouffer. Nécessité faisant loi, c'était un peu à contre-coeur qu'il avait tapissé les poteaux et les commerces de la ville de ces petites annonces. Et seulement quelques jours plus tard, le processus commençait déjà à payer des dividendes!

"Super. Crochet gauche, esquive basse, uppercut droit et side-kick. Tu m'en fais 20, cette fois. Quoi, c'est déjà tout ce que t'as ? Allez, cogne plus fort. Hop. Hop. "

Le "contrat" avec Cordélia avait été des plus singuliers. Au premier abord, elle ne ressemblait pas du tout au genre de femme qui vienne dans un gym crade dans un bâtiment sans enseigne, perdu au bout de Pacific Lane, dont l'intérieur n'était éclairé que par quelques vieilles halogènes jaunâtres qui devaient avoir l'âge des deux boxeurs du dimanche réunis. En même temps, elle possédait un stand de tir : de quoi faire tourner les talons aux escroqueurs mal intentionnés. Et il chargeait un prix véritablement dérisoire. Limite louche, en fait, mais il ne se serait pas vu demander plus. Pourtant, lorsqu'il lui avait demandé la permission d'afficher dans son stand, elle s'était immédiatement intéressée. Après une bonne douzaine de questions, elle avait finit par le rappeler en soirée... pour lui en poser une nouvelle série. Et là voilà qui, contre toute attente, se trouvait chez lui, dans son gym miteux, à tenter de lui balancer son poing dans la figure et son pied dans l'estomac.

"Good, je l'ai presque senti celui-là. Tu me fais 25 jumping jack, et on reprend avec le premier enchaînement. "

Rob l'accompagna dans cette nouvelle tâche. C'était difficile de ne pas se laisser entraîner de toute façon. Plusieurs gouttes de sueur lui perlaient sur le front, avant d'aller finir leurs jours dans sa camisole noire.

"Jab, jab, crochet, front kick. Plus haut le coude. Plus détendu. Ouais, c'est bien ça, c'est bien. "

C'était cool, en même temps. Il y avait une sorte de lien qui s'installait instantanément dans l'effort et dans l'adrénaline entre un prof et son élève. Techniquement, il était le type en qui elle plaçait sa confiance -et son argent- afin qu'il l'aide à se dépasser. Qu'il lui permettre de se rendre là où elle souhaitait se trouver.

Ça lui donnait l'impression d'être utile.

"Allez, cinq de plus, et on prend une pause. J'veux que tu sois capable de rentrer chez toi sur tes jambes. Plus haut le coude! "

Pour essayer de l'accrocher, il s'était empressé de la faire commencer des enchaînements : ça lui semblait autrement plus intéressant que de taper seul sur un gros sac de sable. Après l'avoir aidé à enfiler l'équipement, il lui avait appris les rudiments de quatre ou cinq mouvements de base, dont il variait maintenant les séquences. Sa technique n'était pas ou point, bien sûr, mais ce n'était pas l'idée de toute façon.

"Suuuuper. Tu mérites une petite pause. "

Retirant ses mitaines, il alla chercher deux bouteilles d'eau posées contre le mur et lui en lança une.

"Reprends ton souffle. C'est important. Tu peux poser les mains sur tes cuisses, ça va t'aider."

Il prit sa serviette et s'épongea la nuque.

"Ça va ? Tu tiens le coup ? Le rythme te convient ? Ça correspond à peu près à tes attentes. Tu trouves que je te ménage trop ? "
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyLun 20 Juil 2015 - 3:39

❝ Teachers and lessons ❞
It's not the size of the dog in the fight, it's the size of the fight in the dog.


Il fallait l'avouer, Delia n'avait rien à faire là. Elle avait du enlever ses talons et se changer avant d'oser tenter quoique ce soit. Elle ne s'était jamais battue, Delia. Pas avec les mains. Si on venait à l'agresser un jour, elle avait plus peur de se casser quelque chose en tentant de se défendre qu'en se faisait attaquer à proprement parler. Elle n'était pas spécialement douée dans ce domaine, et, à dire vrai, elle n'y connaissait. Rien que pendant des scènes d'action dans des films, elle crissait des dents, redoutant le moindre dégât, que ce soit chez le héros ou son ennemi juré. Un os, ça cassait facilement. Des muscles, ça se déchirait sans prévenir. Des ligaments, ça faisait tout aussi facilement la tronche. Et puis, c'était sans parler de son adresse, qui, à elle toute seule, pouvait la mener perdante dans un combat contre une mue d'araignée. Pourtant, Delia était bel et bien perdue non loin de chez elle, sur Pacific Lane, dans un coin qu'elle n'avait jusque-là fait que traverser en voiture en allant au boulot. Pourtant, lorsqu'elle avait croisé ce mec qui donnait les cours, elle n'avait pas tellement hésité. Un peu sur le coup, se demandant pourquoi elle se mettait à penser sérieusement à se mettre au kick-boxing alors qu'elle se promenait toujours avec un Beretta dans le sac. Ces armes-là, elle savait les manier, aussi elle ne redoutait pas vraiment une agression en plein milieu de la rue ; elle aurait toujours de quoi se défendre, même si elle devait être incarcérée ensuite pour diverses raisons. Par contre, le combat au corps à corps... Ah, la bonne blague ! Elle se souvenait très clairement de la douleur qui avait parcouru sa jambe entière quand, étant petite, elle avait tenté une rébellion contre Bianca et marché par inadvertance sur une brique de Lego. Alors oui, Cordelia était badass, mais seulement si on ne se mettait pas à la frapper.

Là, elle était franchement ridicule. Elle se ridiculisait devant ce mec qu'elle connaissait à peine, mais le pire, c'est qu'elle s'en moquait. Il lui était bien sympathique, et puis, son cours ne la ruinait pas -si ça avait été le cas, elle se serait sans aucun doute contentée d'afficher son annonce au stand de tir sans relever son numéro de téléphone. Mais, puisqu'elle s'efforçait depuis quelques années de sortir de sa zone de confort, Delia avait décidé qu'elle allait suivre son envie : elle allait apprendre à frapper les gens. Peut-être qu'elle aurait plus d'autorité au boulot et qu'on allait arrêter de se moquer de ses talons et de ses robes, allez savoir. Mais malgré toute sa détermination et sa bonne volonté, elle n'y arrivait pas. Il fallait dire qu'elle n'était pas quelqu'un de très sportif, et qu'elle se contentait de compter les balades de Spirit comme ses heures quotidiennes de sport -fallait pas pousser, non plus, hein. Il était drôle, lui, à lui dire de cogner plus fort. Elle était au bord de la syncope, et elle sentait sa transpiration glisser sur son front et ses joues ; une goutte s'était même frayé un chemin jusqu'à sa paupière pour se glisser dans son œil, la forçant à cligner celui-ci plusieurs fois d'un air ridicule pour éliminer cette sensation de picotement qui la gênait. On enchaîne, tu m'en fais vingt, mais il voulait sa mort, ou quoi ? La rousse était à bout de souffle et se demandait quelle mouche l'avait piquée pour en venir à payer un mec pour qu'il la fasse suer comme ça chez lui -hrm. Pourtant, poussée par elle ne savait trop quelle énergie, elle arrivait encore à peu près à suivre les instructions de son professeur, s'étonnant chaque seconde de ne pas être tombée aux pieds de ce dernier, dans un état d'inanition pathétique. Elle était la seule de ses élèves à être dans un tel état après si peu ? Elle préférait la théorie, quand il lui expliquait les gestes -et qu'il s'amusait avec ses muscles juste pour elle. Maintenant, c'était à elle de fournir tous les efforts, et c'était moins drôle. Elle ne devait pas donner le même spectacle à Deacon, d'ailleurs. Le pauvre devait avoir de la peine pour elle... à moins que ce soit de la pitié ? Il réagissait à peine sous ses coups, alors qu'elle mettait toute sa force dans chacun d'eux. Delia manqua de l'engueuler plusieurs fois, mais elle n'en avait même pas la force. C'est lorsqu'elle souhaita vraiment lui faire du mal -désolée, réaction de novice au bord de la tombe- qu'il daigna lui dire qu'il avait presque senti quelques chose. Ses pupilles bleutées, cachées par ses sourcils froncés à outrance, lancèrent des éclairs à Robert Deacon. Pourtant, si elle continuait sans s'arrêter, c'était pour deux raisons : parce qu'elle comptait relever ce défi jusqu'au bout et réussir ce qu'elle entreprenait; et parce que bizarrement, même si elle avait envie de lui aplatir la tête sous ses vieilles baskets, elle avait placée une confiance inexplicable en lui. Elle suivait ses instructions en lui jetant un regard interrogateur de temps à autres, se demandant de quoi elle avait l'air et si elle était une aussi bonne élève qu'il était un professeur cruel. Et la libération... bientôt une pause ! Elle l'attendait comme une gamine de dix ans attend que la cloche de son école sonne pour quitter les cours. Il était temps, enfin... le soulagement. « Suuuuper. Tu mérites une petite pause.  » D'un coup, Delia s'arrêta, et tenta de s'appuyer sur un sac de boxe, non loin de là, mais manqua de s'écrouler. « Sans....... blague........ » Elle essuya son front d'un revers de bras et chercha de quoi se stabiliser. Elle avait les jambes en coton. C'était son âge ou quoi ? Mamie Delia en avait-elle trop fait ? Sans comprendre ce qui se passait, elle tenta quelques réflexes désespérés pour réceptionner ce que venait de lui lancer Deacon -une bouteille d'eau, sans doute-, mais ne réussit qu'à se la projeter en plein visage. Elle n'eut même pas la force de s'en plaindre et l'ouvrit pour en boire les trois quarts d'un coup. « Reprends ton souffle. C'est important. Tu peux poser les mains sur tes cuisses, ça va t'aider. » Toujours essoufflée par sa séance de sport, mais maintenant également par son apnée, elle posa sa bouteille par terre après l'avoir vaguement fermée et s'appuya d'une main sur une cuisse, l'autre main portée à son nez. « J'ai...... mal ? » Était-ce une question ? Elle ne savait pas trop. Elle avait tellement mal partout que si son nez était tombé comme celui de monsieur patate, elle ne s'en serait probablement pas rendu compte. Elle finit par suivre le conseil de Deacon et posa ses deux mains sur ses cuisses. Elle était à l'agonie, et elle n'était pas spécialement persuadée que cette technique avait autant d'effet que celui qu'aurait la greffe d'un troisième poumon sur son dos, mais elle voulait bien se plier à l'exercice. Elle s'approcha du mur vers lequel s'était dirigé son tortionnaire et s'y adossa, y trouvant là un havre de paix. Elle pouvait y reposer, elle n'avait plus à s'en faire pour son équilibre. Par contre, ses jambes avaient l'air de vouloir lui dire merde, là... « Je........ saigne...... ? » demanda-t-elle en lui désignant son nez, sans même savoir si c'était lui ou sa bouche qui avait pris. « Ça va ? Tu tiens le coup ? Le rythme te convient ? Ça correspond à peu près à tes attentes. Tu trouves que je te ménage trop ? » Elle tenta de rire, mais n'y parvint pas. A la place, elle toussa. « Ouais, tu me prends trop pour une lady, là. Petit joueur. » Mais bien vite, elle revint sur ses paroles, de peur qu'il la prenne trop au sérieux. « Je sais pas si c'est parce que je suis vieille......... ou juste un déchet en terme d'activité sportive,......... mais je préférerais rester à ce rythme tant que....... enfin........ » Elle se désigna de l'index et haussa un sourcil entendu. « Je suppose que tu vois de quoi je parle. » En réalité, elle était à deux doigts de lui demander s'il avait du thé, mais préféra revoir ses priorités de l'instant : « j'ai le droit de fumer ? » Elle marqua une pause, reprenant doucement son souffle. « Ah ouais, parce que du coup je fume,...... c'est peut-être ça, aussi. » Pour se donner un peu de contenance, elle détacha ses cheveux, qui avaient commencé la manœuvre eux-même pendant qu'elle semblait d'appeler la Faucheuse à elle, puis les raccrocha, cette fois sur le sommet de son crâne. « N'empêche, c'est peut-être pas pour moi....... J'aurais peut-être du apprendre le crochet, à la place. » Oh God, elle transpirait, mais Dieu merci, elle gardait un peu de dignité... son déodorant ne l'avait pas lâchement abandonné. Il se battait encore vaillamment. « Comment tu fais pour...... y arriver sans te découvrir une tendance asthmatique ? » Elle essuya une nouvelle fois son front. Elle devait présentement avoir la classe d'un caca d'écureuil radioactif...


Dernière édition par Cordelia Hoogendijk le Ven 24 Juil 2015 - 23:09, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyMer 22 Juil 2015 - 14:19

Il n'avait jamais vraiment enseigné à qui que ce soit, auparavant. Il ne savait pas réellement comment s'y prendre, si ce n'était que de répliquer la façon dont lui-même avait appris tout en tentant d'y ajouter sa propre passion.

C'était un art plus difficile qu'il ne paraissait au premier abord. Bien entendu, balancer des bouteilles d'eau dans le visage de ses étudiants allait rendre la chose infiniment plus simple...

"Oh merde, je m'excuse. Ça va aller ? "

Il se sentait gravement con sur le moment. Ouais, venez payer pour venir chez Deacon, qu'il vous moleste gentiment avec tout ce qui lui passe par la main! L'expérience d'une vie, garantie! Couillon...

"Je crois qu'il est cassé, ton nez..."

Rob recourut à sa solution universelle pour tous les problèmes : l'humour douteux. Il désamorça cependant rapidement la bonne blague.

"Non non, je plaisante - ton nez est en aussi parfait état que quand tu es rentrée ici. T'es rendue une quasi experte du kickboxing maintenant de toute façon, ce n'est pas une petit bouteille d'eau en vol libre qui peut t'endommager le visage. Non madame! T'es maintenant une vraie de vraie dure à cuire! Tes joues sont même capables de torde les plus acérés des couteaux! Crois-moi sur parole, hein, ne le tentes jamais s'il te plaît."

Il prit lui-même une petite gorgée d'eau. Par solidarité.

"Pas de problème pour la cigarette : on reprendra dès que t'auras terminé."

Il désigna de l'index les grosses pales rotatives au plafond qui assurait la ventilation de la pièce. On aurait dit des hélices d'avions de la première guerre mondiale. Rob n'avait jamais su à quoi servait l'endroit avant qu'il n'en devienne locataire (honnêtement, ça lui faisait penser à un petit sweat shop cambodgien) , mais ce système d'aération d'apparence archaïque parvenait à merveille à rafraîchir le ring.

"Arrête, tu rigoles, t'es née pour faire du kickboxing. Je te le jure! Aucun de mes autres élèves n'a saisi aussi rapidement la technique des gestes. Le dieu du kickboxing va pleurer sa vie si tu abandonnes maintenant. "

Ce n'était pas complètement faux, en plus. Elle mettait tant d'effort à répliquer exactement et dans les moindres détails ce qu'il lui montrait.

"En plus, j'ai entendu une tonne d'histoire d'horreur de gens qui perdent un oeil en faisant du crochet. Voir même de diaphragme perforé. Non, crois-moi, t'es beaucoup mieux ici, avec moi et mes bouteilles d'eau en plastique. "

Difficile d'être plus convaincant, non ?

Il s'assit sur le rebord de la table sur laquelle se trouvait les quelques pièces d'équipement supplémentaire qu'il possédait avant de poursuivre.

"Comme bien des choses, pratice makes perfect. Je ne sais pas ce que tu t'imagines, mais moi aussi, je me retrouve dans le même état que celui dans lequel tu te trouvais il y a deux minutes. C'est même l'idée, je te dirais. D'aller jouer avec tes limites. Là où elle se trouve, ça n'a pas d'importance - ce qui importe, c'est de combien tu parviens à les dépasser. C'est ça, qui est impressionnant. On passe tellement de temps dans notre tête, à notre époque. À tenter de comprendre notre place dans ce monde, figurer notre avenir, nos relations humaines... "

Un ombre passa sur son visage. Il devait changer son angle d'approche avant de s'écraser.

" Je m'amuse souvent à me considérer comme un parasite pour mon corps. Comme s'il y avait moi et lui, ce bon jack qui me suit quasiment tout le temps. Quand je boxe, j'arrête de ne penser qu'à moi. Je me concentre sur lui, uniquement sur lui, pour l'aider à faire ce qu'il ne parviendrait pas sans mes encouragements. Pas parce que ça va le rendre plus fort, ou pour pouvoir tenter de gagner des points aux yeux des autres : simplement parce que c'est la bonne chose à faire. De me reconnecter avec qui je suis, dans mon ensemble. Que je ne suis en fait pas un parasite pour mon corps - que nous ne sommes qu'un. Y'a vraiment une forme de beau mysticisme personnel dans l'activité physique... mais je vais m'arrêter là, avant d'avoir l'air trop bizarre..."

C'était quelque chose de difficile à extérioriser. Il s'agissait de quelque chose de très intime, et il semblait à Rob qu'il ne disposait pas des mots pour expliquer ce qui revêtait une telle évidence pour lui. Peut-être manquait-il tout simplement de pratique. Les circonstances ne l'avait jamais conduit à en discuter avec Barbara

" Sinon, tu ne m'as pas vraiment dit ce que tu recherchais en venant ici. Tu veux faire de la compétition ? Pouvoir te défendre contre les voyous du quartier ? Défoncer la gueule à une conasse ? Être prise au sérieux quand tu dis à monsieur Hoogendijk d'aller ranger le garage ? Faire un marathon ? Affermir certains muscles ?"
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyVen 24 Juil 2015 - 23:08



Non mais, d'où lui était venue cette envie ? A quel moment s'était-il dit qu'apprendre le kickboxing était une idée intelligente ? Le pire, c'est qu'elle n'en avait jamais particulièrement rêvé, elle ne s'était jamais posé la question, et traîner sur un ring semblait loin de ce qu'elle était capable de faire. Mais voilà, justement. Voilà sans doute la raison qui l'avait poussée à se retrouver là, trempée de sueur, la respiration saccadée, les jambes en coton et un potentiel nez brisé par une bouteille d'eau qu'elle n'avait même pas eu la force de rattraper à temps : elle voulait dépasser ces frontières de l'acquis. Cordelia n'était pas une control freak, mais elle avait du mal à s'éloigner de sa zone de confort. Et c'était ce défi qu'elle s'était lancé lorsqu'elle avait brièvement discuté avec cet inconnu qui souhaitait afficher son annonce dans son établissement. Pourquoi pas elle, après tout ? Elle était maladroite et un peu douillette, mais il était peut-être temps que les choses changent, qu'elle apprenne à affronter ce qu'elle avait toujours évité jusque-là, et peut-être d'ailleurs qu'elle se découvrirait moins gauche que ce qu'elle s'était toujours pensé être. Et une fois qu'elle avait discuté avec Robert Deacon pour en apprendre plus sur ces cours, elle n'avait plus hésité; il avait réussi à la convaincre. Était-ce là le sourire charmant de l'homme qui avait fait effet, ou bien Cordelia pouvait-elle réellement se vanter d'avoir trouvé une dose de courage suffisante ? Elle n'atteindrait jamais Mars, et elle vivrait toujours sur cette même planète jusqu'à y mourir; c'était un fait, c'était certain et irrévocable. Mais elle ne pouvait pas vivre en attendant une fin définitive à tout cela. Elle voulait profiter comme elle pouvait, se lancer de nouveaux défis; des défis débiles, irraisonnables, effrayants, paralysants. Et oui, lorsqu'elle avait ce charmant monsieur apporter son annonce au stand de tir, elle s'était trouvée un intérêt soudain pour le kickboxing. Peut-être qu'elle pourrait apprendre à se défendre elle-même dans la rue et arrêter de compter sur la majesté de Spirit pour défendre ses arrières, après tout. Peut-être même qu'elle pourrait faire des démonstrations de force dans les dîners mondains auxquels Bianca était conviée; nul doute qu'entre deux coupes de champagne et un petit four, cela ferait sensation.

Mais bon, elle n'en était pas encore là. Si elle arrivait à ne pas finir en hypoxie voire en anoxie, ce serait bien le premier miracle auquel elle pourrait s'accrocher. Et dans l'état où elle était, elle était même venue à se demander si elle n'était pas asthmatique. Ce serait bien la première qu'elle en développerait les symptômes, tiens. Mais peut-être qu'à son âge, elle pouvait encore avoir ce genre de surprises, qui sait... En tout cas, ce n'était clairement pas ce jour-là et avec un seul cours qu'elle réussirait à laisser de côté sa maladresse. Cette dernière resterait à ses côtés pendant un moment encore, apparemment. « Oh merde, je m'excuse. Ça va aller ? » Son professeur semblait particulièrement confus d'avoir réussi à la mettre KO avec une bouteille d'eau. Entre deux inspirations désespérées, à l'appel de la moindre particule d'oxygène, Cordelia s'apprêtait à répondre que tout allait bien et qu'il faisait seulement connaissance avec son côté malhabile. Mais Deacon semblait dans un bien meilleur état -en tout cas, il avait encore toutes ses capacités -lui-, dont celle de parler sans avoir à s'y reprendre à trois fois. « Je crois qu'il est cassé, ton nez... » Delia eut un hoquet d'étonnement et porta la main à son nez, lâchant de vagues mots dans une phase de désespoir qui sembla lui coûter la moindre force qui lui était restée jusque-là. « Tu crois qu'il faut........ appeler les urgences....... ou....... un MÉDECIN LÉGISTE ? » Peut-être d'ailleurs que l'état de son nez y était pour quelque chose dans la chute de l'efficacité de ses inspirations. Elle allait mourir défigurée. Bianca serait la seule dans ce bas-monde à encore se promener avec ce visage-là. Ses sourcils dansaient la danse de l'inquiétude épuisée. Elle ne voyait pas de sang sur sa main. C'était une fracture qui n'avait impliquée aucun vaisseau sanguin, alors. C'était propre, dites donc. Et Robert, lui, semblait assez bien lire les réactions de Delia. Sans attendre davantage, il avait pris le parti de démentir sa première supposition. « Non non, je plaisante - ton nez est en aussi parfait état que quand tu es rentrée ici. T'es rendue une quasi experte du kickboxing maintenant de toute façon, ce n'est pas une petit bouteille d'eau en vol libre qui peut t'endommager le visage. Non madame! T'es maintenant une vraie de vraie dure à cuire! Tes joues sont même capables de torde les plus acérés des couteaux! Crois-moi sur parole, hein, ne le tentes jamais s'il te plaît. » S'approchant de lui au rythme que le reste de ses jambes lui permettait d'atteindre -#snailpower- Delia émit quelques rires saccadés par son essoufflement. « T'es aussi décourageant que déprimant...... Mon premier but sera de survivre à une....... de tes séances....... d'ailleurs j'ai vu des pompes funèbres....... en venant ici. Vous avez un partenariat ? » Peu à peu, elle reprenait son souffle. Elle l'aimait bien, ce mec. Peut-être parce qu'elle s'en voulait de paraître aussi ridicule devant lui alors qu'ils se connaissaient à peine, en fait. Il semblait lui pardonner son manque de capacités physiques et sa maladresse, ce n'était pas rien. Mais en fait... Il avait un côté encourageant qu'elle n'avait jamais réellement eu la chance de connaître auparavant. On ne lui avait jamais menti; dans sa famille, on l'avait toujours un peu prise pour une débile. Elle n'avait pas eu de bourse pour aller à la fac -officiellement-, ce qui avait fait d'elle une paria dès son adolescence. Elle ne regrettait pas vraiment sa décision, pourtant. Elle ne voulait pas être jugée sur ce genre de critères classiques. Elle n'était pas bête, et elle le savait, c'était le principal. Tout ne se comptait pas au nombre de zéros sur le chèque de votre salaire ou la longueur de votre CV. Delia tentait de s'en persuader, même si elle ressentirait toujours ce manque... celui d'avoir laissé passer une opportunité qui aurait changé sa vie du tout au tout. Elle aurait pu finir astronaute, qui sait. Depuis lors, sa famille n'avait fait que la suivre de loin, prétextant qu'elle savait se débrouiller. On se moquait de ses accomplissements, parce qu'elle n'avait pas fait d'études comme Wilson ou Bianca, parce qu'elle n'avait pas été à la hauteur de ses propres rêves et de ceux que son père physicien avait développé pour elle. Les encouragements, elle se les était souvent répétés à elle-même. Quelques fois, Bianca avait participé, mais de tous ces milliards d'êtres humains qui peuplait notre planète bleue, elle avait été la seule à se supporter de A à Z, à connaître ses mensonges et ses prétextes, ses peurs et ses faiblesses, ses envies et ses regrets. Et aujourd'hui, c'était à cette personne qu'elle voulait prouver que rien n'était impossible. Et Robert semblait être le mieux placé pour l'aider dans cette démarche.

Mais pour le moment, elle n'avait besoin que de trois choses, de ces trois éléments dont chaque être humain avait besoin pour survivre : respirer, ce qu'elle recommençait à faire avec un rythme relativement stable et correct; boire, ce qu'elle venait de faire, assoiffée; et fumer, ce pour quoi elle venait de demander l'autorisation à son professeur. Car oui, si Delia ne se gênait aucunement pour fumer chez elle ou dans son bureau, elle connaissait les bonnes manières. Elle était accueillie chez Deacon, et ce ne serait peut-être pas très bien vu si elle empuantait les lieux. « Pas de problème pour la cigarette : on reprendra dès que t'auras terminé. » Elle leva les yeux vers les pales qui tournaient au-dessus de leurs têtes. Lentement -#snailpower-, elle se dirigea vers le coin de la pièce où elle avait laissé ses affaires. Elle récupéra une Winston dans son paquet ainsi que son briquet, alluma la cigarette et retourna s'installer près de son professeur. « Je t'ai pas demandé, t'en veux une ? » Elle doutait que ce sportif fumait, mais peut-être avait-il un vice caché, qui sait... Elle porta sa cigarette à ses lèvres, savourant chaque taffe comme elle avait savouré chacune des gorgées d'eau qui avait suivi le désastre. De son côté, il ne cessait de se départir de compliments à son sujet. « Arrête, tu rigoles, t'es née pour faire du kickboxing. Je te le jure! Aucun de mes autres élèves n'a saisi aussi rapidement la technique des gestes. Le dieu du kickboxing va pleurer sa vie si tu abandonnes maintenant. » Était-elle sa seule cliente ? « Tu sais, je compte pas mettre fin à ces cours pour l'instant. Pas besoin de me caresser dans le sens du poil », rit-elle en soufflant de la fumée vers les pales salvatrices. « En plus, j'ai entendu une tonne d'histoire d'horreur de gens qui perdent un œil en faisant du crochet. Voir même de diaphragme perforé. Non, crois-moi, t'es beaucoup mieux ici, avec moi et mes bouteilles d'eau en plastique. » A nouveau, elle rit. Elle semblait définitivement avoir retrouvé une respiration qui lui permettait ce genre d'extravagances. « Ne doute pas de mes capacités, je suis sûre que je serais capable de me crever les deux yeux. L'un en essayant de regarder la progression de mon travail de près, le second en essayant de porter secours au premier. » Elle haussa les épaules. « Tes bouteilles d'eau, c'est des copines. » Elle porta sa main à son nez, brièvement, pour vérifier... pour vérifier quoi ? Qu'il était toujours là ? Je sais pas, vous avez vu un nez par terre, vous ? Mais à dire vrai, Delia préférait ne pas s'attarder sur sa maladresse. Elle n'en avait pas honte, mais de là à dire qu'elle en était fière, il y avait tout un monde. Un jour, peut-être, serait-elle douée au kickboxing, mais à l'heure actuelle, cela semblait se rapprocher d'une hypothèse digne d'une histoire de science-fiction. A présent, Delia fumait en silence. Elle se demandait si ce qu'elle était en train de se faire subir était vraiment nécessaire. Lui n'avait jamais du avoir une élève comme ça, très certainement, même de là à lui faire de tels compliments... Elle en souriait maintenant, perdue dans ses pensées. « Comme bien des choses, pratice makes perfect » reprenait Robert, poursuivant avec de sages paroles donc Cordelia s’imprégna malgré elle. Son regard bleuté s'était relevé vers le visage de son instructeur à mesure qu'elle comprenait la direction que prenait son discours. « On passe tellement de temps dans notre tête, à notre époque. À tenter de comprendre notre place dans ce monde, figurer notre avenir, nos relations humaines... » Elle pencha la tête, le regardant d'un air hagard, ses traits dessinant presque une grimace dont elle était interloquée par ce qu'il venait de dire. Il l'avait eue. Elle était toute ouïe, qu'elle le veuille ou non. C'était presque un réflexe. Il prenait vraiment cette voie-là ?

Et bien, qu'il la prenne. A présent calme, presque apaisée par ce qu'il lui disait, Cordelia ne l'interrompit pas. Elle souriait malgré elle, approuvant tacitement ce qu'il disait. Ce mec, elle l'appréciait de plus en plus. Peut-être qu'elle ne l'égorgerait pas pour tout ce qu'il lui avait fait subir, finalement. Elle ne prit la parole que lorsqu'elle fut sûre qu'il avait fini. « Je... » commença-t-elle, hésitante, peu habituée à s'exprimer sur ces choses-là. Elle avançait, elle ne parlait pas, ne restait pas sur des sentiments incontrôlés et considérés comme inutiles. « Je... pense qu'on est tous un étranger pour soi-même. Je sais même pas si c'est notre corps, notre vrai problème. » Elle marqua une brève pause, se remémorant dans un réflexe désagréable tout ce qu'elle s'était interdit en pensant suivre la meilleure voie qui lui était offerte. « Etre capable de se surpasser physiquement c'est aussi se prouver une certaine force mentale, une force de caractère. J'aime ton moteur. C'est une raison suffisante pour te porter là où tu es. » Elle se tut un instant, et, plus légère, demanda : « Et ce corps avec lequel tu te réconcilies pendant tes entraînements, il te fait jamais de mauvais coups ? Genre te donner l'impression qu'il va te lâcher ? » Elle rit, se demandant si elle aurait jamais l'opportunité de considérer le sport comme il le considérer : une façon de se dépasser et de rester en accord avec soi-même coûte que coûte. « Et rassure-toi, t'as pas l'air bizarre. Si je commençais, je pense que je m'arrêterais plus, et t'aurais tellement peur que tu me laisserais même plus rentrer chez toi. » Elle sourit et quitta le mur contre lequel elle était adossée jusque-là pour s'asseoir juste à côté de Deacon, sur sa table. « T'inquiète, j'ai tué personne. » Pendant quelques instants, elle se tût, continuant inlassablement à tirer sur sa cigarette et à souffler la fumée vers le plafond et les pales. C'est lui qui, avec ses dernières questions, la força à mettre des mots sur ce qu'elle voulait exprimer à son tour, lancée par le courage qu'avait eu son interlocuteur de le faire lui-même. Elle avait souri, doucement, en l'entendant énumérer les différentes options qui lui semblaient vraisemblables. Puisant son courage dans la dernière latte de clope qu'elle avait inspirée, la rousse releva son visage vers celui de Deacon, plantant son regard dans le sien. Elle y cherchait sans doute un peu de bravoure supplémentaire, mais aussi sans doute la moindre réaction de sa part. Elle ne voulait pas être jugée. « On se met des barrières pour bien trop de choses. Et une fois que les occasions sont passées, elles ne reviennent pas. Chacun d'entre nous, en tant qu'individus, on s'interdit des trucs par peur de ne pas être assez bien, pas assez compétent, pas assez méritant ou pas assez couillu. » Elle fit glisser ses fesses sur la table jusqu'à se retrouver debout. D'un geste de la main, désignant son mégot, elle lui demanda où elle pouvait l'écraser. « Pour une fois, je veux me prouver que je suis capable de quelque chose. Je m'en fous des connasses, des cons du quartier... Je veux juste entrer en compétition contre moi-même. » Elle haussa les épaules, et avant d'aller écraser sa clope, elle lui sourit en lui tendant sa main gauche. « Pas de monsieur Hoogendijk. » Par réflexe, elle jeta un coup d'oeil à l'annulaire de Robert. Elle arqua un sourcil surpris. « Divorcé ? » Ou peut-être veuf, ce n'était donc pas le moment de faire des blagues. Elle retourna récupérer sa bouteille d'eau et retourna s'installer près de la table, s'asseyant par terre, en tailleur, devant lui -moi difficile pour ses muscles que de se hisser sur la table. « Tu peux me laisser encore souffler deux minutes, s'il-te-plait ? » le supplia-t-elle avec un regard de chien battu. « Si tu me dis un secret, je te dis un secret. »

Bon, d'accord. Peut-être qu'elle aurait pu retourner sur le ring, là, maintenant, tout de suite. Mais Robert Deacon n'était plus que son professeur, il était quelque chose d'autre en plus. Les réflexions de l'homme étaient arrivées sans qu'elle puisse les prévoir, et pourtant, elles avaient eu un drôle d'effet sur elle. Peut-être qu'elle n'était pas la seule à s'infliger de tels jugements envers elle-même...
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyLun 3 Aoû 2015 - 18:57

"Comment t’as su pour moi et le mec des pompes funèbres ? On la pensait solide, notre combine. D’ailleurs, nous voulions te parler d’un possible partenariat – parce que ouais, ça pas mal plus simple –et plus rapide- de flinguer quelqu’un que d’attendre qu’il meurt au bout de ses poumons! Alors t’en dis quoi ? Tiers-tiers-tiers, partenaire ?"

Il accepta avec joie la cigarette que lui tendit Cordélia. Redevenir fumeur social faisait partie des privilèges de sa petite escapade. Il se sentait littéralement comme un adolescent en fugue. Tu parles d’une jolie progression sur le chemin de la vie.

Il la regarda venir le rejoindre sur la petite table de fortune, conscient et content de la facilité avec laquelle le courant entre eux deux. Déjà au stand de tir, ça avait été simple. En même temps, Rob n’était pas spécialement le plus farouche des hommes, pour autant que l’on ne portait pas son égo à fleur de peau. Dans tous les cas, se trouva là, dans son gym, à discuter de métaphysique soft et sens de la vie tranquille, entre deux rondes de « boxe », ça lui faisait tellement de bien. Il ressentait les pièces de l’engrenage de sa vie se mettre en place et harmonieusement s’actionner les unes les autres.

"Non, mon corps se porte à merveille, et je l’en remercie à chaque jour. J’ai un pote à l’hosto, mon beau-père commence à faire un peu de Parkinson et franchement, je me considère béni. Bon après, il reste le récif de la quarantaine qui commence à se profiler au loin, mais j’ai encore un peu de temps pour m’y préparer. Non, moi, ce qui me lâche constamment, c’est ça. "

Il se tapota la tempe de l’index à trois ou quatre reprises, question d’incriminer sa tête.

Il lui rendit son regard avec attention lorsqu’elle entreprit de lui parler de barrières.

"Amen. Tu m’étonnes, par contre. Tu me sembles une femme d’affaire accomplie, savoir ce que tu veux et comment y parvenir. J’aurais pas crû que t’étais le genre qui cherchait encore à se prouver quelque chose ? Même que si j’avais eu parié, j’aurais dit que tu étais plutôt du genre à les accumuler, ces accomplissements. Gravir le Kilimandjaro, faire un trekking de deux mois en Patagonie suivit d’une traversée de l’Antarctique en raquette et de l’Atlantique en kayak. "

Il indiqua du menton un vieux pot de café instantané vide qu’il avait reconverti en poubelle d’occasion, juste à côté de la table.

Il regarda machinalement sa main gauche lorsqu’elle lui demanda s’il était divorcé. La marque de sa bague, bien entendu. Comme à chaque fois qu’il repensait à Barbara, il ne put s’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Autant lorsqu’il se trouvait à Washington, il ne voyait plus que ce que sa relation l’empêchait d’être que maintenant, il ne pouvait s’empêcher de repenser constamment à tout ce qu’elle lui apportait. Saloperie de retour du pendule…

"Nan, pas exactement… "

Il tâchait de demeurer détaché, mais…

Fuck, il vivait avec cette femme depuis quasiment 10 ans. Demeurer détaché ? Elle valait mieux que ça.

"Elle a accouché de notre enfant, il y a deux semaines. À DC. Un petit garçon. J’ai freaké. J’essaye encore de comprendre ce qui se passe… Et naïvement, je pense encore que taper dans un sac de sable va m’y aider... "

Sans plus. Pas d’excuses, pas de circonstances atténuantes, pas de tentatives de sauver la face. Rien que la vérité crue et laide. Un beau gros concentré de ce qu’il avait de plus horrible à offrir. Comme s’il avait besoin qu’on le juge sévèrement. Comme si cela allait atténuer sa culpabilité.

Au moins, ça n’allait pas l’accentuer…

Il regarda Cordélia avec insistance, comme si il attendait d’y voir le dégoût qu’il espérait.

Finalement, ce fut lui qui craqua le premier. Il reposa les pieds au sol et fit dos à sa cliente alors qu’il jeta son propre mégot et qu’il entreprenait de se bander machinalement les mains, avec la minutie et l’aisance née de l’habitude, pour chasser le malaise et les souvenirs. Parce que oui, pour le prochain round, il allait taper lui aussi.

Il jeta un regard par-dessus son épaule.

"Ne t’inquiète pas : je vais simplement faire prochaine routine avec toi. Pour que tu voies les mouvements et que je t’accompagne dans l’enfer dans lequel je t’entraîne. Question de professionnalisme. "
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyMar 4 Aoû 2015 - 5:33



« Alors t’en dis quoi ? Tiers-tiers-tiers, partenaire ? » Delia souriait, essuyant au passage sa nuque, encore trempée par l'effort. « J'en suis », répondit la rousse avec un sourire malicieux, s'imaginant déjà les bénéfices que cette nouvelle affaire pourrait leur rapporter. « Sauf t'es un agent du FBI sous couverture. Dans ce cas j'en suis pas, et... », elle continua en exagérant chacune de ses paroles, amusée de son hypothèse, « oh, tuer, c'est mal. C'est pas bien. » Elle hochait la tête, les yeux grand ouverts, pour donner plus d'effet encore à ce qu'elle disait. Oui, tuer, c'est mal. Mais étrangement, depuis qu'elle avait arrêté de donner des coups, prête à rendre son dernier souffle à chaque moment, elle se sentait un peu plus à son aise. Et puis, il fallait dire qu'en dehors du fait d'avoir retrouvé un peu d'oxygène, il se trouvait que discuter avec Rob Deacon était loin de relever de la torture sociale. Ce mec en avait dans la tête, et elle aimait ça. Peut-être même l'avait-elle compris sans totalement le réaliser lorsqu'il avait déposé son affichette au stand. Après tout, elle ne se serait probablement pas lancée dans une aventure pareille si son futur professeur ne lui inspirait pas un minimum confiance. Pourtant, maintenant, à y réfléchir une ou deux secondes... peut-être que c'était encore un peu plus que de la confiance comme celle qu'elle aurait pu accorder à sa coiffeuse. Elle s'en rendait à présent compte au vu de la tournure que prenait la conversation. Ils ne discutaient pas de la météo, du dernier épisode de la série star d'HBO ou de leurs dernières photos instagram. Ils avaient une vraie conversation. Une vraie conversation.

Parce que oui, depuis le tout début, la vie de Cordelia avait été tracée. Elle était née dans une famille aisée, avait vécu dans les beaux quartiers de Philadelphie, fréquenté les écoles privées les plus réputées de Pennsylvanie. Elle avait reçu la meilleure éducation possible, ses parents n'avaient jamais manqué à leurs devoirs de parents : ils lui avaient offert tout ce dont une petite fille de son âge avait pu avoir besoin. Elle n'avait jamais manqué de rien, et puisqu'elle évoluait dans la sphère très privée d'une élite limitée, il semblait évident, dès le départ, qu'elle suivrait ce chemin tout tracé qui lui était prédestiné. Pourtant, de toute sa famille, elle avait été la seule à partir dans une autre direction, vers un truc un peu improbable que son éducation ou son environnement n'aurait pas pu prévoir. Delia était une perdante. Depuis toujours, elle avait été une perdante en attente de victoires, apprenant peu à peu  à se battre et à accepter les échecs. Même si elle se forçait coûte que coûte à s'accrocher à des idées de meilleur, elle ne se rendait pas réellement compte que la vie lui défilait sous les yeux. Elle avait trente-cinq ans et vivait encore la vie d'une jeune femme perdue, attachée à ses repères d'adolescente effrayée par la vie. Elle voulait croire qu'elle était plus que ça, que les années l'avait forgée, mais dans des moments comme celui-là, où elle se remémorait sa vie, son passé, mais surtout ses choix, elle finissait toujours par déchanter. Quelque part, elle avait l'impression de retrouver cette espèce de mélancolie en son interlocuteur, et, tout à fait égoïstement, elle se sentait un peu moins seule. « J'espère que ton pote à l'hôpital va bien quand même ou, si c'est pas le cas, que ça s'arrangera. » Se pinçant la lèvre avec un petit sourire, elle continua sur ce qu'elle savait être une blague un peu mal placée. « Mais eh, si c'est ton beau-père, au moins t'as pas hérité de sa génétique ! » Elle pouffa et, inlassablement, tira une énième latte de cigarette. Mais il avait particulièrement raison sur un point : avec la quarantaine qui approchait, tous les deux pouvaient relativiser. Ils n'étaient pas si vieux que ça, même si Delia avait tendance à penser l'inverse. « La mémoire ? » tenta-t-elle avant de réaliser un peu plus tard qu'il s'agissait sans doute plutôt d'une certaine forme d'attention. « La tête, c'est la pire. C'est celle que tu veux nourrir pendant toute ta vie, et elle te fait toujours défaut à un moment ou un autre. Parce que t'es jamais foutu de retenir un numéro de téléphone par cœur, parce que t'as pas appris ce que tu voulais, parce qu'elle t'a fait mal réagir dans une situation inadaptée... » Elle souffla sa fumée vers les pales qui tournaient au-dessus d'eux. Elle l'écoutait, fuyant involontairement son regard alors qu'il confessait l'image qu'il s'était faite d'elle jusqu'à présent. A cet instant précis, même si elle appréciait sa conversation avec son professeur, elle aurait aimé se cacher dans un coin ou tomber dans les pommes, juste pour ne pas avoir à répondre. Les accomplissements, elle ne les accumulait pas, elle les fuyait. Ou plutôt, ils la fuyaient, non ? C'est toujours la faute des absents, de toute façon. « Non... non, pas du tout », se contenta-t-elle de répondre, presque gênée d'avoir à avouer qu'elle n'était rien de ce qu'il s'était imaginé. Elle était endettée sur des dizaines d'années depuis qu'elle avait acheté le stand, et à trente-cinq ans, elle louait, sur Pacific Lane, un appartement de jeune célibataire. Mais bon, puisque célibataire, elle l'était... y avait-il seulement un réel problème ? « Mais je suis honorée que tu penses ça de moi, en tout cas », ajouta-t-elle sur le ton de la plaisanterie, bien décidée à ne pas se laisser abattre. Contourner les regrets, elle faisait ça depuis des années, alors pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Elle jeta sa première cigarette dans le pot que lui avait désigné Robert. « Je suis pas une aventurière, mais tu pourras peut-être faire de moi une femme qu'on embête pas dans la rue », sourit-elle pour conclure, sans même se rendre qu'elle s'était davantage confiée à lui lorsqu'il avait parlé de lui.

Sans se douter qu'elle allait toucher là une corde sensible, elle demanda ensuite très simplement s'il était divorcé. La marque de bronzage laissée par un anneau ne trompait pas : il avait été marié un moment. Ou alors il s'était marié à Las Vegas, était sorti dans le désert du Nevada pendant deux jours, le temps de bien bronzer, puis avait fait annuler le mariage. En tous les cas, ce n'est qu'au moment où il reprit la parole que Delia se rendit compte qu'elle avait sans doute gaffé. Elle s'était immiscée à une place qui n'était absolument pas la sienne. Et lorsqu'il expliqua le pourquoi du moment, elle se sentit encore plus bête. Elle était allée trop loin, elle avait été trop inquisitrice. Non, mais, cette marque sur son doigt n'attendait que ça, qu'elle posa la question, non ? Pourtant, ça ne lui viendrait pas à l'idée de demander, au détour d'un cimetière, en croisant quelqu'un habillé en noir des pieds à la tête, s'il y avait eu un mort. La logique a ses raisons que la raison ignore. Pourtant, et malgré la stupidité qu'elle ressentait à cet instant, Delia ne lui jeta aucun regard malveillant. Elle se contenta de poser une main sur l'épaule de Deacon, et se moquait bien là d'avoir un potentiel geste déplacé. « On parle du baby blues pour la mère, mais on oublie souvent les pères », dit-elle, se sentant encore plus stupide -si seulement c'était possible. « T'as l'air de penser que t'es un monstre... » Il la força à sa main sur son genou en se levant. « Si on doutait jamais de rien, la vie serait tellement plus simple, tu crois pas ? » lâcha-t-elle finalement en allumant sa seconde cigarette. « Et maintenant, tu doutes du fait de douter, et tu t'en sors pas. » Elle le regardait rouler des bandes autour de ses mains, signe de deux potentiels faits : soit il était victime de TOCs, soit il comptait aussi se défouler pendant la suite de leur entrainement. « Rien n'est évident, c'est ça, c'est comme ça. » Il finit par lui jeter un regard, lui annonçant la suite du programme. « T'es sûr que c'est ça ? » Elle se leva, un bras sous sa poitrine, l'autre portant sa cigarette à portée de lèvres. « Tu vas pas me tuer ? Parce que tu sais, si c'est ça, notre accord des 33% tient plus. » Oui, ça se voyait probablement comme le Soleil de Mars, mais elle essayait de détendre l'atmosphère. « Et puis, pas besoin de ça pour m'achever. Un coup de pied dans le tibia et j'appelle mon père en pleurant. » Ah oui, non, pas sa mère. « J'ai jamais fait de testament. On peut remettre mon assassinat à notre prochain cours, plutôt ? »

(j'ai essayé de me lancer le défi de ne pas copier tes dialogues, j'espère que ça rend pas un truc dégueulasse et que ça va *-*)
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyMer 9 Sep 2015 - 23:50

Il ne savait pas à quoi il s’était attendu exactement. Qu’elle le gifle, par esprit de vengeance fémininement solidaire face au du geste que Barbara n’avait pas eu l’occasion de poser? Qu’elle dégaine un 9mm (surprise!) de sa botte pour lui mettre une balle dans les couilles ? Ou peut-être le traitement plus cold, le retour à une conversation froidement polie et sans contenu. Elle n’en fit rien. Un ‘c’est ta vie, bro’, je juge pas, c’est pas ma place. T’avais sûrement tes raisons’. Tout comme Keith. Et ça l’enrageait. Y’a personne qui s’intéressait aux pauvres mères abandonnées dans cette ville ? C’était quoi ce délire ?

Il était venu ici pour confronter ce qu’il y avait de pire en lui, et il ne trouvait même pas quelqu’un pour lui reconnaître sa faiblesse.

Il aurait peut-être avantage à se procurer un miroir plutôt que de tenter de se regarder dans le blanc des yeux d’étrangers.

"Ouais... le doute… une belle saloperie…  "

C’était plus que ça. C’était le vide. La mort. L’amour. Les souvenirs. Le moment présent. L’avenir. Le bien et le bien mieux. Un monde où les possibilités explosent. Où un homme transgenre né femme peut distribuer des photos érotiques de lui en tant que shemale pour payer l’éducation de ses deux fils, l’un corréen, l’autre rwandais. Où choisir une porte équivaut à en fermer 7.3 milliards.

Posant le regard sur la main compatissante posée sur son épaule, puis dans celui de sa cliente, il fut habité par l’intime conviction qu’elle le comprendrait s’il lui faisait part de ses tourments. L’impression était tellement forte qu’il dut lutter contre l’impulsion d’aller de l’avant. Au lieu de quoi, il baissa la tête sur un sourire de gratitude pour l’empathie de Délia. Même s’il ne la méritait pas.

"Dis-moi, t’as déjà songé faire psycho ? Enfin, psychologie, j’entends, pas psychopathe. On discute depuis à peine vingt minutes, sur le terrain même où je joue au mâle alpha, et déjà, je commence déjà à raconter mes p’tits secrets comme une jouvencelle à qui on donne un cooler! T’as du talent, ça c’est clair. "

Ça, ou Rob avait le cœur qui débordait de quelque chose, sur une base d’amalgame entre le pétrole et mélancolie, qu’il ne parvenait pas à gérer.  

"Bah ouais, écoute, si tu préfères claquer la semaine prochaine, moi ça m’arrange en fait. Mon congélo est encore plein de bouts de cadavres. "

Il fit mine de lui lancer les deux mitaines d’entraînement qu’il portait lui-même lors de la première partie de l’exercice, avant de se raviser et de les déposer sur la table. De se remettre à l’activité principale derrière leur rencontre allait lui éviter de trop faire déborder sa vie privée.

"Pour la petite partie technique. Après, promis, c’est toi qui recommence à cogner. Où tu pourras te venger de ma mesquinerie. Ouais ouais, t’as bien compris. Parce qu’il faut que tu sois insultée, pas honorée, que je t’ai comparé au creux modèle moderne de la femme forte. J’sais pas quand gravir une montagne par plaisir est devenu une marque d’accomplissement. Mon grand-père à défricher sa terre quasiment à mains nues. Ça lui a pris deux ans, sans arrêt, sans week-end, and it was pretty common shit back then. "

Rob prit une corde à danser et exécuta quelques petites manœuvres pour activer son rythme cardiaque en attendant que Délia finisse de se préparer. Le thump thump gagnait en intensité, ses poumons se réveillaient, ses muscles s’exclamaient « Enfin! ».

Chacun sa drogue.

"On va travailler sur ton crochet. Il faut que tu recrutes tout ton torse lorsque tu le lances. "

Il s’exécuta à quelques reprises, de la droite puis de la gauche, dans des mouvements à demi-vitesse se terminant par un impact léger sur les mitaines tendues de Délia.

"C’est la rotation de ton torse et de ton épaule qui lui donne sa force, tu vois ? "

Quelques autres répétitions, toujours douces sans être molles.

"Tu dois recruter le plus de muscles possibles, qu’ils transmettent leur force jusqu’à ton poing. C’est ça le secret. "

Il s’exécuta à nouveau, puis, satisfait, repris une posture inerte.

"Cool ? On va compliquer un peu les choses maintenant. Garde les mitaines, et enchaîne un jab, jab, crochet, front kick, puis tu te mets en posture défensive et je ferai de même, et ainsi de suite. T’inquiètes pas pour moi. Allez, on commence lentement, et on en fait une petite vingtaine. Et on se concentre sur le crochet. Jab. Jab. Crochet. Bien! Front kick. Mon tour. "

Des gestes mécaniques, répétés encore et encore, qui trouvaient leur force et leur sens dans leur harmonie. Une harmonie aussi simple que merveilleuse, et plus évidente qu’’elle n’y parait.
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyJeu 17 Sep 2015 - 2:11



En se décidant à prendre des cours de kickboxing, quelques jours plus tôt, Delia s'était attendue à sortir des sentiers battus. Elle savait très bien qu'elle allait quitter sa zone de confort, et, quitte à être franche, c'était ce qu'elle recherchait par-dessus tout. Jusqu'ici, elle n'avait eu aucune utilité d'une quelconque capacité à frapper quelqu'un, et elle ne voyait pas un changement de profiler de sitôt à ce sujet. Peut-être que cela arriverait un jour, mais ce n'était présentement pas le débat, et ce n'était en aucun cas ce pourquoi elle avait pris la décision de se lancer dans cette aventure. Elle avait suivi un coup de tête, il fallait bien l'admettre. La Cordelia de deux semaines auparavant aurait sans doute bien ri à l'idée de se voir frapper quelqu'un ou quelque chose, même dans ce contexte. Elle n'était pas violente, Cordelia. Si on l'emmerdait, elle préférait répliquer avec toute la pugnacité, la spontanéité et le bon sens qui la caractérisaient. Pas besoin des poings. Elle n'avait jamais eu besoin d'eux pour se faire respecter. D'ailleurs, peut-être que les choses auraient mal tourné si la violence physique avait été une des voies empruntées dans ses heures de gloire de manager. Elle n'avait pas été élevée dans cette optique-là. On avait attendu d'elle une distinction qui ne correspondait pas à ce genre de violence, et c'était sans doute pour cette raison qu'elle se retrouvait maintenant, à trente-cinq ans, coincée entre le besoin de se découvrir elle-même et celui de rester fidèle à celle qu'elle avait toujours été. Pourtant, même si en venant chez Deacon, elle s'était bel et bien attendue à faire face à un monde qui lui était totalement inconnu, elle ne s'était en aucun cas imaginée échanger ce genre de conversations avec son professeur. Ils étaient rencontrés brièvement quelques jours plus tôt, et Delia lui avait presque aussitôt fait confiance -sinon, selon tout bon sens, elle n'aurait sans doute jamais mis les pieds ici. Sa tête lui était revenue, et même si c'était sans doute bien léger comme critère de confiance, elle avait trouvé le trentenaire respectable. Pourtant, en venant ici, elle ne s'était pas imaginée à un seul moment partager ce genre de conversations. Au mieux, ils auraient parlé honoraires, techniques d'endurance et d'attaques, prochain cours et équipement adéquat, mais voilà... ils se retrouvaient maintenant à partager, sans doute malgré eux, des choses bien personnelles. Des choses qu'en temps normal, Delia s'efforçait de laisser de côté, de négliger jusqu'à ce qu'elles disparaissent dans un nuage de déni bien confortable. Pourtant, de manière détournée, elle en venait à présent presque à se confier à un total inconnu...

Mais il en faisait de même, et c'était peut-être ce qui lui donnait encore plus confiance. Ils se comprenaient. Sans trop savoir comment ou pourquoi, d'ailleurs; mais ils se comprenaient. Leur vie était faite de regrets et de remords, de décisions qu'ils auraient aimé prendre ou ne pas prendre, de directions qu'ils essayaient de changer tant bien que mal, de combats contre eux-mêmes qu'ils ne semblaient, ni l'un ni l'autre, encore proches de gagner. Alors oui, Delia le comprenait. Elle n'était rien ni personne pour juger la décision qu'il avait prise, celle de laisser sa femme et son bébé derrière lui. Elle avait bien laissé ses propres rêves sur le bas-côté, juste par peur d'échouer ou par peur de perdre l'attention et l'affection de sa sœur, de qui elle avait alors mis les rêves sur un piédestal. « Ouais... le doute… une belle saloperie… » Malgré tout notre bon sens, la raison n'avait parfois rien à faire dans les grandes décisions de notre vie. Elle revenait vous hanter, plus tard, mais sur le coup, elle jouait à cache-cache avec toutes ces peurs qui vous paraissent bien trop réelles et sensées, et elle perdait pour laisser place à ces dernières. C'était la peur qui les avait guidés, l'un comme l'autre. Et c'était sans doute cette peur qui les réunissait aujourd'hui, au détour d'un entrainement de kickboxing. « Comme tu dis », approuva-t-elle, dépitée, repensant elle-même à tout ce qui aurait pu être différent dans sa vie. « Mais il est jamais trop tard, hein ? » Elle essayait de se rassurer autant qu'elle essayait de le rassurer lui. A trente-cinq ans, pourtant, il était sans doute trop tard pour prendre des virages à l'opposé de tout ce qu'ils avaient construit jusqu'à présent, doutes ou pas. Quoiqu'il fasse, Robert était marié, et père. Quoiqu'elle fasse, Delia était un échec qui tentait de garder la tête hors de l'eau tant bien que mal. Il pouvait toujours divorcer, elle pouvait toujours commencer des études. Mais l'histoire ne pouvait pas être réécrite. Ils devraient faire avec ceux qu'ils étaient devenus, avec l'idée chimérique de réalités parallèles où ils avaient fait les bons choix, de multivers dans lesquels ils étaient à présent si différents de ce qu'ils étaient dans ce monde-ci, épanouis comme ils ne le seraient sans doute jamais ici. Perdue entre ces pensées moroses et l'idée d'un lendemain un peu moins dégueulasse, Delia ne releva pas que le regard de Rob' avait fui le sien. « Dis-moi, t’as déjà songé faire psycho ? » l'interrompit-il dans ses pensées. Elle le regarda, curieuse. « Enfin, psychologie, j’entends, pas psychopathe. On discute depuis à peine vingt minutes, sur le terrain même où je joue au mâle alpha, et déjà, je commence déjà à raconter mes p’tits secrets comme une jouvencelle à qui on donne un cooler! T’as du talent, ça c’est clair. » Le sourire de Delia s'étira, signe qu'elle était de retour dans le monde réel et le déni qu'elle côtoyait tant. Si j'avais fait des études, j'aurais fait des vraies sciences, pensa-t-elle en réalisant à peine qu'elle dénigrait les sciences sociales et comportementales avec la même condescendance que celle dont était capable le Dr Sheldon Cooper. « Psychopathe, ça en jette plus sur un CV, non ? » Malicieuse, elle le regardait à présent avec reconnaissance. Ils se connaissaient à peine, mais leur relation était basée sur la confiance et le respect, la gentille et la bienveillance sans détours. Il savait fidéliser ses élèves, il n'y avait pas à dire. « En tout cas, ça en jette plus que jouvencelle », se moqua-t-elle, amusée par la comparaison qu'il avait utilisée. Il ne s'en était peut-être pas rendu compte, mais Delia, elle aussi, était allée dans cette conversation bien plus loin qu'avec n'importe qui d'autre. Elle s'était confiée sans doute plus que ce qu'il devinait. « Bah ouais, écoute, si tu préfères claquer la semaine prochaine, moi ça m’arrange en fait. Mon congélo est encore plein de bouts de cadavres. » Dans un réflexe bizarre, Delia tendit les mains devant elle, prête à accueillir des mitaines qui trouvèrent finalement leur place sur la table à côté de Rob. « Tu me fais pas confiance pour les rattraper ? » s'amusa-t-elle en repensant à sa réception assez limitée de la bouteille d'eau, quelques minutes plus tôt. « Tu vas organiser des dîners entre amis d'ici-là, c'est ça ? » demanda-t-elle très sérieusement, se concentrant à l'idée de reprendre l'entraînement. Il allait sûrement finir par devoir l'emmener aux urgences, vu son état physique. Hésitante, elle le regarda annoncer la couleur de ce qui allait suivre, à présent aussi rassurée qu'avant leur pause, se demandant une nouvelle fois si elle avait pris la bonne décision. Elle allait peut-être finir dans le congélo de son professeur, après tout. Lorsqu'il aurait fait du tri entre les bons et les mauvais morceaux de ses élèves. « C'est un accomplissement malgré tout », répondit-elle en se mettant à sautiller sur place de façon ridicule, juste pour se rassurer, se donner un peu de contenance, et réchauffer un peu ses muscles, qui avaient sans doute profité de leur pause pour se rendormir. « Dans l'ère dans laquelle on vit, je crois que faire le moindre travail physique ou intellectuel est un accomplissement. A force d'être assistés par la technologie... » Elle laissa sa phrase en suspend, se demandant soudainement ce que pourrait être son plus bel accomplissement. « Tu vois, si je ressors d'ici vivante ce soir, ce sera déjà un accomplissement pour moi. Chacun ses capacités et ses défis... » soupira-t-elle en réalisant qu'elle voyait beaucoup trop petit, depuis beaucoup trop longtemps. Elle était ridicule. Robert lui-même devait la trouver ridicule. Une trentenaire en quête de reconnaissance; il devait en croiser souvent, des femmes dans son genre, coincées dans leur vie et désireuses de vivre quelques extravagances avant d'être trop ratatinées pour quitter leurs canapés, fauteuils roulants, ou autres conforts modernes. Voilà, elle était une trentenaire comme une autre. Sauf qu'elle était ratée au point de ne suivre aucun schéma traditionnel : elle n'était pas mariée, elle n'était pas mère, ou même tante adulée par un neveu ou une nièce que lui aurait donné Bianca ou Wilson. Non, eux deux non plus n'étaient pas parents. Mais eux, ils avaient une bonne excuse. Eux, ils excellaient dans ce qu'ils faisaient. Eux, ils étaient la fierté de la famille Hoogendijk, ceux que mentionnaient sans aucun doute leurs parents à leurs amis, à Philly, lorsqu'il s'agissait de vanter les accomplissements de leurs enfants. Elle se contentait, tant que possible, de faire avec ce qu'elle avait. Elle était submergée par les dettes, accablée par l'échec que représentait la reprise du stand de tir. Il marchait plutôt bien, mais pas autant qu'espéré. Et Cordelia, à trente-cinq ans, vivait dans un petit appartement miteux, bien loin des standards auxquels sa famille l'avait habituée dans sa jeunesse. Oui, Cordelia était une déception, le vilain petit canard de la famille, la sœur qui rassure sur ses propres réussites...

Le regard attristé, la rousse l'observa quelques instants, alors qu'il s'échauffait, de son côté, avec sa corde à sauter. Que faisait-elle là ? Elle était un échec. Et ce cours ne ferait que lui prouver une nouvelle fois : à trop s'écarter de ses habitudes, elle ne ferait que confirmer qu'elle n'était bonne qu'à manager quelques inconnus, dans un commerce divers, comme des milliers d'autres personnes pourraient le faire à sa place. « On va travailler sur ton crochet. Il faut que tu recrutes tout ton torse lorsque tu le lances », annonçait Deacon. S'approchant de lui pour reprendre l'entraînement, elle s'efforça de se concentrer. Peut-être qu'elle pouvait limiter les dégâts et le ridicule. Elle attrapa les mitaines, qu'elle enfila rapidement, avant de venir se poster face à lui. Il allait la dégommer. Il était un tas de muscles auquel elle était loin de pouvoir faire concurrence. Elle resta droite comme un piquet, accueillant chacun des coups portés par le brun avec détermination. Elle l'observait, curieuse, faisant attention à chacun de ses gestes, plus apeurée d'une quelconque douleur que réellement victime d'un moindre picotement. Il était doux dans ses gestes, professeur parfait qui savait allier démonstrations techniques et méthodiques d'une part, et accessibilité d'autre part. Jaugeant chacun de ses gestes et recueillant chacun des coups avec flexbilité, elle écoutait les conseils de son professeur avec attention. « C’est la rotation de ton torse et de ton épaule qui lui donne sa force, tu vois ? » Elle acquiesça d'un signe de tête, se mordant la lèvre, partagée entre la résistance réflexe qu'elle imposait à ses poings et la concentration qu'elle s'imposait pour ne manquer aucun détail des gestes qu'il lui exposait. « Tu dois recruter le plus de muscles possibles, qu’ils transmettent leur force jusqu’à ton poing. C’est ça le secret. » Le plus de muscles possibles... c'était un coup à se choper une crampe, ça, non ? Elle hocha la tête, signe qu'elle avait compris les consignes, et regarda une dernière fois la démonstration du trentenaire. Il arrêta finalement de montrer l'exemple, expliquant la suite de l'exercice à une Delia à l'air grave, appliquée et tendue par l'exercice. « T’inquiètes pas pour moi », entendit-elle au milieu de ses explications, lui arrachant un sourire amusé. « Je m'inquiète plutôt pour ton congél... » lâcha-t-elle en fronçant les sourcils, réunissant là toutes ses forces pour attaquer avec le plus de conviction possible. Jab, jab, crochet, front-kick. Elle tendit les poings devant elle, attendant qu'il prenne la suite. Ils répétèrent les mouvements à plusieurs reprises. Au fur et à mesure, Delia gagnait en assurance autant qu'elle perdait en capacité respiratoire. Ses attaques se faisaient plus affirmées, plus nettes, mais aussi plus fatiguées. Elle profitait des moments où elle recevait les coups pour reprendre son souffle tant bien que mal.

Au bout de longs moments d'efforts, au moment où elle aurait du reprendre l'enchaînement à son tour, elle laissa retomber ses bras contre son corps. « Peut-être que... tu devrais juste m'apprendre à réceptionner les coups... » lâcha-t-elle pour se redonner la contenance, réalisant qu'elle devait être encore plus pitoyable que ce qu'elle avait imaginé. Elle releva les bras, tentant de se convaincre elle-même qu'elle pouvait se dépasser, et lança un jab mollasson contre le poing de son entraîneur. « Je suis sûre que je suis ta meilleure élève », ironisa-t-elle en continuant l'enchaînement avec plus d'hésitation et de lenteur, sentant son palpitant s'exciter dans sa cage thoracique, la sueur perler sur son front et ses tempes, ses doigts se crocheter dans ses mitaines, et son souffle tenter de se régulariser avec une naïveté sans limites.
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyLun 26 Oct 2015 - 20:39

Sentant sa partenaire d’entraînement puiser dans ses dernières réserves, il ralentit le tempo, jusqu’à cesser complètement toute manœuvre hostile. Il n’était pas là pour faire d’elle une Rocky Balboa rousse qui s’intéressait plus aux Adriens qu’aux Adriennes (quoique, savait-on jamais.. ?). Il était là pour elle. Parce qu’il avait besoin de pognon pour se nourrir; parce qu’elle cherchait quelque chose qui valait toutes les heures qu’elle investissait dans son stand de tir.

"Tu ne me croiras pas, mais t’es ma meilleure. "

En même temps, il n’y avait en tout et pour tout que 4 personnes qui avaient sollicité ses services. Mais ça, elle n’avait pas besoin de le savoir. Et puis, cette notion de « meilleur » s’accompagnait d’un certain degré de flexibilité dans son interprétation, non ?

"Quand j’étais jeune, y’a une histoire qui m’a complètement fascinée. C’était l’histoire d’une tortue qui coursait contre Hercules, ou un autre de ces grecs en speedo qui faisaient n’importe quoi mieux que n’importe qui. Bon joueur, Hercules a laissé la tortue prendre un kilomètre d’avance. Mais lorsqu’il s’apprêtait à s’élancer à sa poursuite, il a été assaillit par le doute. Parce que lorsqu’il aurait parcouru la moitié de la distance qui le séparait de la tortue, la tortue, elle, aurait avancé de quelques mètres. Lorsqu’il aurait franchit la moitié de cette nouvelle distance qui le séparait de la tortue, elle aurait encore avancé de quelques mètres, et etc. De sorte qu’il ne lui aurait jamais été possible de rattraper la tortue : parce que chaque fois qu’il atteindrait l’endroit où la tortue se trouvait, elle se trouverait déjà un peu plus loin. C’est tout con en fait parce que même si on sait qu’Hercules va éclater la tortue, on se retrouve tout bête pendant un certain temps devant cette histoire. Jusqu’à ce qu’on réalise que le problème est dans le référentiel. Dans l’angle avec lequel on pose le problème.  "

Le paradoxe de Zénon, le vrai, celui mettant en scène Achille, l’avait effectivement fortement impressionné durant son adolescence. Marrant comment, malgré toutes ses barrières, il s’était laissé dire de quel point de vue il devait regarder sa vie s’écouler devant lui. Il se doutait bien qu’il n’aurait pas le même impact sur Délia, mais peut-être suffirait-il à lui faire comprendre que le problème ne réside pas toujours dans la réalité, mais dans la représentation sous laquelle nous l’examinons.

Une idée sur laquelle il allait décidément devoir méditer un peu plus tard.

"Sinon, je t’avais dit que parmi mes nombreuses et diverses occupations professionnelles, j’écris des cartes de vœux pour Hallmark ? Je me spécialise dans les mots de funérailles, bien sûr…  "

Il marqua une courte pause, avant de poursuivre.

"Tu te débrouilles mieux que ce que j’espérais, pour être honnête. "

Il leva défensivement les mains, réalisant le sous-entendu involontaire de ses propos.

"Allez, tu me fais deux séries de plus, avec tout ce qu’il te reste, et je te laisse aller à la douche. "

Il parlait comme s’il possédait le plus gros complexe sportif de la ville, et non un vieil entrepôt moisi où la seule douche ne possédait aucune paroi et se trouvait dans la pièce sans mur qui lui servait de chambre. Yup. La grande classe.

"Go go go, Délia, pas d’excuses, pas d’hésitation. Ton corps sait quoi faire maintenant. Jab, jab, crochet, front kick. Allez, plus qu’une dernière fois. You got this, Psychopath Maiden. Jab. Jab. Crochet. Front kick. That’s it. You did it.  "

Un sourire irrépressible naquit sur ses lèvres. Une sensation qu’il n’était pas certain de comprendre.

Qu’est-ce que cela disait sur sa vie, qu’il ressente une telle fierté d’apprendre à une inconnue à frapper dans le vide ?
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyMar 27 Oct 2015 - 4:21



Cordelia aurait pu garder ses quelques dollars pour ses besoins personnels, ou même pour les investir dans son stand de tir. Ce n'était pas les occasions de les dépenser qui lui manquaient, au contraire. Elle vivait toujours dans un petit appartement sur Pacific Lane, dont elle était locataire, alors que sa sœur possédait une grande villa dans les quartiers huppés de la ville. Sans parler de son grand appartement sur Los Angeles... Cordelia était définitivement une ratée. Elle se demandait parfois quels choix avaient pu la faire basculer de ce côté-là. Car si certains pouvaient blâmer les circonstances et la chance, Delia, elle, était à mille lieues de pouvoir leur reprocher quoi que ce soit. Elle était la seule de sa famille à être à côté de ses pompes; la seule, à trente-cinq ans, à être aussi perdue qu'elle l'avait été lorsqu'elle passait son examen final au lycée. Et à chaque fois qu'elle y pensait, elle en revenait à cette seule et unique conclusion : ce dossier qu'elle avait caché dans sa table de chevet, dans sa chambre d'enfant, à Philly, aurait pu changer sa vie. Dans une dimension parallèle, peut-être, dans un multivers insoupçonné, elle était peut-être docteur en astrophysique. Dans cet univers-là, elle vivait une vie aisée, comme le reste de sa famille, et ne se faisait pas snober par une mère qui vantait constamment le succès de son fils aîné et de l'une, seulement, des deux jumelles. Dans cet univers-là, son père serait réellement fier d'elle, parce qu'elle était allée au bout de ses rêves, et que ces rêves-là étaient devenus des projets concrets, des études, un métier, une situation stable, respectable. Dans cet univers-là, elle était professeur à l'université de Philly, dans le département d'ingénierie mécanique, auprès de son père, qui était devenu son éminent collègue. Alors, pour toutes ces Delia là, la Delia de notre univers était heureuse. Mais pour celle qu'elle était ici, elle avait de la peine. Pourquoi s'évertuait-elle à vouloir se surpasser, alors qu'elle se rendait pourtant compte du ridicule des situations dans lesquelles elle se fourvoyait ? Avant de venir ici, ce soir, elle s'était posée des dizaines de questions. Pourquoi s'était-elle engagée là-dedans ? Pourquoi avait-elle répondu à une annonce pareille, alors qu'elle ne s'était pas imaginée, quelques jours plus tôt à peine, toucher au kickboxing ? Ses économies, elle aurait pu les mettre dans le stand, qui coulait doucement, à petits flots. Elle aurait aussi pu finir son mois en étant un peu plus à l'aise, offrir quelques gâteries à Spirit, s'offrir une nouvelle paire de chaussures. Et pourtant, ces dollars-là partaient dans... un cours de kickboxing.

Pourtant, elle avait la hargne. Alors qu'elle continuait ses enchaînements face à un Rob qui se montrait, il fallait bien l'avouer, assez indulgent dans le rythme que ses mouvements imposaient, Delia était à des années lumières de penser à tout ça. Son esprit semblait s'être évadé, bien loin de tous ces tracas-là, ceux qui l'embêtaient déjà bien suffisamment le reste du temps. Peut-être que ces cours-là étaient un bon investissement, finalement. Peut-être qu'ils allaient changer plusieurs choses dans sa vie, et peut-être qu'elle aurait enfin l'impression de maîtriser un axe de sa vie. C'était bizarre, comme sensation, en fait. Physiquement, elle était au bord de l'agonie. Elle se demandait comment ses jambes arrivaient encore à la porter, et où elle puisait cette force qui faisait encore mouvoir ses poings dans la direction du blond. Mais dans sa tête, c'était une liberté soudaine, totale. Exit ses histoires au stand de tir, exit les problèmes de son quotidien, et tous ces tourments ancrés plus profondément en elle. Tout s'était fait plus léger... sauf ses membres. C'était totalement paradoxal, mais ça n'en était pas moins agréable. D'autant que, alors que c'était très rarement le cas, Delia se sentait parfaitement en sécurité, en confiance. C'était probablement inexplicable, d'ailleurs. Rien ici n'était réellement destiné à la rassurer, de prime abord. Elle était recluse dans un coin de son quartier qu'elle connaissait à peine, et dans un entrepôt, qui, il fallait l'avouer, ferait un parfait décor pour une scène de crime. La seule présence humaine qui l'accompagnait, c'était celle de Robert, un homme qu'elle ne voyait que pour la seconde fois. Là où elle aurait sans doute été un peu plus alarmée dans d'autres circonstances, elle se retrouvait dans une drôle de plénitude. Les effets de ces bizarreries qu'étaient les endorphines, sans doute. Elle ne les avait pas rencontrées depuis longtemps, bien trop longtemps. Et même si elle était à bout de souffle, même si elle s'imaginait aussi rouge que la jolie Mars, même si elle était à deux doigts de s'écrouler, même si Rob ralentissait le tempo, trahissant sa sollicitude... elle était dans un état biologique qui n'avait rien pour lui déplaire.

« Tu ne me croiras pas, mais t’es ma meilleure » répondit-il en allant dans son sens, sans doute pour l'encourager. Suffocante, elle réussit à répliquer, avec un faible sourire crispé par l'effort. « Je suis... ta seule... élève, c'est ça ? » Elle pencha la tête, marquant une brève pause dans ses mouvements, les poings tendus dans le vide. « Mais si t'en as deux, alors, je prends le compliment. Je vais pas faire la fine bouche, même si c'est juste des encouragements... » Elle haussa les épaules et repartit à l'attaque. Ses gestes se faisaient plus assurés, plus fluides, plus marqués. Elle l'écoutait avec attention, fixant les poings de son professeur alors qu'il racontait son anecdote. Delia souriait d'un sourire discret et involontaire. Elle avait entendu cette histoire quelques années auparavant, mais n'aurait pas été capable de redonner des noms précis. Elle se souvenait d'une course de ce paradoxe des suites infinies... « Au début, j'ai cru que t'allais me parler du lièvre et de la tortue... » rit-elle en lançant son poing vers lui, en toute simplicité. Elle était prête à lui faire une remarque sur le ralentissement de cadence, mais elle n'en avait pas la force. Qu'est-ce que cela pouvait bien dire sur cette fameuse cadence et sa légitimité à le réprimander pour sa bienveillance ? « Un peu comme les rayons solaires qui nous grillent en plein espace, mais qui sont beaucoup plus cléments sous notre atmosphère... » ne put-elle s'empêcher de lâcher. Plus ils partageaient, plus elle sentait une drôle de connexion s'établir entre eux. Ou plutôt, plus elle se sentait proche de lui, car il serait présomptueux de sa part d'affirmer la réciproque. Il venait d'aborder des termes mathématiques, et avait donc atteint un point faible de la rousse. Il venait de trouver un intérêt tout nouveau pour elle -bien qu'il n'en était pas dénué auparavant pour autant. Mais si les sciences, et plus particulièrement les sciences physiques, représentaient encore tout pour elle et sa vie de scientifique inexistante, trouver quelqu'un qui pouvait aussi y faire allusion au détour d'une conversation était pour elle un petit bonheur qu'elle ne connaissait finalement que peu. Ce n'était pas souvent que des inconnus s'échangeaient leurs pronostics pour le prochain prix Nobel de physique, ou discutaient de la légitimité de la théorie des cordes et de ces nouveaux multivers qu'elle sous-entendait. Même s'ils n'en étaient pas installés sous les draps, dans sa chambre, à regarder de la porno des sciences physiques -équations de Maxwell, par exemple, de quoi bien prendre son pied-, c'était pour Delia un petit bonheur qu'elle appréciait. Elle savait pourquoi elle se sentait en sécurité, ici. Parce que peu importait l'état de l'entrepôt ou le fait qu'elle ne connaisse finalement que peu son professeur... il dégageait quelque chose qui lui inspirait confiance. C'était assez rare pour être souligné et apprécié. Peut-être qu'elle se trompait sur toute la ligne et qu'il mangeait des chatons au petit déjeuner, mais cette option était bien loin de ses idées. « Il faut prendre du recul sur nos propres idées... » conclut-elle en soufflant comme un bœuf, sans cesser ses mouvements. « J'aime cette idée. Mais si c'était si facile, personne serait vraiment coincé avec lui-même. Et on est souvent notre propre ennemi, je pense... » Oups. Si elle en avait eu la force, elle se serait mordu les lèvres. C'était le genre de choses auxquelles elle pensait assez souvent, mais elle ne les avait jamais réellement dites. Et c'était bizarre, de l'entendre. Surtout de sa voix. Ça le rendait plus réaliste, plus concret, et même plus logique. « Sinon, je t’avais dit que parmi mes nombreuses et diverses occupations professionnelles, j’écris des cartes de vœux pour Hallmark ? Je me spécialise dans les mots de funérailles, bien sûr… » Elle n'était plus très loin de défaillir. Mais elle puisa dans ses réserves d'énergie pour lever son regard, amusé, vers celui du blond. « Sérieux, c'est un métier ? » La délicatesse d'une étoile qui exploserait en supernova. « Tu m'aurais dit voleur de petites cuillères... ou serial killer, ok... » Elle commençait à voir trouble, mais ne comptait pas s'arrêter là. Elle était forte, elle était tenace, elle était une Hoogendijk, et elle ne pouvait pas se faire honte ici aussi. « Tu la puises où..., ton inspiration ? Dans les cimetières... il doit y voir des petits mots tout faits, non ? »

Elle allait tomber dans les pommes. Elle allait se ridiculiser, comme d'habitude. Il allait l'aider, parce qu'il était comme ça, parce qu'il était gentil et attentionné, mais elle n'oserait même plus remettre les pieds ici. Elle vendrait le stand de tir pour qu'il ne la retrouve pas, et il ne faudrait pas qu'elle oublie de changer de numéro de téléphone aussi... « Tu te débrouilles mieux que ce que j’espérais, pour être honnête. » Heu... Elle ne bougeait plus. Et c'est sans doute à ce moment précis qu'elle réalisa que son état était encore plus critique que ce qu'elle avait pensé jusque-là. Le sol tournait autour de ses pieds, et les murs autour de sa tête. Elle titubait légèrement, mais souriait. « C'est vrai ? » Elle s'avança de lui pour sauter de joie en le tenant par les épaules, mais s'écroula contre lui. Elle s'accrocha à lui comme si elle le serrait et ne cessait de sourire. Elle s'écarta presque subitement, car, après tout, la sueur était mieux gardée pour soi-même que partagée. « Eh, mais... ça veut dire que tu pensais quoi... de moi ? » Elle avait arqué un sourcil, les poings sur les hanches, piétinant sur place pour ne pas tanguer. Et visiblement, elle faisait plutôt bien illusion, puisqu'il comptait terminer le cours deux séries plus tard. Elle allait mourir.

Mais, tenace, Delia persistait. Et reprendre était bizarrement moins désagréable que l'arrêt complet. L'appel de la douche, peut-être. Elle n'allait sûrement pas pouvoir remettre ses talons pour rentrer, mais personne ne la verrait sans doute porter ses baskets avec sa jupe de tailleur, n'est-ce pas ? Elle pourrait appeler Bianca pour qu'elle vienne la chercher, mais elle était à LA. Zut. « Go go go, Délia, pas d’excuses, pas d’hésitation. Ton corps sait quoi faire maintenant. Jab, jab, crochet, front kick. Allez, plus qu’une dernière fois. You got this, Psychopath Maiden. Jab. Jab. Crochet. Front kick. That’s it. You did it. »

YOU DID IT.

Robert était un tortionnaire, mais un tortionnaire qui savait encourager, il n'y avait pas à dire. Avec lui à ses côtés, Hercule n'aurait pas douté un seul instant de ses capacités à doubler la tortue. Le paradoxe ne serait jamais né, et le grec qui l'avait pointé du doigt n'aurait jamais eu sa page wikipédia.

Elle leva les poings en l'air, heureuse d'avoir vaincu. Vaincu quoi, elle ne savait pas trop. Elle se laissa tomber à terre et s'allongea pour reprendre son souffle. Elle ne pouvait plus tomber plus bas. Elle était dans une posture qu'elle détestait : ce n'était pas très ladylike, de s'allonger sur un sol poussiéreux, les jambes écartées, les cheveux et le visage trempés de sueur. « Il est où, Saint-Pierre ? » demanda-t-elle gravement, reprenant doucement son souffle, sa vue se faisant de moins en moins trouble. « Je vais pas en enfer, hein, je suis rousse, je supporte mal la chaleur... » Bon, elle était morte, ou pas, alors ? « T'as parlé d'une douche ? » demanda-t-elle finalement en se hissant sur les coudes avec un sourire de quiétude. Décidément, ces endorphines... Elle se redressa pour s'asseoir en tailleur et ôta ses mitaines. « Sérieux, t'écris des cartes de deuil ? »
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyMar 16 Fév 2016 - 23:01

" Qu’est-ce que t’as l’air de dire, « Je suis ta seule » ? Tu crois que mon offre n’attire pas plus d’intérêt que cela ? Des clients, j’en ai tellement que je dois en refuser à la tonne, pour me concentrer sur mes meilleurs prospects. En l’occurrence, toi…. "

En fait, il y en avait une seconde femme qui l’avait contacté il y a quelques jours de cela. Mais hey, il n’était ici que depuis quelques jours, c’était pas mal.

Elle enchaîna ensuite sur un élément qui vint résonner en lui : que nous sommes souvent notre pire ennemi. Du coup, il manqua ne pas réceptionner le jab de Délia, et parvint à le cueillir dans sa paume juste à temps pour ne pas le recevoir dans l’œil.

Le reste de l’entraînement se poursuivit sans encombre – spécialement pour lui, en fait, parce qu’une fois la dernière série achevée, elle s’écroula littéralement au sol. Curieusement, Rob ressentait une immense fierté que sa « protégée » soit parvenue à se rendre jusqu’au bout. Elle peinait manifestement depuis un bon moment, mais n’avait pourtant jamais abandonné. Il avait l’impression d’avoir assisté à quelque chose de beau, à une démonstration de force caractère, et cela le faisait sourire.

" T’as pas d’âme, la rouquine. Tu ne verras ni St-Pierre, ni l’enfer. Par contre, tu finiras pas retrouver ton lit, et tu te croiras au paradis, crois-moi."

Valait mieux ne pas lui parler de demain.

Il hocha gravement la tête lorsqu’elle revint une nouvelle fois sur cette histoire de cartes funèbres.

" Il n’y a pas de sot métier. Mon plus grand succès, c’est « In loving memory”. Simple et puissant. Bien humblement, c’est un plus gros hit que le dernier disque d’Adèle, aussi fameux soit-il."

Il tendit la main pour récupérer les gants de Délia, pour ensuite aller les déposer sur la table avec les autres équipements.

" Oui, il y a une douche au deuxième. Je peux te refiler une serviette et une savonnette neuve. Par contre, tu vas peut-être me trouver pauvre en produits capillaires… Et je te préviens que c’est plutôt spartiate comme emménagement. Mais il y a de l’eau chaude. "

Spartiate, le mot était faible : il avait traficoté la plomberie pour se connecter à un ancien gicleur dans un des coins de la grande pièce carrée et sans murs qui lui servait de loft, remplacé le dit gicleur par un pommeau de douche et installé un drain sous le dit pommeau de douche. Le tout contrôlé par deux robinets plantés dans le mur, à une bonne distance du tout. Pas de délimitations, par de parois de plexiglass, rien. Au moins, sa limitait les risques de tomber sur des poils dans la douche.

Et son loft était dans un ordre très relatif.

En même temps, ce qu’il avait à cacher, c’était ses actions, pas ses possessions.

Il monta chercher le nécessaire, en profita pour envoyer la majorité de ses affaires dans le coin opposé à la douche, puis revint vers Délia.

" Voilà, tu devrais tout avoir pour une petite récompense bien méritée. Prends tout le temps dont tu as besoin. Je vais traînasser ici jusqu’à ce que tu redescendes. "

Il s’occupa en ramassant quelques trucs, et en passant la serpillère là où ils s’étaient entraînés.

Ce faisant, il ressassait cette idée d’être son pire ennemie. Cet éternel conflit entre des désirs, des besoins et des envies contradictoires, mal perçus et mutuellement exclusifs. Ces différents « nous » qui ont tous une vision différente de ce qu’est la meilleure décision à prendre. Cette interminable lutte pour trouver le point d’équilibre d’un système en constante oscillation.

Et lutter contre soi-même lorsque vient le temps de rebrousser chemin.

**********


Lorsque Délia redescendit, Rob se trouvait assis sur une table, le dos appuyé contre un mur, les genoux remontés. Tenant son portefeuille ouvert, il se perdait dans la seule photo de famille qu’il possédait. La seule avec son garçon dans le portrait. Il referma le portefeuille dès qu’il s’aperçut de la présence de sa partenaire.

" Alors, ça a été ? Ça fait du bien ? Je suis vraiment désolé, la section vestiaire de mon gym n’est encore qu’une notion très vague… "
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyMer 24 Fév 2016 - 1:04



Fidèle à elle-même, Cordelia s'était promis de se surpasser, d'être meilleure que juste bonne. Elle n'était pas ici pour se prélasser ou se détendre; elle avait appelé Robert pour qu'il lui apprenne le kick-boxing, le vrai kick-boxing. Pas de celui réservé aux femmes réservées ou victimes des codes sociaux. Elle n'avait pas peur de ressortir d'ici avec quelques hématomes, les poings endoloris ou des ongles cassés. Elle était là pour se prouver à elle-même qu'elle était capable d'autre chose que d'accumuler les échecs et les semi-victoires. Elle avait besoin de se savoir apte à apprendre de nouvelles choses et à découvrir des domaines dans lesquels Bianca n'était pas déjà passée reine. Elle en avait marre d'être normale et moyenne, marre d'être trop peu ou trop mauvaise. Elle voulait se prouver qu'elle était peut-être autre chose, qu'elle pouvait accomplir des défis à mille lieues de sa zone de confort. Le professeur à qui elle avait à faire n'était que du bonus. Elle aurait été prête à tomber sur le pire d'entre eux, sexiste et violent, grossier et insensible. Pourtant, Robert n'avait rien à voir avec ce profil désagréable. Peut-être qu'en le voyant poser son annonce au stand de tir, Cordelia avait stocké son sourire dans un coin de son subconscient... mais elle préférait croire qu'elle s'était confiée au hasard le plus total; c'était encore plus gratifiant. « Qu’est-ce que t’as l’air de dire, « Je suis ta seule » ? Tu crois que mon offre n’attire pas plus d’intérêt que cela ? Des clients, j’en ai tellement que je dois en refuser à la tonne, pour me concentrer sur mes meilleurs prospects. En l’occurrence, toi… » Un sourire étira les lèvres de la rousse. Ce n'était pas faux, il avait de quoi retourner sa remarque contre elle. Pourtant, elle ne s'en démonta pas. « Oh, quand je t'ai appelé, t'as reconnu directement à ma voix que je serais un élément extraordinaire ? » Elle le taquinait, malicieuse. En réalité, elle ne savait même pas s'il avait réalisé dès ce moment-là de qui il s'agissait. Ils s'étaient brièvement croisés au stand, mais avait-il reconnu sa voix au téléphone ? S'était-il attendu un seul instant à ce que la patronne d'un stand de tir en ruine souhaite suivre ses cours ? « J'aime que tu me rendes si exceptionnelle... » rit-elle avant qu'une brume ne vienne ternir son regard. « Même si j'en crois pas un mot... » Elle avait presque soufflé. Il avait sans doute mieux à faire qu'entendre ses états d'âme. Tout le monde avait mieux à faire que de les écouter. Même un psy se préparerait une raclette en l'écoutant. Cordelia n'arrivait pas à croire une seconde qu'elle puisse être un bon élément. Peut-être parce qu'elle n'avait jamais été habituée à cette position ou à de quelconques accomplissements ou félicitations, mais sans doute aussi parce qu'une minute passée à lancer des coups la mettait dans un état proche de la crise d'asthme fatale. Elle frappait, soufflait difficilement, continuait à frapper, lançait des poings et des coups inégaux. Pour autant, elle n'en perdait pas ses remarques. Déconseillé, sans doute, de parler dans une telle situation. Mais face à un professeur comme Rob', elle était incapable de rester de marbre. Elle fut surprise par la réception de l'un de ses coups en réponse à sa réflexion. Elle avait failli écraser son poing dans l’œil du brun, qui avait retenu le coup juste à temps. De toute façon, elle ne lui aurait probablement pas fait grand mal. Même en réunissant toute sa force, elle en serait physiquement incapable. Après tous les efforts qu'elle avait fait, elle était même devenue incapable de laisser ses propres jambes la porter...

« T’as pas d’âme, la rouquine. Tu ne verras ni St-Pierre, ni l’enfer. Par contre, tu finiras pas retrouver ton lit, et tu te croiras au paradis, crois-moi. » Était-il en train de l'encourager ? Cordelia s'accrochait à l'idée désespérée d'aller jusqu'au bout de la séance sans s'évanouir, mais chacun de ses muscles semblait lui envoyer des signaux de détresse. Elle sentait ses cheveux qui s'étaient collés à la sueur de son visage, tandis que la régularité de son souffle s'était fait la malle avec tout espoir de parvenir dans un état correct à l'issue de ce cours. « Moi, pas d'âme ? Je me fais pas payer pour torturer les gens... » grogna-t-elle, commençait à se faire amère sous la torture de l'entraînement. « Au pire, j'ai jamais aimé l'idée de rester coincée à un endroit spécifique. Surtout pas là où il fait trop... chaud... » Où arrivait-elle à puiser la force nécessaire pour répondre alors qu'elle continuait de suffoquer comme un bœuf ? Nul ne pouvait savoir. « ou... les nuages... trop près du soleil... » C'était peut-être pour ça que les roux étaient considérés dépourvus d'âme : une virée aux enfers leur serait fatale, mais le paradis ne leur profiterait pas plus. Ils seraient trop près des ultraviolets, CQFD. « J'aime... mon lit... » avec Spirit qui bavait à ses côtés et une pizza entamée, la télé criant des banalités d'astrophysique -qu'est-ce qu'un trou noir ? C'était ça, le vrai paradis. Avec un homme nu à ses côtés, ce serait du bonus -un luxe sur lequel elle ne cracherait pas pour autant. « Il n’y a pas de sot métier. Mon plus grand succès, c’est « In loving memory ». Simple et puissant. Bien humblement, c’est un plus gros hit que le dernier disque d’Adèle, aussi fameux soit-il. » Éclatant d'un rire rauque, lle arqua un sourcil en lui tendant ses gants. « Les hits d'Adele, c'est juste pour les enterrements... les mots, ça s'inscrit sur les cartes et les pierres tombales. Ça reste. Félicitations... Je connaissais ton hit avec de te connaître. » Elle rit à nouveau avant d'ajouter : « Il y a l'équivalent des Grammys pour ceux qui écrivent des cartes ? »

L'instant était des plus agréables. La conversation était douce et rassurante, comme si le professeur et l'élève se connaissent depuis bien longtemps. Et puis, Delia reprenait peu à peu son souffle... Elle avait essuyé la sueur de son front d'un revers de bras, mais elle était loin de trouver ce geste suffisant. C'était d'une douche, dont elle avait besoin. « Oui, il y a une douche au deuxième. Je peux te refiler une serviette et une savonnette neuve. Par contre, tu vas peut-être me trouver pauvre en produits capillaires… Et je te préviens que c’est plutôt spartiate comme emménagement. Mais il y a de l’eau chaude. » Elle qui n'était pas habituée à faire du sport s'en voulait maintenant de ne pas avoir amené ses propres affaires. Elle allait devoir piquer des serviettes et du savon à Robert, qui prenait à présent plus un rôle d'hôte de bnb que de professeur de kick-boxing. « T'as de l'après-shampooing ? » tenta-t-elle malgré tout alors qu'il était monté préparer son spa. Ses longs cheveux lui pardonneraient difficilement l'absence de leur apport traditionnel de silicones. Il redescendit de l'étage quelques instants plus tard, l'invitant à aller se doucher. Tout l'y attendait. « Merci, cher hôte », le gratifia-t-elle avec un sourire en attrapant ses vêtements de ville et en montant à son tour.

L'allure de ce qui servait de salle de bain la fit rapidement déchanter. Le loft n'avait rien de ceux qui étaient réaménagés par les bobos en mal de nouveautés, et la douche ne dérogeait pas à la règle. En se déshabillant, Delia n'avait pas quitté du regard l'espace qui servait de douche et l'installation qui se dressait face à elle. C'est prudente qu'elle démarra la douche, restant sur le côté jusqu'à être sûre de ne pas se jeter sous de l'eau gelée ou brûlante.

Quelques minutes plus tard, elle redescendait aux côtés de Robert, les cheveux trempés mais rhabillée de son tailleur de patronne, tâché d'eau par endroits. Elle posa son sac au sol et, les bras croisés, s'approcha de Rob', qui était installé sur une table. « Alors, ça a été ? Ça fait du bien ? Je suis vraiment désolé, la section vestiaire de mon gym n’est encore qu’une notion très vague… » Les pieds encore nus, Cordelia sentit l'humidité du sol les empêcher de sécher. Il avait du nettoyer; avec le temps qu'elle avait mis là-haut, il en avait très certainement eu tout le loisir. « Si t'avais pas été en bas, je me serais sûrement endormie sous l'eau chaude... » La promiscuité de la douche avait finalement été loin de la déranger; seul le confort de cette douche avait compté. « Et toi ? » Elle s'était arrêtée devant lui, les bras croisés, ses cheveux dégoulinant encore sur ses vêtements propres. « La douche t'intéresse pas ? Je t'ai épargné au point que tu n'en aies pas besoin ? » Doucement, elle se tourna pour s'asseoir aux côtés de Robert et s'adosser au mur à son tour, fermant les yeux quelques instants, plus que relaxée par cette longue douche qu'il venait de lui accorder. « Alors ? Tu voudras bien de moi pour un deuxième cours ? » sourit-elle sans soulever ses paupières. Elle n'était toujours pas prête à abandonner ce projet-là. « Tu auras toujours un peu de temps à accorder à ton élève exceptionnelle ? »
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyMer 24 Fév 2016 - 16:21

" Si je n’avais pas été en bas, j’aurais été en haut, dans cette grande pièce où rien ne permet au doucheur de conserver ne serait-ce qu’une once de pudeur. Je ne connais pas tes mœurs, certes, mais mon petit doigt me dit que les voyeurs ne t’encouragent pas au sommeil. "

C’était amusant de la voir redescendre en miss businesswoman, comme une grande juriste ou un requin de la finance. Sans chaussures ni bas. Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

" Moi ? Je suis un coach de kickboxing. Je ne fatigue jamais. Je n’ai jamais mal. Je fais toujours tout parfaitement. Je reconnu la hargne et le talent brut uniquement au son de la voix des gens. J’ai toujours une savante insulte à la bouche. Mais surtout, je ne sue jamais.  "

C’était tout aussi amusant de la voir prendre légèrement ses aises et s’installer près de Rob. Dans ce genre de relation de service, on ne sait jamais vraiment sur qui on va tomber. Et en quelque part, il se flattait qu’elle ne se soit pas empressée de lever les pattes sur un hâtif « merci-bonsoir ». Ça lui donnait l’impression qu’il était parvenu à la toucher. À connecter avec elle. Et c’était ça, un vrai coach.

" Nan, en fait, moi, j’ai l’immense privilège d’habiter ici à temps plein, tu vois. Je vais donc discuter tranquillement avec toi jusqu’à ce que tu me dises aurevoir, puis je vais me déboucher une bière, finir de nettoyer, appeler tous mes potes pour les mettre en garde contre cette furie rousse qui possède un stand de tir et décoche des jabs plus rapidement que son ombre, puis aller me doucher. J’suis un homme vraiment occupé, comme tu peux le voir. "

C’était amusant de voir ses cheveux roux encore dégoulinant. Comme si elle tentait de partir trop rapidement.

Un filtre de moins entre eux deux.

" Je m’excuse, j’ai dû oublié de mettre mon séchoir dans ma valise. C’est bête en plus, parce que je ne pars habituellement jamais sans. Même quand je vais au dépanneur. "

Rob tourna la tête vers elle, pour constater qu’elle conservait ses paupières closes. Il ne put s’empêcher de sourire, en se demandant si elle allait finir par s’endormir sur cette table.

" Hey, un lien sacré nous unit, maintenant. Et je ne parle absolument pas de ce bassement terre-à-terre échange financier où tu me paies pour mes services, et qui me donne vaguement l’impression d’être un escorte, présenté comme ça. Que nenni! Te lâcher, je ne ferai pas, tant que là où tu dois être, tu ne seras pas.  "

Il ne savait pas trop si son interprétation très libérale de Yoda allait passer dans le vide et le dépeindre comme un espèce de maniaque.

C’était par ailleurs plutôt amusant de prétendre qu’il pouvait aider quelqu’un à devenir ce qu’elle devait être. Considérant que lui-même ne possédait même plus la moindre notion de comment parvenir à se réaliser…

" De toute façon, je dois te garder dans mes filets jusqu’au prochain RIP Awards. Ouais, les RIP Awards : les Grammys des cartes funèbres. T’es la femme la plus respectable que je côtois  – enfin, lorsque t’as accès à de l’après shampooing, et pas seulement à du deux-en-un. Et j’aurais l’air d’un parfait loser si je m’y pointe tout seul, sur le tapis noir. Surtout que j’suis en nomination pour trois prix cette année : meilleure nouveauté –sourire larmoyant, meilleure prose- texte long profond, et best in show. Ouais, je sais, comme dans les concours canin. Je le dis à l’Académie depuis des années, que c’est un nom de merde…"

Il mentionna le tout avec le plus grand sérieux du monde. Comme il le faisait avec toutes les sujets les plus farfelus qui lui passaient par la tête.

Il désigna du menton les pieds nus de Délia.

" On dirait quelqu’un qui n’est pas spécialement pressée de rentrer chez elle. Je me trompe ?"

Il ne voulait pas l’expulser de chez lui, bien au contraire. Non seulement il savait très bien ce qu’un tête à tête avec la solitude lui apporterait, mais il appréciait sincèrement la compagnie de Cordelia.
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyDim 28 Fév 2016 - 4:44



Sous la douche, Cordelia n'avait pas pensé à grand chose. Elle s'était contentée d'attraper tour à tour les produits que lui avait laissés Robert, bien décidée à ne pas s'endormir sous les jets chaleureux de cette douche aux attributs pourtant discutables. Elle avait fermé les yeux à plusieurs reprises, s'approchant dangereusement de la zone de sieste inopinée, mais elle avait résisté. En sortant, elle n'avait avait peine pris le temps de se sécher avant de se rhabiller, souhaitant épargner à son professeur une attente trop longue. Son maquillage était devenu inexistant et ses cheveux dégoulinaient sur son blazer de femme d'affaire, mais elle s'en moquait. Le contact frais de l'eau à cet instant précis lui faisait du bien, soulageant les douleurs reminiscentes d'un entraînement acharné. Elle était redescendue avec ses affaires non sans remarquer que sa crinière avait pris la douce odeur du shampooing mentholé typiquement masculin. « Si je n’avais pas été en bas, j’aurais été en haut, dans cette grande pièce où rien ne permet au doucheur de conserver ne serait-ce qu’une once de pudeur. Je ne connais pas tes mœurs, certes, mais mon petit doigt me dit que les voyeurs ne t’encouragent pas au sommeil. » Il se moquait de sa remarque, et le pire, c'était que son raisonnement se tenait parfaitement. « Tu marques un point », admit-elle à contrecœur. « Mais voyeur ou pas, j'aurais été capable de m'endormir. J'ai hâte de retrouver ma couette. » Dans l'état où elle était, elle ne se voyait même pas le courage de se préparer à manger -de décongeler une pizza- avant d'aller dormir. Elle traînerait sans doute des pieds pour remplir la gamelle de Spirit, et ce serait déjà un superbe accomplissement. Dire qu'elle devrait rentrer à pieds... Elle n'avait pas pensé à ce détail en venant ici. Elle n'avait sans doute pas imaginé un seul instant qu'elle quitterait l'appartement de Robert dans un état aussi déplorable que celui dans lequel elle était maintenant. Pourtant, il lui faudrait se traîner jusque chez elle. Elle n'était même pas sûre de trouver une ligne de bus pour soulager sa peine. A cette heure-ci, elle risquait en plus de passer plus de temps à l'arrêt à l'attendre qu'à rentrer chez elle avec ses petits pieds fatigués. « Moi ? Je suis un coach de kickboxing. Je ne fatigue jamais. Je n’ai jamais mal. Je fais toujours tout parfaitement. Je reconnais la hargne et le talent brut uniquement au son de la voix des gens. J’ai toujours une savante insulte à la bouche. Mais surtout, je ne sue jamais. » Cordelia arqua un sourcil, amusée, avant de rire. « Avec des dons pareils, tu pourrais dominer le monde ! Et tu écris des cartes Hallmark et enseigne le kickboxing à des ratées comme moi ? » Elle s'arrêta un instant, réalisant que ses paroles venaient de dépasser ses intentions. C'était trop d'informations en quelques mots, et pourtant, c'était la première fois qu'elle se trahissait aussi facilement. Robert semblait décidément avoir un don assez particulier -un de plus à ajouter à sa liste non exhaustive. « Des ratés sportifs, je veux dire », tenta-t-elle de se rattraper. « Je suis pas sûre que tu enseignes à des sportifs qui font de la compétition. En fait, je suis même à peu près sûre que non, si tu maintiens que je suis ta meilleure élève... » En y repensant, avec l'esprit reposé par sa douche brûlante, Delia se disait qu'elle n'avait clairement pas du donner une image glorieuse d'elle-même. « T'as failli me tuer », ajouta-t-elle, espérant secrètement avoir dilué son petit écart.

A présent assise à côté de lui, abandonnant toute bienséance pour accueillir à bras ouvert cette nouvelle familiarité qui les liait, elle avait fermé les yeux, bercé par le rythme de sa respiration calme. Sa liste de projets pour après son départ ne la fit pas soulever les paupières, mais un sourire amusé se dessina sur son visage. « Je suis une sorcière sans âme; tes potes, je les trouverai toujours. » Elle lâcha un sourire malicieux, ne cherchant pas un instant à savoir s'il la regardait. Elle espérait juste qu'elle n'avait pas l'air trop bizarre, mais elle n'avait pas la force de faire travailler ses rétines et touts les nerfs en aval. « Pour ta douche, je peux pas te garantir de t'avoir laissé de l'eau chaude, ou même du shampooing. » Clouée à cette table, Cordelia n'avait plus le courage d'en bouger pour l'instant. Elle ne l'aurait probablement d'ici un ou deux jours, mais il lui faudrait bien forcer les choses. Même si Robert avait la générosité un peu folle de la laisser à sa disposition, il lui faudrait bien qu'elle aille aux toilettes à un moment ou à un autre. Pour autant, ses muscles semblaient être entrés dans un espèce d'état de flemme avancée. Elle attendrait bien une ou deux minutes avant de le laisser vaquer à ses occupations. « Je m’excuse, j’ai dû oublié de mettre mon séchoir dans ma valise. C’est bête en plus, parce que je ne pars habituellement jamais sans. Même quand je vais au dépanneur. » Une nouvelle fois, Cordelia rit de son rire fatigué. Il semblait qu'ils se connaissaient depuis bien plus longtemps que c'était réellement le cas, comme deux amis qui se seraient retrouvés après quelques temps passés à l'écart l'un de l'autre. « J'imagine. Il doit être avec ton après-shampooing, ton masque capillaire, ton démaquillant et ton maquillage... » soupira-t-elle, faussement contrariée. Les paupières toujours closes, elle attrapa une de ses mèches dégoulinantes, à peine essorées, et grimaça en constatant qu'elle aurait peut-être mieux fait de les laisser dans une serviette encore quelques minutes. « On est en Californie en plein été, ça va sécher vite. Bien entendu, j'aurai quelques frisettes  inélégantes, mais il n'y a que ma chienne qui pourra les voir. » Et le lendemain matin, elle retrouverait avec plaisir sa petite salle de bain et ses produits de beauté entreposés par dizaines. « Toi, tu m'auras vue avec les cheveux mouillés, et c'est déjà un grand pas dans notre relation, j'espère que tu t'en rends compte », ajouta-t-elle pour le taquiner. Elle qui avait l'habitude d'être tirée à quatre épingles venait de se dévoiler, lors d'une première rencontre de surcroît, sous ses pires angles. Au bord de la crise cardiaque tout d'abord, et à présent les cheveux trempés et le visage dépourvu de tout apparat lié au maquillage. « Hey, un lien sacré nous unit, maintenant. Et je ne parle absolument pas de ce bassement terre-à-terre échange financier où tu me paies pour mes services, et qui me donne vaguement l’impression d’être un escorte, présenté comme ça. Que nenni! Te lâcher, je ne ferai pas, tant que là où tu dois être, tu ne seras pas. » Elle ouvrit péniblement les yeux pour lui jeter un coup d'oeil rieur. « De toute façon, je paie pas les hommes pour que ce que je peux avoir gratuitement sans problème. » Elle se redressa malaisément contre le mur, poussant une plainte. Ses muscles semblaient lourds et proches de la paralysie. Aucune douleur -pour l'instant-, mais elle avait la drôle d'impression d'être aux portes d'un coma éternel. De la mort, quoi. « La force est avec moi, alors. » Yoda, ah, Yoda... le petit bonhomme vert n'avait probablement jamais du s'exercer au kick-boxing, lui. Rien que le fait de parler à l'envers lui donnait un charisme qu'elle n'aurait jamais.

Lorsqu'il fit référence à la question qu'elle avait posée quelques instants plus tôt, Cordelia ne put s'empêcher de rire une nouvelle fois -puisant ainsi dans des forces dont elle ne soupçonnait même pas l'existence. « Tu m'invites à une cérémonie officielle ? » Son ton était aussi sérieux que celui qu'avait employé Robert. Elle imaginait très bien la cérémonie, et elle voulait en faire partie. « Ce sera un honneur d'accompagner le prodige que tu es. » Elle posa une main sur son cœur pour montrer à quel point elle était touchée de l'invitation. « Il y a un dress code ? Je suppose qu'il faut mieux venir en noir ? Quoique... Le noir, c'est banal, vu et revu. Je mettrai du bleu électrique. Ça va, du bleu électrique ? » Elle marqua une brève pause. « A moins que je doive matcher ton costume ? J'y connais rien, à ce genre de cérémonies. » Elle avait vaguement l'habitude de fréquenter celles auxquelles était invitée Bianca, mais les galas réservés à l'élite culturelle de la région n'auraient probablement rien à voir avec ces fictifs RIP awards. « Best in show, c'est quoi ? Tu fais des spectacles aux enterrements ? Si c'est le cas, sache que je te réserve pour mon enterrement à moi. Je peux pas encore te donner de date, par contre, mais tu peux considérer que je suis prioritaire. Je suis ta meilleure élève, après tout. Et sorcière, et sans âme. Et propriétaire d'un stand de tir. Tu la sens, la pression, là ? »

Ils pourraient sans doute continuer la discussion longtemps, comme ça, mais le fait était qu'il lui fallait rentrer chez elle. « On dirait quelqu’un qui n’est pas spécialement pressée de rentrer chez elle. Je me trompe ? » demanda-t-elle en désignant ses pieds nus qu'elle frottait à présent l'un contre l'autre pour les réchauffer. Elle fit une moue enfantine pour lui répondre. « Je veux pas remettre mes escarpins... » Ce serait prendre un danger inconsidéré. Elle n'habitait pas tout près, et avec ses muscles en grève, elle risquerait la foulure. « Je crois que je vais appeler ma sœur pour qu'elle vienne me chercher. Je veux pas rentrer à pieds », conclut-elle en se relevant difficilement pour retrouver son sac à mains et envoyer un message bref à Bianca. Elle en profita pour attraper son portefeuille et en sortir quelques billets. « Y'a vingt dollars en plus. C'est parce que tu es un escort qui a de la conversation, mais aussi pour que tu complètes ta tablette de cosmétiques dans ta salle de bains. Je suis sûre que c'est un critère non négligeable sur yelp. Ça pourrait jouer en ta faveur si tu as d'autres clientes du type féminin. » Elle posa la somme à côté de Robert et, peu résignée, approcha sa paire d'escarpins proprement rangés à côté. « Ugh... » soupira-t-elle.
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyLun 29 Fév 2016 - 17:21

" Dominer le monde ? Pfft. Been there, done that. C’est le rêve des gamins qui ne sont pas parvenus à dominer leur égo. Et c’est beaucoup trop solitaire, comme occupation."

Il repensait à la pente descendante des cinq dernières années. Comment il était passé de maître du monde à naufragé dans l’océan vindicatif de ses regrets. Et à tout ce qu’il donnerait pour ne jamais s’être languis de ses rivages inconnus.

" Ceux qui font de la compétition, ils ont un peu le même syndrome, tu vois. Être les meilleurs, les plus forts, les champions, yadi yadi yada. Le même gavage d’égo. C’est pour ça que je me suis installé un petit gym miteux dans un coin absolument pas reluisant et que ma seule publicité est d’un niveau technique similaire à ce que ma grand-mère utilise pour retrouver ses chats perdus. J’veux juste pas les entraîner, ces gens là."

Ça n’avait, bien entendu, rien à voir avec ses qualifications. Après tout, avoir un hobby secondaire depuis 4-5 ans vous rendait amplement apte à entraîner n’importe qui, non ?

Avec le recul, ça sonnait exactement comme une jolie escroquerie, son histoire…

" Le vrai talent, il réside dans des personnes comme toi. Et par des personnes comme toi, j’veux bien entendu dire des sorcières sans âme. D’ailleurs… tu fréquenterais pas Lasher par hasard?"

La saga des sorcières d’Anne Rice avait marqué sa préadolescence.

Avant aujourd’hui, il ne s’était jamais vraiment demandé qui pourrait répondre à son offre de service. En fait, il n’avait même jamais réellement réalisé que quelqu’un le contacterait à ce sujet.

" Comment t’as su, pour ma trousse beauté ? Serait-ce que tu me l’aurais volé, coquine ? Allez, cesse de jouer avec moi, et dis-moi combien tu veux comme rançon. Je ne peux vivre sans elle."

Avec une préméditation sur laquelle il ne saurait se prononcer, elle lui laissa entendre que personne ne l’attendait à la maison. Il savait que le statut de coach sportif ajoutait à peu près le même niveau de sex appeal que l’uniforme d’un policier, mais…. Tentait-elle réellement de lui faire du charme ?

Il se tança intérieurement de cette pensé narcissique. Venait-il vraiment de succomber à son siècle, pour ainsi commencer à croire qu’une conversation anodine entre un homme et une femme impliquait forcément un jeu de séduction ?

Grand fou.

" Bleu électrique, c’est parfait. Nous ferons un sacré tabac, je te le garantis. Faut simplement éviter les clichés pseudo-gothiques. L’Académie est demeurée très conservatrice et sobre dans ses pratiques. On aime bien conserver une forme de politesse envers la mort – ainsi que de demeurer à distance respectueuse de ses attributs. Sauf quand le teint ultra-pâle est génétique, bien entendu. "

Il étira le coin de ses lèvres en un petit sourire. Parce qu’il se trouvait drôle. Mais uniquement parce que c’était elle qui avait commencé à se moquer de son propre teint.

Avant de ricaner franchement lorsqu’elle tenta de réserver ses services.

" Ça marche, je vais ajouter ta mort à mon agenda. J’ai deux numéros à te proposer. Scénario un – quand l’officiant prononcera un truc du genre de « paix à son âme », je débarque en costume de Sleepy Hollow, la tête sous le bras, monté sur un étalon noir ou une Harley et je rie comme un fou en passant sur ta tombe et parcourant tout le cimetière. Note qu’il y a des frais supplémentaire pour la Harley. Scénario deux, je me pointe déguisé en saint de ton choix, je vais au-dessus de ta tombe, je fais jouer un hologramme style Disney de toi qui fait des bye-bye à ta famille que nous aurons préenregistré, puis nous quittons ensemble. Normalement, j’ai un catalogue avec une quarantaine de saints, mais il se trouvait aussi dans ma trousse beauté, alors je ne pourrai pas te les montrer aujourd’hui. Ce sont mes deux meilleurs vendeurs, et honnêtement, ils laissent rarement les audiences de glace. "

Merde, le plus fou de l’histoire, c’est qu’il pourrait probablement véritablement faire fortune s’il se partait une business qui offrait ce genre de services funéraires. Food for thought.

Il reçut ensuite avec humilité le 20$ supplémentaire qu’elle lui offrait pour ses bons services. Ça représentait près du double de ses honoraires. Il hésita à les lui rendre.

" Merci Délia. C’est très apprécié, mais absolument pas nécessaire! Par contre, je crois que si je base la publicité de mon gym sur l’étendue de mes cosmétiques féminins, je vais avoir droit à une petite visite de la brigade des mœurs. "

Constatant la vigueur avec laquelle elle se préparait à prendre congé, Rob poursuivit.

" Si tu préfères, je peux aller te reconduire. Ou te prêter une bagnole. Ou une moto, même, si t’as pas peur de te salir. Ça t’évitera de déranger ta sœur? J’ai une bonne heure à tuer, en attendant que mon réservoir à eau chaude reprenne le dessus, apparemment. "
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyDim 6 Mar 2016 - 5:37



Cordelia ne l'avait pas réalisé depuis longtemps, mais le sport semblait avoir un drôle d'effet sur elle. Il n'était pas le plus aisé, mais il était l'un des moteurs de ces endorphines bienfaitrices qui gambadaient à présent joyeusement dans ses veines. Elle allait bien dormir ce soir. Peut-être même qu'elle n'allait pas tellement s'inquiéter de l'état de son stand de tir ou de la vie trépidante de son clone. Elle se glisserait sous ses draps avec un sourire apaisé, et se réveillerait probablement plus reposée qu'elle ne l'avait été depuis un trop long moment. En attendant, elle se trouvait dans un état de satisfaction assez étrange, l'esprit bercé par ces hormones salvatrices. « Dominer le monde ? Pfft. Been there, done that. C’est le rêve des gamins qui ne sont pas parvenus à dominer leur égo. Et c’est beaucoup trop solitaire, comme occupation. » Avec Robert à ses côtés, l'instant semblait encore un peu plus doux. Cordelia avait beau avoir la fibre sociale, elle n'en restait pas moins surprise de l'accueil que certains inconnus pouvaient lui réserver. Serait-il adapté pour elle de penser un seul instant que Robert n'était déjà plus un inconnu ? C'était seulement la première fois qu'ils se voyaient vraiment -en dehors d'un coup de téléphone et d'un regard échangé brièvement au stand de tir. Pourtant, elle se sentait plus libérée avec lui qu'avec la plupart des personnes qu'elle croisait au quotidien. Il avait été l'un des seuls à la faire réfléchir à de réelles choses, des choses qu'elle niait depuis des années, se contentant de les penser en espérant qu'elles finiraient pas s'évaporer dans les tréfonds d'une mémoire oubliée. Il avait également l'un des rares à la voir se surpasser physiquement et frôler le coma sous la hargne de l'effort. Maintenant, elle était à ses côtés les cheveux trempés, pieds nus, abandonnant cette allure qu'elle s'évertuait à conserver en journée, persuadée par une éducation propre que l'image était ce qui pouvait convaincre un tiers d'une perfection qui ne serait pourtant qu'un mirage. « T'es en train de dire que t'aimes trop les gens pour dominer le monde ? » Amusée, la rousse aux cheveux trempés s'imagina un instant au sommet du monde. C'est vrai que ce serait solitaire, comme mission. Mais au moins, à cette place-là, Cordelia pourrait se satisfaire d'un accomplissement auquel sa sœur ne l'aurait pas doublée. Et, à penser à cette perfection inatteignable, la jeune femme ne put s'empêcher de mentionner les sportifs obnubilés par la compétition. « Rigole pas, y'a une femme d'un certain âge qui a laissé une annonce pour son chat perdu, au stand de tir. J'espère qu'elle le retrouvera. » Elle pensa un instant à Spirit et à ce qu'elle deviendrait sans sa chienne. Elle était sa meilleure et sa plus fidèle amie, sa seule réelle confidente. Cordelia réalisa brièvement qu'elle finirait sans doute seule, entourée d'animaux qui n'attendraient d'elle que le remplissage quotidien de leurs gamelles. Voilà donc comment elle allait finir... un frisson la parcourut, mais elle le mit sur le compte de l'humidité de ses cheveux qui, goutte à goutte, glissait dans sa nuque. « Avec moi, t'es tranquille. Tu risques pas de m'emmener jusqu'à la compétition », ricana-t-elle en s'imaginant sportive. Sportive, elle ne le serait jamais. Elle était essoufflée dès que Spirit allait trop vite au bout de sa laisse, et n'abandonnerait pour rien au monde son addiction à la cigarette et au whisky. Une vie propre et saine n'était pas faite pour elle. « Le vrai talent, il réside dans des personnes comme toi. » La rousse esquissa brièvement un sourire touché, qui s'évapora immédiatement dans une moue amusée. « La-qui ? » demanda-t-elle, se questionnant quant à l'identité de cette personne qu'elle pourrait -ou peut-être pas- fréquenter. Même avec une sœur qui faisait partie du gratin de la Californie, elle était loin de connaître toute la ville. Il s'agissait probablement d'un ami de Robert, ou d'au moins une de ses connaissances. « Le clan des sorcières sans âme appréciera ce que tu as dit. On saura en tenir compte le jour où certaines d'entre nous décideront de s'en prendre à toi parce que tu as massacré un balai d'époque. » Son regard pétillait d'amusement, mais il s'était posé sur Robert pour une seule raison : le remercier. Elle savait ce qu'il avait dit, elle l'avait compris, et elle voulait être sûre qu'il comprenne qu'elle avait bien traduit ses termes. Robert était bien l'une des rares personnes depuis bien trop longtemps qui avaient été capables de lui donner un semblant de réelle confiance, d'une confiance qui n'émanait pas d'un voile qui masquait ses peurs et incertitudes. En à peine quelques heures, il semblait avoir réussi à détruire ce mur de forteresse qu'elle avait bâti pour quiconque s'approchait un peu trop d'elle. Ce n'était pas une faiblesse, se disait-elle pour se rassurer. Mais la vérité était qu'elle n'avait pas l'habitude d'être mise à nu de la sorte. Elle appréciait cette conversation tout autant qu'elle en redoutait les retombées.

Ce qui la rassurait dans ses craintes était sans aucun doute la légèreté de leur conversation. Ils ne se partageaient pas les choses avec le ton grave que Cordelia leur attribuait, et ça les rendait un peu plus tolérables, un peu plus acceptables. « Tu crois vraiment que si je l'avais, je resterais avec les cheveux trempés et pas maquillée, comme ça ? » dit-elle en levant les mains en signe de bonne foi. Elle arqua un sourcil intimant à Robert de la croire, puis sourit, amusée, en baissant ses mains. « Je veux pas les offenser. Je tenterai l'autobronzant, mais il faudra pas m'en vouloir si j'arrive orange carotte... » Elle marqua une pause avant de le devancer dans la blague évidente qui découlait de ce qu'elle venait de dire. « En harmonie avec mes cheveux, je sais. Mais la mort, c'est pas synonyme d'Halloween, je veux pas venir déguisée en citrouille. » Elle passa une main dans ses cheveux pour les écarter de sa nuque trempée. « Le dîner est compris ? J'espère juste qu'on essaiera pas de nous faire bouffer sain. J'aime la pizza plus que tout au monde. » Et elle détestait les plats mitonnés par Bianca plus que tout au monde. Quelle idée de vouloir démocratiser le soja et le chou kale à ce point-là... mais sa sœur restait probablement persuadée qu'elle finirait par arriver à la faire changer d'avis. A trente-cinq ans, pourtant, Delia avait trouvé son régime idéal : pizzas, whisky, et lasagnes.

Elle écouta les scénarios décrits par Robert avec la plus grande des attentions. Elle n'avait pas envie de rire, mais de rester aussi sérieuse que la situation le lui permettait. Elle aimait ce cynisme qu'ils semblaient partager depuis de longues minutes déjà. « Je suis désolée pour ta trousse de maquillage, vraiment. Si tu veux, je pourrai mettre une annonce au stand », s'émut-elle en posant brièvement sa main sur son épaule, la lèvre pincée par un mélange de compassion et d'amusement. « Si je meurs dans, disons, les deux prochains mois, tu peux considérer que j'ai une préférence pour le premier scénario. Avec la Harley, bien sûr. Mais deux mois, c'est le temps que je te laisse pour me trouver un scénario original, que t'accorderas à personne d'autre. Et puis, le coup de l'hologramme, oublie. J'ai une sœur jumelle qui pourrait se croire devant un miroir et y voir un mauvais présage. » Entre elles deux, Cordelia était persuadée qu'elle mourrait la première. Ce n'était pas fataliste, mais pragmatique. Elle ne mangeait pas de soja et de chou kale, elle ne faisait guère de sport, elle fumait et buvait beaucoup trop, et sa solitude finirait sans doute par l'emporter entre sa cuisine et ses chiottes. Ce serait Spirit qui la retrouverait morte.

Quelques instants plus tard, Cordelia avait sorti de son sac le butin ardemment gagné par son professeur. Elle ne roulait pas sur l'or, et à part cette allure qu'elle s'efforçait de préserver malgré tout, tous les signes tendaient à le prouver. Pourtant, elle était loin d'être radine -et ça ne l'aidait sans doute pas à se sortir de cette situation misérable. Mais elle était comme ça -elle avait beaucoup trop tipé les serveurs et donné un peu trop à l'homme qui dormait dehors près de son stand. « J'y tiens, prends-les », dit-elle gravement en plantant son regard dans le sien. Elle n'attendit pas sa réponse bien longtemps et posa la somme sur la table sur laquelle il était resté assis. « Te base pas là-dessus, tu es un assez bon prof pour te vanter de tes propres qualités. Mais au moins, les femmes ressortiront d'ici en sentant le monoï plutôt que la menthe fraîche, et ça, crois-le ou non, mais c'est important pour les individus qui ont un vagin. » Elle haussa un sourcil entendu, taquine. « Pas besoin d'une douche à l'italienne, mais pense au monoï. »

Cordelia avait envoyé un message à sa sœur, qui ne lui répondait pas. Elle n'était même plus sûre de la ville dans laquelle elle se trouvait ce soir-là. Elle était peut-être à LA, et en relevant la tête vers Robert, la rousse fut un brin gênée. « Je veux pas risquer d'emboutir ta voiture ou ta moto, je sais pas comment t'es assuré. Par contre, je suis pas contre que tu me ramènes, ma sœur me répond pas, elle doit être occupée... » Grimaçante, elle remit ses escarpins et lui jeta un regard, sans se départir de sa gêne. « Mais je veux pas m'imposer, tu sais, j'habite pas si loin d'ici, je peux faire le trajet à pieds. » Elle récupéra son sac à main et son sac de sport, dans lequel elle avait rangé ses vêtements trempés de sueur. « T'es prof de kick-boxing, pas chauffeur Über », s'amusa-t-elle en s'approchant de la porte. Il lui tardait de retrouver la douceur de sa couette et les papouilles de Spirit. Triste solitude, et pourtant, solitude salvatrice...
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyLun 7 Mar 2016 - 21:20

"Nan, je ne suis pas vraiment un philanthrope. Oublie pas que je fais partie d’une arnaque impliquant d’accélérer les affaires d’un croque-mort. Non, en fait, c’est que je trouve beaucoup plus glorieux de guider le prochain grand conquérant de l’univers plutôt que de le devenir. Un plus grand challenge, surtout quand le candidat ne se montre pas plus intéressé que ça par la domination du monde. Et puis, une image d’altruisme, ça vaut cher ces temps-ci."

Ça avait eu au moins ça de bien, ce culte de la projection de soi : que l’apparence d’altruisme soit devenue in. Ça pervertissait un peu le truc, mais c’était déjà ça de pris.

"Ah non, les RIP awards, ce n’est pas une farce comme l’es devenue Halloween. Je te préviens, si t’arrive là-bas avec des dents de vampire en plastique, on va littéralement se faire défoncer la gueule par une foule en colère. Et légitimement outrée, en plus. Pas de risque pour le menu, ceci dit. Nous sommes très protectionnistes, dans le business, et les seuls légumes que l’on sert, ils figurent sur le top 5 de ceux contenant le plus de pesticide. "

Il tendit ensuite la main pour sceller l’entente d’une performance originale lors de son enterrement.

"Done deal, très chère! Mon avocat contactera le tien pour sceller les tenants et les aboutissants du contrat. Tu ne seras pas déçue, je te le promets. Tu veux faire dans le comique, le glauque ou le malaisant ?"

Lorsqu’il fut convenu que Rob allait jouer au chauffeur, il sauta sur ses pieds et se dirigea vers les escaliers que Délia avait descendus quelques minutes auparavant.

"Bah ça n’aurait pas été dramatique que tu écrases la moto ou la bagnole : je les ai volé il y a deux jours, et je vais devoir y mettre le feu bientôt de toute façon. Donne moi une seconde, je me remets du fait que tu viennes de mentionner à haute voix le « v-word », je récupère mes clés et je te rejoins."

C’était faux, bien entendu, cette histoire de voiture volée mais il n’en était pas à un petit écart près. Si à ce stade-ci, Délia prenait tout ce qu’il disait pour argent comptant, il ne pouvait plus rien pour elle. Les deux véhicules lui avaient en fait été confiés par des locaux, qui lui avaient demandé de voir ce qu’il pouvait faire pour remettre ces vieux engins en état de rouler. La première pour devenir la première Harley off-road de la Californie, la seconde, pour participer à un derby de démolition.

Il gravit rapidement les marches, ressentant l’humidité généré par l’eau chaude. Il n’habitait pas ici depuis très longtemps, mais il s’était rapidement imprégné de l’endroit. Ces traces de vie humaine autre que la sienne dans son sanctuaire ne passaient pas sous le radar, mais il ne savait pas exactement ce qu’il devait en penser.

Il récupéra son portefeuille et ses clés sur le sol, près de son matelas, et laissa soigneusement derrière lui son téléphone. Il troqua sa camisole pour un t-shirt qu’il considérait appartenir à la catégorie des à peu près propre – autant littéralement que figurativement- et redescendit vers le gym.

"L’avantage de l’avoir perdu, cette trousse, c’est que maintenant, je suis toujours prêt en moins de deux minutes."

Il fit tournoyer les clés de la chevrolet soon-to-be deathproofed au bout de son index, en emboîtant le pas à Délia. Il ne prit même pas la peine de verrouiller derrière lui. Il désigna une vieille Chevrolet Caprice ’83 marron et rouille du menton.

"Probablement pas aussi glamour que les balais, les corbeaux ou je ne sais quel démon cornu que ton sisterhood aime tant chevaucher par une nuit sans lune, mais elle ronronne comme un chaton. Pour un autant que ta définition de chaton implique quelque chose d’obèse et d’emphysèmique. Oh, la porte du côté passager est une vraie bitch. Faut que tu la soulèves un peu et que… attend. "

Retrouvant ses manières, il se dirigea vers la dite portière rebelle, la secoua sans succès à trois ou quatre reprise avec une vigueur croissante avant de finalement parvenir à l’ouvrir.

"Mademoiselle,  "l’invita-t-il avec une demi révérence, avant de refermer derrière elle et d’aller prendre place du côté conducteur.

L’ignition du moteur fut tout aussi fluide et gracieuse que l’ouverture de la portière.

Rob se tourna vers Délia et esquissa un sourire en coin.

"Ouaip – un beau gros chaton à l’œsophage bien gras. Où est-ce qu’on va ? "

Il embraya et s’engagea sur la route alors que la radio crachotait avec tous les parasites adéquats Tom Sawyer, de Rush, à partir du lecteur cassette. La grosse classe.

"C’est comment d’avoir une jumelle ? ", demanda-t-il sur le ton de la conversation.

"Vous en avez bien profité pour faire flipper vos potes et les faire tourner en bourrique ? Ça me semble offrir de belles opportunités ", ajouta-t-il avant qu’elle ne puisse répondre.


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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptySam 12 Mar 2016 - 0:55



Cordelia était épuisée. Heureuse, presque épanouie, même, mais épuisée. Elle en avait oublié sa journée marathon au boulot, tous ces clients à contenter et ces horaires abusives, le fait qu'elle devrait encore être sur place ce dimanche, et sa sœur qui devait probablement se la couler douche à Los Angeles, dans sa grande villa dont les chiottes faisaient la taille de son salon miteux. A ce moment précis, elle ne pensait plus à ces choses-là. Elle ressentait une drôle de plénitude, un bien-être étrange et salvateur dont elle avait oublié l'essence même depuis bien trop longtemps. « Tu m'as l'air plus philanthrope que tu le penses », dit-elle avec un sourire chaleureux. Elle avait l'impression de vivre dans un monde rempli de personnes voraces et prêtes à tous les sacrifices pour aller plus loin. Elle-même n'était pas loin d'en faire partie. Ses échecs à répétition avaient été les seuls à lui faire garder les pieds sur Terre. Elle l'avait reconnu depuis longtemps : elle appartenait tout juste au moyen et au classique. Elle n'était qu'une vieille aigrie, détruite par ses rêves brisés et son amour perdu, rendue amère par une vie qui semblait ne lui avoir rien épargné. Elle n'avait pas toujours fait les bons choix, elle le savait... mais les choses ne lui avaient pas souvent été proposées de la plus belle des façons non plus. Elle n'était pas lisse et douce comme Bianca. Elle était empreinte de faiblesses et de peines, d'une noirceur que les années avaient laissée s'insinuer sous sa peau sans qu'elle n'arrive à réellement la combattre. « L'altruisme existe probablement plus vraiment », soupira-t-elle. « Même si tu me donnes envie d'y croire. T'as l'air d'être le dernier survivant d'une espèce capable d'altruisme. Comme une licorne ou quelque chose du genre. » Elle sourit, y cherchant un réconfort qu'elle n'arrivait plus à trouver depuis des années, depuis que ses rêves et ses envies avaient été déchus à des projets passés et oubliés, depuis que le monde s'était fait de plus en plus noir à ses yeux, rempli de personnes comme Roy et Bianca, de bonheurs écourtés et de preuves inlassables qu'elle ne sera jamais plus que ce qu'elle était depuis tout ce temps : un navire échoué, abandonné, tentant maladroitement de se remettre à naviguer sans y parvenir. Mais après tout, elle n'était pas là pour faire des états d'âme et ressasser cette triste réalité. Elle profitait de ces salves d'endorphines bienfaitrices. « Je suis une lady, voyons. Je serai chic et classe, t'en fais pas. » C'était d'ailleurs bien la seule chose qu'elle avait conservée de son éducation irréprochable; ça et sa capacité à s'offusquer de certaines grossièretés verbales. « Je toucherai pas à ces légumes. Promets-moi qu'il y aura des pizzas Margherita. Il faut peut-être faire une demande spéciale ? » Si cette soirée avait réellement lieu, ils seraient capables de la rendre particulièrement mémorable. Sa vie manquait de ce genre de folies. Elle ne voulait pas se faire l'affront de s'écrire une bucket list pour ses quarante ans, qui ne sauraient plus tarder. Elle serait incapable de la remplir, mais elle n'en ressentait pas moins le besoin de folies pour autant. Elle serra la main que lui tendait Robert. Si son vivant aurait été d'un ennui exemplaire, ce ne serait au moins pas le cas de son enterrement, et ce grâce à Rob'. « J'ai une préférence pour le glauque, je lui ai toujours trouvé un certain charme. Pas toi ? » Amusée, elle tenta, sans succès, de s'imaginer l'idée originale que pourrait avoir Robert pour ses obsèques. Une belle fête, elle l'espérait.

Pourtant, malgré ces conversations réconfortantes, Cordelia ne comptait pas accaparer tout son temps à son professeur. Elle l'avait payé pour son cours, mais elle ne le voulait pas s'imposer plus que de raison. Une bien bonne résolution qui fut brisée dès qu'elle accepta, à demi-mots, la proposition que fit Robert de la ramener chez elle. A son portable qui demeurait silencieux, la rousse ne pouvait que convenir qu'il ne lui restait que deux options : accepter l'offre de Rob, ou rentrer chez elle à pieds. Ses muscles semblaient être entrés dans un monde à part, abandonnant leur poste au point de la laisser incapable du moindre effort. Elle redoutait également de se perdre, ou peut-être même d'être accostée par quelqu'un dont elle ne saurait se défendre. Pour une gérante de stand de tir qui prenait des cours de kick-boxing, ce serait un comble... mais plus que logique. « Oh, j'ai été trop brusque dans mes termes ? » s'amusa-t-elle en le regardant monter. Elle vérifia de son côté qu'elle avait bien récupéré toutes les affaires qu'elle avait éparpillées par ici, mais elle pensa avec un sourire qu'elle reviendrait bien assez rapidement pour un second cours et récupérer ce qu'elle aurait malencontreusement oublié. « Juste, quand tu t'occuperas de la moto et de la voiture, le fais pas par ici, je veux pas que t'empoisonnes le quartier avec les fumées ! Enfin, le quartier... surtout moi, quoi ! » Et Spirit. Et sa vieille voisine qu'elle aimait bien. Et lui, aussi, tant qu'à faire.

« J'imagine. Le lissage de cheveux devait te prendre un temps fou... » Ne se départant pas de son sourire, la rousse passa devant son hôte et maintenant chauffeur pour quitter les lieux. Quelques instants plus tard, ils étaient dehors, et Robert lui désignait la voiture qui la ramènerait chez elle. Ses pas étaient petits et presque timides, répondant à la douleur d'une hauteur que les efforts récents ne leur permettaient plus de supporter. Elle s'approcha de la voiture et s'accouda à son toit de ferraille pour soulager ses pieds de quelques kilos. « Tu verrais ma voiture... je pense qu'elle mériterait aussi l'immolation par le feu », rit-elle alors qu'il lui passait devant pour s'occuper de la portière côté passager. Cordelia ne lâcha pas la voiture malgré les mouvements vigoureux de Rob'. « Merci, gent damoiseau », le salua-t-elle à son tour en se glissant à l'intérieur. Cette voiture était beaucoup plus basse que son pick-up et n'avait, finalement, pas vraiment matière à y être comparée. Pourtant, l'état des deux engins était d'une similarité assez déconcertante. « Un vieux chat malade et grognon, plutôt », se marra-t-elle en attachant sa ceinture. « Tu verrais les voitures de ma sœur... Ils font le bruit de chatons sans intérêt et sans caractère. » Elle mit quelques secondes à se repéré et, au premier stop, visualisa le trajet le plus simple. « A droite, à droite et à droite. J'te dis, c'est ridicule, j'habite tout près. » Elle s'en voulait de lui faire payer de l'essence et perdre du temps pour une paresse dont elle était la seule responsable. « C'est... je sais pas. Je peux pas comparer, j'en ai toujours eu une. » Elle marqua une pause. « J'aime bien cette chanson », s'exclama-t-elle en brusquement en regardant le chauffeur. « Elle a bercé mon adolescence. Ugh, je me sens bien vieille. Maintenant, les jeunes écoutent Justin Bieber et Taylor Swift. Ils doivent voir en eux quelque chose que je vois pas. » Elle reporta son attention sur les habitations qui défilaient sur sa droite. Ils arrivaient dans son coin. Il leur avait à peine fallu cinq minutes, c'en était d'un ridicule... « Pour ma jumelle, tu connaîtras pas nos secrets. C'est un truc de sorcières rousses jumelles. Si j'te le dis, on va devoir te tuer et cuisiner des potions avec tes intestins et tes ongles. » Un sourcil arqué, elle le regardait fixement, amusée à l'idée de ce qu'il semblait s'imaginer. Elle se garderait bien de lui raconter leurs plus sombres secrets, comment elle avait refusé une place à l'université de Pennsylvanie ou comment Bianca lui avait arraché le cœur en succombant aux avances du seul homme qu'elle avait jamais aimé. Ces secrets ne méritaient que d'être oubliés. « C'est moi », dit-elle en tendant la main vers une résidence triste sur la droite de la route. Elle pouvait voir son appartement d'ici, et se demanda un instant si Spirit était endormie ou si elle l'attendait impatiemment derrière sa porte pour une promenade. Ce soir, elle n'aurait pas de promenade. Des croquettes, ce serait déjà bien. Elle récupéra les affaires qu'elle avait posées à ses pieds et se tourna vers son professeur. « Merci, Robert Deacon. J'te revaudrai ça, pour le trajet, c'est vraiment très gentil. J'espère que je t'ai laissé un peu d'eau chaude, j'avoue que j'y ai pas été de main morte. Je... je t'appelle pour fixer un prochain cours ? Ou la semaine prochaine à la même heure, ça t'irait ? » Elle ne voulait pourtant pas que ça s'arrête, pas tout de suite. Ou au moins lui dire au revoir à l'image du reste de leur cours. « J'attends ton carton d'invitation pour les RIP awards. Je t'enverrai des photos pendant mes essayages de robes, tu me diras si t'as une préférence. »
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyLun 14 Mar 2016 - 21:30

"Je sais pas. Je suis un peu ambivalent, avec le glauque. D’un côté, j’y vois la dédramatisation d’un truc qu’on gère de plus en plus mal de nos jours. Mais en même temps, j’sais pas, j’ai l’impression que la mort, c’est un peu la dernière chose de sacré qu’il nous reste. Ça et le deuxième amendement. Et, jadis, la feu chasteté de mes oreilles. You will be missed."

Tout du long du relativement très court trajet de voiture, un malaise grandissant envahissait Rob. Il possédait plusieurs défauts et de nombreuses tares, mais jamais il n’avait accepté de se prétendre être quelqu’un qu’il n’était pas. Que Délia le considère comme l’un des derniers défenseurs de l’altruisme, alors qu’il venait d’abandonner par le plus grand égoïsme non seulement sa femme, mais également son bébé naissant, franchissait allègrement la ligne de l’acceptable.

Il ne savait cependant pas comment rectifier le tir…

"Tu parles que ça me prend moins de temps le matin – t’as déjà essayé de te lisser les cheveux avec un fer à repasser ?? Si tu savais ce que j’ai dû faire à mon orgueil pour accepter d’être vu publiquement avec ces bouclettes…"

Au moins, son humour à deux balles lui permettrait d’acheter un peu de temps.

"Si ta voiture te lâche, ne te gêne pas de me faire signe. J’aime bien bricoler la mécanique. À défaut d’avoir pu faire médecine, je me suis mis à jouer dans des boyaux mécaniques. "

Il n’avait jamais ne serait-ce que considéré l’option de devenir médecin, profession qu’il voyait comme la seconde preuve la plus convaincante que l’humanité agonisait. Il avait plutôt choisi la première, bien entendu, et était devenu financier…

"Ignorance is bliss, as they say. Je retire ma question : garde tes secrets, je vais plutôt me contenter de m’imaginer des trucs. "

Le pire de l’histoire, c’était que le courant passait plutôt bien entre eux deux. Laisser croire à des bimbos rencontrés dans un 5@7 qu’il avait quasiment fait parti de l’équipe olympique (son nom figurait au 94ème rang, alors qu’ils sélectionnaient les 6 premiers), il pouvait vivre avec. Mais entretenir une fausse image fasse à quelqu’un de bien, ça, il ne pouvait pas.

"Voilà. C’est sympa chez toi. "

En même temps, il ne pouvait pas vraiment non plus partir sur un trip et lui raconter toutes les vicissitudes de son âme comme s’ils se connaissaient depuis la nuit des temps. Déjà qu’il lui avait balancé relativement crument ce qu’il foutait en Californie sans sa bague de mariage….

"Tout le plaisir a été pou moi, Cordelia Hoogendijk. Enfin, presque – j’suis convaincu que ça te fait bien marrer, mes vains efforts pour ne pas massacrer ton nom de famille… Semaine prochaine, même heure, même poste, c’est parfait. Je préfère qu’on conclue ça maintenant, parce que demain, tu ne voudras plus m’adresser la parole. Ça marche aussi pour le carton d’invitation. Je t’enverrai mon coursier sous peu. "

Il la regarda ensuite prendre ses affaires avec le sourire, levant la main pour lui dire aurevoir lorsqu’elle referma la portière derrière elle. Il était en train de laisser filer sa chance.

Come on, Rob. C’était tout ce qu’il te restait…

Il descendit rapidement de sa voiture.

"Hey, Délia, "

Il s’accrochait à sa porte ouverte alors que la rousse se retournait vers lui.

"Je... j’voulais juste te dire… "

Pourquoi il se voyait dans un film du dimanche après-midi là ?

"Je ne suis pas une licorne. Ni un type bien. Je ne suis ni une victime, ni malchanceux. J’ai fait mes choix… et ce ne sont pas ceux d’un bon gars. Et encore moins ceux d'un homme altruiste.  "

Il esquissa un petit sourire.

"Je voulais juste que ça soit clair, et ne pas te laisser avec une fausse impression. Allez, on se voit la semaine prochaine. Bonne soirée! "

Apaisé, il regagna la place du conducteur en poussant un léger soupir. Pouvoir se regarder dans le miroir et comprendre ce qu’il y voyait. C’était pour ça qu’il était parti. Alors qu’il commençait à peine à faire des progrès, il ne pouvait pas se permettre d’également confronter le reflet qu’il générait dans le regard des autres…


Spoiler:
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MessageSujet: Re: Teachers and lessons (avec Délia)   Teachers and lessons (avec Délia) EmptyJeu 17 Mar 2016 - 2:46



« Voilà. C’est sympa chez toi. » Il avait arrêté sa voiture devant la résidence triste de Cordelia. Elle reconnaissait la fenêtre de sa voisine et les lueurs de sa télé allumée et du feuilleton qu'elle ne ratait jamais. « Quelle politesse », rit-elle, amusée. « C'est assez cosy. Une fois, j'ai discuté avec mon voisin en prenant ma douche. » Son appartement était loin d'être comparable aux résidences de sa jumelle, mais elle s'en contentait. Elle n'avait de toute façon pas le choix, mais elle avait appris, au fil des années, à s'habituer à cette promiscuité. Elle lui avait trouvé son charme. Sa vieille voisine avait toujours un thé à lui offrir et de longues anecdotes à lui raconter. Elle lui confiait régulièrement Spirit, et la chienne avait rapidement adopté la femme. Cordelia la suspectait même d'apprécier le feuilleton devant lequel elle la forçait à se poser lorsqu'elle s'en occupait. « Demain ? Pourqu... » Elle venait de comprendre. Elle les avait oubliées, celles-là. Elle resta silencieuse quelques instants en pensant à ces courbatures qui l’assailliraient le lendemain au travail. Tant pis. C'était sans doute le prix -encore un!- à payer pour cette décharge d'endorphines vivifiantes. Il ne lui fallut que quelques instants pour récupérer ses affaires et échanger quelques dernières politesses avec son professeur et chauffeur. Elle traversait la pelouse brûlée par le soleil californien lorsqu'elle entendit Rob l'appeler. Elle se retourna, s'attendant à une ultime blague, digne de celles dont ils s'étaient prouvés capables. Le frais de la soirée plaquait ses cheveux trempés contre sa peau, mais ça avait quelque chose d'agréable. « Je... j’voulais juste te dire… » Elle s'était arrêtée en constatant que même en se retournant, elle avait continué à marcher en arrière sur quelques pas. « Oui ? » Elle l'avait encouragé avec un sourire. Pourtant, elle pouvait lire sur le visage de Robert un sérieux dont il s'était départi depuis qu'elle lui avait asséné son dernier coup hésitant pendant l'entraînement. « Je ne suis pas une licorne. Ni un type bien. Je ne suis ni une victime, ni malchanceux. J’ai fait mes choix… et ce ne sont pas ceux d’un bon gars. Et encore moins ceux d'un homme altruiste. » Le sourire de la rousse se figea tandis qu'elle faisait un pas pour s'approcher de Robert et de sa voiture. « Je voulais juste que ça soit clair, et ne pas te laisser avec une fausse impression. Allez, on se voit la semaine prochaine. Bonne soirée! » Encore deux pas pour l'empêcher de repartir trop vite. « Tu as pris la décision d'un mec indécis, pas celle d'un homme mauvais. » Elle s'approcha de la portière qu'elle avait claquée quelques instants plus tôt pour lui faire signe d'ouvrir la fenêtre, et elle se pencha à l'intérieur de la voiture. « Un homme altruiste n'est pas un homme parfait. Un homme altruiste a le droit de faire des choix dont il se satisfait pas entièrement. Mais un homme altruiste se remet constamment en question et est trop sévère envers lui-même, parce que justement, il est un homme altruiste. » Elle arqua un sourcil pour appuyer ses dires et tapa de la main sur la carrosserie de la voiture pour conclure l'échange. « T'es une licorne, Robert Deacon. Une licorne qui va avoir le droit à sa douche chaude ! Bonne soirée », lâcha-t-elle avant de faire volte-face dans un clin d'oeil. Elle se tourna une dernière fois vers Robert lorsqu'elle entendit le moteur vrombir et lui fit un dernier signe de la main. En rentrant chez elle, elle jeta ses sacs et s'écroula à genoux devant Spirit qui vint lui faire une fête digne de l'athlète hors-pair qu'elle s'était avérée être. En lui servant ses croquettes, elle repensa à l'homme qu'elle venait de quitter. Il se dégageait de lui une fibre familière, et les derniers mots qu'ils avaient échangés la firent réfléchir jusqu'au moment où elle se glissa sous ses draps. Est-ce que les choix qu'ils avaient faits, l'un et l'autre, les définissaient en tant que personnes ? Étaient-ils irrémédiables ? Alors, sans réfléchir, la rousse avait attrapé son portable et écrit à Robert. Licorne altruiste, avait-elle simplement envoyé avec un sourire. Elle avait l'impression d'avoir trouvé un alter ego, quelqu'un capable de comprendre ses pires faiblesses, y compris celles qu'elle n'osait pas encore s'avouer. Elle voulait le soutenir comme elle n'avait pas su se soutenir et s'apprécier elle-même. A deux, peut-être, ils seraient plus forts contre ces décisions aujourd'hui regrettées.

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