NOUS AVONS TOUS UN PASSE, UN PRESENT ET UN FUTUR. BORN TO DIE.
Why ? Who me? Why ?
" Félicitations madame, vous attendez des triplés. "Première et dernière grossesse pour ma mère. Là, au creux de son être se cachait trois petits rien. Des rien qui allaient grandir, grossir, atterrir.
Mes frères et moi avons atterris le 20 décembre 1984 à Barcelone. C'était la panique à la maternité. L'accouchement fut long et douloureux pour maman, elle dit, aujourd'hui encore, que le jour de notre naissance est le pire jour de sa vie. Charmant, je sais.
Le moment de l'accouchement fut si compliqué pour ma mère qu'elle a attendue une semaine avant de nous donner nos prénoms. Pendant une semaine nous étions aux yeux de mes parents et du reste du monde les bébés A, B et C. Nos prénoms? Distribués à l'arrache, même pas réfléchis. Maman avait interdit à papa de s'occuper de cela, ne voulant pas se retrouver avec des Mick, Sid et Jim. Non, Alejandro, Benito et Clemente c'est tellement plus laid et handicapent. Alejandro bébé A, Benito bébé B et Clemente le bébé C. Je suis donc Alejandro, le bébé A, le premier arrivé, le moins bien servis.
J'ai toujours été assez effacé, perdu. La vie pour moi ne m'a jamais paru évidente. Je ne comprends toujours pas pourquoi je suis sur terre, pourquoi je dois faire ce que je ne veux pas faire. Apparemment c'est pareil pour papa, mais quand j'étais petit il cachait tout ça. J'ai longtemps vécu à travers Benito et Clemente. Ils étaient toujours là me pousser à grandir et m'amuser. Ils m’emmenaient avec eux faire les quatre cent coups dans notre quartier.
Nous étions les trois inséparables autant à l'école qu'à la maison.
La maison, parlons-en. L'ambiance n'était pas au beau fixe. Mes parents passaient leur temps à se disputer. Si Benito et Clemente ne semblait pas dérangés par leurs cris et disputes continuelles il en était tout autrement pour moi. J'étais terrorisé par cette ambiance, il n'était pas rare de me retrouver prostré dans mon coin, les mains sur les oreilles en espérant ne plus jamais entendre leur satanés disputes.
Dans ces moments-là Clemente venait me voir. Il me prenait par le bras et m'entraînait dans notre chambre où Benito avait mis un peu de musique histoire de cacher les cris et ainsi me calmer.
Sans mes frères je n'étais rien. Impossible d'avancer sans eux. Ils étaient ma vie, mon sang, les piliers de mon existence
PAINT IT BLACK.
I look inside myself and see my heart is black.
Clemente : On va pas les laisser faire.
Benito : Ah ah. Idiot, ils en ont décidé ainsi. Que veux-tu faire de plus?
Clemente : Alejandro ne peut pas rester seul avec papa!
Benito : Maman ne peut pas rester seule, Clemente, et papa non plus.
Clemente : Alejandro est si fragile...
Benito : Alejandro s'entend mieux avec papa.
Clemente : Pourquoi maman s'entend si mal avec Alejandro?
Benito : Il est celui qui lui a fait le plus de mal, elle est traumatisée.
- Je n'ai jamais demandé à venir au monde. Et si elle avait mal elle n'avait cas mordre le docteur.
Nous avions douze ans. Clemente et Benito tournèrent la tête en même temps vers moi. Je venais de les surprendre en pleine conversation secrète. Les parents nous avaient annoncé leur séparation imminente, mais quelque chose clochait : ils n'étaient pas mariés. La garde des enfants fut faite à l'arrache totale. Maman ne voulait pas de moi chez elle. J'étais le bébé A. Le premier arrivé, celui qui lui a fait le plus de mal. Impossible pour elle de me supporter encore plus longtemps.
" Alejandro... Ne parle pas comme ça de maman."
Ahhh, Benito. Le toutou de notre mère. Il a toujours été pour elle. Au final j'étais celui le plus proche de papa... Donc celui qui devait finir avec lui. Et ça n'a pas manqué. Nous nous sommes rapidement retrouvé séparés. Benito et Clemente sont partis pour Madrid avec notre mère et moi je suis resté à Barcelone avec papa.
Je me suis retrouvé perdu. Je vivais à travers mes frères. Ils étaient mon soutien, les seules personnes qui me donnaient envie de continuer cette vie qui a toujours été sans intéret pour moi.
J'ai dû apprendre à vivre sans eux. Je les voyais une fois tous les trois mois environ, ce qui n'était vraiment pas assez pour nous. Toutefois, cette rupture m'a permis de découvrir mon père.
Finalement papa n'était pas si différent que moi. Cet ancien punk se croyant encore dans les années soixante-dix ne comprenait pas lui non-plus ce qu'il faisait sur cette terre. Il était tout autant pommé que moi. La vie avec lui n'avait rien à voir avec celle que j'ai toujours connue en compagnie de mes frères et ma mère. Elle n'était pas plus calme, mais dix fois plus intense. Papa sortait tout le temps, faisait la fête, se mettait dans des états lamentables la nuit pour mieux redevenir un père idéal le jour. Il a toujours été là pour m'aider quand la vie redevenait un handicap pour moi.
C'est au rythme des soirées folles de papa et de mes journées de cours que j'ai continué à vivre, grandir et sourire.
ADORA.
Et là je réalise que tu me fais mal, mais que j'adore ça.
Cela faisait dix mois que je n'avais plus vu mes frères. Dix longs mois à les languir comme jamais. La dernière fois que nous nous étions vu je m'étais bagarré avec Benito. Tout avait commencé une dispute habituelle entre frangins... Et ça a dégénéré. Je lui ai pété le nez et lui m'a déboîté la mâchoire. Aujourd'hui encore il ne m'a pas pardonné pour ça... Nous avions tout juste dix-sept ans et Clemente revenait chez notre père dix mois après cette bagarre. Je suis allé le chercher à la gare comme toujours. Je ne me doutais pas de la tournure qu'allait prendre nos retrouvailles. Tout fut si... Naturel. Quand il est sorti du train je me suis comme d'habitude jeté sur lui, le prenant dans mes bras. Il avait tellement grandit en dix petits mois. Il me serrait avec force contre lui pendant que mes mains se perdaient dans la jungle de ses cheveux.
- Benito n'est pas là, il révise...- Tant pis pour lui.- Tu m'as manqué.Alors; je lui avais manqué? Vraiment? Son étreinte en attestait. Il me gardait contre lui, comme si j'étais à cet instant précis la chose la plus précieuse au monde. Je n'ai pas résisté à l'envie de l'embrasser dans le cou comme à notre habitude. Ce petit baiser a été l'élément déclencheur de la folie qui allait s'emparer de nous. Nous nous sommes doucement écartés l'un de l'autre avant d'aller chez papa. Sur le chemin du retour on a parlé de tout et de rien. On a beaucoup rigolé, on s'est chahuté. Bref. On a fait comme d'habitude, comme si nous n'avions jamais été séparés.
Une fois chez mon père nous avons joué aux jeux vidéos pendant plusieurs heures ce qui eu tendance à m'énerver. Si Clemente était partant pour faire une soirée glandouille/console, de mon côté je ne voyais pas les choses sous cet angle. Le soir venu nous sommes allés à une soirée organisée par une amie histoire de se défouler un peu. On a beaucoup bu, la tête nous tournait tellement que nous sommes restés sur place. C'est à ce moment-là que tout a dérapé. Tout le monde dormait paisiblement dans le vaste salon complètement sans dessus-dessous. Clemente et moi étions allongés par-terre un peu en retrait des autres, ma tête contre son torse. J'en veux encore à la personne qui a éteint la lumière à ce moment-là. Les lumières ont tout juste eu le temps de s’éteindre que je sentais déjà les mains de Clemente se poser sur mes joues, me forçant à venir l'embrasser. Allez savoir pourquoi je l'ai laissé faire et pourquoi on a échangé plus qu'un simple baiser lui et moi. Tout ce que je sais, c'est que je suis capable de ne pas hurler en cas de douleur aiguë au niveau de l'arrière train quand je ne suis pas seul avec la personne qui me saute... Surtout quand cette personne est mon frère. Après ça? Après ça j'ai pris mes jambes à mon cou et je suis rentré comme un lâche à la maison. Clemente est revenu chez mon père seulement le lendemain soir. C'était... Chaotique. Heureusement que papa n'était pas là, il a évité la dispute du siècle entre deux frangins pas capables de se retenir de faire des cochonneries une fois dans un état second.
- Pourquoi tu m'as embrassé?
- Je sais pas.
- Bordel de merde! Pourquoi tu m'as embrassé?! Hey! Gros con! Je suis ton frère!
- Alors pourquoi tu t'ais laissé faire?
- PARCE QUE J'ÉTAIS COMPLÈTEMENT BOURRE! Je sais pas si tu le remarquais, mais tu me serrais tellement fort qu'il m'était impossible de te repousser.
- C'est pas faux.
- MAIS RÉAGIS CLEMENTE! T'as baisé avec ton frère. TON FRÈRE.Je lui ai passé le savon du siècle, c'est au bout de plusieurs minutes d'insultes et de vocifération que Clemente me coupa.
- TU COMPRENDS PAS QUE C'EST DUR LA VIE SANS TOI, ALEJANDRO?Il m'a scotché. Certes, la vie est compliquée sans lui et Benito , mais il ne m'étais jamais venu à l'idée de faire un plan à trois avec eux pour autant. Néanmoins le moment partagé avec Clemente fut le plus intense que je n'ai jamais vécu. A vrai dire j'aurais au fond apprécié pouvoir voir Clemente à ce moment-là. Juste pour le voir, pour me voir. Pouvoir observer et constater ce manque qui nous rongeait. Comment cette histoire s'est terminée? On ne l'a plus refait, mais nous sommes restés plus proches que jamais. Clemente a fini par partir après une semaine passée à mes côtés. On a échangé un rapide baiser sur le quai de la gare avant que le train ne l'emporte. Un baiser simple, mais symbolique dans son genre.
ALEJANDRO.
I know that we are young and I know that you may love me. But I just can’t be with you like this anymore.
" ALEJANDRO, CETTE CHANSON EST POUR TOI! " J'étais dans une boîte de nuit Parisienne à ce moment. La musique commence, je regarde le DJ qui vient de hurler que cette chanson est faite pour moi. C'était la première fois que j'entendais cette chanson de Lady Gaga.
" Cette chanson vient tout juste de sortir. Alors, c'est toi le fameux Alejandro dont tout le monde parle à Paris? " Le maître de l'art". Peinture, dessin, musique, photographie, cinéma... Rien a de secret pour toi à ce que les gens disent. "
Je venais de rencontrer Ange, un mec avec qui je suis sorti pendant quelques temps, j'allais avoir vingt-cinq ans. J'avais quitté Barcelone à mes vingt-deux ans pour étudier l'art en France. Au final j'ai laissé tomber les études, comprenant que mon auto-didactisme dérangeaient grandement mes professeurs qui n'arrivaient pas avoir toute l'attention qu'ils voulaient de ma part. Je me suis rapidement fait un nom dans la photographie de rue Parisienne avant de jouer de la basse et de la batterie dans des petits groupes indépendants pendant des soirées dans des bars branchés. Petit à petit je me suis aussi fait connaitre pour mes talents de peintre pour finalement devenir "Le maître de l'art", rien que ça. Je voyais en Ange le mec idéale, le genre de mec qu'on ne croise qu'une fois dans sa vie, la perle rare. Finalement il m'a trompé, c'était la première et dernière fois qu'on me faisait cocu.
LIFE ON MARS?
Sailors fighting in the dance hall.
Après cette terrible trahison je me suis remis à sortir. A moi les boîtes gay de la ville. Adieu le Alejandro à la recherche de l'amour éternel. Je devenais une bête, un animal sauvage qui ne pensais qu'à une chose : Manger la viande. J’enchaînais les coups, trouvait tout le temps un joli mec à me mettre sous la dent. Que ce soit dans un bar, dans la rue, en soirée, dans le métro, j'avais mes proie, j'étais un connard de chasseur à la recherche de la rédemption. Le sexe ne m'aidant pas à oublier l'infidélité de mon ancien amant je me suis tourné bêtement vers la drogue. Les soirées n'étaient plus pareilles, je flottais au milieu des pistes de danse. J'arrivais toujours à avoir les hommes qui m’intéressaient, mais ce n'était plus pareil. J'étais immunisé. Les beaux mecs et le sexe ne me faisaient plus rien. Ma santé se dégradait dangereusement, inquiétant mon père qui n'a pas tardé à venir me chercher à Paris. Je ne me souviens pas de son arrivée d'ailleurs. Il disait m'avoir retrouvé allongé dans les chiottes de mon appartement à côté d'une flaque de gerbe et de seringues. La peur de sa vie.
" Je pensais que je t'avais perdu Alejandro... Comment je ferais sans toi, mon fils?"
Papa m'a pris par la main et m'a emmené loin de la folie Parisienne. Il m'a sevré, supporté mes colères dues au manque et à la tristesse que je ressentais toujours depuis ma rupture avec Ange. L'amour est la pire de toutes les drogues, ses effets sont dévastateurs. J'étais et suis encore accro à l'amour. Aimer l'amour, c'est signer un pacte qui certifie qu'un jour vous crèverez par amour.
Nous sommes alors partis pour les États-Unis. Papa rêvait d'y aller et pensait que là-bas je me ferais une nouvelle santé. Il ne s'est pas trompé. J'ai rapidement repris du poil de la bête, récupérant le poids que j'avais perdu à cause de la drogue, oubliant Ange, oubliant ces hommes qui ont défilés sous mes yeux, me retrouvant. Redevenant le véritable Alejandro.
Tout allait pour le mieux. Je me suis remis à l'art comme avant et papa profitait de sa nouvelle vie américaine. Il y a de ça une dizaine de mois tout a basculé.
- Monsieur Lafuente?
- Oui?
- Ici l'hôpital du centre-ville.
- Oui...
- Les pompiers viennent de nous amener votre père.
- Pardon?
- Il s'est fait renverser par une voiture.
- Mais... Mais... Comment ça?
- Un conducteur en état d’ébriété a fauché plusieurs personnes il y a de ça quelques heures et...
- Comment va mon père?
- Venez, monsieur Lafuente.
J'étais sous le choc. J'ai quitté notre appartement à toute vitesse, me rendant en courant à l'hôpital. Je voulais que ce soit un cauchemar, que tout ce qui était en train de se passer ne soit que le fruit de mon imagination. Mais non. Non. Papa était bien sur ce lit d'hôpital. Papa était bien en train de m'expliquer tant bien que mal ce qu'il s'était passé.
Il était bien en train de prononcer ses dernières paroles.
" Continue à vivre tes rêves Alej'. Soit fort, ne rechute pas... Je serais là, autrement, mais je serais là. Prend-moi la main."
J'ai pris sa main dans la mienne, il l'a serré aussi fort qu'il le pouvait avant de s'endormir.
La vie n'avait plus de sens. J'étais seul, loin de mes frères, loin de tout. J'étais seul comme un idiot à côté du corps à jamais endormit de mon père. Orphelin? Oui. Totalement.
Après l’enterrement je me suis rendu au hangar que nous avions loué papa et moi pour stocker nos affaires. Je n'y avais jamais foutu les pieds. Je m'attendais à trouver un tas de bordel inutile, mais la seule chose qui était dans ce hangar c'est un vieux Combi Volkswagen. A l'intérieur se trouvait des photos de mon père et ma mère plus jeunes. Apparemment ce vieux van leur servait de camping-car pendant leur jeunesse.
Deux semaines plus tard j'avais rendu l'appartement aux propriétaires, mit mes affaires dans le van et quitté la ville avec ce dernier. Je n'avais plus rien à faire dans la ville où papa avait perdu la vie.
J'ai longtemps voyagé seul et petit à petit j'ai commencé à ramasser des pommés sur la route. Des gamins, des hommes et des femmes tout aussi perdus que moi, à la recherche d'une vie meilleure. Nous formons depuis un groupe soudé et unis malgré les hauts et les bats qui rythment notre vie.