Alicia Horowitz & Beth Wilkerson

Le soleil se levait à peine sur Huntington Beach, mais la plage était déjà occupée par quelques joggers matinaux. Beth avait croisé quelques personnes qu'elle connaissait de vue, et elle sentait que la journée commençait bien. Comme chaque journée, en réalité. Ce petit moment qu'elle s'accordait tous les matins était un moment de détente, un moment qu'elle s'accordait à elle-même, un peu égoïste mais tellement vivifiant. La plus belle façon de commencer une journée, selon elle. Le temps était encore vrai, la bise encore rafraichissante, et courir alors que les gens se comptaient encore sur les doigts d'une main était ce qu'il y avait de plus relaxant à ses yeux. C'était une habitude de laquelle elle n'était pas prête de se détacher. Et puis, comme si la sensation euphorisante du sport matinal ne lui suffisait pas pour tenir le reste de la journée... il y avait, de temps en temps, sur la plage, alors que le soleil n'était parfois pas encore tout à fait levé, des retrouvailles toutes particulières. Les visages des coureurs qu'elle croisait à l'occasion étaient souvent familiers, mais il y avait une seule et unique personne avec qui les « bonjour » quotidiens avaient laissé place à davantage. Une autre brunette qu'au fond, elle ne connaissait sans doute pas plus que ça, mais qui lui rappelait juste qu'aux aurores, le monde vivait déjà, et que c'était une occasion de plus de rencontrer des gens. Dans une ambiance beaucoup plus sereine et calme que le reste de la journée et où, au final, respirait le bien-être et la simplicité. Il lui était arrivé de conclure des séances de jogging en s'asseyant dans le sable face à l'océan, à regarder le soleil finir son ascension dans le ciel orangé, aux côtés de cette connaissance qu'elle s'était faite, et avec qui sa relation ne cessait de s'approfondir de rencontres en retrouvailles. Alicia, elle s'appelait. Elle n'en savait pas tellement plus à son sujet, mais Beth se contentait de ces moments qu'elles partageaient à l'abri du stress de la journée. Elles parlaient de tout et de rien, souvent de rien, mais aussi parfois de tout. Et rencontrer Alicia était toujours un excellent moyen de commencer une journée.

The Verve dans les oreilles, un vent frais qui caressait son visage, et son souffle saccadé pour seules compagnies, Beth avait pratiquement terminé son parcours matinal. Le soleil ne dominait pas encore tout à fait la plage, mais ce n'était plus qu'une question de minutes. Elle se sentait incroyablement bien. Essoufflée, mais incroyablement bien. Une histoire de neurotransmetteurs, sans doute. Un saut chez elle pour prendre une douche et un café, et elle serait parée pour la journée. Elle s'arrêta doucement au bord de l'eau, reprenant peu à peu son souffle, les mains posées sur les cuisses. Après quelques instants, elle se mit à marcher pour rejoindre le parking, non loin de là. Ce ne serait pas aujourd'hui qu'elle croiserait Alicia... à moins que... ? Devant elle, à un nombre incalculable de mètres, se tenait un petit point qui semblait avancer vers elle. Une queue de cheval claire au vent. Dans l'espoir ridicule qu'il s'agisse de celle qu'elle pense, Beth se remit à courir en direction de la silhouette dont l'identité demeurait malgré tout incertaine. Elle s'arrêta à une dizaine de mètres d'elle, l'air de rien, juste histoire d'être sûre qu'elle ne se dirigeait pas vers une parfaite inconnue. Mais... « Alicia ! T'as pas fait le même parcours que d'habitude, si ? » cria-t-elle en enlevant ses écouteurs. Elle marcha vers elle, ne se demandant même pas un instant si elle allait couper l'élan de sa course. « Et puis ça fait quelques jours que je t'ai pas croisée ! Tu boudes ? » rit-elle.

Allez Hécate, encouragea Alicia, c’est parti ! Et sa chienne ne se fit pas prier pour se lever, passer la porte de chez Elijah et commencer à courir sur le trottoir. Sourire aux lèvres, la demoiselle remonta ses cheveux en queue de cheval et lui emboîta le pas à petites foulées. Cela faisait quelques jours qu’elle sacrifiait son rituel quotidien qui commençait réellement à lui manquer. En temps qu’infirmière attitrée, elle avait en effet d’autres priorités pour l’instant qui lui prenaient ses quelques heures avant ses cours, qu’elle consacrait d’habitude à courir et déjeuner afin de bien commencer la journée. Elle les sacrifiait cependant plus que de bon coeur, ce n’était pas réellement un poids pour elle. Seulement, ce jour-là, le besoin d’aller courir sur la plage s’était fait ressentir, plus pressant que jamais et elle avait donc divisé son temps pour mieux l’optimiser. Elle repasserait rapidement chez elle pour se doucher et se changer, sans parler de prendre les cours qu’elle avait préparés et elle serait fin prête pour une nouvelle journée de travail. Le trottoir fit bientôt place au sable, pour son plus grand plaisir et elle put accélérer le pas. Elle n’avait pas pris de lecteur MP3 cette fois-ci, contente de s’adonner à son petit plaisir matinal, de croiser des gens, qu’elle saluait en reconnaissant quelques visages. Sa chienne gambadait gaiment, ne s’éloignant cependant jamais trop, faisant donc beaucoup d’allers-retours. Sa maîtresse se fendait d’une caresse de temps à autres. Elle savait qu’elle se sentait un peu délaissée ces derniers temps et se promit de faire plus attention. Depuis qu’elle l’avait récupérée au refuge, elle prenait toutes les précautions nécessaires. Blessées toutes deux, elles se soutenaient quotidiennement, même juste en courant.

Et même si la compagnie de la gent canine lui était agréable, Alicia ne fut pas fâchée quand elle entendit qu’on l’interpellait, en route vers le parking pour essayer d’attraper un bus pour ramener sa chienne chez elle : Alicia ! T'as pas fait le même parcours que d'habitude, si ? Un grand sourire s’épanouit sur ses lèvres alors qu’elle ralentissait l’allure, histoire de ne pas se stopper brutalement et qu’elle finissait par se retourner, faisant face à Beth. Et puis ça fait quelques jours que je t'ai pas croisée ! Tu boudes ? Elle éclata de rire avant de secouer la tête, reprenant son souffle pour lui répondre : Beth ! Absolument pas, voyons, finit-elle par dire. Elle s’essuya le visage avant de planter ses poings sur ses hanches, toujours essayant de retrouver un rythme respiratoire normal. Quelques jours d’inactivité et elle avait déjà perdu le rythme ! Elle le sentait, comme le bien que cela lui faisait. Elle avait oublié à quel point cela lui avait manqué et à quel point elle en avait besoin. Cela faisait partie de son processus de guérison et il fallait vraiment qu’elle s’y tienne. En réalité, ça fait quelques jours que je ne viens pas, je m’occupe d’un ami qui est malade, confessa-t-elle le plus naturellement du monde, et là je viens de chez lui, d’où le trajet inhabituel, expliqua-t-elle finalement, avant de glisser : Il faut définitivement que l’on échange nos numéros, comme ça la prochaine fois, tu ne t’inquièteras pas/ C’était évidemment une boutade, elle se doutait bien qu’elle ne devait pas s’être fait un sang d’encre, mais ce n’était pas nécessairement une mauvaise idée. Hécate revenait vers elle et se précipita sur Beth pour lui faire la fête, pendant qu’Alicia se redressait : Tu as l’air en forme en tous cas ! Tout va bien de ton côté ? Cela faisait un moment qu’elles n’avaient pas discuté et, pour être honnête, ça lui avait manqué.

Alicia Horowitz & Beth Wilkerson

La plage commençait à se remplir doucement, et c'était signe pour Beth qu'il était temps d'achever son jogging quotidien. Elle se sentait extrêmement bien à cet instant précis, l'euphorie des endorphines, sans doute, mais toutes les bonnes choses avaient une fin. Elle n'aurait pas croisé Alicia aujourd'hui, mais ce n'était que partie remise. Cela faisait quelques jours, cependant, que ce n'était que partie remise, mais Beth ne perdait pas espoir de la croiser à nouveau ici-même. Pourtant, il fallait avouer qu'après toutes leurs rencontres fortuites, l'absence de la brunette commençait à l'inquiéter. Malgré toutes les fois où elle s'était vues et posées ensemble, Beth ne savait finalement pas grand chose d'elle, et elle espérait fortement qu'elle n'avait pas de problème de santé, de famille ou de quoi que ce soit d'autre. Qu'elle n'avait pas de problèmes, quoi. Imaginez-vous le soulagement lorsqu'elle avait ressenti en reconnaissant sa silhouette, au loin, accompagnée de celle de sa chienne. Nul doute que c'était elle. Et elles se rejoignirent, récupérant chacune leurs souffles pendant quelques instants. « Beth ! Absolument pas, voyons », s'exclama Alicia lorsque Beth l'avait accostée. « En réalité, ça fait quelques jours que je ne viens pas, je m’occupe d’un ami qui est malade, et là je viens de chez lui, d’où le trajet inhabituel » Arquant un sourcil interrogateur, Beth, malicieuse, demanda le plus naturellement du monde : « T'as dormi chez "un ami" ? ». Réalisant seulement qu'elle avait presque omis le début de la réponse d'Alicia, elle ajouta aussitôt : « Malade ? Rien de grave j'espère ? Une grippe, ça se soigne avec une bonne soupe et... des bons draps. » Bon, ok, c'était peut-être déplacé. Voire même très déplacé. Mais Beth aimait le déplacé -les voitures, les trains,... comment ça ma gueule ?. Enfin, ce n'est pas tant qu'elle aimait le déplacé, en réalité. C'était plutôt qu'elle n'était pas tellement raisonné lorsqu'il s'agissait des relations sociales, et qu'elle avait toujours eu la fâcheuse tendance à laisser sa spontanéité prendre le pas sur sa raison pour ces choses-là -et heureusement pas dans sa vie professionnelle. « Il faut définitivement que l’on échange nos numéros, comme ça la prochaine fois, tu ne t’inquièteras pas » la coupa Alicia dans ses pensées, justement au moment où elle se disait exactement la même chose. « File moi ton portable, jte file mon numéro » Tendant la main devant elle, Beth comptait très sérieusement lui donner toutes ses coordonnées. « J'étais arrivée à plein d'hypothèses. Un crocodile aurait pu sortir de tes toilettes et te dévorer. Oui, c'était une de mes hypothèses. Je te mets aussi mon nom facebook, on sait jamais, comme ça tu verras ce qu'on écoute en direct à l'asso. » La coupant dans son monologue, Hécate fut la suivante à profiter des retrouvailles. La chienne lui sautant de dessus, et Beth eut un petit cri de stupeur provoqué par la surprise, avant de s'accroupir pour la caresser avec vigueur. « Coucou toi ! Je t'ai manqué, hein ? » disait-elle de ce ton que l'on accorde aux animaux qui obtiennent toute notre tendresse. « Tu as l’air en forme en tous cas ! Tout va bien de ton côté ? » continuait Alicia alors qu'elle ne se lassait pas de profiter de la chienne de cette dernière. « Ah, mon secret c'est le café et l'anticernes ! » rit-elle avant de se relever. Quant à ce qui se passait dans sa vie... Tout allait bien, tant que rien ne démontrait le contraire, n'est-ce pas ? Alors, c'est que tout allait bien. C'était ce qu'elle se forçait à croire, toute sauf prête à imaginer que si son mari ne la touchait désormais pas plus qu'il ne lui parlait, c'était pour une autre raison que son travail qui lui occupait l'esprit, même lorsqu'il arrivait à s'échapper du bureau. Son rêve d'enfant était repoussé à plus tard, à ce moment où Daniel lui annoncerait qu'il avait pris des billets pour l'Italie, comme il lui avait promis des mois auparavant. Malgré tout, plus le temps passait, plus le problème semblait tenace et insoluble. Mais tout ça, elle n'était pas prête à se l'admettre à elle-même, alors l'admettre à quelqu'un d'autre, quelle que soit cette personne... C'était inconcevable. « Mais ça va, ça va ! » finit-elle par dire après un petit silence qui lui avait échappé. Hécate ne cessait de remuer à leurs côtés, ce qui lui fit décrocher un sourire attendri. Peut-être qu'au lieu d'un enfant, elle devrait prendre un chien. Daniel n'aurait sans doute pas eu la même réaction si elle lui avait demandé un chien. C'était de sa faute. Ça faisait déjà quelques années qu'ils étaient mariés, mais c'était sans doute trop tôt pour lui pour faire face à cette idée d'être père, et Beth aurait du le savoir. Un chien, voilà ce qu'elle aurait du lui proposer. « T'as un peu de temps ? Je veux tout savoir de ta vie de ces derniers jours. Qui est cet ami, si tout va bien, si je peux faire quelque chose, tout ça. » Et, en ultime -et seul- argument, Beth s'assit dans le sable, pour le plus grand bonheur d'Hécate, qui se mit à tourner autour d'elle, toute excitée. « Dis, tu lui donnes du café ? » demanda la brunette en caressant l'animal, pas plus troublée que ça par son entrain. « Et assieds toi, j'ai pas envie de me choper un torticolis. » Traduction : je me suis assise et je me relèverai pas. Même si t'as pas le temps. Allez, on parle.