Vous savez ce moment où vous attendez dans le salon, tranquillement, le diner en place, le plat dans le four, la lumière légèrement romantique et l'ambiance douce qui plane tout autour de vous... Ce n'était pas la première fois que Simran se retrouvait seule à attendre. Elle devait arrêter d'attendre, mais son devoir d'épouse la pousser à toujours rester très carré, très parfaite. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser Adrian rentré et la voir en train de finir de manger dans le salon, devant la télé. Non, elle n'avait pas le droit de manquer à son devoir et de toute façon, elle avait été éduqué pour être une « bonne » épouse. Pour être quelqu'un de « bien. » Même si Adrian ne le méritait pas vraiment. Voir pas du tout. Alors, après un long moment d'attendre, elle rangeait tout, laissa une assiette bien garni dans le four, laissé une note pour la cuisson et manger, de son côté, seule dans la cuisine. La lenteur de ses gestes prouvait bien que parfois Simran n'en pouvait plus. Elle rêvait parfois de sortir, de voir des gens, de rire de bon coeur, de faire des rencontres. Tout semblait si impossible. Cette maison était sa prison, une énorme est grande prison. Elle aurait quand même aimé que son bourreau fasse un effort. Qu'elle puisse au moins avoir quelqu'un avec qui parlait. C'est tout. Après la vaisselle, le rangement de la cuisine, Simran s'énerva. Elle venait de se couper avec un des couteaux. Son esprit était trop ailleurs pour qu'elle se concentre à sa vaisselle. Mais elle ne supportait pas vraiment la vue du sang, alors ça l'énerva. Ça l'énerva que personne ne soit là pour prendre son doigt et l'aider. Que personne ne soit là pour la rassurer. Elle attrapa un torchon, espérant que le saignement arrête. Elle se dirigea vers l'un des tiroirs du salon, fouinant d'une main à la recherche d'un pansement. Une fois fait, elle le plaça son sur son doigt, avant de rester bloqué dessus.

Ses yeux fixaient le doigt sans vie. Elle se sentait si misérable, si frustré. Si fatiguée. Là, tout de suite, elle n'avait envie de plus rien. Pourquoi fallait-il qu'elle en soit arrivée là ? Elle essuya du revers de sa main des larmes qui allaient arriver, pensant à son père. Il avait été si heureux de la voir marier. Elle se dirigea vers sa chambre, attrapa son sac à main, décidant d'aller faire un tour. De toute manière, Adrian n'allait surement pas revenir maintenant. Elle était habituée à ce que parfois il ne revienne pas du tout de la nuit. Trop occupé ailleurs. A tous les coups, il ne remarquerait même pas sa présence. A tous les coups, même si c'était le cas, il s'en ficherait.

Elle ne savait pas où est-ce qu'elle irait, alors, sans faire attention, elle entra dans un bar. Elle n'était pas du genre « bar » ni même « boite. » Pourtant, elle venait de s'asseoir à une table, sans réellement savoir quoi faire. Elle n'aimait pas l'alcool. Elle ne tenait pas l'alcool, pourtant là tout de suite, elle se disait puisque lui passait sa vie à boire, alors pourquoi elle devrait rester loin d'un verre ? Alors, au fur et à mesure, elle commanda des verres. Différents, comme pour tout gouter. Au fur et à mesure, elle se sentait plus légère. Elle avait plus chaud. Elle riait sans avoir besoin de rire. Elle discutait avec des gens sans la moindre difficulté, dansait avec d'autres. Elle était ivre. Complétement. Mais elle se sentait bien. Elle se sentait ailleurs. Elle se sentait libre de faire tout ce dont elle voulait sans avoir le moindre problème.

D'ailleurs, elle se déchaînait, chantant du rock, riant aux éclats. La vie semblait alors si facile. Si facile, sauf qu'elle ne voulait pas que ça s'arrête. Pas maintenant et au vu de l'heure, il était temps que le bar ferme. Il était une heure passé, que Simran ne voulait pas partir. Elle s'était assise sur une table, croisant les bras et boudant comme une enfant de six ans.

« - Non, non, non, non. Je ne veux pas partir. Je ne veux pas partir. »

Qui dit nouvelle vie, dit nouveau travail. Enfin plus tellement nouveau en y réfléchissant bien. Cela fait bien deux mois que je travaille au Wildjam maintenant. J’ai eu une chance inouïe de trouver cette petite annonce, et de tomber sur Mr. Wilde, ce patron est génial, cela me change des patrons que j’ai pu avoir à New-York. De vieux pervers, véreux et cupide. Je n’ose même pas compter les heures qu’ils ont à me rembourser, les intérêts moraux qu’ils ont à réparer.  Si j’étais quelqu’un de vraiment mauvaise, j’aurais bien donné un petit coup de fils à l’inspection du travail et sanitaire pour me venger. Oh que oui, j’en ai connu des bars lugubre et mal famés. Mais cette époque est révolue. Tout du moins je l’espère réellement, je veux croire à cette nouvelle chance.
 
Alors comme toute les fins de journées, je me prépare pour aller travailler, look très sobre, jean et tee-shirt bien trop court, cheveux relevés d’une simple barrette, ce qui me donne un petit côté rock que j’aime particulièrement. Jude n’est pas encore rentré de sa fac, je lui laisse alors un petit mot ornée de pleins de petits cœur sur le frigo, lui indiquant que je lui ai laissé un petit plat à l’intérieur, fait avec tout mon amour. Dommage que je ne puisse pas voir sa tête quand il l’ouvrira… Je suis loin d’être un cordon bleu, alors son diner gastronomique ce soir sera… des nouilles chinoises avec des sushis que j’avais commandé un instant plus tôt. Nos horaires correspondent mieux qu’à New-York, Mais les soirs de fermeture, comme aujourd’hui, je ne pourrais le retrouver que cette nuit, vers deux heures.
 
Une bise aux collègues, et je passe illico derrière le bar, avec mon sourire éternellement légendaire. Sans rire, j’adore ce job, les clients ne sont pas chiants, enfin pas à tous les coups, mais j’ai rarement eu de soucis ici, l’ambiance est bon enfant, la musique me motive, et tout en servant un nombre incalculable de verres, de cocktails, et de chips apéro, je me surprends parfois même à faire quelques pas de danse. Je crois que c’est ça aussi, qui plait à la clientèle, être servi par une demoiselle qui croque la vie à pleine dent. S’ils savaient seulement pourquoi je suis comme ça maintenant. L’état dans lequel je me trouvais il y a à peine quelques mois… Ils déchanteraient bien vite.
 
Une jeune fille retient plusieurs fois mon attention. Je sais avoir bonne mémoire, mais cette fois, cela doit bien faire une bonne dizaine de fois que je la sers. Et je sais également reconnaitre les paliers de l’alcool. Premier palier : Je souris, la soirée est sympa. Et cela se voit sur mon visage. Deuxième palier : Maintenant je vais me faire plein de potes ! Troisième palier : Youhou ! Chantons et dansons ! La vie est bien plus belle comme ça ! Je le vois venir gros comme une maison le quatrième palier. Mais la jeune femme me fait sourire doucement pour le moment. Après une bonne heure et demie, je sonne la cloche au-dessus du bar pour annoncer la fermeture. En plissant les lèvres, je m’excuse d’un regard pour ceux qui voulaient encore rester.

Tandis que le bar se vidait au fur et à mesure, je pouvais maintenant me rendre compte que la jeune femme dont je vous parlais il y a un instant, était toujours présente, assise à une table, avec la posture d’une enfant capricieuse, tout en répétant : « - Non, non, non, non. Je ne veux pas partir. Je ne veux pas partir. » Oh pitié. Le voilà ce quatrième palier. Et en plus, à cette heure-ci, je suis toute seule pour fermer. Espérons qu’elle revienne vite à la raison. Au pire des cas, je pourrais lui appeler un taxi. J’en ai maté de bien plus dur. Je ferme les yeux un instant en expirant, attrape un verre d’eau et me dirige vers la jeune femme.
 
« Hep mam’zelle ! On va fermer là, je suis désolé mais va falloir y aller… Tiens bois ça. Ça ira ? Tu as besoin d’un taxi, ou quelque chose ?»
 
Cette mauvaise habitude de tutoyer les gens… ça me perdra. Elle doit être sans doute plus vieille que moi, pas de beaucoup, mais tout de même. Et puis, ce n’était pas comme si on était dans une banque non plus. Je pose mes mains sur la table pour lui faire face, mon regard sur elle se veut bienveillant, pour le moment. Je regarde rapidement ma montre qui affiche 1.35AM. Chier. Jude doit m’attendre. Allez ma fille, on fait un effort, on se lève, et on essaye de marcher droit, de pas tomber, et de pas rendre son diner sur le parquet que je dois encore balayer.

Si petit à petit, le bar se vidait, Simran elle, était loin d'avoir compris. Elle restait à sa place, continuant sa soirée comme si cela ne finirait jamais. Ce n'était pas étonnant quand c'est la première fois qu'on décide d'aller si loin avec l'alcool, sans connaitre ses propres limites. Elle ne buvait pas normalement, oh non, normalement, elle était d'un exemple à vous couper le souffle. Là, elle avait craqué. Elle en avait eu marre. Une soirée de plus seule, une soirée de plus loin des gens qu'elle aime et connait. C'était comme si le monde ne tournait plus rond depuis des mois, la condamnant à une routine sans valeur. On n'avait pas le droit de lui reprocher un peu de joie, non, alors elle voulait rester. Elle voulait rester jusqu'à ce que son corps abandonne. Oui, que ce corps finisse par craquer à son tour.

Dans sa petite robe noire, un peu trop classe pour un bar, elle avait décidé de se lâcher. Elle n'avait pas de tenue appropriée pour ce genre de soirée. Elle n'avait pas de robes sexy, de petits hauts sympa ou des jupes trop courtes. Sa garde-robe se résumait a des vêtements élégant de femme mariée dont l'unique hobby était de vendre des vêtements dans une boutique. Dieu sait que ce n'était pas une blague. La jeune cinéaste qu'elle était s'était retrouvée enfoui sous un amas de protocole et de bien-être. Alors oui, elle avait peut-être des talons hauts, des cheveux sur le côté et un tenue trop élégante pour un bar miteux, mais elle s'en fichait. Elle pouvait parier tout l'or du monde, son mari était actuellement quelque part. Et ce quelque part n'était pas chez elle. Alors oui, maintenant qu'elle comprenait que le bar était en train de fermer, elle pétait les plombs. Comme une enfant à qui on avait arraché un jouet précieux, très précieux. Ici, il fallait croire que c'était l'alcool, la musique et les inconnus qui riaient d'elle. Elle adorait ça, ne plus sentir ses pieds, avec l'impression d'être plus légère que le monde qui l'entourait. Comme un ballon. Un ballon qu'on allait bientôt devoir éclater.

« - Non, non... j'ai besoin de rien... d'absolument rien ! » Elle bougeait la tête négativement, comme si cela suffirait comme réponse à la jeune blonde qui venait d'arriver. C'était elle qui fermait. Le bar allait donc fermer... les bars fermaient un jour ? Tiens, c'était une découverte ça. Simran attrapa le verre, regardant l'objet comme si c'était totalement nouveau pour elle. Ce n'était que l'eau, rien de plus. Mais c'était presque magique à ses yeux. Oui, l'eau était transparente. Elle but d'ailleurs tout le verre, parce qu'on au fond, elle était assoiffée. Elle posa celui-ci à côté, remarquant que la demoiselle lui faisait face. Elle attendait quelque chose. Elle regarda de nouveau le verre d'eau vide qu'elle décida de tendre vers la jeune femme.

« - Madame, Madame, Madame... Vous savez, je suis assoiffé. Mais c'est étrange, ce n'est pas d'eau dont j'ai besoin ! » Elle ria, sans doute était-elle la seule à comprendre pourquoi. L'ivresse était une chose à laquelle on ne pouvait plus échapper. « - Vous seriez un amour de me resservir de ce cocktail coloré. J'aiiii complètement oublié le nom, mais y'avait un petit parapluie avec. C'était mignon. » Le sourire ne quittait pas Simran, prête à rester là encore longtemps.

Je suis en train de prendre sur moi, de faire tous les efforts du monde pour ne pas perdre patience face à cette cliente plus qu’alcooliser pour réussir à la sortir d’ici le plus gentiment et calmement possible. Mais ceux qui me connaissent bien savent que la patience n’est pas mon fort. Pourtant là, je suis bien obligée, je ne veux pas perdre mon boulot, sinon comment Jude et moi on ferait ? Payer l’appartement, les factures, le crédit de ma voiture ? Non, pas moyen que je m’énerve ce soir. Heath en serais le premier déçu. Mais là, C’est bien lui que je déteste, pourquoi fallait-il que ce soit sur moi que ça tombe ? Et Seule en plus de ça !

Je suis déjà tombé sur des clients qui voulaient camper ici, mais en général ce sont des hommes, et c’est bien plus facile de les attirer dehors que les femmes. Là, je ne sais franchement pas comment je vais me sortir de cette situation. Apelle le patron ? Alors qu’il compte sur moi, et que c’est son jour de repos ? Non. Je dois encore essayer, et si la situation vire à la catastrophe je le ferais. Seulement si la situation devient extrême. Je reste face à elle, avec un calme impressionnant, tandis que j’attends qu’elle me réponde. Vous savez, le temps qu’elle comprenne le sens de ma phrase… tout ça. Fut un temps, c’était moi qui était à sa place. Je souriais doucement en essayant de me souvenir de combien de bars je m’étais faite dégager.


« - Non, non... j'ai besoin de rien... d'absolument rien ! » me dit-elle en faisant de grands gestes. Si grands, que je dû faire un pas en arrière pour ne pas me prendre un coup. Dubitative, et ne sachant pas vraiment quoi lui répondre, je la regardais attraper le verre d’eau que je venais de lui déposer et le vider d’une seule traite après l’avoir longtemps observé comme si c’était un objet divin. Je n’étais décidément pas sortie de l’auberge. D’un seul coup, elle me tendit le verre en me disant qu’elle était assoiffée, mais qu’elle ne voulait pas d’eau. Si je m’écoutais, le verre aurais fini dans sa figure, histoire de la faire dessaouler. Mais je suis malgré tout, et tout au fond de moi, une jeune fille –presque- bien élevée.

Entre deux rire ivres, elle me dit alors : « - Vous seriez un amour de me resservir de ce cocktail coloré. J'aiiii complètement oublié le nom, mais y'avait un petit parapluie avec. C'était mignon. » Vous seriez un amour. Sérieusement ? Elle me parlait comme à une boniche. Et je n’aimais pas cela. Mais je ne pouvais pas non plus clairement lui en vouloir. J’attrapais le verre qu’elle me tendait depuis tout à l’heure. JE ne comptais, au début, bien sûr, pas la resservir. Puis, j’eue une idée. Une sorte de négociation. Au point où j’en étais de toute façon, tous les moyens sont bons. «  Un California Beach. Je t’en fais un, mais seulement si tu me promets qu’après tu t’en iras okay ? J’aimerais pouvoir fermer mon bar et rentrer chez moi tu comprends ? »

Je me rendais derrière le bar avec son verre vide, et le nettoyais avant de le ranger. J’éteignais l’ordinateur pour l’empêcher de diffuser d’avantage de musique. Histoire de bien donner le ton, et de pouvoir l’entendre si elle m’écoutait. Bien sûr, je n’allais pas lui préparer le cocktail, elle avait bien assez bu comme ça, et la loi nous interdit de vendre de l’alcool passé une certaine heure. Donc j’allais le lui faire, mais sans va vodka. Une fois le verre coloré prêt, j’attrapais un petit parapluie rose pour le mettre dedans, avec une paille. Et me redirigeait vers la table de la cliente. « Voilà, mais c’est le dernier, et uniquement si tu pars après. Faut que tu rentres chez toi maintenant. On peut toutes les deux avoir des soucis si tu restes ici. »