En fin d'après-midi, le soleil était encore assez haut dans le ciel, et je me dis que l'été approchait. Il me faudrait prévoir un voyage pour aller retrouver ma chère famille adoptive que je n'avais pas vue depuis bien longtemps. Je m'en rendais compte maintenant, je négligeais un peu mes proches, alors qu'ils n'étaient pas bien nombreux. Je ne les appelais presque pas, et pourtant je n'avais aucune raison d'agir ainsi. Enfin, si, peut-être. Chaque fois que j'avais une conversation avec Mia ou mes parents, je savais exactement quelles questions m'attendaient : « Comment vas-tu ? Tu es sûre qu'il n'y a aucun problème ? Tu aimerais venir nous voir ce week-end ? Et l'université, ça se passe bien ? »
Parfois j'avais envie de hurler que j'étais une adulte, que j'étais responsable et que je savais gérer ma vie toute seule. Mais je ne pouvais pas leur en vouloir de s'inquiéter pour moi, non ? C'était en réalité tout à fait normal, après ce que m'était arrivé. En effet, je n'avais pas beaucoup épargné les Staveney, et je m'en voulais souvent. Vraiment, quelle pitoyable sœur et fille je faisais ! Incapable de montrer de l'affection aux personnes qui m'avaient nourrie, logée et aimée comme leur propre fille.
Bon, je crois que j'étais de mauvaise humeur.
C'est sûrement pour ça, d'ailleurs, que j'allai à la plage. Marcher pieds nus sur le sable fin, le vent soulevant parfois mes habits et mes cheveux, cela me détendait vraiment. J'ai toujours aimé la marche, mais pas celle dans les rues pavées aux bruits désagréables et où je ne me sentais pas dans mon élément. Les endroits comme la plage, les forêts, bref tout ce qui ne me rappelait pas la ville, ça, j'adorais. Autant à regarder qu'à écouter.
En ce moment d'ailleurs, j'écoutais le bruit des vagues s'écrasant sur les rochers, le son de mes pas dans le sable qui peu à peu se rafraîchissait, les quelques cris de mouettes qui passaient parfois au-dessus de ma tête. Ainsi pieds nus, portant mes ballerines dans une main, marchant pendant des heures et des heures, j'aurais pu le faire toute ma vie.
Je m'arrêtai finalement face à la mer, les pieds à demi-immergés sous l'eau qui allait et venait de façon régulière, et je frissonnai tandis que le vent se levait. La nuit n'allait pas tarder à tomber, et l'air se rafraîchissait. Je resserrai les pans de mon gilet sur mes épaules dénudées, ressassant encore et toujours mes histoires de famille. Il fallait vraiment que je trouve une solution, et que je cesse de ne penser qu'à ma petite personne.
Faisais-je des progrès en m'avouant mes égoïsme vis-à-vis de ma famille ? Je ne pense pas que je me sentais mal - non, sinon je le saurais - à cause du fait que ce n'était justement pas ma véritable famille. Je ne me basais plus sur cela depuis que j'avais rencontré les Staveney. Leur bonté et leur gentillesse me faisaient penser aux parents que j'avais toujours rêvé d'avoir, à une famille soudée. Je ne sais pas pourquoi, mais j'avais encore du mal à me montrer naturelle devant eux. Peut-être était-ce à cause de ce qui s'était passé après ma rupture avec Nathan ?
Ah, Nathan... Il fallait que je pense à lui juste à ce moment, pour compliquer encore plus ma vie. Nathan et ses yeux magnifiques, Nathan et son sourire ravageur... Non, non. Ce n'était vraiment pas le moment de penser à lui. Je devais juste me détendre, et surtout, surtout, ne pas penser à Nathan Gray.
Penser à ma famille, aux efforts que je devais faire. Oui, voilà. Je devais me montrer plus affectueuse, leur faire comprendre que je les aimais, et ne plus me comporter comme cette égoïste réservée et froide.
Je fus alors brusquement tirée de mes pensées, et croyez-moi, ce n'est pas très agréable.

Un chien un jeune rottweiler, était venu se poser juste à côté de moi et se secouait à présent énergiquement, et j'étais là, recevant toute l'eau mêlée de sable que le chien avait pu se coller au pelage. Je poussai un petit cri, surprise et un peu en colère. Non, mais, où était son maître ? Ne pouvait-il donc pas le tenir en laisse ? Surtout un aussi jeune chien, qui devait certainement n'en faire qu'à sa tête.
Le maître arriva justement, un jeune homme je dois l'avouer, très séduisant. Mais son sourire à la fois amusé et désolée me permit de vite reprendre mes esprits et le colère me submergea à nouveau. Lorsqu'il rit, j'eus dans l'idée de lui sauter au cou. « Je ne lui ai pas encore appris que c’était malpoli de se secouer à côté des gens. » ajouta-t-il comme pour m'énerver encore plus.

Je crois qu'il voulut se rattraper en disant plus poliment, histoire de calmer mes nerfs : « Je m’appelle Adam et lui c’est Teddy. » Mouais, y a mieux.
Je restai quelques instants silencieuse, avant de jeter un regard au chien qui avait presque l'air tout fier de lui, et de croiser à nouveau le regard moqueur de cet Adam. Ce nom lui allait bien, je ne pouvais le nier.

Je tentai de recouvrer mes sérieux, mais soudain je me mis à rire devant la comique de la situation, je ris de moi-même en fait. Ma réaction avait été excessive, après tout ce n'était qu'un peu de sable et de l'eau sur de vieux habits.
Toujours avec un sourire amusé, je répondis : « Ce n'est pas grave, ce n'est qu'un peu d'eau et de sable. » Je restai un instant avant de tendre la main et d'ajouter : « Je m'appelle Victoria. »
Cela me semblait un peu incongru de me présenter à une personne de la sorte, de la boue visqueuse maculant mes habits, que je brûlais maintenant d'enlever et de frotter énergiquement.

Je me demandai quel genre de personne était ce jeune homme, et j'espérai qu'il n'était pas ainsi à longueur de journée, parce que j'avoue que mon sourire était un peu forcée, j'étais encore froissée par l'attitude moqueuse de cet Adam. Il y avait des personnes qui aimaient avoir ce comportement envers d'autres, rien que pour les énerver, et moi, à moins d'être animée par des sentiments négatifs, voire haineux, je ne voyais pas l'utilité d'une telle attitude, bien que parfois il me démangeait d'agir de la sorte. Je crois même que j'avais envie de renvoyer ses piques à Adam.
Et il faut dire que je l'aurais serré dans mes bras, juste histoire qu'il sache ce que ça fait de se retrouver couvert de cette boue visqueuse. J'en aurais certainement ri.
Bien sûr, ces pensées me traversèrent en une seconde seulement, juste le temps que mon mécontentement se reflète un instant dans mes yeux.